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Temps de lecture estimé : 21 mn
26/10/24
Résumé:  Mes débuts sur applications de rencontres et mon premier amant
Critères:  fh extracon init tabac burger
Auteur : Pantoufltonic      Envoi mini-message

Collection : Les aventures de Pantoufltonic
Burgers et tabac roulé

Une fois bazardée sur deux applis de rencontres « classiques », je me mis à fureter en espérant que mon unique photo me laisserait incognito, photo un poil floue, prise de profil, souriant poliment yeux baissés avec des reflets aux binocles et les mèches de cheveux se bagarrant devant. L’anti-photo d’identité par excellence et aussi l’anti-vamp. Patatras, des messages de « Bienvenue chez Meetic » pointèrent leur bout de nez sur la page d’accueil de l’écran principal de la maison lorsque le père de mes enfants le ralluma… En digne manchot du numérique, je n’avais pas songé à paramétrer les notifications ni n’étais encore à l’aise pour tout faire à partir de mon smartphone… Or, début septembre 2018, tout le digital de mon foyer était régi par mon informaticien de copain, Ricorée.


Ce dernier aimait tout mettre en commun, féru de logiciels libres avec la philosophie assortie, et il utilisait nombre de mes comptes par flemme de remettre des mots de passe ou de changer de page tout simplement.


Il ne fumait plus depuis longtemps, mais avait conservé cette manie de tripatouiller nerveusement divers objets, dont le moindre câble dépassant.


Incarnant le diable à ses yeux, Apple était banni de la maison et les réseaux sociaux étaient tolérés avec grimaces et espoir de me les faire quitter un jour. Presque tous nos appareils et systèmes informatiques étaient retravaillés sur mesure et chaque pépin m’obligeait à m’en remettre à lui. Il était devenu l’Apple de notre foyer, m’ayant rendue dépendante de son savoir-faire avec d’obscurs bidouillages et boîtiers retrafiqués où seul lui savait s’y retrouver en cas de couac.


Sauf pour mon téléphone que je défendais bec et ongles de ses assauts d’informaticien touche-à-tout et monopolisateur, au départ car je constatais qu’il pouvait me le taxer des heures durant pour son jeu Heartstone. Lui n’avait qu’un Nokia rétro avec des grosses touches : il ne voulait pas vendre son âme au diable, mais voulait jouer avec ses joujoux.


Étrangement, comme dans un état second, je ne me démontai pas face à ce flagrant délit d’adultère en préméditation. Je ne sais plus quelle sauce lui sortis-je, probablement une vérité quelque peu travestie, une partie de moi qui aurait pu être aussi comme cela, dans un monde parallèle tout près. Quelque chose comme « oui, j’assume, je veux étudier ce que deviennent les sites de rencontres » ; « c’est un sujet d’analyse sociologique qui me passionne comme la prostitution, le phénomène des HPI ou l’étiquette de pervers narcissique, je veux comprendre en profondeur comment on se met en scène aujourd’hui et comment on négocie les rapports amoureux » ; « et si, je maintiens mon inscription ».


C’était tiré par les cheveux, mais cela me ressemblait aussi – moi qui aimais me tirer les cheveux enfant, j’ai toujours eu des lubies virant à l’obsession –, de son propre aveu, mon côté gentiment obsessionnel et compulsif faisait partie de mon charme.


À partir de cet instant, mon compagnon s’éloigna avec bonhomie dans le calme et de temps à autre commencèrent quelques piques ou blagues mi-figue mi-raisin. Il sembla mettre cette nouvelle lubie sur le compte de mon isolement en tant que mère au foyer coupée du reste de la civilisation et peu apte à copiner sur ses rares sorties la tête entre les épaules rasant les murs.


Une bonhomie qui allait se fissurer. Lors d’une douche où j’oubliai de verrouiller la porte, Ricorée pénétra en trombe dans la pièce et me fondit dessus : j’étais affairée sur mon téléphone dans la baignoire, en plein claviotage avec un des gars d’Adopte un mec. Je louai le ciel ce jour-là d’avoir opté pour une simple conversation écrite avec ce gaillard plutôt que de me refilmer sous la douche avec le tuyau d’eau dévissé coincé dans la rondelle pour le « Maître nageur » … Néanmoins, je dus me réexpliquer, car visiblement je flirtais sur les applis plutôt que de les étudier. Je dus avoir ce petit sourire nerveux avec les coins de bouche rebiqués, comme un rire possédé et désespéré que je peinais à réfréner.


