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Temps de lecture estimé : 7 mn
11/11/24
Résumé:  Un homme, en visite au cimetière le jour de l’Armistice, rencontre une femme énigmatique. Entre mémoire et séduction, elle l’invite à abandonner le passé pour mieux vivre le présent...
Critères:  #drame #historique #fantastique #nostalgie cérébral
Auteur : L'artiste  (L’artiste)      Envoi mini-message
Louise

Le ciel d’un gris profond, en ce 11 novembre 2024, semble se mêler au marbre des monuments commémoratifs. La cérémonie devant la mairie vient de s’achever, les discours résonnent encore tandis que je m’éloigne de la foule. Je me rends seul au cimetière, où repose mon aïeul, tombé des suites de ses blessures lors de la Grande Guerre.


En approchant de la stèle familiale, le son de mes pas sur le gravier et le vent froid sur mon visage me plongent dans le souvenir de son sacrifice. Mon esprit est ailleurs, lorsque, soudain, une voix douce et ironique m’interpelle :



Surpris, je lève les yeux. Une femme en manteau noir ajusté se tient là, ses cheveux roux contrastant dans la grisaille. Son sourire éclatant, presque insolent en pareille circonstance, me déstabilise.



Son ton à la fois enjoué et caustique tranche ici, au milieu des allées de marbre et des fantômes du passé. Je ne peux m’empêcher de sourire en retour, intrigué par ce personnage qui semble défier la morosité de l’instant sans la moindre hésitation.


Sans vraiment le vouloir, je suis entraîné dans une conversation qui devient rapidement étrange. Elle évoque la mort, le souvenir, la mémoire, mais avec une désinvolture presque absurde, comme si elle se riait de l’endroit, de l’occasion. Ses paroles, en apparence légères, laissent parfois une trace de gravité, comme un écho ancien que je ne parviens pas à saisir. Elle est une présence déplacée, une couleur vive au milieu du terne qui nous entoure.



Elle n’a pas tort, c’est bien plus une habitude qu’un véritable besoin. Un moyen de sentir que je reste relié à quelque chose de plus grand, sans vraiment savoir quoi.



Sa voix est basse, son ton presque accusateur. Mon cœur s’accélère légèrement sous la provocation.



Quelque chose de bienveillant apparaît alors dans son expression, quelque chose d’irradiant. Elle se penche vers moi, ses yeux sondant les miens.



Son parfum boisé m’enivre, et un souvenir diffus m’effleure sans raison. Sa main, chargée de bonté et de mystère, se pose doucement contre ma poitrine.



Nous restons un moment dans ce face-à-face troublant, comme si le monde autour de nous s’était évanoui. Dans ses pupilles, des braises sont sur le point de s’enflammer.


Ses doigts effleurent mon col, puis ma joue, s’attardant près de mes lèvres. Elle sourit, avant de murmurer, presque pour elle-même :



Je fronce les sourcils, surpris. Elle esquisse en retour une mimique qui me bouleverse.



Elle marque une pause, paraît fouiller dans sa mémoire avant de reprendre :



Son rire, tendre et un peu espiègle, semble résonner contre les pierres froides.



Je reste silencieux, absorbé par ses paroles. Elle demeure songeuse un instant, sa main glisse sur une stèle voisine, caressant le marbre.



Une ombre traverse son regard, de mélancolie, presque de la tristesse, avant qu’elle ne me réponde.



Je ne sais plus vraiment si elle plaisante, si elle me compare à un souvenir lointain ou si elle voit réellement en moi quelque chose d’attirant. Mais avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, elle poursuit :



Je me surprends à rougir un peu. Cette comparaison, aussi obscure soit-elle, me trouble. L’atmosphère pesante du cimetière s’est peu à peu effacée, elle me parle de ses espoirs déçus, de l’amour qu’elle n’a jamais pu vivre pleinement. Je lui confie mes doutes, mes hésitations à avancer. Elle joue avec moi, un sourire taquin sur les lèvres. Mon cœur s’emballe alors que les contours de son visage me renvoient à un souvenir enfoui, qui m’est étranger, mais qui vibre curieusement en moi, comme s’il avait toujours été là.



