Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 22673Fiche technique48247 caractères48247
8525
Temps de lecture estimé : 35 mn
07/10/24
Résumé:  Treize ans que nous ne nous sommes pas revus. Pour fêter la fin de nos études, nous avons décidé de tous nous réunir. Seule contrainte, venir seul sans nos conjoints, pour nous retrouver entre nous.
Critères:  fh jeunes vacances anniversai vengeance confession
Auteur : Patrick Paris            Envoi mini-message
Notre amie Clara

J’allais terminer d’écrire cette histoire, quand j’ai pris conscience qu’elle me rappelait un film de la fin des années cinquante, un huis clos regroupant un grand nombre d’acteurs, parmi les plus célèbres du cinéma français de l’époque.

J’ai donc essayé de mieux faire coller la fin de mon histoire à ce film.


Saurez-vous le reconnaître ?


Rien à voir avec Agatha Christie… Quoique.



Moi, c’est Antoine, cherchant ma route, je tourne en rond depuis un bon moment :



L’homme regarde en l’air et se gratte la tête, comme pour activer sa mémoire :



Bernard habite avec Sophie un petit village de l’Est, à la frontière du Luxembourg. Je me suis longtemps demandé ce qui avait pu les séduire pour s’installer aussi loin. La réponse avait été claire, la fac terminée, ils avaient trouvé, tous les deux, un super job de l’autre côté de la frontière :



Pris de nostalgie de nos années étudiantes, ils avaient décidé de réunir tous nos amis, pour fêter la fin de nos études il y a dix ans, avec un peu de retard, car si je calcule bien, cela fera treize ans que nous avons eu notre diplôme, enfin ceux qui n’ont pas repiqué la dernière année. Une seule contrainte, venir seul sans nos conjoints, pour se retrouver entre nous. Je n’allais pas le laisser tomber, j’ai donc laissé femme et enfants dans notre pavillon de Meudon, pour venir me perdre ici, après cinq heures de route.


Nous nous sommes connus au lycée, à Paris. Nous avons bachoté ensemble pour gagner notre passeport d’entrée en fac, chacun sa discipline. Nous n’avons pas été séparés pour autant, tout était prétexte pour nous retrouver, le resto U, les bals étudiants du samedi soir et du dimanche après-midi, le Ciné-club. Nous avons tout partagé, sorties en boîte, révision, stress des examens, les vacances chez les uns et les autres. Sûrement mes meilleures années.


Nous étions dix exactement, un compte rond. Combien serons-nous ? Qui a-t-il pu contacter ? « Ma maison est grande », m’a-t-il dit, « pas de problème ».


J’arrive enfin devant une maison, belle demeure. Pas un pavillon de Banlieue, une grande maison, avec un immense jardin. Me voilà chez les Parisiens.



— --oOo---



BERNARD


Treize ans que nous ne nous sommes pas revus, treize années que Clara nous a quittés.


Je suis avec Sophie depuis le lycée, commencé par un flirt comme les autres, nous ne nous sommes plus quittés. Mariés dès la fin de nos études, Sophie m’a fait trois beaux enfants, nous sommes heureux ici. Quand nous sommes arrivés, j’ai découvert que nous n’étions pas très loin de chez les parents de Clara, de l’endroit où elle a été inhumée.


Bien sûr, nous sommes allés sur sa tombe porter des fleurs. J’envisage d’y retourner tous ensemble pour rendre un hommage à notre amie. J’aurais dû y penser plus tôt.


Je suis heureux de reconstituer notre bande, unie comme les doigts de la main, enfin des deux mains. Que sont-ils devenus ? Antoine s’est rangé, il m’a dit être en couple et a deux enfants, il doit être pacsé. Quel dragueur c’était ! Enfin moins que Daniel et Jacques, toujours à vouloir coucher avec toutes les filles qu’ils voyaient. On aurait dit que c’était une compétition entre eux. Je parie qu’ils continuent à papillonner ou alors ils sont tombés sur une femme qui les tient au doigt et à l’œil, ce serait drôle.


Simon, trop timide pour aborder les filles, n’a pas eu de chance, sa première femme a été emportée par la maladie deux ou trois ans après leur mariage, il m’avait envoyé un faire-part, mais je n’ai pas pu me déplacer, je le regrette maintenant. D’après ce que j’ai compris, il est à nouveau marié, avec un enfant en prime, il a bien le droit à un peu de bonheur.