Cependant, je plaidais ma cause, la plus droite possible dans mes crocs, les pieds encore humides, car sans avoir eu le temps de les sécher :


J’ai besoin d’échanger, de discuter de tout, d’absolument tout, y compris de sujets intimes ou de mes tripes. J’ai essayé pendant des années d’échanger, de fraterniser sur les forums ou avec d’autres dessinateurs, en vain, tu l’as bien vu. Puis les forums d’art c’est désert, Facebook c’est juste une vitrine où mettre des cœurs et des pouces levés. Même en allant directement à la rencontre physique d’autres artistes, je ressens un malaise. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé et réessayé, plusieurs écoles d’art puis relance d’anciens camarades, adhésion à la Maison des illustrateurs à Paris et bénévolat pour eux, cours du soir en illustration puis tentative de faire perdurer le truc en mini atelier, association de croqueurs dehors, participation aux ateliers du Dr Sketchy avec croquis de danseuses burlesque, modérateur au forum Café Salé, participation à divers concours… À chaque fois, ça se volatilise, ou on me renvoie que je ne suis pas à ma place, et une froideur me reste.


Il se trouve que sur ces applications de rencontres, derrière l’apparente superficialité, j’y grappille des bribes, des échos d’intimité, de tripes, quelques discussions poignantes dont j’ai besoin. C’est là où je parviens à nouer quelques rares liens réguliers, même s’ils sont déconnectés du quotidien de chacun et souvent voués à disparaître d’un coup. Cela reste infiniment plus profond pour moi que la plupart des échanges sur sept ans d’écoles d’art puis cinq ans de tentatives associatives. J’ai juste besoin de discuter, vraiment discuter.



Et j’étais sincère là encore, bien que j’omis d’ajouter que j’aspirais aussi à ce qu’on me pète le cul et me bouffe les seins.


Encore une fois, Ricorée s’éloigna vers d’autres occupations. Il fallait dire qu’avec trois enfants en bas âge turbulents on était vite extrait de nos conversations de couple. Et l’autisme de notre aîné avait toujours le dernier mot.


Les piques ambigus et les blagues l’air de rien sur mes supposés amants reprirent tranquillement. J’étais déjà habituée, au fond, depuis nos débuts le futur papa de mes enfants n’avait jamais caché son malaise à propos de mon petit parcours avant lui. En 2011, deux ans que nous étions ensemble, j’avais vingt-cinq ans, attablés dans un goûteux snack libanais avec l’une de mes vieilles amies venue de France accompagnée par son chéri d’alors, Ricorée s’exclama soudainement :



J’en fus estomaquée, à l’époque j’étais loin de l’adultère et vivais une relation plan-plan bien dans les clous.


Silence embarrassé, chacun scrutant son assortiment de houmous, la répartie était sortie de nulle part, totalement hors sujet de notre conversation collective et malgré ma spontanéité verbale j’étais la plupart du temps très pudique sur ma vie sentimentale ou sexuelle avec mon entourage. Et encore davantage avec cette amie elle-même pudique.


Mon parler cru se déversait volontiers pour de la déconnade, ou dans des récits comme ici, mais avec une forme de distanciation narrative et comique. Là, je m’étais sentie dépossédée de mon jardin secret, même si c’était un secret de polichinelle, ça restait mon jardin et mon droit à ce qu’on ne me le balance pas à la figure sans crier gare, n’importe où, n’importe comment devant n’importe qui. Le droit à la pudeur et à l’image, à mes yeux, devrait être respecté pour tous y compris pour les putes, les salopes ou les chiennes. Chose que je reprenais le soir même avec Ricorée, qui depuis s’abstint plus ou moins de récidiver.


