n° 22761 | Fiche technique | 43837 caractères | 43837 7383 Temps de lecture estimé : 30 mn |
20/11/24 |
Résumé: Dans l’Empire romain d’Occident agonisant, les amours désespérées de deux filles et d’un jeune esclave. | ||||
Critères: f fh ff grp fbi bizarre collection amour revede pied fmast fgode hfisté partouze init peplum | ||||
Auteur : calpurnia Envoi mini-message |
10 juillet 472.
Rome, qui a connu du temps de sa splendeur plus d’un million d’habitants, n’est plus que l’ombre d’une civilisation qui n’en finit plus d’agoniser. Écrasées par un soleil implacable, les ruines ne sont encore animées que par quelques dizaines de milliers de survivants.
Survivants, car depuis cinq mois, la cité est à nouveau assiégée, après s’être péniblement relevée des sacs de 410 et 455. Dans les rues, au milieu des gravats laissés par les machines de guerre, on se bat pour un morceau de pain, une amphore d’eau potable. Dans la cité comme ailleurs, la violence est omniprésente, comme elle l’a toujours été dans une société où l’espérance de vie n’a jamais dépassé la trentaine – avec le meurtre comme première cause de mortalité.
Rome n’est plus la capitale de l’empire d’Occident depuis que Ravenne a pris sa place en 402. L’empereur Procopius Anthemius, au pouvoir depuis cinq chaotiques années, n’y est pas moins présent, en compagnie de son épouse, Marcia Euphemia. Il n’a jamais été qu’un pantin des généraux barbares, avant de se rebeller, ce qui lui vaut ce siège dont l’issue ne fait plus guère de doute depuis que Gondebaud, le Burgonde de Gaule, a choisi de prêter main-forte à son oncle Flavius Ricimer, l’assiégeant.
Drusilia, une jeune femme de vingt ans, est issue d’une riche famille romaine. Son père a bâti sa fortune dans le commerce d’esclaves à travers la Méditerranée. Comme souvent dans l’aristocratie de son époque, elle est fille unique. Ses parents sont morts depuis un an, tués ensemble dans les troubles du temps, pour un voyage de trop. Du jour au lendemain, elle s’est retrouvée seule à la tête d’une fortune qu’elle ne peut plus guère dépenser. Impossible de s’échapper par la terre, encore moins par la mer, car le port est bloqué et séparé de la cité par un imposant mur de contrevallation fait de rondins de bois et de pierres, hermétiquement gardé par les combattants suèves et wisigoths.
Le palais de Drusilia, naguère splendide avec ses jardins fleuris et ombragés d’oliviers, a connu des dommages considérables, à cause des projectiles lancés en grand nombre par les catapultes de Ricimer. Cependant, il reste habitable. Quelques esclaves domestiques en ont profité pour reprendre leur liberté, mais la plupart sont restés, ne sachant où aller.
Drusilia a toujours été une enfant gâtée, élevée dans le luxe, ses moindres désirs toujours exaucés sans attendre, ce qui ne l’empêche pas de posséder une culture remarquable, grâce à des précepteurs attentifs. Dans le secret de ses caves, à côté de l’or, repose un stock conséquent de viande et de poissons séchés, de farine, de vin, de fruits encore comestibles. Par les temps qui courent, cette réserve constitue un précieux trésor.
Elle déambule, solitaire, dans la pénombre des couloirs de son palais, les pieds nus sur la fraîcheur du marbre, parée d’une tunique légère de lin blanc brodée de fil doré. Ses bijoux, dont elle ne se sépare jamais, tintent à chaque pas. Tout en flânant avec nonchalance, elle se souvient…
Un mois plus tôt, elle retrouvait la très belle Sabina dévêtue sur sa couche. Une femme de haute stature, aux yeux clairs et aux longs chevaux très sombres, du même âge que sa maîtresse. Petites filles, elles avaient souvent joué ensemble, complices comme deux sœurs. La beauté de cette ancienne esclave affranchie à la force de son sourire a toujours fasciné tous ceux qui la croisaient. Des siècles plus tard, l’une de ses descendantes deviendra modèle pour grands peintres italiens de la Renaissance. Les parents de Drusilia avaient offert la belle à leur fille pour son anniversaire, lorsque celle-ci était finalement tombée sous le charme.