Yves changeait souvent de petit copain, mais il ne nous les a jamais présentés, peut-être par peur d’être jugé, moi je m’en fous, il fait ce qu’il veut.


J’ai hâte aussi de revoir les filles Mathilde, Anne-Laure et Flora. Comment sont-elles aujourd’hui ? À l’époque, elles étaient bien mignonnes, elles me plaisaient toutes, d’ailleurs avant d’être avec Sophie, c’est avec Mathilde que j’ai fait mes premières armes. Je me garde bien d’en parler à Sophie, elle n’est pas jalouse de notre passé, mais on n’est jamais trop prudent.

Et il y a Clara. J’ai toujours beaucoup de peine en pensant à elle.



— --oOo---



MOI


Deux gros chiens m’accueillent à mon arrivée :



En entendant aboyer leurs chiens, Sophie arrive essoufflée. Elle n’a pas changé, petit bout de femme, toujours souriante. Au lycée, je suis sorti avec elle quelque temps, avant qu’elle ne remarque Bernard, depuis ils ne se sont plus quittés. Je me demande encore ce qu’elle a pu lui trouver.




— --oOo---



DANIEL


Ces réunions, ça me gonfle, un peu ancien combattant, chacun va raconter une histoire dont personne ne se souvient, on va verser une larme sur notre jeunesse, et bye à dans dix ans.


Enfin, je suis content de les revoir, surtout les filles, que de bons souvenirs avec elles ! Avec les mecs aussi, mais dans quel état vais-je les retrouver ? Métro, boulot, dodo, une vie bien plan-plan avec bobonne, obligés de se branler quand elle leur tourne le dos.


Bernard a toujours été sympa, il a pris le temps d’organiser nos retrouvailles, je ne pouvais pas lui dire non. J’ai tout de même réussi à gagner une soirée, j’arriverai demain dans la matinée, en fin de matinée pour ne pas avoir à me lever trop tôt. Myriam doit passer me voir comme tous les vendredis, je n’allais pas rater cette nuit. Une bonne baiseuse celle-là, elle râle tout le temps, jamais contente, mais au lit, y a pas mieux, sinon je l’aurais déjà larguée. Ce week-end, j’avais le choix entre supporter les réflexions de Myriam, ou me faire chier avec cette bande de ploucs.


À la fac, j’ai vite fait le tour des filles de notre groupe, il y en avait tant sur le campus qui n’attendaient que moi. Sauf Clara, j’aurais bien aimé, elle était mignonne, mais trop prude. Elle hésitait. À force d’insister, j’aurais pu arriver à mes fins, pas de chance cet accident.


Depuis que je travaille, je n’ai pas perdu la main, j’aime bien les jeunes cadres dynamiques qui sortent de l’école, elles ne pensent qu’à leur carrière, jamais contre un coup du soir, le boulot avant tout, elles ne cherchent pas à fonder de famille. Elles sont comme moi, la même règle, ne pas s’attacher.



— --oOo---



MOI



Je repense à tous nos amis, perdus de vue depuis tant d’années. Folie de la jeunesse, tout le monde était amoureux de tout le monde. Nous passions allègrement de l’une à l’autre, comme dans « La ronde », le film de Max Ophüls vu au ciné-club. Moi avec Anne-Laure, Anne-Laure avec Daniel, Daniel avec Mathilde, Mahilde avec Bernard, Bernard avec Sophie et ainsi de suite, j’ai même vu Mathilde avec Anne-Laure, lors d’une soirée bien arrosée.


À l’époque, ce n’était souvent que des petits flirts, rarement plus, les filles ne couchaient pas aussi facilement qu’aujourd’hui. Nous nous contentions de nous embrasser et de nous peloter pendant des heures dans la voiture ou au cinéma. Nous n’avons jamais su qui était allé plus loin. Un peu coqs, nous en disions plus que ce que nous faisions réellement. Comme on disait alors, la main dans la main, la main dans le machin, le machin dans la main, mais rarement le machin dans le machin.


J’avais un certain succès à la fac, sans être comme Jacques qui passait son temps à draguer, il aimait séduire, une fois arrivé à ses fins, il passait à une autre. Daniel aussi d’ailleurs, il en a brisé des cœurs.


Et puis, il y a Clara, la sœur de Flora, une petite jeune qui venait d’entrer en première année. Elle a de suite été acceptée par la bande, nous étions onze, nous avons continué à nous appeler la bande des dix, l’habitude. Nous avons tous été très affectés par sa disparition.


