Luigi Basio regarda l’hôtesse de l’air, elle était tout à fait à son goût… ! Il entendit le pilote dire :
- — L’atterrissage à Roissy-Charles-De-Gaule est prévu avec cinq minutes d’avance sur l’horaire. La température à Paris est de vingt-cinq degrés et le ciel est ensoleillé. La compagnie vous remercie… et blablabla… !
La stewardesse en question commença son inspection et, quand elle fut à sa hauteur, il l’interpella :
- — Le voyage a été parfait, mademoiselle.
- — La compagnie est heureuse de vous avoir eu à son bord.
- — Vous avez une très jolie voix.
- — Merci, monsieur.
- — Et que diriez-vous, si je vous invitais à dîner, ce soir ?
- — Que ce soir, je suis à Berlin, monsieur !
- — Ma ! On ne gagne pas à chaque fois.
Luigi sortit de l’avion et balaya l’aérogare d’un regard qui s’arrêta sur un homme portant une pancarte :
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Il se dirigea vers lui, se fit reconnaître et suivit le chauffeur jusqu’à la voiture.
***
Mélanie regardait l’homme se diriger vers son comptoir. Plus italien que lui, c’était impossible. Pas très grand et le cheveu très noir, il avait cette élégance vestimentaire ostentatoire, faite d’articles de luxe mélangés à une fantaisie colorée toute latine. Péremptoirement, il l’interpella :
- — Luigi Basio, on m’attend !
- — Oui, Monsieur Basio, ces messieurs sont dans la salle de réunion, veuillez me suivre.
Elle le précéda et se doutait bien qu’il devait mater ses fesses. Elle appela l’ascenseur et voulut s’effacer pour le laisser passer, mais il se récria :
- — Ma, impossibile, après vous belissima.
La réceptionniste n’essaya pas de discuter vainement, si ce client voulait faire le « joli cœur », peu lui importait. De toute façon, après l’avoir conduit dans la salle du conseil d’administration, il était fort probable qu’elle ne le reverrait jamais.
***
François, le patron, connaissait peu son interlocuteur transalpin. Il savait toutefois qu’une partie de l’avenir de sa société se jouait pendant cette entrevue. Tout avait été fait pour que l’italien coopère et signe ce contrat. Le directeur commercial, le directeur technique et une flopée d’ingénieurs avaient été convoqués et motivés pour convaincre le visiteur.
Le résultat fut mi-figue, mi-raisin. À l’issue de cette entrevue, François ne semblait pas plus avancé. Il comptait sur la soirée et le dîner au restaurant pour porter l’estocade et emporter l’affaire. À cette invite, Luigi lui répondit :
- — Ma, volontiers, Francesco, mais tou sais, la concurrence est rude, il y a les Américains, les Chinois, les Coréens… !
- — Certes, certes, Luigi, mais nous sommes entre amis.
- — Amici, oviamente, Francesco, mais les affaires sont les affaires et, dans les affaires, il y a toujours le petit plous…
- — Ah, qu’est ce petit plus ?
- — Peut-être la jeune personne qui m’a conduit jusqu’ici.
- — Heu, la réceptionniste ?
- — Ma, naturalmente, elle est delizioso, il faudrait l’inviter au dîner de ce soir.
François regarda partir son invité dubitativement. Il croyait avoir tout vu dans le management d’une entreprise, mais pas encore de faire l’entremetteur dans une histoire de cul. Car il s’agissait bien de cela !
Toutefois, il ne voulait pas compromettre l’avenir de son entreprise, son bébé, ce pour quoi il avait sacrifié la majorité de sa vie et même son couple, pour préserver les fesses de sa réceptionniste que d’ailleurs il ne connaissait même pas.
Après un coup de fil au DRH, il apprit que la personne concernée s’appelait : Mélanie. Cela ne l’avançait que peu et il se triturait toujours les méninges pour savoir comment procéder. Le début fut facile et il convoqua la jeune femme dans son bureau. Curieusement, celle-ci ne semblait pas s’émouvoir de la chose.
- — Veuillez vous asseoir, Mademoiselle.
- — …
- — Heu, comment dire, heu…, comment vous sentez vous chez nous ?
- — Pour le moment, bien, mais à la fin du mois beaucoup plus mal.
- — Ah ? Et pourquoi ?
- — Parce que vous m’avez virée !
- — Moi ? Je vous ai licenciée ?
- — Pas vous directement, mais votre DRH, cela revient au même, non ?
- — Ah ? Et pour quelle raison ?
- — Parce que je n’ai pas voulu coucher avec lui.
- — Voyons, mademoiselle, nous sommes au XXIe siècle et ce genre d’argument n’est pas recevable.