Ce soir-là donc, et toute la nuit durant, les deux femmes ont assouvi leur passion saphique avec fougue, par des langues actives sur les cercles de voluptés.
Il s’agissait d’un poignard dont la poignée était ouvragée de pierres précieuses, un bien de famille transmis de génération en génération.
Tandis que brillaient les yeux de Drusilia, Sabina pleurait. La loyauté lui commandait d’obéir. En tant qu’ancienne esclave, même si elle restait libre de ses choix, refuser ce service lui semblait une trahison. Son cœur d’amante était déchiré en deux.
Allongée sur le dos, les jambes relevées, Drusilia a sangloté à son tour, et Sabina a tenté de la consoler par ses habiles coups de reins, tandis que sa compagne plantait ses ongles dans la peau du dos, avec rage et désespoir.
Dans les couloirs de son palais, revivant avec acuité chaque minute de ce souvenir, Drusilia marche lentement, pensive. Le soleil est au zénith. Dehors, la rumeur des combats s’amplifie. Le vent marin transporte le choc des armes, métal contre métal, flèche contre bouclier, cris des sous-officiers pour diriger les mouvements de l’infanterie, galops de cavalerie, plaintes des blessés, odeurs de sang, de sueur, de peur, de déraison. Ceux qui, poussés par la faim et la soif, s’aventurent dans les rues, au risque de devenir la cible d’un archer isolé, peuvent observer dans l’azur la ronde macabre des corbeaux attendant patiemment le retour du calme pour entamer leur repas ; ils se disent que ces oiseaux-là, au moins, ont l’assurance de pouvoir manger. Dans les églises où le peuple désespéré se serre pour supplier Dieu de l’épargner, il se murmure qu’Anthemius, aux abois, s’est déguisé en mendiant et réfugié dans un lieu de culte, nul ne sait lequel. Même le pape Simplice ne peut plus rien pour lui. Rome va bientôt tomber, c’est inéluctable. Par petits groupes, les partisans de l’empereur désertent ou trahissent en venant grossir les rangs ennemis afin de vivre encore, et aussi de prendre part au pillage des ultimes richesses d’une ville qui se prétendait éternelle.
Le peuple de Rome est majoritairement trinitaire : il croit en la Sainte Trinité, contrairement aux barbares qui déferlent sur l’Empire, adeptes de l’arianisme. Ceux-ci, après avoir lu l’Évangile, car ils sont également chrétiens, professent que le Père et le Fils sont des créatures distinctes et que ce dernier n’a pas toujours existé, ce qui en fait une sorte de religion à deux divinités. Naturellement, les uns et les autres se traitent mutuellement d’hérétiques, se promettent l’enfer et prétendent détenir l’unique vérité, d’autant que, dans ce conflit théologique, mais aux ressorts politiques, il existe une multitude de variantes : docétisme, nestorianisme, monophysisme…
Drusilia n’a cure de ces disputes : comme tous les siens avant, elle reste fidèle au panthéon traditionnel des dieux anciens, malgré la répression qui les opprime depuis l’édit de Thessalonique, promulgué par l’empereur Théodose en 380. Les lieux sacrés ont été détruits ou transformés en églises, du moins ceux qui étaient publics. Il faut pratiquer dans la discrétion, braver l’interdit des sacrifices rituels, la nuit, en se méfiant des délateurs, et, en cas de nécessité, corrompre à grands frais la milice urbaine pour qu’elle ferme les yeux. Aujourd’hui, au cœur de la demeure familiale, le temple privé est resté miraculeusement intact. Il permet encore les cérémonies clandestines.