Je tente de répondre, mais perds pied, happé par cette femme qui semble avoir sur moi une emprise inexplicable. Je la suis sans réfléchir, comme envoûté, alors qu’elle me guide derrière une imposante stèle de pierre, hors de vue des autres visiteurs. Le bruit de nos pas s’atténue, laissant place à une agréable intimité dans ce coin reculé à l’abri des indiscrétions. Mon cœur bat plus fort ; son sourire, ravageur, distille à la fois candeur et promesses.


Ses doigts effleurent mon torse comme une découverte, un geste inattendu qui, pourtant, résonne avec nos histoires entrelacées. Elle hésite, puis un frisson m’envahit alors que ses lèvres, avec lenteur, se posent sur les miennes. Le baiser échangé est empreint d’une légèreté et d’une gravité qui me retiennent captif.



Et elle m’embrasse à nouveau, avec une tendresse infinie savamment dosée pour éveiller en moi une passion presque vertigineuse. Tout s’efface autour de nous. Emporté par l’interdit de l’acte et le plaisir, je me sens flotter dans un moment hors du temps. Nos lèvres finissent par se séparer, laissant un manque brûlant, insoutenable. Des larmes semblent monter à ses yeux alors qu’elle décroche la broche de son manteau pour la glisser dans mes mains et, sans un mot, repartir. Je la regarde s’éloigner, hébété. Elle se retourne une dernière fois, son sourire mystérieux me renvoyant à un souvenir enfoui, une photo, un visage flou… et elle disparaît, comme happée par la brume.


Rentrant chez moi, mon esprit est enfiévré. Je revois sans cesse son allure insolente, je ressens encore la douceur de ses mains sur mon corps. Et surtout, cette impression lancinante que je la connais… mais d’où ?


Arrivé, je me plonge dans les vieux albums de famille, feuillette les lettres jaunies. Une en particulier attire mon attention. Elle est adressée à une certaine Louise, une infirmière que mon arrière-grand-père a rencontrée pendant la guerre. Les mots sont d’une tendresse profonde, d’un amour sincère, mais jamais consommé, interdit par le statut de mon ancêtre qui était marié, par les conventions de l’époque et les aléas du destin.


Chaque jour passé sans toi est un combat de plus.

Tu n’es plus. Je ne tarderai pas à te rejoindre.


Je repose la lettre, et une photo émerge parmi les enveloppes. Je me fige, mon souffle se coupe. Une sueur froide me parcourt le dos. Non… ce ne peut être elle. Et pourtant, ce sourire, ce regard… cette broche. Mon esprit vacille. Au verso, une simple inscription :


Louise, mon âme sœur.


Comment est-ce possible ? Je fouille mes poches pour en sortir le bijou remis après le baiser, comme pour m’assurer que je n’ai pas rêvé. Un coquelicot, frappé d’un éclat d’or terni. Je le tiens fermement dans mes doigts. Il semble imprégné de siècles de tendresse et de douleur.


J’apprends dans un autre courrier que Louise est décédée en 1917, à la suite d’un bombardement. La gangrène aura emporté mon arrière-grand-père six mois plus tard. Je prends une grande inspiration et serre fort la broche reçue en cadeau contre ma poitrine. Une vive émotion m’envahit. Je ressens la présence de cet ange, éclairant mon chemin tout en s’effaçant dans le silence apaisé de l’éternité. La rencontre avec Louise m’a ouvert les yeux.


Ce soir-là, je décide de ranger les lettres et les photos, non pas pour les oublier, mais pour les garder à leur juste place : dans mon cœur. La vie bat maintenant en moi plus intensément.