- — Il faut croire que si. Bien sûr ce ne sera pas écrit et on invoquera une incompétence quelconque, mais le résultat sera le même.
- — Mais c’est intolérable, mademoiselle. Que vous a-t-il fait ?
- — Rien pour le moment, et j’espère, jamais, mais j’ai refusé une invitation à dîner.
François commençait à entrevoir l’abîme qui s’ouvrait sous ses pieds. Comment se sortir de cette situation plus qu’inconfortable ?
- — Mademoiselle, je ne saurais tolérer ce genre de comportement dans mon entreprise et…
- — Vous fatiguez pas, il est un de vos cadres sup et je ne suis qu’une merde embauchée en CDD. Votre choix est facile.
François regarda la jeune femme et ne savait que faire. Il commençait à percevoir la lise où il s’enfonçait. Elle était pourtant charmante, cette nana, mais il n’avait jamais été doué avec les femmes. Les logiciels, les microprocesseurs avaient toujours été son univers. Il y avait même perdu Anne, la mère de ses enfants. Mais d’enfant, il n’en avait réellement qu’un, cette « putain de boutique » qu’il fallait faire tourner contre vents et marées. C’est sans même réfléchir qu’il dit :
- — Et si moi, je vous invite à dîner ?
La jeune femme le considéra longuement. Dubitative, elle avait été prise de court par cette demande, mais avec un sourire, elle lui répondit :
L’employée avait maintenant tourné les talons et laissait le chef d’entreprise seul dans son tourment. Draguer une nana n’était déjà pas facile, mais faire l’entremetteur… !
Et pourtant, il fallait le faire. Il fallait la convaincre de coucher avec ce connard pour qu’il signe « ce putain de contrat ». Comment appelait-on cela, faire le mac ? Faire le « julot casse-croûte » ? François avait honte de ce qu’il était amené à faire pour son entreprise, mais il lui avait déjà tellement sacrifié.
***
En homme courtois, il avait bien sûr prévenu la jeune femme qu’il passerait la prendre chez elle. Le HLM dont il gravissait les étages n’était pas comparable aux ors des demeures qu’il fréquentait habituellement, mais son esprit ne s’arrêtait pas à cela, il fallait que ce contrat soit signé.
Se présentant à la porte de l’appartement, il fut subjugué. La très austère réceptionniste en chignon et jupe stricte s’était métamorphosée en une jeune femme de son temps. Les cheveux d’un châtain mielleux reposaient sur des épaules revêtues d’un chemisier blanc. La taille habillée d’un jean serré soulignait une silhouette on ne peut plus agréable.
Toutefois, François n’en était pas satisfait, et après les salutations d’usage :
- — Heu, mademoiselle, nous ne pouvons pas sortir ainsi.
- — Ah, et pourquoi ?
- — Et bien, heu, dans le restaurant où nous allons, il est d’usage que les femmes portent des robes de soirée.
- — La pizzéria du coin me convient très bien et il n’y a pas besoin de robe de soirée.
- — Oui, certes, mais nous n’allons pas dans une pizzéria, et il faudrait que vous revêtiez une robe adéquate.
- — Adéquate ? Et adéquate à quoi ?
- — Heu, enfin, vous comprenez… il faudrait que, comment dire, il faudrait que vous soyez plus féminine.
La jeune femme regarda intensément son patron avant de répondre.
- — Je ne suis pas féminine ?
- — Si, mademoiselle, bien sûr que vous êtes féminine.
- — Appelez-moi Mélanie.
- — Heu, oui, Mélanie, si vous pouviez mettre une de vos robes de soirée, cela m’agréerait.
- — Vos ?
- — Pardon ?
- — Vous avez dit « vos » pour parler de mes robes de soirée ?
- — Heu, oui.
L’homme regardait avec appréhension son employée en se demandant ce qui allait encore lui tomber sur la tête.
- — Vous croyez franchement, monsieur, qu’avec mon salaire de réceptionniste, je peux me payer des robes de soirée ?
- — Enfin, je ne sais pas…
- — Ben, non, je n’en ai pas.
- — …
- — Et puis, qu’en ferais-je ? Je n’ai pas l’occasion d’en mettre… !
François passa avec vigueur sa main sur son visage comme pour en expulser toutes ces contrariétés.
- — Bon, venez, on va vous trouver une robe.
- — Où, à cette heure ?
- — Venez et ne compliquez pas les choses, s’il vous plaît !
Ce faisant, le patron prit sa subordonnée par le bras et, après un certain déplacement en voiture, se retrouva chez lui. Il la mit en immersion dans un dressing qui aurait subjugué n’importe quelle « fashionata ». Une pièce dédiée aux vêtements, à la mode, aux colifichets qui disent qu’on est « in ». Mélanie s’inquiéta tout de même.
