n° 22680 | Fiche technique | 13396 caractères | 13396 2311 Temps de lecture estimé : 10 mn |
10/10/24 |
Résumé: Joli, joli voyage | ||||
Critères: fh | ||||
Auteur : Landeline-Rose Redinger Envoi mini-message |
Adolescente, j’avais longtemps imaginé que quelque part sous l’onde calme ou sous un courant marin et sournois, se nichait une forme ronde ou ovoïde, qui serait en quelque sorte la mémoire de l’eau. Mais le temps passant et sans que l’on me l’enseignât, je compris ce que l’on entendait par cette expression jolie et énigmatique. Et puis j’eus un amant, qui faisait lui, du plastique sa passion. Oui du plastique. Et l’amoncellement des carcasses d’ordinateurs qui en somme faisait un Himalaya, me fit comprendre par cet homme ce que semblablement à l’eau, on nommait la mémoire du plastique. Je ne suis ni l’eau et pas plus le plastique, mais je suis faite d’une mémoire qui par sa conception ou la mienne, me ramène naturellement à un point que j’appellerais neutre ou originel.
Vous imaginez que mes souvenirs, si nombreux pour mon jeune âge dira-t-on, sont faits de centaines, que dis-je de milliers d’aventures qu’elles fussent de longues ou de courtes durées. Ces dernières ont ma faveur d’ailleurs. Et curieusement il s’opère une remise à zéro, une forme de reset qui fait que je puis reprendre le cours des choses en occultant ce que les freudiens du troquet du coin et les lacaniens du PMU, appellent la mauvaise conscience ou plus affligeant encore la culpabilité. Non ce qui se trame dans les circonvolutions de mon cerveau et cela est peut-être un cadeau de Dieu himself, m’octroie le privilège de n’être pas un être maléfique, une forme humaine du mal ou une Lilith sexy, mais bien au contraire un ange qui répand sur la terre les bienfaits de la chair. Donc loin de l’amnésie. Je suis pourtant de celles qui s’allègent en remplissant le corps et l’esprit quand d’autres pour une forme légère de flirt s’en vont à confesse.
Si ma mémoire remet les compteurs à zéro, pour autant je reste l’empreinte indélébile de centaines, de milliers d’hommes qui ont chacun leur petit instant de lâcher-prise autour ou dans mon corps. Vous me direz que je suis prétentieuse, eh bien oui, je prétends ; je prétends avoir lâché les ondes du plaisir comme d’exponentielles ellipses autour de moi. Chacun dans son désir animal a pu connaitre la joie presque christique de la jouissance.
Souviens-toi lecteur, n’as-tu pas quelque jour, quelque nuit, n’as-tu pas toi-même approché le désir dans les récits de mes flâneries nocturnes, n’as-tu pas sur un coup de sang, quitté ton foyer en loucedé pour barguigner tel le setter en chasse, sur le chemin qui menait jusqu’à moi. Et puis n’as-tu pas cherché bien après, au fil des pages de mes romans, à te revoir en celui-là même qui me prenait, là dans un parc, là sous un pont. Là et autre part encore.
Et si, si Landie toi, être fait de pureté et d’une jolie idée de l’acception du bonheur dans sa globalité, et si donc tu étais par quelques mauvais génies du clan judéo-chrétien ou toute autre doctrine prosélyte, si tu étais la mauvaise conscience du monde. Ô Landie, mais cette réflexion toute intérieure ne serait-elle pas soudainement un soubresaut de ta conscience, serais-tu dans ta propre contradiction, un brin binaire et manichéenne ?
Mais me dis-je en me désolant un peu de cette résurgence de mon être éduqué, mais sans doute ne suis-je à mon corps défendant, qu’héritière d’une tante ancienne, d’une arrière-arrière parente prude ou d’une aïeule vertueuse. Cet atavisme ainsi traversait-il le temps, les années et les siècles pour se nicher dans le sang d’une jeune femme moderne que la vie a pourtant délégué au don du plaisir par le don de la chair.
Landie ! gronda une petite voix intérieure, tu réfléchis trop et cela t’emmène là où nul ne veut aller. Quel est donc celui ou celle qui se fait joie d’être face à sa conscience comme à un miroir. La lucidité est un loup pour l’homme à fortiori pour la femme libre de corps contre vent et marée. Presqu’abattue par cette résurgence de lucidité qui jetait le doute, j’entrepris de solder là sur le champ, ma philosophie pour rentrer derechef dans la croquante vie.
Un peu comme un bandit wanted, comme une femme prise en chasse, j’attrapais au vol mon manteau d’arrière-saison et filais contrebalancer le fruit complexe de mes réflexions fatigantes. Ou l’inverse. Rien de tel que l’oxygène, l’air le vent.