J’aurais imaginé plus de couples dans notre bande, seuls Bernard et Sophie se sont mariés rapidement, à cause de bébé qui s’annonçait.


Sur la terrasse, je retrouve nos amis. Flora a droit aux quatre bises traditionnelles, je la trouve préoccupée, aurait-elle des problèmes personnels en ce moment ? J’aimerais pouvoir l’aider, difficile sans être indiscret. Simon, toujours jovial m’accueille les bras ouverts. Il n’a pas changé, toujours une blague à la bouche, pas souvent drôle, pour cacher sa timidité. J’ai entendu dire qu’il n’a pas eu de chance avec sa femme, il m’en dira plus. Mais quel coup de vieux ! À son âge, il a déjà des cheveux blancs et a pris du ventre, entre les déjeuners d’affaires et la bière, son bide a dû lui coûter cher.



— --oOo---



SIMON


C’est Antoine ? Je ne l’aurais pas reconnu. Qu’est-ce qu’il a changé, il a perdu ses cheveux, enfin la calvitie a un certain charme !


Super cette idée de Bernard et de Sophie de nous réunir. On a eu beau se faire des promesses, l’année prochaine, même heure, même endroit, la vie nous a séparés. Quelques nouvelles au jour de l’an, une carte de vacances, puis plus rien.


En arrivant, j’ai été heureux de revoir Flora, sans oser lui parler de sa sœur. Je l’aimais Clara, en silence, je l’aimais comme on aime à vingt ans. Avec mon physique, je n’ai jamais osé le lui avouer, de peur qu’elle ne se moque de moi.


Quand j’ai connu Agnès, j’étais le plus heureux des hommes. Notre mariage, le plus beau jour de ma vie, nous n’avons malheureusement pas eu le temps d’avoir un enfant, elle est tombée malade. Bernard a dû leur dire. Ils vont vouloir tout savoir, ils vont me plaindre, ça, je ne le supporte pas. Après son décès, j’étais au quatrième dessous. Après plusieurs mois à l’hôpital où j’allais la voir tous les jours, la maladie a été la plus forte. Enfin, j’ai rencontré Brigitte, elle m’a redonné goût à la vie. Le coup de foudre réciproque, un amour, elle était séparée de son mari, j’ai adopté ses enfants comme si c’étaient les miens. Un garçon et une fille, le choix du roi, je crois qu’eux aussi m’ont adopté.


Mes études en fac ne m’ont rien apporté, c’est la mécanique qui me branchait. Après le décès du père, mère m’a bien fait sentir qu’elle serait heureuse que je prenne sa succession au garage. J’y avais déjà pensé. Au départ d’Agnès, j’ai sauté le pas, donné ma démission et me suis mis à mon compte. Maintenant, en plus du garage, je suis concessionnaire Citroën, j’ai une douzaine d’employés. Brigitte fait la comptabilité et toute la paperasserie. Travail en famille, j’ai vraiment trouvé le bonheur.



— --oOo---



Moi



Bernard interrompt nos effusions :



Jacques vient d’arriver avec Mathilde et Anne-Laure :



Encore un qui se fout de moi, lui par contre il est toujours aussi svelte, aussi séduisant. Pas étonnant que les filles lui courent encore après.


Je m’empresse de prendre nos amies dans les bras, nouvelles séries de bises. Anne-Laure est toujours aussi jolie malgré sa grossesse, discrète et réservée, la femme idéale. Mathilde a pris un peu d’embonpoint, elle pousse un cri de joie en me voyant, ça fait toujours plaisir :




— --oOo---



MATHILDE


Tilde, Tilde, quelle idée de m’appeler comme ça ! Déjà au lycée, je détestais ce diminutif, alors maintenant faudrait oublier. J’espère que les autres ne vont pas s’y mettre aussi.

J’aime bien Antoine, mais jamais discret, je n’aurais jamais pu vivre avec lui, je plains sa femme.


Ça fait bizarre de se retrouver avec dix ans de plus. Je n’ai jamais revu personne depuis cette semaine de vacances passée en bord de mer à la fin de nos études, c’est ce drame qui nous a séparés.


Pour venir jusqu’ici, quelle galère ! Cette idée aussi de vouloir vivre à la campagne. C’est le bout du monde ce coin perdu. D’abord, on n’est bien qu’à Paris, j’ai toujours vécu dans le centre, et je travaille à La défense, le cœur des affaires. Mon ami recherche un nouvel appartement en banlieue, à Neuilly, c’est pas Paris, mais bon, passe encore, ce n’est pas la pire des banlieues.