Jusqu’à cette soirée burgers maison fin septembre 2018. Cela faisait quasi un mois que je serpentais dans ces deux applis de rencontres sans aller au-delà du virtuel, pas même l’envoi d’un selfie gilet dézippé ou pieds retirés des pantoufles, même le maître nageur n’avait plus grand-chose à se mettre sous la dent. Au beau milieu des poêlées d’oignons et steaks crépitants, des tas de rondelles de tomates et de tranches de fromage déjà poisseuses, des verres à la mousse retombant doucement en dentelle, du graillon imprégnant toute la pièce et des blagues paillardes renvoyées entre potes, tous informaticiens, Ricorée nous lança :



À nouveau, silence embarrassé et froid de jeté, chacun chipotant ses petits pains ronds et dorés à garnir. En pirouette pour m’échapper et retrouver l’esprit potache coutumier à cette bande d’amis, je rebondis :



Éclat de rire général, et les blagues bon enfant reprirent bon train ainsi que les passages de relais de hot ketchup ou de sauce andalouse, les amis saisissant aussitôt ma perche, car personne n’était visiblement enclin à se mêler de nos bizarreries de couple sur une soirée ripaille. Mais le ver solitaire était là, bien rentré dans le burger. Insidieusement, un fossé se creusait entre moi et le reste de cette joyeuse bande. Je pressentis que l’étiquette de salope se préparait.


Et cela me donna un coup de fouet supplémentaire pour franchir le pas des rencontres, comme après une entorse faite à un régime : foutu pour foutu, alors, bâfrons-nous franco.


Quelques mois plus tard, un premier amant vu pépère une fois par mois avec capote et positions archi classiques, c’était un presque voisin habitant quelques pâtés de maisons plus loin – j’y reviendrai dans un prochain chapitre – puis quelques flirts virtuels mi-coquins mi-confidents entre potes de galère. J’aimais les discussions à bâton rompu et à rallonge.


Fin janvier 2019, notre joyeuse bande se retrouvait au ski dans un grand chalet loué pour tous, les beaux-parents gardaient nos jumeaux et nous emportions dans nos bagages notre aîné pour l’initier aux joies des glissades. L’amant presque-voisin ne m’écrivait que très ponctuellement et de façon pratique pour organiser un rendez-vous baise, et le seul confident virtuel régulier insista pour me laisser peinarde durant ce séjour, le ski lui étant sacré (celui qui sera plus tard le fameux cuisinier dont je tomberais amoureuse une fois la relation physique entamée). Et heureusement pour moi. Étrangement sur une journée où tout me parut légèrement décalé, Ricorée décréta que mon smartphone, parmi ceux du reste de la bande pourtant tous bien équipés, était le seul et unique objet à pouvoir le dépanner, son pc portable ayant un problème de connexion avec les serveurs ou le réseau interne de sa boîte ou je ne savais quoi exactement. Il mit la journée à me convaincre de lui laisser mon précieux téléphone. Je trouvai cette réquisition saugrenue et un air comme esquivant aux amis autour qui confirmaient que leur téléfon ne faisait pas l’affaire. Mais je sombrais peut-être dans la paranoïa. Le soir, malgré de gros bâillements, je tins bon durant tout le film horrifique « Get Out » dont l’angoisse sourde me faisait d’autant plus écho, surveillant du coin de l’œil Ricorée voûté sur les deux écrans, son pc et mon GSM. Toute mon échine se raidissait et je ramais à ne pas claquer des dents. Vers minuit ou une heure du matin, ne restant plus que mon copain et l’un de ses potes aussi informaticien, je capitulai et filai me coucher, puisqu’on m’assura que c’était quasi fini avec mon téléphone. Mais au bout de minutes qui me semblèrent une éternité je balayai ma couette et gravis d’un pas ferme les marches vers la grande pièce commune : il était temps de me rendre mon lien avec le reste du monde, mon journal intime et mes journaux, ma carte d’identité, mon coffre à jouets, mon bureau nomade, mon GPS, ma biblio, mon réveil, mon vibro… mon téléphone, merde quoi ! Tout à coup, il avait bien terminé, mais voulut précipitamment revérifier quelque chose au fin fond de mes archives, son ami restant à côté, j’y coupai court en reprenant sèchement mon appareil et retombai au lit après l’avoir rangé dans mon sac. Ricorée vint s’effondrer à mes côtés, l’air à priori tout aussi cassé de fatigue, si ce n’était à un détail près que je ne compris jamais vraiment, tant ce fut déconnecté de l’homme que je croyais côtoyer : son bras s’était avachi sur mon cou et y pesa une tonne pendant un temps qui là aussi me parut une éternité, un bras en béton armé qui n’était pas raccord avec le reste de son corps tout mou tout endormi, lui, l’homme habituellement tout caoutchouc. Me sentant d’abord coupable, car oui, je le trompais depuis quelques mois physiquement et depuis deux ans virtuellement, je n’osais plus bouger, je commençai à avoir mal jusqu’à une impression de manquer d’air et je dus gigoter un peu et faire raviser son bras de Frankenstein. Encore une fois, je me dis que c’était moi qui ne tournais pas rond à virer parano comme ça, mais j’eus réellement peur cette nuit-là, comme si ce grand chalet moderne allait se retourner contre moi et m’enterrer vivante.


