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n° 22659Fiche technique8355 caractères8355
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Temps de lecture estimé : 6 mn
27/09/24
Résumé:  Un contrôle antifantasme
Critères:  f cérébral jouet délire
Auteur : Pitziputz      Envoi mini-message

Collection : Absurdités du futur
Fais monter mon petit oiseau

Verica était au pic de sa concentration. Elle avait suivi scrupuleusement les instructions de son entraîneur et appliqué le rituel à la lettre : lever tôt, une heure d’entraînement, petit déjeuner, une nouvelle heure d’entraînement, puis départ pour le stade. Petit échauffement et douche fraîche pour raffermir les chairs avant enfin l’ultime étape : méditation seule dans son coin.


Elle inspira, expira et crispa sa musculature intime. Elle mentalisait les yeux fermés le parcours de cette finale qu’elle s’apprêtait à livrer et qu’elle avait bien l’intention de gagner.


Elles n’étaient plus que huit.


Verica n’était pas peu fière du chemin parcouru et elle avait de quoi. Seule représentante de son pays, elle a même été choisie comme porte-drapeau, un honneur pour sa famille et la Transnistrie.

Et dire que quatre ans auparavant son sport n’était qu’en démonstration…


Elle secoua sa transe, se donna de grandes claques sur les cuisses, sautilla sur place en contractant son ample fessier et se dirigea, déterminée, vers le vestiaire.


En franchissant la porte, elle manqua de bousculer Shelley Cole, mais l’Américaine, détentrice du record du monde, ne lui accorda pas même un regard ; alors, elle ne s’excusa pas. La leader mondiale gondola sur ses longues jambes jusqu’à son casier, les deux mains vissées sur son casque audio. La rumeur disait qu’elle écoutait des miaulements de chattes en chaleur. À chacune sa méthode.


Odeur d’adrénaline, claquement du latex des combinaisons, couinement des fermetures Éclairs et chuintement des velcros. Les huit filles étaient fin prêtes.


Parmi elles, deux Américaines, longilignes et musclées, une Slovène tout en jambes, une Russe plus massive, deux Allemandes un peu boudinées mais très fortes et une petite Éthiopienne, la plus sympa de toutes, rieuse et pleine d’énergie.


La lumière de la chambre d’appel était maintenant allumée. On aurait cru entendre le feulement de lionnes prêtes à bondir, les moteurs vrombissants avant que les lumières du départ ne s’éteignent.

Qui aurait cru, il y a seulement dix ans que ce petit objet en forme de phallus déformé deviendrait l’engouement de toute une génération ? Qui aurait pu penser que muscler son périnée deviendrait non pas grotesque mais irréductiblement dans le vent ?


Un fabricant génial, en mal d’écoulement de son stock, avait en effet réussi le tour de force de faire avaler à des milliers de gonzesses qu’un petit godemiché de couleur pastel, connecté et judicieusement serré là où il fallait, allait renforcer leur plancher pelvien, faisant s’envoler par la même occasion sur l’écran de leur smartphone, des dizaines d’oiseaux joufflus le long d’ondes multicolores vers des arcs-en-ciel tout aussi enfantins, accumulant au passage des points de bonheur.


Une certaine Marianna, influenceuse bien connue des réseaux s’était écriée : « Les gars, je suis un jeu » en postant une vidéo d’elle alanguie sous un drap les yeux mi-clos avec, en bandeau, un score plus qu’honorable. La sauce, si l’on peut dire, avait pris et des dizaines de femmes s’étaient mises à poster leurs scores et leur technique. Puis vinrent les tutoriels sur YouTube ; des fabricants se mirent à imiter l’original avec un petit bonus : une petite vibration à chaque palier atteint, de plus en plus régulière du moment que l’oiseau restait en vol. Daphné, une autre star des réseaux, avait découvert qu’il était encore plus marrant de faire tomber les oiseaux, l’objet remuant de protestation à chaque volatile assassiné.


On ne parlait plus que de cela.


En France, comme dans les autres pays d’Europe, des clubs avaient ouvert leurs portes à celles – et finalement ceux – qui préféraient jouer en groupe. Il fallut concevoir des fauteuils appropriés, hybrides entre la chaise de gynécologue et le fauteuil club. Si au début, ne pouvaient pénétrer dans les « chambres d’envol » que les participantes, bientôt, les accompagnants furent tolérés, car ils se révélaient être des coachs très stimulants. Certains clubs autorisaient du public derrière une vitre sans tain, mais les clubs sérieux soutenaient qu’il y avait autant de similitudes avec ces derniers qu’il n’y en avait entre le spa d’un hôtel de luxe et un salon de massage.