Ce voyage en train, Brrr quelle promiscuité ! Pourquoi pas prendre le métro tant qu’on y est ?


Heureusement, Jacques est venu nous chercher à la gare. En attendant notre chauffeur, j’ai eu le temps de discuter avec Anne-Laure, elle a un peu grossi depuis son accouchement, elle devrait faire du sport. Ce n’est pas encore une vache, mais si elle se laisse aller, va savoir.

Il a fallu qu’elle me montre la photo de ses enfants, et me raconter en détail son accouchement, beurk, je n’aurais jamais d’enfant, ça déforme le corps. Elle s’est drôlement empâtée, ses nichons doivent tomber, elle doit avoir des vergetures sur le ventre, et quel cul ! Enfin, si elle plaît comme ça à son mari, ça durera bien encore quelques années.


Ah, voilà Flora, un peu simplette, mais sympa, je me suis toujours bien entendu avec elle. Elle est avec Simon, qu’est-ce qu’il a grossi ! J’ai toujours aimé son côté bourru, un peu nounours. Un soir, il m’a draguée. Il ne fait pas dans la dentelle, un peu lourd, ses blagues sont d’un goût douteux, enfin ça n’a pas été le pire coup que j’ai connu.



— --oOo---



MOI


J’aide Sophie à sortir des chaises. Elle me dit en riant.



Jacques a apporté une bouteille de champagne, Sophie, nous rejoint avec les verres. Nous sommes maintenant tous réunis, seul Daniel manque à l’appel. On trinque, nous levons notre verre :



Nous avons tous une pensée émue pour notre amie Clara, elle s’est noyée lors de nos vacances, les dernières passées tous ensemble. Pour fêter la fin des cours, nous avions loué une grande maison à Cassis, pas loin de la plage, au milieu des calanques. Elle est allée se baigner seule dans une petite crique. On ne l’a jamais revue. « La mer rend toujours les corps », nous a dit le capitaine de gendarmerie qui dirigeait les recherches, quelques jours plus tard, son corps a été retrouvé, échoué sur une plage.


Clara, la benjamine, la sœur de Flora, elle venait juste d’avoir vingt ans, c’était sa première année de fac. Toujours joyeuse, souriante, elle avait fait sport-étude natation au collège, une bonne nageuse, elle a dû aller trop loin, le courant l’a emporté. Quel accident stupide !



L’émotion nous étreint, les filles versent une larme en souvenir de notre amie.



— --oOo---



FLORA


Clara, ma petite sœur, sera toujours ma petite sœur, pourtant elle était plus grande que moi, mais avec quatre ans et huit mois de moins, c’était la petite et moi la grande. En voyant mes amis, je retiens difficilement une larme en pensant à toutes ces années, des années où Clara était toujours avec nous.


Ah ces mecs, ils m’ont tous draguée, faut-dire qu’à l’époque j’étais assez mignonne, on ne devrait pas changer.

J’étais surtout heureuse que Jacques m’ait remarquée, c’est le seul avec qui j’ai couché, trois mois d’un bonheur total, beau comme un dieu, c’est ce que je pensais à l’époque, jusqu’à ce que je le vois main dans la main avec une pouffiasse aux gros seins. Mon sang n’a fait qu’un tour, j’allais lui dire ma façon de penser, quand ils se sont arrêtés et il lui a roulé une pelle, le salaud. Elle se tortillait dans ses bras, cette pouf.

Je suis rentré chez moi les yeux rouges, j’ai pleuré toute la nuit et me suis endormie sans m’en rendre compte.


Le lendemain, j’étais guéri, je n’aimais plus ce con. Il est arrivé un grand sourire aux lèvres, la douche froide, j’ai déballé tout ce que j’avais sur le cœur. Au lieu de s’excuser, il l’a pris de haut et m’a lancé qu’il me quittait. Il se prend pour qui, c’est moi qui l’ai quitté.


On était jeune. Maintenant, j’aime mon chéri. Après trois ans de vie commune, on finira bien par agrandir la famille. Il hésite, moi aussi. Je réalise que j’ai oublié de lui téléphoner en arrivant, il a dû attendre. Il n’est certainement pas encore couché, j’essaierais plus tard, ça le réveillera s’il s’est endormi devant la télé.