Comme si je marchais dans les pas de la pépée blonde du film Psychose qui au démarrage de l’histoire sortait d’une relation à l’hôtel pour aller piquer une grosse somme d’argent à son patron, s’enfuir en se mordant les doigts au volant de sa voiture, et finir entre les mains d’un psychopathe, mais quelque part déjà rongée par les mensonges et la cavale. Je me faisais trop de films, ça, c’était certain…


Le lendemain matin, Ricorée était redevenu cette crème affable au bon mot taquin pour chaque ami, proposant à tous du saucisson et du fromage aux herbes du marché.


Quelque temps encore plus tard à la maison, pendant que je préparais mes crêpes du dimanche, il surgit gentiment dans mon dos, m’abaissa délicatement une bretelle et me souffla à l’oreille :



C’était dit d’une petite voix douce sans insister, une partie de lui attendrie qui me toucha.


Puis encore plus tard, quand les tensions étaient apparues au grand jour concernant mes tromperies et lors d’une gâterie appliquée de ma part au pieu, Ricorée se fendit d’un :



Empêtrés dans nos non-dits, pendant des années je déambulais comme la femme de Barbe Bleue avec cet homme qui parlait souvent dans sa barbe invisible. Je ne savais pas tout à fait quelles portes ne pas ouvrir, si celles des infidélités étaient bien interdites ou plutôt celle de l’éclatement familial, de la famille (surtout la sienne) et de l’image de cette dernière mariée à mon effacement derrière. À l’image de son sourire béat lorsqu’il contemplait debout le spectacle de sa compagne (moi) prise en sandwich ou en burger entre le canapé et nos trois enfants me recouvrant avec leurs doudous et jouets, mon postérieur enfoncé dans le siège à cause des kilos emmagasinés par du chocolat consolateur. Une expression de comble de bonheur que j’appelais son sourire de pub de yaourt. Oui, j’en reviens toujours aux produits laitiers…


Peut-être me direz-vous « Mais pourquoi ne pas avoir tout simplement mis à plat sur la table tes envies et une ouverture de couple ? ». Sûrement, ne l’ai-je pas assez affirmé ni assumé, moi-même me cherchant aussi. Mais toutes les fois où je tentais d’aborder sérieusement ma sexualité se seront soldées soit d’une noyade de poisson avec des pitreries ou des chatouilles soit un braquage agressif ou une panique avec figure complètement décomposée.


Ou bien en guise de cerise sur le gâteau ou de truffe sur le burger à la fin de notre relation, lors de notre seule consultation ensemble devant une sexologue, où je crus de mon côté enfin mettre les pieds dans le plat quant à ma sexualité, assise à côté de lui et débitant avec grande émotion sur mon cheminement sexuel et la place vitale qu’il revêtait pour moi, que cela ne venait pas faire d’ombre à mon rôle de maman, au contraire j’espérais être moins aigrie, ni que je n’avais cherché à lui faire d’ombre à lui, essayant entre autres d’être discrète, et que lui-même en venant et revenant vers moi à nos débuts savait très bien mon côté farfelu, côté qu’il avait espéré voir se refouler et s’enfouir au fil des années.


Sa réponse immédiate sans me regarder, les mâchoires et les poings serrés à mort :



La sexologue qui se massait le menton resta placidement à le regarder grincer des dents.



J’avais bien mieux apprécié le retour de notre précédente thérapeute, qui était axée sur la famille et le couple, mais pas la sexologie, quand nous avions évoqué devant elle mon adultère. Ricorée insistait sur mon téléphone, cet objet qui serait venu me pourrir de l’intérieur, me corrompre jusqu’à la moelle. Cette première psy lui avait répondu qu’elle voyait mon usage de cet objet plutôt comme une tentative d’évasion, et qu’il serait intéressant d’apprendre à communiquer de sexualité entre nous deux.