- — C’est à votre femme tout cela ?
- — Oui, bien sûr, répondit-il avec une pointe d’impatience, choisissez-en une, cela devrait vous aller, vous avez quasiment la même taille.
- — C’est que, cela me gêne, moi, je n’aimerais pas que quelqu’un fouille dans mes affaires.
- — Ne vous occupez pas de cela et changez-vous.
- — Bon, comme vous voudrez !
Mélanie déboutonna rapidement son chemisier, ce qui gêna l’homme quand l’absence de soutien-gorge fut évidente. Il se tourna légèrement pour qu’elle ne pense pas qu’il était un pervers voyeur. Quoique, le peu qu’il avait vu promettait une mignonnette poitrine.
Se détournant donc, son regard accrocha une autre jeune fille d’un tout autre style. Vu les cheveux violets, le maquillage à la « Elvira », les vêtements de cuir noir et les Doc Martins, on ne pouvait douter du penchant gothique de la personne.
- — Salut p’pa, c’est qui, elle, c’est ta meuf.
- — Bonsoir, Victoire, non, ce n’est pas ma meuf comme tu dis.
Se penchant ostensiblement pour contourner du regard le corps massif de son père, elle continua :
- — Ben, pourquoi elle est à poil, alors ?
Surpris, il se retourna brusquement pour constater les dires de sa fille. Le spectacle d’une Mélanie en petite culotte de dentelle blanche était sympa, mais il comprit immédiatement le quiproquo.
- — Non, Victoire, ce n’est pas ce que tu crois…
- — J’crois rien, p’pa, je vois seulement !
C’est le moment que choisit la réceptionniste pour intervenir :
- — Je peux vous confirmer, Mademoiselle, que votre père ne me saute pas, enfin pas encore…
- — Tu peux m’appeler Vic, mon daron, il tient à Victoire, mais c’est nul.
- — Tu peux m’appeler Mel, alors.
- — Ouais, Mel, faut pas m’prendre pour une bouffonne. Tu fais quoi à poil dans la chambre de mes vieux ?
- — Ton père veut que je porte ce soir une des robes de ta mère.
- — Ah, j’vois, y veut qu’t’ais le look « bourgeoise » avec la robe longue et en dessous le porte-jarretelles et les Louboutins.
- — Ça, je ne sais pas, de toute façon, il y a tellement de robes que je ne sais pas laquelle prendre.
- — Tu d’vrais mettre la blanche, là d’vant toi, avec ça tu s’ras un vrai missile, une pompe à keum.
François, tel le spectateur d’un match de tennis, avait suivi l’échange sans rien dire, mais en oscillant la tête. Toutefois, après que la susdite robe ait été enfilée, il en resta pantois ! Elle avait été créée, spécialement pour attirer l’attention de la gent masculine. Le haut se résumait à deux bandes d’étoffes passant par-dessus les épaules et maintenant le bas au niveau du nombril et du bas du dos. Le décolleté en était… vertigineux ! La partie basse était certes très longue et balayait le sol, mais les fentes de part et d’autre en amenuisaient singulièrement l’effet masquant des jambes. Un instant bouche bée devant ce très sexy spectacle, il se reprit pour dire :
- — Mais vous ne pouvez pas sortir ainsi, mademoiselle !
- — Et pourquoi ? C’est vous qui vouliez que je mette une robe de soirée.
- — Oui, mais pas ça, c’est beaucoup trop osé.
- — C’est une robe de votre femme, pourtant.
- — Je ne l’ai jamais vue sur elle !
- — C’est une de celle que m’man met pour pécho le michto, cru bon d’intervenir la fille de la maison.
Deux regards interrogatifs et dubitatifs se posant sur elle, Vic précisa son propos :
- — Ben, ouais, pécho le michto, draguer le gigolo, quoi, vous entravez jamais rien, les vieux !
Oubliant son employée et son vêtement sujet à polémique, l’homme se tourna vers sa progéniture.
- — Comment ça, draguer le gigolo ? Je te signale, Victoire, que tu parles de ta mère !
- — Ben, heu, t’savais pas ? J’croyais que vous étiez d’accord.
- — D’accord sur quoi ?
- — Ben, que chacun baise de son côté.
Le chef d’entreprise, abasourdi, s’assit sur une chaise et se passa énergiquement les deux mains sur le visage, puis reprit :
- — Tu me fais une blague, là, ta mère n’a pas un amant ?
- — Un amant régulier, j’crois pas, mais des michtos, oui. Puis toi, t’as Mel, elle est canon, non ?
- — Mélanie n’est pas ma maîtresse, c’est mon employée.
- — Ben, ce s’rais pas la première fois qu’un patron saute sa secrétaire !