Comment vont se passer ces trois jours, ça me fait drôle de les voir tous aujourd’hui, mais je veux savoir, j’y pense depuis plus de dix ans, je veux connaître la vérité, toute la vérité.



— --oOo---



MOI


Retrouvailles sympas, nous parlons de tout et de rien, de rien surtout, comme lors de nos longues soirées, au lycée et en fac.

En nous entendant, j’ai cru revenir dix années en arrière, les mêmes conversations, les mêmes platitudes. Nous parlions des livres que nous avions lus, ou pas lus, des films que nous avions vus, ceux à voir, mais que nous n’allions jamais voir, des musiques diffusées sur Internet, des vacances, des expos que nous allions forcément ratées, pas le temps, et des histoires d’amour que nous avions vécues, ou pas, surtout de celles-là, l’imagination aidant. Personne n’était dupe, fallait jouer le jeu.


La grande question « Qu’es-tu devenu depuis tout ce temps ? ». Chacun se raconte, le boulot, les enfants, mais hier comme aujourd’hui, en voulant épater les autres.


À la merci des fourmis et des moustiques, nos discussions sont ponctuées de « Paf » une claque sur un bras, « Paf » sur une cuisse, pour interrompre le festin d’une de ces petites bestioles qui nous bouffent à qui mieux mieux. Ça fait sourire Bernard et Sophie :



En fin de journée, un silence, profond, gênant, s’installe entre nous. Nous nous sommes déjà tout dit. De quoi allons-nous pouvoir parler durant tout le week-end ?


Bernard nous sauve de la gêne qui n’allait pas manquer de s’installer :



Il se lève et entre dans la maison, tandis que Sophie montre aux derniers arrivants le lit où ils allaient essayer de dormir.



Le lendemain matin, difficile de faire la grasse matinée, le premier qui se lève, réveille tous les autres. En bonne hôtesse, Sophie, debout la première, a préparé le café, la table nous attend sur la terrasse.


Chacun arrive encore à moitié endormi, souriant en voyant la mine des autres. Mathilde et Anne-Laure sont les dernières, elles ont failli se faire attendre.



En fin de matinée, Daniel arrive enfin, jamais pressé, celui-là. Pour un peu, il ratait l’apéro.


Toujours actif, Bernard est partout à la fois. Il cherche un bénévole pour aller acheter le pain frais au village et en profiter pour passer à la poste à côté de la mairie chercher leur courrier :



Jacques se propose, il ne tient jamais en place.



Anne-Laure se porte volontaire pour l’accompagner. Nous nous regardons avec Simon, un petit sourire amusé. Comme toutes les filles, Anne-Laure était amoureuse de Jacques, il doit lui rester un peu de sa jeunesse dans les veines. Maintenant elle est rangée, mariée avec deux enfants, des jumelles si je me souviens bien de ce qu’elle nous a raconté hier.


Pendant ce temps, j’aide Bernard à allumer le barbecue. L’atmosphère est détendue, nous discutons les uns avec les autres, heureux de nous rappeler nos frasques de jeunesse.


Au deuxième apéritif, on commence à avoir faim. Ils en mettent du temps.


Enfin voilà le pain :



Il fait chaud, l’après-midi repos, d’autant que le repas a été bien arrosé, un petit rosé du pays, bien frais, bien traître. Les chaises longues sont prises d’assaut par les hommes. Les filles préfèrent monter dans leur chambre, il y fait plus frais que sur la terrasse.


Jacques en profite pour astiquer sa voiture, enlever la boue des chemins et la poussière sur les sièges. Toujours aussi méticuleux, sa voiture c’est sa maîtresse, il la bichonne.



— --oOo---



ANNE-LAURE


C’est chouette cette idée de retrouvailles, j’ai hésité à venir, mais en souvenir de ma copine Clara, je n’ai pas hésité longtemps. Bernard a une grande maison, un peu loin, pas simple depuis Bordeaux, mais je n’allais pas rater ça.


J’ai été surprise qu’il veuille nous réunir sans nos conjoints, j’aurais préféré pouvoir présenter mon mari que personne ne connaît encore. Enfin, mon chéri a été formidable, comme d’habitude. Je voulais confier les filles à mes parents, mais il a décidé de les garder, c’est un amour, et moi qui… Je ne le mérite pas… Tromper mon mari. Non mais, quelle conne ! Quelle conne !