De là, elle nous avait renvoyés vers plusieurs contacts plus spécialisés.


On était peut-être devenu deux monstres entre nous, mais ce que je retins de notre dernière séance face à la sexologue fut de : 1, fuir cette thérapeute ; de 2, on ne peut pas s’entendre avec tout le monde sexuellement, parfois faut lâcher l’affaire ; de 3, essayer un jour d’être prise en sandwich en double.


Peu après cette soirée burgers maison à la fumée un peu âcre, vers mi-octobre, je franchis le pas de rencontrer un homme issu d’Adopte un mec (celui avec qui j’écrivais dans la salle de bain), M. Fée, quelqu’un à l’orthographe très personnalisée, se déclarant dysorthographique, mais aux réflexions indiscutablement prolifiques et déroutantes, sautant du coq à l’âne et revenant à nos moutons avec un brio qui m’en bouchait un coin.


Une cafète à deux pas de chez moi en centre commercial pour me simplifier la vie, un peu de retard de son côté où j’eus le temps d’imaginer foultitude de scénarios d’humiliation suprême et de dévisager plein de passants, puis je vis se poster devant ma table un grand duduche crâne d’œuf au sourire tranchant son visage en deux et à la silhouette fil de fer.


Il me proposa de migrer à l’intérieur du café, plus cosy. Une petite eau pétillante pour lui, entrecoupée de plusieurs allers-retours aux wc et le rappel qu’il avalait peu globalement, un transit de moineau monastérien. Ses bonnes énergies positives revendiquées, l’autopromo de ses massages de pied faisant soi-disant tomber à la renverse ses sœurs et de curieuses taches bleutées sur son crâne luisant me laissèrent sur une nette réserve, pourtant je me délectai d’avoir la main câlinée durant une bonne partie de notre pot commun, un prémice de ce fantasme du pelotage en lieu public, et certainement une vraie sensibilité tactile chez cet homme.


Je déclinai son offre du bisou sur le parking, prétextant des précautions de discrétion puisqu’on était dans mon quartier, mais aussi, car je n’étais pas attirée, ce que je ne parviendrais à lui dire du bout des doigts que quelques heures après une fois chacun revenu chez soi. J’étais la plupart du temps assez lâche pour avouer cash ces choses-là, et je le suis toujours.


On resta en contact au loin, gardant notre sympathie. Et je n’oublierai pas ce peau à peau de mains me montant à la tête, ma main plaquée sur la table par la sienne en conversant, les doigts s’entrecroisant très lentement. Tels deux ados ayant fait le mur, côte à côte, adossés à un grand mur tombant en ruine et s’échangeant des ronds de fumée. Ni l’un ni l’autre n’étions fumeurs, c’était ses longs doigts osseux et marbrés, mais hyper doux qui firent office de cigarette me redonnant définitivement l’addiction à ces attouchements mine de rien au milieu de la foule ou des autres clients, entre deux inconnus. Une jouissance directe lorsqu’on venait me dérober dehors un bout de chair de poule.


En parallèle j’accrochais de plus belle à l’écrit avec Le Cosmos, grand garçon lunaire, passionné par l’espace, à peine trentenaire et déjà immergé de nostalgie.


Il me tannait pour le rejoindre à la boutique attrape-touristes où il vendait bières et chocolats en plein centre de Bruxelles et son coup de fil m’avait littéralement transportée. Bravant mon audition défaillante, j’avais accepté de se parler un petit peu au téléphone, de là, sa voix de présentateur radio vieille école crooner sur les bords m’avait happée pour me tenir une bonne heure durant, à parler de tout ou de rien.


Ce fut le tout premier à réveiller en moi ces espèces de papillons spéléologues dans le ventre depuis mon ex la Luciole Squatteuse quand j’avais vingt-deux ans.


Je me réveillais la nuit en me retenant de saisir mon téléphone pour vérifier s’il m’avait répondu. Plus je m’emballais, plus il s’éloignait comme les planètes abritant potentiellement de la vie pour les chercheurs. À peine embarquée dans sa fusée platonique que je me retrouvai en bord de sentier boueux à regarder rouler au loin ma locomotion redevenue vieille citrouille dont même le camp de Roms voisin n’aurait pas voulu.