- — Elle n’est pas non plus ma secrétaire.
- — Oh putain, p’pa, t’as engagé une escort, c’est trop cool. Puis, s’adressant à Mélanie : faut vraiment qu’on parle de ton job.
- — Victoire, ce n’est pas le moment !
- — Mais p’pa, la fac de psycho, ça m’branche moyen, il faut envisager toutes les reconversions professionnelles.
- — Victoire, je t’en prie, arrête !
- — Pfff, on peut jamais discuter dans cette baraque, pour une fois qu’y avait un sujet intéressant. J’me casse, je vais rejoindre Jonathan et sa bande.
- — C’est qui, ce « Jonathan et sa bande » ?
- — Ben mes sex-friends.
- — TES sex-friends ???
- — Ben ouais, faut varier, c’est plus fun à plusieurs. Bon, j’me barre en loucedé, y a mamie qui est là.
- — Mais que fait ta grand-mère ici ?
- — Ben, m’man a toujours peur de me laisser seule quand elle découche, alors elle appelle mamie. Bon ciao !
L’entrepreneur était resté assis, hagard. Mélanie le sortit de ses réflexions en lui disant :
- — Vous ne l’avez pas détrompée.
- — Heu, pardon, quoi ?
- — Quand votre fille pensait que j’étais une escort-girl, vous ne l’avez pas détrompée.
- — Heu, non, vous avez raison, j’aurais dû le faire, désolé.
Elle l’observa encore un moment, puis porta l’estocade.
- — Pourquoi m’avez-vous invitée à dîner, ce soir ?
- — Eh bien, heu…
- — Un homme dans votre position qui invite une de ses subalternes à dîner, c’est pour finir la nuit avec elle, non ?
- — Mais non, pas du tout, ne croyez pas cela, je ne veux pas passer la nuit avec vous…
- — Ah bon, pourquoi ? Je ne suis pas baisable ?
- — Mais si, bien sûr que si, vous êtes tout à fait… charmante.
- — Charmante… mais pas baisable, vous m’invitez à dîner, mais vous ne coucherez pas avec moi !
François se leva de sa chaise en se disant que la vie était bien difficile. Pourquoi ne pouvait-on pas la transformer en une équation booléenne. Un ou zéro, oui ou non, noir ou blanc, non, il fallait que tout soit compliqué, tout en nuance, en cinquante nuances de gris…
- — Vous savez, mademoiselle…
- — Mélanie !
- — Heu, oui, Mélanie, j’ai toujours été fidèle à ma femme et je ne vous ai pas invité pour coucher avec vous.
- — C’est marrant, mais je vous crois, vous devez être un des rares hommes dans ce cas ! Alors pourquoi cette invitation ? Pour m’annoncer que vous me réintégrez dans le personnel ?
- — Réintégrer ??? Ah oui, votre licenciement, mais, bien sûr, vous continuez à votre poste.
- — J’attends votre réponse…
- — Il faut que je vous explique que, dans la conduite d’une entreprise, son patron, pris par les circonstances, puisse agir de façon non conventionnelle, mais n’allez pas croire que c’est mon habitude et c’est vraiment contraint et forcé que l’on doit agir ainsi. En cela, il y a les impondérables difficilement gérables qui établissent des paramètres…
- — Là, vous parlez pour ne rien dire, pourquoi cette invitation ?
- — Heu, et bien…
- — Oui, je vous écoute ?
- — Parce qu’il y a un troisième convive.
- — Qui ?
- — Heu, le client italien qui est venu aujourd’hui.
Après un moment de réflexion, elle reprit :
- — Que je sache, je suis réceptionniste et non directrice commerciale, alors pourquoi moi ?
- — Parce qu’il l’a demandé.
- — Je vois, j’ai donc eu une promotion ?
- — Comment cela ?
- — De réceptionniste, je suis passée à escort-girl de la société.
- — Mais pas du tout, il s’agit juste de discuter, d’avoir un dîner agréable. Vous n’êtes obligée à rien du tout.
- — Même pas obligée de lui tailler une pipe ? Vous croyez réellement qu’il sera d’accord ?
- — Heu, je suis persuadé que c’est un gentleman.
- — Mouais, moi, je ne suis pas persuadée, mais sûre que c’est un dragueur invétéré.
François se retourna et fit quelques pas dans la pièce. De deux doigts, il se frotta les yeux, signe d’une intense réflexion. C’est cependant la jeune femme qui reprit.
- — Cela peut être sympa de baiser avec un rital, paraît qu’ils sont très bons, qu’ils ont les mains très baladeuses et d’une grande délicatesse. J’aurais peut-être tort de ne pas essayer…
- — …
- — Et puis, comme c’est une prestation en dehors de mon boulot habituel, j’imagine que vous allez me payer ?
