n° 22698 | Fiche technique | 10091 caractères | 10091 1784 Temps de lecture estimé : 8 mn |
19/10/24 |
Résumé: Un personnage s’offre des vacances "All Inclusive" | ||||
Critères: vacances nonéro portrait | ||||
Auteur : Melle Mélina Envoi mini-message |
Cela fait maintenant deux bonnes heures qu’iel attend patiemment de pouvoir embarquer direction Morocco. Iel a toujours préféré utiliser la langue anglaise pour le Maroc, cela sonne mieux pour ellui. Il en va de même pour d’autres mots, seule la « musique » du mot a de l’importance, iel utilisera la « Cagoule » plutôt que « Hood », mais emploiera « Castel » en lieu et place de « Château ». Il y a tant d’exemples et de contre-exemples.
Cette particularité de langage agace prodigieusement les critiques littéraires qui laminent volontiers à grands coups de diatribes, les textes de cxtte autaire de renom, juste parce qu’iel a employé un anglicisme, un terme de la langue de Shakespeare au détriment de la langue de Voltaire. Le combat de certains érudits contre l’évolution naturelle du langage ellui paraît hors propos, hors du temps et iel en fait souvent les frais.
Aujourd’hui, iel est loin de tout ce monde qui se veut intellectuel, mais qui pour ellui n’est rien d’autre qu’un ramassis de censeurs, velléitaires, de moralistes qu’iel conchie.
Au beau milieu de cet immense hall d’embarquement, toutx à ses pensées, iel n’arrive pas à se détacher de son quotidien, les médias, les séances de dédicaces, les master-class pour les étudiant•e•s en lettre moderne et son dernier texte. Iel n’arrive pas à se mettre en mode vacance. Et pourtant, iel en a vraiment besoin, ses méninges sont surexcitées, iel faut qu’iel cesse de penser, iel overthinking et iel le sait, iel risque de nouveau imploser et finir à l’hôpital en cure de repos.
L’attente dans ce hall ellui est insupportable, il ne faut surtout pas qu’iel ait la moindre occasion de flâner.
C’est pourquoi iel a choisi ce mode de vacances « All inclusive », iel n’aura besoin de penser à rien d’autre qu’à son bien-être.
« Du vin, du Boursin, on n’a jamais fait aussi bien… », se repète-t-iel.
C’était un vieux gimmick d’une pub des années 80 pour la célèbre marque de fromage à tartiner. Le clip mettait en scène un homme, tranquillement assis dans son sofa, un verre de vin rouge à la main et dégustant une tartine de Boursin tandis que le monde autour de lui explosait. Il restait calme, fort et lucide.
« Du Vin, du Boursin, on n’a jamais fait aussi bien… »
Iel aurait bien aimé être cet•te individu•e peu bileu•se•x de ce qui l’entoure, « Heureux les imbéciles ». Oui, mais iel était tout sauf imbécile. Ellui revient en tête les propos insultants du dernier polémiste de l’émission dans laquelle iel était interwievé·e. Tout le texte était à « chier », c’étaient bien les termes employés, parce qu’iel avait utilisé des néologismes, des anglicismes et avait volontairement fait de nombreuses fautes de syntaxe pour donner du rythme au texte.
« Du vin, du Boursin, on n’a jamais fait aussi bien… »
Comment mettre son cerveau en mode « vacances » ? Est-ce l’ignorance, l’aveuglement qui nous garantissent une forme de bien-être ? Iel se permet des vacances tous frais payés alors que dans les rues il y a des personnes sans-abri qui ont faim et ailleurs, d’autres meurent écrasé•e•s sous les bombes ! Quelle insouciance ! Iel essaie de se convaincre ellui-même, qu’il en va de sa santé, qu’iel les mérite, cela va bientôt faire dix ans qu’iel ne s’est plus octroyé du repos et un moment pour ellui.
Alors, iel ferme les yeux et dirige son attention vers autre chose.
De nouveau, telle une litanie, son travail, son job lui reviennent en tête. Iel écrit un essai sur la société idéale, une utopie, un peu à la « Thomas More ». C’est la première fois qu’iel délaisse le roman. Comment son public va-t-il adhérer à cette escapade intellectuelle ? Iel se fera sûrement lyncher une fois de plus par les critiques de la télévision, ça, iel s’y attend. Iel sera sûrement invité•e pour répondre de ses propositions toutes plus audacieuses les unes que les autres et les expliquer dans le vain espoir de faire bouger la société.
Dans cet essai, intitulé sobrement « Utopie », iel a pensé à tout, depuis la place des déchets dans notre société en passant par la démographie, les rapports internationaux, la sécurité intérieure, les défenses de l’État, le travail, les loisirs, l’éducation, le sport, l’écologie, la justice, la santé ou encore les progrès de la science qui accentuent le vieillissement de la population. Iel avait lu un texte d’une auteure anonyme du nom de Melle Mélina, un petit texte qui traitait partiellement du futur de nos sociétés. Comment s’appelait ce texte déjà ? Iel ne s’en souvenait plus :
Son esprit tournait à mille à l’heure, toujours, tout le temps. Iel était sujet à de terribles migraines et ces dernières n’avaient jamais été si nombreuses que ces derniers temps. Son médecin ellui a préconisé du repos, une récréation pour son esprit, lui a prescrit de se vider la tête. Iel est maintenant convaincu·e, iel mérite ses vacances « All Inclusive ».