Seule, Drusilia franchit un passage secret que peu de gens connaissent, puis un couloir étroit et sombre. Elle entre dans l’enceinte sacrée dédiée au culte de Vénus, représentée par une sculpture magnifique représentant une femme grandeur nature et à la pose altière, ciselée il y a plus de deux cents ans par un artiste réputé. La pièce est éclairée par une vasque enflammée remplie d’huile. Sous le regard bienveillant de la déesse, elle se dévêt, puis s’allonge sur l’autel. Ses doigts effleurent sa vulve, sous une fine pilosité pubienne. Elle ferme les yeux, ne remarque pas tout de suite que Cyrta, un jeune esclave domestique, l’observe sans oser franchir la porte de ce lieu interdit pour lui. Il est couvert d’un simple pagne qui forme une jolie bosse à l’entrejambe. Cyrta a toujours voué un amour secret, pétri de désir charnel, pour sa maîtresse et pour Sabina. Du temps où les parents vivaient encore, il aurait pu être flagellé pour ce moment d’espionnage libertin, car le pater familias avait peur que sa fille se fasse violer. Mais la douce Drusilia n’a jamais tenu le manche d’un fouet et protestait toujours lorsque son père ou sa mère châtiait ainsi un désobéissant. Soudain, la jeune femme ouvre les yeux et aperçoit l’imprudent curieux. Elle lui fait signe d’approcher.
Il reste sans voix devant cette demande inespérée.
Il opine de la tête, mais il reste figé, subjugué. Alors elle se lève, s’agenouille devant Cyrta et défait elle-même, d’un geste, le subligaculum, pauvre habillement de chanvre ne masquant que les organes génitaux, sous lequel surgit un phallus magnifique, long et fin, violacé, recourbé vers le haut, et totalement bandé. Drusilia ramasse le pagne et le jette dans le feu.
Le jeune esclave s’incline respectueusement.
Drusilia s’allonge à nouveau sur l’autel. Couchée sur le dos, elle écarte ses cuisses, cambrée, appuyée sur ses avant-bras, les seins arrogants tendus vers le plafond. La voici révélée dans sa splendeur. Le coquillage humide luit, une porte entrouverte vers l’inconnu. Il découvre, tout tremblant, ce trésor et s’en émerveille. Elle fait presque le grand écart, en souplesse, afin d’ouvrir en grand le livre de sa féminité et d’en révéler le mystère. Des violents parfums de stupre envahissent le temple. Après une brève hésitation, Cyrta pénètre, tout doucement, d’abord seulement le gland, puis le membre en entier dans la gaine moite et chaude. Il voit sa chair fusionner lentement avec celle de Drusilia, étonné de la profondeur du vagin aux parois toutes lisses – va-t-il y disparaître en entier, dévoré en douceur ? Car en plus de sa virginité, ses yeux n’ont jamais vu d’acte sexuel, il n’en sait que ce dont il a entendu parler, et ce qu’il découvre lui paraît prodigieux, comme dans les histoires mythologiques où les femmes ont des serpents à la place des cheveux. Sa maîtresse se serait-elle élevée dans les airs pour rejoindre le firmament qu’il n’aurait pas trouvé cela plus extraordinaire.
En le regardant droit dans les yeux, elle se caresse elle-même le clitoris dont elle ouvre entre deux doigts le capuchon. Puis elle enseigne à son partenaire comment le faire lui-même, en roulant le petit bouton érigé sous son pouce, sans appuyer, par de petits mouvements rapides et légers. Elle lui sourit pour l’encourager. Comme toujours, il s’applique, se montre bon élève.
Elle a toujours admiré ce garçon pour son mélange d’innocence et de suavité, sa grâce un peu efféminée, un peu hermaphrodite. On dirait que la nature ne s’est pas décidée à le laisser devenir un homme. Il est si fragile, si peu taillé pour les rigueurs de son époque ! Il craint les araignées, n’aurait pas la force de soulever une épée. Dehors : la barbarie guerrière ; à l’intérieur du temple : l’harmonie des corps juvéniles. Les flammes de la vasque donnent aux épidermes mêlés un aspect sanglant. La statue de Vénus les regarde s’enlacer et agrée leur union. On dirait que ses lèvres bougent, qu’elle parle… mais personne ne comprend ce qu’elle dit. Son message se confond avec les rumeurs de la nuit, les soupirs de l’étreinte.