Qu’est-ce qu’il m’a pris ? J’étais plus maligne avant. D’accord, Jacques est toujours aussi charmant, aussi séduisant, pas de là à oublier mon mari et mes enfants. Ce salaud en a profité, je me dégoûte. Sur le moment, bien sûr, j’ai apprécié, maintenant, je me sens sale.


J’étais heureuse d’aller faire les courses avec lui, il m’a draguée en allant au village, ça m’a fait rire. Et puis le dérapage, quand il m’a prise dans ses bras pour m’embrasser. J’ai accepté ses baisers, ses caresses, c’est en jouissant que j’ai pris conscience de ce que je venais de faire. La honte ! Plus jeune, j’avais le béguin pour lui, mais ce n’est pas une raison, le passé est le passé. Comment ai-je pu céder à ce beau parleur ?


En rentrant, Jacques m’a demandé de laisser ce soir la porte de ma chambre ouverte. J’ai refusé catégoriquement. Sa réaction a été vive, il s’est moqué de moi, « oublie ton mari, c’est la première fois qui coûte ». Quel cynisme !


Au retour, je n’osais pas regarder nos amis en face, comme si mon crime était écrit sur mon visage.

Ouf, ils n’ont pas l’air de soupçonner quoi que ce soit. Ils croient à cette histoire de calvaire.


La journée avait pourtant bien commencé. Jacques est venu nous chercher à la gare, sympa de sa part. J’étais avec Mathilde, en attendant, nous avons discuté. Elle a voulu voir la photo de mes petites, j’adore les montrer, elles sont si mignonnes. Elle doit aussi vouloir des enfants, elle m’a beaucoup questionnée sur ma grossesse, mon accouchement, elle doit avoir un peu peur. Enfin si j’ai bien compris le plus important, il faudrait qu’elle trouve un mec avant, car le type avec qui elle est en ce moment ne semble pas être le bon.


Comment l’appelait-on déjà ? Tilde, bof, si elle aimait ça.

Elle a toujours été un peu snob. Elle disait souvent « la vraie vie est à Paris ». Son diplôme en poche, elle a acheté un petit deux-pièces dans le quartier de ses rêves, tout petit, mais bien placé, comme elle aimait le répéter. Depuis, son appartement s’est petit à petit agrandi, au rythme de la situation des mecs avec qui elle a vécu.



— --oOo---



JACQUES


Je les ai toutes eues, Mathilde, Flora, Sophie. Bernard ne le sait pas, elle n’a jamais voulu lui en parler, je n’ai jamais rien dit non plus. Même Clara, une petite coquine, celle-là, qui cachait bien son jeu, elle en redemandait. Enfin, ne disons pas de mal de celle qui nous a quittés.


Anne-Laure, elle, m’a repoussé plusieurs fois, pourtant ça se voyait qu’elle était amoureuse de moi, il y a des regards qui ne trompent pas. Anomalie corrigée, cette fois mon charme a agi, je n’aurais pas perdu mon week-end. Elle n’a pas hésité très longtemps, ce n’est pas pour rien qu’elle a voulu m’accompagner, elle n’attendait que ça, j’ai juste répondu à son attente.


On ne va pas en rester là, j’espère bien passer la nuit avec elle. Elle aussi en a envie, ça crève les yeux. Elle n’a pas vraiment dit non.


Dans la voiture, je n’ai pas fait attention, j’aurais dû mettre une couverture pour ne pas tacher les sièges. Il va falloir que je les nettoie.


Ça cause, ça cause, marre de revoir tous ces nazes, je ne vais pas m’éterniser ici. Après la nuit qui s’annonce bien, je me tirerai rapidement demain matin, je les ai assez vus.



— --oOo---



MOI



Sophie ne me laisse pas le temps de répondre, j’ai déjà une pile d’assiettes dans les mains.



Après le dîner, nous sommes tous réunis sur la terrasse, un verre à la main. Bernard se lève, je suis surpris par son air sérieux, voire sévère. Il nous regarde à tour de rôle, son regard me met mal à l’aise. Enfin, il prend la parole :



Chacun retient son souffle, que se passe-t-il ? Daniel, en riant, l’apostrophe :



Ignorant son interruption, Bernard poursuit :



Nous sommes tous intrigués :



Chacun se souvient. La gorge nouée, Bernard continue :



Daniel réagit le premier :



Imperturbable, Bernard continue :



Bonne idée, chacun acquiesce de la tête. Clara est dans toutes les têtes, tous sont émus. Bernard ne se rassoit pas :



L’étonnement est général. C’est encore Daniel qui l’interpelle le premier, disant ce que nous pensons tous :



Elle n’était pas fermée à clé, à l’intérieur, tous ses vêtements étaient bien pliés sur le siège arrière, les papiers et les clés étaient cachés sous le tapis du conducteur.