Je n’y tenais plus dans ce cerveau, et ce fut en pure chasseuse, en prédatrice citadine, que je me pris à sourire à cet homme quelconque qui traversait la rue en posant son regard sans détour sur mes jambes. J’accélérais le pas, en me retournant vers lui, sourire figé et bifurquai presto vers le premier petit jardin, où la soirée déclinante posait sa chape sombre dans les feuillages verdâtres.
Le petit homme quelconque se posa sur le banc à mes côtés et entama un brin de cour, mais je ne voulais parler à quiconque. Mon crâne était farci quand mon corps était vide ; sans préambule ni détour, je posais la main sur le renflement de sa braguette et son sexe durcit instantanément. Le petit homme se figea tout comme si mes ongles émorfilés, mais longs, allaient sur le champ cisailler la bestiole de chair qui lui faisait comme un barreau inflexible. Accroupie, ma jupe remontant sur la lisière de mes bas, je descendis sa fermeture et glissais mes doigts sous l’élastique de son slip en sortant son membre collé à sa petite bedaine rebondie, le tendit d’une main douce en apposant sur le gland mes lèvres rouges. Il fila dans ma gorge ; je ne voulais aucun temps mort. D’un jeu rapide de la bouche, je le pistonnais afin qu’il gicle et vite. Il vint en un instant, un bon tournemain est la garantie d’un résultat parfait. N’est-ce pas mes amies inconnues et complices, nous qui sommes sans même nous rencontrer copines comme cochonnes ? Je déglutis son jus tant qu’il fusait, je léchais son gland comme une glace de chez Dairy Queen et filais comme j’étais venue.
Renouer avec la bienfaisance me conféra ce que seul un bienfaiteur de l’humanité peut ressentir. Lorsque je repris mes esprits, je pensais justement au suspens de l’attribution du Nobel de la paix bien que je lui préférasse celui de la littérature, pour lequel bien sûr je ne me voyais pas concourir ; le premier m’étant pour sûr plus accessible. Bref, je balançais mon corps de fille sur mes talons perchés, et que je ne fus pas encombrée d’une paire de grelots entre les jambes me procura une forme de soulagement, un peu comme des menottes dont on vous libère après quelques longues heures d’arrestation. À ceux qui ne ballotaient pas dans mon entrecuisse, j’avais grandement préféré ceux un peu rugueux que je venais de laisser dans le pantalon de ce petit monsieur, que je voyais s’éloigner au loin comme un petit comptable de province.
Pour le coup n’être pas homme - car l’épisode était encore un traumatisme - m’avait rendu à un état supérieur de la féminité. Par mesure de prévention et pour confirmation, tant cela avait jeté le trouble en moi, je passais une main au delta de mes cuisses, heureuse de faire le constat de l’absence totale d’une bite et de ses cochonnets. D’ailleurs, il est tout même fou parfois de voir à quel point le fait même de se trouver dans la sphère publique nous échappe, car me voyant soudain là une main glissée entre les jambes, je me rendis compte, qu’éclairée par le halot d’un réverbère, j’étais purement et simplement exposée au regard salace d’un homme stationné à deux longueurs de moi et qui lui, sans gêne de la sphère publique, agitait dans sa main sa queue comme un gourdin d’agent de police.
J’observais sa petite activité jusqu’à l’explosion liquide de son engin inflexible sur les vitres de sa voiture. Ses yeux étaient ceux d’un fou, ses mains celles d’une machine programmée et productive. J’étais comme figée sur le trottoir devant ce petit spectacle de rue, et l’homme bien qu’ayant giclé abondamment sur la vitre, redoubla d’ardeur devant la spectatrice que j’étais et cognant son engin sur la vitre le pistonnait avec l’ensemble de son corps comme projeté vers l’avant ; un deuxième salve de jus macula le capitonnage intérieur car l’homme semblant ne plus rien contrôler ne laissait plus apparaitre que le blanc de ses yeux ; il semblait expirer un dernier souffle avant que de s’effondrer entre le siège et le tableau de bord de son véhicule. Ô me dis-je tant de vies perdues, tant de petits êtres spermatiques, dans l’habitacle de cette bagnole, et subséquemment j’eus presque plus de sentiments à leurs égards que pour ce petit tas avachi et inerte.
J’ai pensé que pour dernier panorama, avoir une jolie fille comme moi, sous le halot orangé de l’éclairage public, était sans doute la fin d’une vie la plus enviable. Je m’engouffrais à quelques pas de là dans la station Saint-Michel, lorsque les sirènes de l’ambulance résonnaient encore dans l’avenue. Un petit geste pour l’humanité était à ajouter au crédit de ma bonté d’âme.