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Arrivé·e à l’aéroport de Marrakech, un taxi attend saon passager·ère. Pourtant l’avion a deux heures de retard. Qu’a fait le taxi ? La voiture a-t-elle sagement attendu, et dès lors comment lae chauffeureuse serait-iel payé·e ?
C’est fatigant, toujours des questions, sans cesse, cette tête qui ne veut pas se mettre au repos.
Il y a une vingtaine de kilomètres qui séparent l’aéroport de l’hôtel, il y a largement de quoi tailler une bavette, mais lae chauffeureuse fait mine de ne pas comprendre le français.
Non plus.
Lae chauffeureuse ne doit sûrement pas être bien payé•e. De toute façon, pour que ces agences de voyage puissent toujours baisser les prix et les proposer au plus bas, il faut bien qu’il y ait des baisé·es. C’est sans doute le cas de ce taxi.
À travers les vitres de la voiture qui lae mène vers l’hôtel, iel est fasciné•e par le décor incroyable qui s’offre à ses yeux. En plus du paysage qui joue de couleurs entre les nuances de crème, de beige, les plus grands palmiers qu’iel ait jamais vus balancent des notes de vert. La température au sol avoisine les quarante degrés et un léger vent mesuré à environ dix kilomètres/heure pour rafraîchir un peu les fronts.
Au ciel, iel aperçoit de nombreuses ombres s’exercer aux plaisirs aériens, ULM, parachute. Chute libre. Le ciel est d’un bleu azur et aucun nuage n’est à portée de vue.
Enfin le taxi arrive à bon port et lae dépose au « Client heureux ». C’est un hôtel, certes luxueux à en croire le groom à l’entrée, mais l’architecture du bâtiment rappelle toutes les autres bâtisses du monde touristique : informelle, grande, froide, dévisageant la place. Le groom de l’entrée l’accompagne jusqu’à sa chambre, servi•e par de très nombreux « À votre service Mondame », « Tout ce que vous voudrez Mondame ». Comme il est poli, comme tout le personnel semble aimable !
Située au quatrième étage, la chambre a une vue sur la grand place Jemaa el-fna. Le temps de ranger sa valisette, de se donner un petit coup d’eau fraîche sur le visage et iel est attendu·e par tout le personnel pour la coupe de l’amitié.
Arrivé·e à l’accueil, les touristes comme ellui, un verre de champagne à la main, ont connaissance de toutes les activités proposées par l’animation de l’hôtel. Les journées seront sportives ou ne seront pas, les soirées festives. Iel est intéressé·e par de nombreuses activités, décidément ces vacances s’annoncent étincelantes !
Iel fait la connaissance de plusieurs autres touristes, mais très vite, iel comprend qu’iel est lae seul·e célibataire. Alors commence une étude dans le dedans de sa tête et iel commence à philosopher sur la solitude. Pourquoi cette quête si étrange de l’amour ? Ce besoin de trouver une personne avec qui partager sa vie ?
Iel en est là à siroter sa troisième coupe dans un coin un peu en retrait des autres, l’alcool commence à lae griser tranquillement.
Combien prendra-t-iel de champagne ? C’est à volonté, c’est « all inclusive ».
Les petits fours également, combien de kilos vais-je prendre ? Je me souviens de Jean-Yves, en une semaine, il avait pris quatre kilos. Bon sang, qu’est-ce qu’il a dû bouffer.
Pourquoi exagérons-nous ? Pourquoi l’être humain n’arrive pas à se contenter du nécessaire. Il lui en faut toujours plus et plus et plus… Eh bin, on n’est pas sortis de l’auberge.
Punaise, arrête de gamberger !
Iel écoute les conversations, iel apprend que Lopesa, la chanteuse charismatique du groupe Niaga Drusba est morte d’une overdose. Rien d’étonnant, c’était une lumière qui brûlait beaucoup trop fortement, ielle s’est consumé•e plus vite que nous autres, anonymes.
Mais Ellui n’est pas un•e simple anonyme, est-iel en train de brûler sa chandelle comme cette chanteuse de rock ?
Est-ce qu’il ne vaut mieux pas mourir jeune, mais avoir eu une vie tumultueuse, ou mourir vieux en ayant eu une vie modeste ? Raah, arrête de penser !
« Du vin, du Boursin, on n’a jamais fait aussi bien ! »
Iel vient de dire ça tout haut tandis qu’un·e touriste s’approche de ellui, visiblement intringué·e par ce personnage qui se tient dans un coin, terriblement esseulé·e.
Ces deux-là se sont trouvé•e•s.
Iel l’a compris instantanément. Cxtte complicité naissante avec cxtte partenaire lui procurera ce dont iel a le plus grand besoin : une danse.
Une danse dans une chambre qui l’empêchera de réfléchir, une danse pour user son corps et libérer suffisamment d’endorphine pour être bien et ne plus penser.
Alors ça ! Même l’amour ! Si je m’y attendais ! Si ça, c’est pas du All-inclusive…