Clara a été retrouvée trois jours plus tard, sur une plage, entièrement nue. Les gendarmes ont conclu à un accident, décès par noyade.


Les commentaires vont bon train :



Nous nous regardons, étonnés :



Flora nous interrompt, sans relever la tête :



Une bombe n’aurait pas fait plus d’effet, nous restons muets, croyant avoir mal entendu. Mathilde dit tout fort ce que nous pensons tous :



En prenant son temps, tenant son papier à la main, sans le lire, Bernard d’une voix ferme impose le silence :



Ménageant ses effets et regardant bien ses amis :



Sidéré, un « quoi ? » général sort de toutes nos poitrines.



Et d’une voix mal assurée, elle murmure :



Cette fois, nous sommes indignés, nous nous regardons sans comprendre. L’émotion est trop forte, Flora pleure en silence au souvenir de sa sœur.



Bernard vient au secours de Flora :



Une boule dans la gorge, un sanglot empêche Flora de continuer. Le silence est pesant. Enfin, elle se racle la gorge, feuillette le cahier qu’elle a dans les mains et d’une petite voix timide commence la lecture. Nous sommes tous attentifs, on croirait entendre la voix de Clara :



Finit, les examens, je vais passer quelques jours chez mes parents en attendant les résultats. Après, on a prévu des vacances en bord de mer avec toute la bande.



Je suis sale. Je n’arriverais jamais à effacer cette souillure.

… Tu… Tu étais comme un frère pour moi.


Flora bafouille, en reniflant pour contenir ses larmes. Elle tourne la page :


Je te faisais confiance, nous passions des heures à rigoler, je t’aimais bien. Pourquoi cette violence quand j’ai refusé de t’embrasser ?

Je me suis débattue, tu étais le plus fort, je n’ai pas pu me défendre. Je n’ai pas eu mal quand tu m’as pénétrée, mais je ne voulais pas, pas comme ça, pas sans amour. J’ai fermé les yeux pour ne plus te voir.

Tout à coup, sans le vouloir, j’ai joui. J’ai crié de plaisir pour ta plus grande satisfaction. Je ne suis qu’une salope, une moins que rien, une fille indigne.



Je viens d’avoir les résultats du test. Quelle honte !

Je n’ai qu’une solution pour me laver de cette infamie, ma grande amie, la mer.


Flora referme le petit cahier, et rajoute :



Un silence de plomb succède aux mots de notre amie. Flora est encore sous le choc de l’émotion :



Nous avions tous la larme à l’œil, il n’y avait aucun doute, ce n’était pas un accident.



Flora secoue négativement la tête.


Simon n’a rien perdu de son sourire, même en de telles circonstances :



Bernard reprend la parole :



Nous nous regardons comme si la réponse était écrite sur un visage.



Levant la tête, son regard est dur, d’une voix calme avec détermination, elle s’adresse à ses amis :



Anne-Laure prend la parole d’une voix calme :



Pas un bruit autour de la table, le silence général vaut acceptation. Tous baissent la tête prenant conscience de ce qu’ils viennent de décider.



Ce qui fait bondir Mathilde :



S’en suivit une cacophonie indescriptible, chacun essayant de deviner qui est la brebis galeuse. Mathilde interpelle Daniel :



Le ton monte, Sophie essaie de calmer le jeu d’une voix posée :



Mathilde, toujours pragmatique :



Jacques surenchérit :



En le regardant, Anne-Laure se souvient de ce qu’il lui a dit ce matin :



Anne-Laure rougit. Ses amis ne semblent pas avoir compris l’allusion :



Recroquevillée dans un coin, effrayée par les éclats de voix, Flora fait non de la tête, elle regarde avec effroi ses amis. Elle voulait la vérité, toute la vérité, espérant que le coupable avoue ce qu’il a fait à Clara, mais pas comme ça.



Ouvrant le journal de Clara, elle le pose au milieu de la table, le lissant du plat de la main. Elle semble hésiter.


Mathilde s’approche pour lire par-dessus son épaule. Les yeux fixes, elle met sa main devant la bouche pour étouffer un cri, en lisant les premiers mots de Clara. Sophie se lève lentement, tourne la lettre vers elle, reste figée un instant, elle hésite avant de lire à haute voix, en détachant bien tous les mots :


Je suis sale. Je n’arriverais jamais à effacer cette souillure.