Pigeant qu’il me fallait abandonner l’idée de le voir en vrai, je repris frénétiquement mon rembourrage de panier Adopte un mec, pour l’oublier au plus vite. L’un de ces nouveaux « articles » me répondit d’une manière simple et pragmatique, ce fut le presque-voisin, éducateur spécialisé pour adolescentes en déperdition et accessoirement pourvoyeur pour dames délaissées. Il m’exposa clairement : pas de polyamour, mais des amitiés sexuelles, des plans cul en gros. J’adhérai, car le polyamour à l’époque pour moi ça allait avec des cafés philosophiques et une forme de branlette intellectuelle, du moins une prise de tête intello. Bon, je détestais aussi les « je recherche femme gentille sans prise de tête », mais ça, c’est une autre histoire.


Trois défis photographiques me furent donnés, j’étais joueuse donc piquée d’emblée.


Une photo de mon visage sans lunettes, un gros plan sur ma bouche et un sur ma croupe nue.


Lui-même m’envoya l’équivalent de son anatomie avec évidemment en bonus son sexe érigé, puis comme je me montrai voyeuse j’eus droit à des extraits de sa collection privée de belles demoiselles, toutes de dos agenouillées entre ses cuisses, avec une divine croupe cambrée et de longs cheveux lisses détachés. Pour m’aider à décomplexer un tantinet, je lui en demandai une plus grassouillette, ce qu’il me trouva, en vrai soldeur chinois. Enfin, juste une belle plante, hein, car ses critères de bestiaux semblaient assez stricts.


On convint de se retrouver pour luncher un midi en semaine, j’apportai d’autorité mon plat tout fait industriel et son tableau de calories qui me rassurait, du poulet au miel avec une compote à la cannelle et une purée agrémentée de moutarde. M’en fichais de passer pour une névrosée de l’assiette. En arrivant dans la petite rue résidentielle, je devinai que c’était lui fumant debout sur le perron de sa porte acoquiné d’un vieux gugusse aux longs cheveux blancs filasses, les deux me regardant arriver dans leurs volutes de fumée comme deux cowboys solitaires. J’aurais voulu rentrer sous terre, j’atteignis sa porte d’une démarche plombée et en le voyant de près aussi sec j’en fus amourachée.


Ses grands yeux pochés, ses lèvres dodues recrachant la fumée, son petit sourire discret en coin, son port de tête altier du grand frère toujours au-dessus de la mêlée et son tabac à rouler manipulé par des doigts aguerris, c’était plié d’avance : j’allais être encore plus coincée et empotée. Pareil qu’avec le Maître nageur autrefois, c’était cette figure d’autorité scolaire doublée de l’animateur sportif qui m’enfonçait ou me vexait étant enfant et qui m’excitait terriblement en grandissant. Je le questionnai sur son métier comme j’aimais le faire avec chacun :



Je levai les yeux pour une fois en esquissant un sourire mi-entendu, mi-gêné. Après nos échanges de photos, fallait assumer un minimum et pas trop forcer le jeu de la mère au foyer ayant oublié ce qu’était un pet de chatte.



Je bafouillai que « non, pas vraiment », j’étais douée pour me recouvrir de crotte.


Une fois terminé mon poulet et lui ses croquettes au fromage, il vint se poser dans l’un de ses fauteuils, pointa du doigt ses genoux puis tapota ses cuisses « Viens t’asseoir » avec toujours son petit sourire en coin. Je le dévisageai, car ne m’attendant pas à un basculement aussi direct, en fait, très naïvement, ne m’attendant pas à du cul direct à un premier rendez-vous, puis bon bah, allez, fallait pas faire ma sainte-nitouche : c’était exactement le genre de scénarios d’un de ces romans vaguement à l’eau de rose et surtout arrosés d’érotisme que lisait ma grand-mère.


En écolière studieuse, je m’assis sur ses genoux face à lui en continuant notre discussion à la façon d’un salon de thé décalé. Il me pinça et tournicota les tétons par-dessus mon haut et entreprit de m’embrasser. Je reculai le menton :



Ce qui me paraissait juste au vu des rares fois de pratiquées et ma répulsion aux simples bises amicales.