- — Heu, je ne sais pas, enfin oui, si vous voulez.
- — Une prestation d’escorte-girl, c’est cher, vous savez.
- — Peut-être, oui, je n’en ai aucune idée.
- — Dix mille €uros pour la soirée.
- — Heu, oui, si c’est la somme que vous souhaitez.
- — Là, je pourrais lui faire plein de choses à votre client, je vais vous expliquer ! dit-elle d’une voix langoureuse.
- — Heu, non, ce ne sera pas nécessaire.
- — Si, si. D’abord, bien sûr, je me laisserai embrasser partout et il passera sa main sous ma robe jusque dans ma culotte et, de l’autre, il me pelotera les seins.
- — Oui, enfin, je…
- — Il faudra bien sûr que je le suce, tous les hommes aiment être sucés, non ? Ensuite, il me déshabillera et…
- — ARRÊTEZ !!!
Pendant cette narration, Mélanie avait savamment dégagé les épaulettes de sa robe et, par simple gravitation, celle-ci s’était retrouvée au sol et la laissait maintenant uniquement vêtue de sa culotte à la jolie dentelle blanche. Elle continua d’une voix encore plus suave.
- — Vous n’aimez pas mon histoire, François ?
- — Non, je n’aime pas !
- — Et pourquoi n’aimez-vous pas ?
- — …
- — Peut-être n’avez-vous pas envie d’entendre l’histoire où vous m’avez prise pour une pute.
François se tourna pour couper court à la tirade, s’éloigna et s’assit sur le bord du lit. Il considéra la jeune fille debout près de lui et à demi nue. Il se rendit compte qu’il ne l’avait jamais réellement regardée. Elle était à trois pas de lui, offerte et consentante. Il aurait bien envie, mais il ne pouvait pas, il ne devait pas. Il reprit donc :
- — Écoutez, mademoiselle, je…
- — Mélanie !
- — Oui, Mélanie, je reconnais que j’ai été en dessous de tout ce soir et je n’aurais jamais dû vous mettre dans une situation aussi embarrassante. Je, heu, les dix mille €uros sont à vous, si vous voulez plus, et si cela reste raisonnable, il n’y a…
- — François !!! dit-elle en s’avançant fermement vers lui.
- — Heu, oui.
- — Vous êtes un con ! reprit-elle en continuant à avancer jusqu’à le toucher.
- — …
- — Vous êtes un con, parce que vous n’avez rien compris.
En imposant son corps dénudé jusqu’à être touchée.
- — …
- — Un con, parce que je ne veux pas de votre fric.
Le chevauchant, puis le poussant pour le faire s’affaler à plat dos.
- — …
- — Un con et moi une conne, car je pensais stupidement que c’était pour moi que vous m’invitiez.
Elle le dominait maintenant. Situation que le patron subissait, car il ne voyait, pour le moment, pas d’issue honorable. Situation embarrassante, car la petite culotte en dentelle blanche qui appuyait sur son bassin provoquait des émois qu’il n’arrivait pas à réprimer. Et puis cette vision… ces petits seins… ce regard intense… ces lèvres qui, avant de se joindre aux siennes, laissèrent échapper :
- — Je suis une conne, parce que je vous aime.
Cette histoire pourrait s’arrêter là, on pourrait sortir les violons et la layette rose, mais les choses sont rarement aussi simples, car…
- — Ah, je le savais, tonitrua une voix féminine.
- — Zut, dit Mélanie, c’est qui ?
- — Et merde, la belle doche, répondit François !
- — Je savais que vous étiez un pervers sexuel et j’en ai la preuve maintenant, je vous ai photographié avec cette… créature… !
- — Sortez, dit calmement le chef d’entreprise en se relevant.
- — Vous êtes un pervers et j’ai toutes les preuves.
- — Sortez, belle-maman.
- — Anne aura toutes les preuves de vos frasques.
- — Sortez.
- — Le divorce sera à vos torts et j’aurais plaisir à assister au jugement qui vous condamnera.
- — Je n’en doute pas, belle maman, mais maintenant, sortez.
- — Bien sûr, il faut que je vous laisse pour que vous assouvissiez vos penchants lubriques avec cette catin.
- — Belle-maman, partez, avant que je ne sois obligé de vous mettre à la porte.
- — Voilà, vous allez me frapper, me molester, peut-être même me violer, de la part d’un maniaque sexuel tel que vous, je n’en attendrais pas moins.
- — Justement, n’attendez pas que je vous viole, fuyez !