Jacques, Jacques… Tu étais comme un frère pour moi, je te faisais confiance.


Flora s’assoit, la tête entre les mains. Bernard reprend la parole :



Jacques blêmit, et se précipite pour lire les mots écrits par Clara :



Tous les regards sont braqués sur lui. Il sent que ses amis ne le croient pas, ils le jugent. S’enfonçant de plus en plus, il essaie maladroitement de se défendre, ou plutôt de se justifier :



Les filles sont outrées. Bernard regarde tour à tour Simon, Antoine et Daniel, muets devant la vérité qui vient d’éclater au grand jour. Sans un mot, d’un simple regard, ils sont tous d’accord. Antoine boit un grand verre d’eau, Daniel est effondré sur sa chaise, Simon se retire rapidement.


Ne pouvant supporter plus longtemps le regard accusateur de ses amis, Jacques se lève en colère, faisant tomber sa chaise :



Anne-Laure espérait que son aventure avec Jacques resterait secrète, elle se fige sans savoir quoi faire, le rouge lui monte aux joues. Elle essaie de réagir, avec maladresse :



Jacques est vexé :



Anne-Laure sent le regard de ses amis qui comprennent le retard de ce matin. Elle se reprend, elle n’a pas d’explications à leur donner, d’ailleurs, personne ne lui demande rien.

Jacques redescend quelques instants plus tard, son sac à la main :



Encore sous le choc, tous restent immobiles. Sophie s’approche de Flora qui tremble sur sa chaise :




— --oOo---



La nuit a été agitée, difficile de trouver le sommeil après cette soirée mouvementée qui risque de faire exploser notre bande, enfin ce qu’il en reste.


Sophie s’est levée la première, elle a préparé la table sur la terrasse, café, confiture locale et yaourt maison. Entendant du bruit, je vais dans la cuisine donner un coup de main.



Nos amis arrivent enfin. Anne-Laure est la dernière, redoutant les regards, elle a peur d’être jugée. Elle, la fille sérieuse, mère de deux enfants, elle s’en veut d’avoir cédé si vite, mais surtout elle en veut à Jacques de l’avoir dit. D’accord, il était en colère, mais ce n’était pas une raison.


Humiliée devant ses amis. Elle voudrait rentrer chez elle au plus vite. Je lui propose de la raccompagner à Paris avec Mathilde. Je la déposerais directement à la gare.


Dans la matinée, afin de détendre un peu l’atmosphère, Bernard nous emmène à Dudelange, de l’autre côté de la frontière pour faire le plein, pas que d’essence. Effectivement, les taxes ne sont pas les mêmes qu’en France.


Sophie a prévu un repas léger pour midi, nous partirons rapidement après. Avant de nous quitter, Bernard remplit nos verres pour trinquer une dernière fois. Le téléphone fixe sonne.


Sophie décroche, c’est la gendarmerie, intriguée, elle tend le combiné à Bernard qui se lève pour répondre. Que se passe-t-il ? Il écoute sans rien dire, juste « merci de nous avoir prévenus » avant de raccrocher.


Sans nous regarder, il annonce :



Nous restons silencieux, assommés par la nouvelle. Les filles éclatent en sanglots.


Je remarque le regard complice que Bernard échange avec Simon. Sans se rasseoir, il lève son verre, et d’une voix posée :



Flora réagit la première :



La gorge nouée, nous nous levons en tendant notre verre, l’ombre de notre amie plane au-dessus de nous :



Personne ne veut s’éterniser. Après le repas vite avalé, les voitures sont chargées. Une heure de route, nous nous retrouvons autour de la tombe de Clara pour déposer la gerbe de fleurs blanches prévue par Bernard.


Tous solidaires, un nouveau drame nous unit et nous sépare.


Nous nous quittons sans un mot d’adieu ni un « à bientôt ». Je pense que c’est la dernière fois que nous nous voyons. Flora décide de rester chez ses parents encore quelques jours. Je rentre directement sur Paris avec Mathilde et Anne-Laure.


Quelques jours plus tard, les parents de Jacques sont surpris que ses meilleurs amis ne soient pas présents lors de son enterrement. Un peu tristes, ils remarquent une jeune femme, tout en noir, qui se tient à l’écart un mouchoir à la main.


Flora pleure en silence.