Je retirai mes lunettes et me dépatouillai comme je pus. En bon prof, il m’encouragea et souligna mes progrès durant cet exercice. Au fil de notre soupe de langues, je sentis son entrejambe durcir et c’est là que j’aurais aimé être empoignée et saisie sur le champ, mais il avait l’air si déterminé dans ses enchaînements que je restai à attendre ses instructions.



Raide comme un soldat gardant le château royal anglais j’abaissai mon froc et ma culotte ensemble et le laissai m’examiner dans un silence de bibliothèque, fouillant du regard tout son salon sauf sa figure.


Toujours entièrement habillé le concernant, il me tendit la main et m’invita à monter à l’étage, je gravis les marches cul à l’air sous mon sweat à capuche et mes cheveux grossièrement noués par une pince à dents. Il m’indiqua son côté à lui du lit qui était à respecter, de là, chacun se désapa sur son bord attribué. Je découvris un corps appétissant avec ce petit ventre brioché de bon vivant et une robuste musculature, puis une magnifique queue plutôt imposante.


La boîte de capotes et le gel étaient déjà sortis sur sa table de chevet. À nouveau en examinateur il vint sonder ma presque forêt vierge, avec le même air que face à un manuel de machine à laver.


Ne connaissant rien de ces sensations, je trouvai ça douloureux, mes jambes furent prises d’un tic nerveux et j’eus peur de lui pisser ou péter dessus, lui qui semblait si solennel entre mes cuisses avec sa langue épileptique. Aujourd’hui, je pense que son lapage devait être efficace techniquement, mais que je n’étais pas du tout prête à m’y abandonner. Comme l’introduction d’un nouveau légume chez un tout petit, il me fallait plusieurs essais dans diverses circonstances et humeurs avant de me faire au machin.


Estimant ma foufoune assez fluidifiée, il enfila son mini K-way d’un geste parfaitement rodé quasi calqué sur celui pour rouler ses clopes, puis il me passa dessus.


Il m’écrasait de toute sa masse, mon nez péniblement dégagé de son épaule d’habituée des longueurs crawlées. Complètement pressurée en dessous comme un tube de dentifrice, je pouvais presque sentir mon œil se déloger de son orbite et venir rouler sur cette épaule. Ma chatte resta de marbre, trop intimidée, mais le fait de me sentir enfin pilonnée et par quelqu’un d’autre ça me fit un bien-être fou. Pour moi, je n’étais pas en train de tromper : j’étais en train de prendre soin de mon corps, allongée comme aux thermes.


Panique, je le vis au bout d’un moment se redresser en baîllant et se coucher sur le côté le bras calé sur ma poitrine. Je devais être bien soporifique…


Non, c’était sa petite sieste habituelle entre les rounds. Je restai figée, étendue, à scruter le plafond et sa photo de grosse rose en tête de lit, les pétales comme les feuilles de tabac prêtes à être détachées ou comme mes lèvres plus bas.


Même si pétrifiée au premier abord, je pris goût à cette sieste emboîtée, sa queue encore encapotée coulant doucement contre mes fesses et son réveil progressif pour remettre le couvert.


À présent couché sur le dos, mains croisées derrière la tête avec son petit sourire à peine dessiné, il m’invita à lui pomper le dard. Sur ma lancée de bonne élève, je m’y mis avec ardeur et pour le coup je le crus honnêtement surpris et enchanté. Il me guidait un peu, mais laissa place à ma danse de langue, ma bave et mes généreuses succions bruyantes.


Sans me prévenir, dans un élan d’enthousiasme, il me tira sur la pince saccageant assez vite mon espèce de queue de cheval. On ne m’avait jamais tiré les cheveux à part les crêpages de chignon à la cour de recrée, cette douleur-là me plut aussitôt, ce petit geste qui dérapait. Comme la taffe de trop qui vient noircir le bout des doigts.


Après un smack apposé sur ma bouche en un rituel bien instauré, je ressortis de sa petite maison flottant sur un nuage, je n’arpentais pas mon quartier, mais un escalier de music-hall, prête à chanter et tournoyer à chaque lampadaire. N’importe quel fumeur croisé et m’empestant par mégarde avec sa fumée me ravivait le souvenir délicieux de son ventre douillet contre ma chute de reins.