- — Si vous me touchez, je porterai plainte. De toute façon, j’en parlerai à Édouard. Il avait déjà des doutes sur la viabilité de vos affaires qui sont sûrement véreuses, vu le patron que vous êtes, et sa banque vous coupera les vivres. Vous êtes ruiné, mon bonhomme !
- — OK, je suis ruiné, je suis un pervers, mais SORTEZ !!!
Mélanie, qui avait à nouveau revêtu son jean et son chemisier, regardait François, dont les veines des tempes saillaient et trahissaient une intense émotion. Il n’était peut-être pas utile que la soirée se termine aux urgences, car c’est ce qui risquait d’arriver, vu la tension de l’homme. Elle lui prit la main et le tira.
- — Venez, il faut partir, dit Mélanie.
- — Oui, c’est ça, allez autre part pour exercer vos activités coupables avec cette… créature.
- — Bon, je vous ramène chez vous, reprit l’homme.
- — Pff, c’est une maison close, sûrement !
Il écarta fermement l’aïeule qui barrait le passage et amena Mélanie jusqu’à sa voiture. Le trajet fut dans un premier temps silencieux, mais la jeune femme l’interrompit.
- — On ne va plus dîner ?
- — Non.
- — Vous n’avez plus faim ?
- — Ce n’est pas cela, mais rien que d’imaginer ce rital vous faire…
- — Me faire quoi ?
- — Rien.
- — Si, dites-moi ce qui vous dérange…
- — Rien, vous dis-je.
- — Vous commencez souvent vos phrases sans les finir ?
- — Bon, mademoiselle, arrêtez de m’asticoter. Oui, je suis un con. Oui, je n’aurais jamais dû vous entraîner dans cette histoire. Oui, je me suis comporté comme un sagouin, et si vous voulez que je vous indemnise, il n’y a aucun problème…
- — Là, vous êtes encore plus con, je vous ai déjà dit que je n’en voulais pas de votre fric, vous faites juste chier avec votre fric.
Un silence pesant s’installa dans l’habitacle de la limousine. Chacun faisant sa moue des mauvais jours. C’est cependant l’homme qui reprit la conversation.
- — Désolé, je ne voulais pas être blessant.
- — Je le sais bien, vous ne faites rien sciemment, mais vous y arrivez tout de même.
- — Désolé…
- — Et arrêtez d’être désolé, c’est horripilant.
- — Désolé, heu non, enfin, je ne sais bientôt plus que dire.
Le silence se réinstalla pendant un petit moment.
- — J’ai tout de même faim, reprit Mélanie.
- — OK, allons manger, vous avez une préférence.
- — Oui, et je vous invite.
- — Où ?
- — Chez Momo…
- — Chez Momo, ah bon ? Et on y mange bien ?
- — Des doners.
- — Des doners… Doners Kebab, c’est bien cela ?
- — Oui, vous n’aimez pas ?
- — Heu, si, enfin, je ne sais pas, je crois bien que je n’en ai jamais mangé.
- — C’est l’occasion d’y goûter.
Après quelques indications, le véhicule s’arrêta devant l’établissement censé les sustenter. L’atmosphère était colorée, chamarrée et bruyante, mais néanmoins chaleureuse, surtout l’accueil :
- — Eh, Mel, ça fait longtemps, tu veux manger ?
- — Oui, Momo, tu as une table ?
- — Pour toi, toujours.
Puis, regardant François, il reprit :
- — T’as un copain ? J’suis content pour toi. Dis-moi, il est sapé comme un prince.
Tendant la main, il continua :
- — Moi, c’est Mohamed, Momo pour les potes.
- — François, heureux de faire votre connaissance.
- — T’as d’la chance d’être avec Mel, elle est super, des meufs comme ça, c’est rare.
- — Je n’en doute pas.
- — Allez vous asseoir, je vous prépare un « royal Momo » avec mon accompagnement maison et la harissa. (À prononcer comme Momo, avec un H aspiré.)
Après un clin d’œil, il ajouta :
- — La harissa, y a rien de mieux pour les amoureux…
Une table près du comptoir étant libre, ils s’y installèrent et, malgré l’ambiance bruyante, se créèrent leur cocon, en dépit de l’intervention d’une serveuse.
- — Salut Mel.
- — Salut Yasmine.
- — Momo vous offre le thé à la menthe.
- — Merci.
- — Comment vont les petits ?
- — Bien, c’est ma frangine qui les garde.
- — Bon, je vous amène vos doners dans cinq minutes.
L’homme regardait sa vis-à-vis sans trop savoir par quel bout commencer.
- — Vous avez des enfants ?
- — Oui, deux.
- — Seule ?
- — Ben oui, sinon je ne serais pas ici avec vous. Les mecs aiment bien baiser, mais assument rarement.
- — Je peux vous demander votre âge ?