Assise et dans une forme presque béate de plénitude, je souriais aux anges tant le bonheur d’être femme me préservait de défaillir d’un relâchement du cœur, entre un levier de vitesse et une pédale d’accélérateur. Souvenons-nous que j’ai un incroyable cœur de sportive. Mais cette forme presque extatique de joie, cette ataraxie de voyageuse urbaine qui me tenait, et dont je destinais l’agrément au Très Haut, me ramena illico sur terre et plus précisément sur rails, lorsque se posant quasiment à l’entrecroisement de mes jambes, une paire d’yeux semblaient en somme à l’égal de ma félicité, mais pour d’autres raisons. Moi par un réflexe conditionné sans doute, j’ouvris sensiblement mes jambes, car je me répète sans doute, mais ne boudons pas les petits bonheurs que l’on peut donner et recevoir.
Le petit homme sec, décharné, aux pavillons d’oreilles presque paraboliques, déglutit sans oser faire durer plus ce panoramique qui l’avait projeté hors de toute réalité tangible. Il passa sa main sur le bord relevé de son chapeau de feutre, lissa sa moustache entre pouce et index et me chercha dans le reflet de la vitre sale de ce wagon non moins sale. J’aimais cette petite joute qui me faisait en quelque sorte renouer avec mes cabrioles anciennes et métropolitaines. Je choisis spontanément de quitter en hâte le wagon à Réaumur-Sébastopol, avec le petit homme que j’avais pour ainsi dire, à quelques encablures et derrière moi, en ligne de mire.
La nuit était là, pleinement, un temps de brume un peu frais tombait sur la ville, un beau soir pour effrayer les filles seules. Mon cœur battait de cette petite peur qui me tenait lorsque seule dans une rue sombre, je me savais suivie, pour autant m’infliger cette petite frousse me semblait un supplément de vie. Je distinguais la forme de son chapeau et son allure droite, lorsque jetant un œil derrière, je le trouvais toujours à une distance respectable et presque métrée de moi. Quelque chose entre l’approche de la fin de ma vie et l’abondance de dopamine, me fit virevolter et changer le cours des choses.
Comme une antilope prise de sidération l’homme marqua un temps d’arrêt et, lorsque me hâtant vers lui comme vers un amant, j’arrivais à sa hauteur, il sembla se protéger d’un bras levé en me demandant ce que je lui voulais. N’ayant pas pour vocation d’effrayer le monde, je lui proposais quelques pas conjoints et le questionnais sur ce qui l’avait conduit à me suivre depuis la station. Mais presque surpris l’homme m’indiqua de l’index, une bâtisse à quelque cent pas de là. Lorsqu’il fut devant la porte lourde et haute de sa demeure, hésitant comme un éphèbe intimidé entre un banal au revoir et s’emparer de mes lèvres, j’eus pour cette hésitation une très légère irritation voyant déjà celui-là, semblable à tant d’autres, devant la croyance enferrée de l’amour, de leur vie posée là comme un cadeau de dieu.
Je vous en prie lui glissai-je dans le pavillon large de ses étiquettes, je vous en prie, la vie est bien trop courte pour les élans de romantisme, et ce disant, je passai ma main sur le tissu de son pantalon. Il fut si court le temps où sous ma main le bourrelet se fit rondin et court aussi celui où il se laissa guider entre mes lèvres. Le porche, la rue sombre et déserte, servaient au mieux la scène. Alors même que son sexe perlait de gouttelettes, - cet indescriptible instant, pour qui ne l’a pas vécu, où l’attente de la liquoreuse matière ressemble à une éternité contenue dans une fraction de seconde - l’homme me retourna d’autorité et comme aguerri à la chose entra dans mon cul en poussant sa queue jusqu’à la garde. Comme la vivacité a ma faveur, sans que cet homme le sache, il pistonna à peine mon trou en ahanant à mon oreille la littérature ordinaire et presque féérique d’avant la petite mort.
« Ton cul, ton cul, je te l’explose, salope tu l’as bien cherché, hein dis-le, tu l’as bien cherché. » Par expérience je sais que ces litanies n’appellent pas de réponse, et je le laissais dans son psaume comme un librettiste lisant à voix haute. Je sentis une chaleur faire de mon corps une fusion immédiate et quitter mon trou. L’homme se rajusta et me demanda s’il devait me commander un taxi. Je suis très Uber fis-je. Nous conversâmes tranquillement en attendant que vint à moi une voiture noire et silencieuse. Lorsque je m’y engouffrais j’entendis le clic métallique de la porte de la bâtisse qui se refermait sur l’homme au chapeau et aux oreilles paraboliques. Après tout revint au point zéro, tout y revient me dis-je en passant devant le parvis de Notre-Dame. Curieuse topographie de nos consciences parfois, non ?