Verica avait fait partie des pionnières. Elle avait été contactée par l’épouse du Président, pratiquante assidue, qui lui avait demandé de monter un club professionnel et bien équipé apte à rivaliser avec les ligues officielles outre-Atlantique.


Des moyens illimités avaient été mis à sa disposition. En très peu de temps, Verica s’était hissée au niveau mondial.


Sous l’œil attentif de sa marraine, elle s’était rapidement révélée comme l’une des têtes d’affiche de l’épreuve de sprint, hissant régulièrement son oiseau à plus de mille points durant les trois minutes que durait l’épreuve. Elle s’entraînait toutefois assidûment, car elle visait également le titre en endurance, sachant que pour l’instant elle n’y était pas.


L’attente dans cette chambre d’appel était interminable. Elle repensa à Marie Bourgeon, cette canadienne convaincue de dopage ; Verica avait aussi essayé dans le plus grand secret de battre son record en pleine jouissance. Rien ne valait le système parasympathique comme moteur, mais voilà, la ligue s’y était fermement opposée et tout espèce de stimulant chimique ou mécanique était dorénavant radicalement prohibé.


« À toutes les concurrentes de l’épreuve d’introfit, une minute… »


La porte s’ouvrit en grand et Verica pénétra dans l’arène, sous les applaudissements de la foule. Elle repéra aussitôt le fauteuil qui lui avait été attribué. L’inclinaison, la taille du marchepied et des sabots, tout était sur mesure.


Elle leva un bras lorsque le speaker donna son nom et son palmarès. À sa droite, la petite Éthiopienne faisait le pitre, s’attirant les bonnes grâces du public, tandis qu’à sa gauche, Shelley Cole s’étirait, mettant bien en évidence ses avantages sportifs.


« Go to your seats… »


Verica prit position, les pieds bien calés dans les sabots à l’écartement parfait. Elle attrapa la poignée gauche et de la main droite ouvrit la fermeture Éclair de sa combinaison au moment où la coque de plexi opaque coulissa, la faisant ressembler à une tortue inversée. Sur l’écran géant, elle vit que le manche de l’introfit, en version de compétition, était maintenant activé et prêt à fonctionner. Elle introduisit le bananeau et le positionna de sa main droite en serrant les fesses pour bien le caler.


Elle soupira. C’était le meilleur moment. Elle adorait ce sport. Verica ferma les yeux, inspira profondément et saisit la deuxième poignée.


Elle se concentra pour ne rien contracter. Personne ne voulait d’un faux départ.


Sur l’écran géant, les quinze secondes précédant le début de l’épreuve s’égrenaient à rebours au son d’un tambour électronique, donnant à la course à venir un tempo et une vibration que la jeune femme ressentait au fond de son bas-ventre. Elle se sentait bien et calme. Cette médaille était pour elle. Trois minutes. Il fallait tenir sans fléchir durant cent quatre-vingts petites secondes.


2…1…


La Transnistrienne ferma les yeux, l’objet fiché en elle se réchauffant un peu. Elle contracta et contracta encore plus ses muscles les plus intimes.


Elle n’entendait plus les encouragements du public, ni la sonnerie des points rouges qui montaient sur une simple ligne digitale, version compétitrice des oiseaux amateurs. Elle avait effacé l’existence de ses adversaires, car elle faisait appel à sa botte secrète : dans un coin camouflé de sa mémoire, elle se revit adolescente, sortant de sa cachette ce cahier écorné qu’elle avait subtilisé à un illustre visiteur de son père. Une traduction clandestine en russe de nouvelles érotiques d’une certaine Anaïs Nin.


Elle ressentit aussitôt l’émoi qui la traversait à la lecture de la description de ces fleurs qui s’écarquillaient et du miel qui en jaillissait. Elle se dicta les mots les plus aphrodisiaques, tandis qu’un doigt fantôme vibrait autour de son olive.


L’extase la prit par surprise et les dernières secondes de l’épreuve absorbèrent ses dernières gouttes de plaisir.


Elle soupira et remonta engourdie sa fermeture Éclair, tandis que la coque se rouvrait. Elle n’était que deuxième et heureusement, car jamais elle ne se serait sortie du contrôle antifantasme. En regardant Shelley Cole se diriger tête basse vers les officiels, elle sut qu’elle avait en fait gagné.