- — Trente… Et vous ?
- — Quinze de plus…
Un peu gêné de découvrir un univers qu’il ne connaissait pas encore, il s’enquit tout de même.
- — Vous vous en sortez, seule, avec deux enfants à charge ?
- — Si je garde mon job, oui.
- — Vous savez bien que vous n’êtes pas licenciée, et même, si je peux faire quelque chose pour vous…
- — Je ne suis pas une pute, je ne veux pas de votre argent.
- — Ce n’est pas ce que je voulais dire.
- — Vous vous emmêlez toujours les pinceaux. Moi, je voulais baiser avec vous, mais pas pour du fric. Vous pouvez vous mettre ça dans la tête ?
Après un moment de silence, il reprit :
- — Oui, désolé, je n’ai vraiment pas maîtrisé ce qui s’est passé ce soir.
- — Mais, putain, vous pouvez arrêter d’être désolé.
- — Oui, désolé, zut, vous me faites perdre mes moyens et je me rends bien compte que je suis ridicule avec mon vocabulaire censé être châtié.
- — Ben, parlez nature, alors.
À nouveau un long moment de silence, puis le repas fut servi, un doner en assiette avec bien sûr un ramequin copieusement empli par « La harissa ». Le silence était de mise et n’était entrecoupé que par quelques échanges de regards gênés et dubitatifs, qui allaient aboutir à une relance de la conversation quand ils entendirent :
L’interpellée leva le regard et changea immédiatement d’expression.
- — Qu’est-ce que tu fais là, ne m’approche pas !
- — Pas sympa comme accueil, Mel.
- — T’as rien à foutre ici, le juge a dit que t’étais tricard dans le département.
- — Tu n’es pas contente de me voir, ma chérie.
- — Non, ne m’appelle pas chérie et je ne suis pas contente, la dernière fois c’était plusieurs points de suture.
- — C’était pourtant bien, nous deux.
- — C’était il y a dix ans et tu me frappais tous les jours, alors non, ce n’était pas bien. Va-t’en.
- — T’es encore plus belle maintenant.
François avait jaugé l’intervenant : Bad boy sur le retour, probablement le même âge que lui. Les bacchantes retombantes et la coupe mulet n’y étaient pas pour rien dans cette perception, avec en sus les tatouages et le blouson siglé « Harley ». Une vraie caricature du genre. Il crut bon d’intervenir :
- — Mademoiselle vous a dit de partir, alors veuillez-vous éloigner.
L’homme tourna lentement la tête et le toisa avec dédain.
- — Toi, le pingouin, tu la fermes, sinon je t’en colle une.
Se souvenant de ses entraînements de karaté quand il était à l’université, il se dit qu’il serait mieux debout qu’assis pour ce genre de situation. La paume des mains en avant en signe d’apaisement, il reprit d’une voix calme.
- — Monsieur, il serait vraiment préférable que vous partiez.
- — Nan, mais y cause, ce con, et y veut donner des ordres, le gratte-papier. Tu l’as trouvé où ce blaireau, Mel ? Il sort d’où avec son costard à la con ?
François ne s’offusqua pas de ces invectives, mais s’avança tout de même vers son contradicteur. Celui-ci, probablement inquiet de cette manœuvre, arma son bras pour un swing ravageur. Mal lui en prit, car, même un peu rouillé, le patron savait très bien utiliser la force déployée par l’adversaire pour le neutraliser. Le résultat fut un apprenti boxeur lamentablement vautré sur la table du dîner. Le corollaire fut la projection de diverses vaisselles, dont un ramequin d’harissa qui macula le chef d’entreprise de la cravate aux chaussures. Le graphisme produit aurait peut-être plongé les disciples de Rorschach dans des abîmes de réflexion.
Cet esthétisme n’était probablement pas du goût de trois « bacqueux » qui profitaient de leur pause pour se sustenter dans l’établissement de Momo. Ils intervinrent à grand renfort de « POLICE » pour neutraliser les belligérants. C’est ainsi qu’un des patrons d’entreprise de haute technologie, fleuron de la « french-tech », se retrouva plaqué au sol et menotté dans le dos.
Las de cette soirée loin de ses attentes, il ne dit mot, confiant dans les institutions de la république. Les rouages desdites institutions n’étant toutefois pas ce que l’on pourrait innocemment attendre d’elles, François se retrouva en salle de police à patienter pour que la maréchaussée veuille bien prendre en compte sa bonne foi. Ce séjour fut toutefois instructif, car le mêlant aussi bien à la soûlographie, qu’à la délinquance et à la prostitution, cette expérience fut à mettre au crédit de la juste information du chef d’entreprise sur la société qu’il côtoyait sans réellement la voir.
Mélanie, tout de même un peu angoissée, attendait son patron et soupçonné délinquant. Elle était aussi dépositaire de certaines de ses affaires, dont son téléphone portable. Elle ne se résolut à lire un certain message noté « Anne », qu’après de nombreux et insistants rappels :
Maman m’a communiqué certaines photos, je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit à discuter. Nos avocats régleront l’affaire. Bonne chance à toi et à ta maîtresse.
Message qui ne reçut qu’un haussement d’épaules de son destinataire, une fois libéré des griffes de la justice. Le téléphone fut plutôt mis à contribution pour appeler un taxi, car, si la force publique vous conduisait volontiers au commissariat, le billet de retour n’était jamais prévu.
Quelque part, quand François constata la disparition de sa berline de luxe, il n’en fut même pas étonné, il y avait des jours comme ça, où tout tournait mal.
- — On va chez moi ? Il faut tout de même vous nettoyer un peu.
- — Oui, c’est préférable.
Un nouveau silence, que la jeune femme interrompit rapidement :
- — Vous allez divorcer ?
- — Il y a des chances, oui !
- — Elle vous trompe depuis longtemps, vous n’allez pas vous laisser faire ?
- — Si.
- — Comment cela, si ? Il faut vous battre pour avoir gain de cause.
- — Le gain de quoi ? Pensez-vous sérieusement que je veuille me battre avec la mère de mes enfants ?
- — Mais… ?
- — Mes enfants sont majeurs et ma prochaine ex-épouse à sa vie. Je doute même que cela me coûte très cher, car elle a une fortune personnelle.
Tous deux regardaient devant eux, et accessoirement la nuque du chauffeur de taxi.
- — Vous étiez heureux ? demanda Mélanie.
- — Oui, je crois que je peux le dire.
- — Vous n’avez pas l’air très sûr. Vous baisiez encore ?
- — C’est indiscret, mademoiselle.
- — Mélanie !
- — Heu, oui, Mélanie.
- — Alors, vous baisiez encore ?
- — Peu.
- — Peu ou pas du tout ?
- — Oui, je crois que, pour ces dernières années, c’était plutôt pas du tout.
Arrivée au bas de l’HLM, domicile de la jeune femme, elle reprit :
- — Venez, montez chez moi, je vais vous nettoyer un peu et vous rendre un peu plus présentable. Il est six heures et dans peu de temps il faut reprendre le boulot.
- — Je peux vous faire un billet d’excuse, répondit l’homme avec un mince sourire.
Maintenant, dans le vestibule de l’appartement de Mélanie, celle-ci plaqua son patron contre un mur en se disant que si elle devait attendre qu’il se décide à intervenir, elle finirait vieille fille. De sa jambe, elle crossa donc la cuisse masculine pour le maintenir à sa merci. Elle sentait d’ailleurs le mâle faiblir et commencer à accepter ses avances. Rien n’était encore gagné, les mains viriles n’avaient pas encore empaumé la poitrine féminine, mais les lèvres se rejoignaient inexorablement, quand…
- — Maman, c’est qui le monsieur ?
Ils se regardèrent avec un air de dépit, mais l’instinct maternel de Mélanie prit vite le dessus. Elle emmena le bout de chou pour le recoucher et apaiser ses craintes. Une fois revenue dans le vestibule, la tension sexuelle était retombée. Ils s’examinèrent avec un sourire un coin.
- — Pas très réussie, cette soirée, dit Mélanie.
- — Vous croyez ?
- — Ben, votre contrat tombe à l’eau.
- — Pas très grave, il y aura d’autres opportunités.
- — Et puis votre belle voiture a été volée.
- — Vous croyez que c’est important ?
- — Votre femme veut divorcer !
- — C’était latent, ne croyez-vous pas ?
Mélanie regardait son boss qui avait toujours le sourire, malgré cette soirée assez peu commune.
- — Cela n’a pas l’air de vous déranger…
- — Non, pas vraiment.
- — Mais enfin, heu, c’était tout de même une sacrée merde, ce soir.
- — Non.
- — Non ? Et pourquoi non ?
- — Parce que je vous ai rencontrée.
- — Ah !
- — Oui, et Madame Dubreuil prend sa retraite dans six mois.
- — Qui ?
- — Madame Dubreuil, mon assistante personnelle, prend bientôt sa retraite.
- — Ah !
- — Il faudra la remplacer et je pensais que six mois c’était juste le bon laps de temps pour vous former à cette fonction.
- — Ah !
- — Cela ne vous dirait pas d’être mon assistante personnelle ?
Après un temps de réflexion, Mélanie répondit :
- — Si, surtout que, vu la taille de votre bureau, cela doit être génial de baiser dessus !