Drusilia a choisi Cyrta elle-même, du temps où elle accompagnait sa mère au marché. Par cette matinée ensoleillée de septembre, il était présenté debout, enchaîné depuis un collier de fer serré autour du cou, et complètement nu sur l’estrade, afin de prouver au chaland qu’on ne lui dissimulait aucune tare physique. Près de lui, dans la même tenue, de jeunes Berbères et Numides, à la peau sombre et déjà abîmée par le travail et la guerre, alors lui, par contraste saisissant, l’avait très claire, presque comme de la neige, et indemne de toute blessure ou stigmate du fouet, comme si ni le soleil ni la méchanceté des hommes n’avaient de prise sur lui. Même la plante de ses pieds était lisse comme celle d’un damoiseau élevé dans le confort.
Chacun pouvait vérifier visuellement que tout était bien en place : à ce niveau de dépense, personne n’accepterait qu’un testicule soit manquant ou atrophié, ou bien un pénis affublé d’un disgracieux phimosis, sans parler d’une maladie vénérienne. Au début, il a souffert dans sa pudeur. Il a fallu lui attacher les mains derrière le dos pour l’empêcher de masquer ses parties intimes. Peu à peu, il a fini par apprécier cette situation, en constatant qu’il accédait ainsi à une petite célébrité, et alors il a eu les mains libres. Une érection lui venait chaque fois qu’une jolie femme ou une jeune fille s’intéressait à lui, parfois commentait son physique à haute voix, ou bien riait pour cacher son trouble érotique, en obtenant quelquefois l’autorisation de le peloter, sans forcément vouloir l’acheter, comme on manipule un beau fruit sur l’étal juste pour le plaisir, ce qui l’emmenait jusqu’aux portes de l’orgasme sans lui permettre de les franchir. Devant leurs épouses, les hommes se moquaient de la faiblesse de la musculature, ce qui, d’après eux, devrait le rendre inadapté aux travaux durs. Ils étaient surtout jaloux de la jeunesse et du charme, et les dames, qui n’étaient pas dupes de ce discours viriliste, rêvaient pour lui d’un usage beaucoup plus sensuel, tout en mouillant sous leurs jupes, et en regrettant de ne pouvoir s’offrir ce compagnon de luxe.
Le bouche-à-oreille aidant, un petit attroupement a fini par se former, puisque chacune pouvait librement tripoter l’éphèbe qui se laissait faire avec complaisance. Croyant profiter de l’aubaine, le vendeur a fait grimper le prix jusqu’à un niveau démentiel, au point qu’à son grand dam, personne n’achetait. Drusilia et sa mère ne sont pas tombées dans le piège : elles se sont éloignées, pour ne revenir qu’à la fin du marché. L’esclave était toujours disponible, et sa petite cour, envolée. Elles ont marchandé, très durement, en se servant d’arguments comme la petite taille du sexe – pas tant que cela en réalité, mais dénigrer le produit fait partie les ruses du commence. Il a tout entendu et s’en est attristé.
L’innocente Drusilia n’a pas compris pourquoi cet individu s’ingéniait à torturer verbalement son esclave, alors qu’il était sur le point de s’en séparer. Elle en saisira plus tard la raison : il enviait de la beauté du jeune homme.
Drusilia, de par son éducation stricte, savait qu’il n’aurait servi à rien d’insister. Elle venait de comprendre dans quel piège ses parents l’avaient jetée.
Non seulement ses yeux sont restés secs lorsque le fer rouge a gravé l’insigne sur sa poitrine, mais il a même arboré une belle érection, en constatant que la scène provoquait l’excitation sadique de quelques spectatrices. Drusilia l’a récompensé pour son courage d’un tendre et chaste baiser sur le front. Plus tard, lorsqu’elle l’initiera dans le temple de Vénus, elle se souviendra très précisément de cette action et songera à l’instant même de la pénétration : viens à ton tour me brûler de la marque écarlate de ta virilité jusqu’au plus profond de ma féminité ! Grave au creux de mon corps, le symbole de ton être au feu de ta mentule ! Aujourd’hui ce n’est plus moi qui te possède, mais toi qui disposes de mon cœur à ta douce volonté ! Serai-je digne du désir impudique que tu as manifesté dès que tu m’as vue, sur la scène de nos outrages ? Mère était troublée, sa raison chavirait devant ta grâce, je l’ai lu dans son regard, et n’eût été son statut social, elle t’aurait, sans attendre, charnellement consommé sur l’estrade, en public. Elle était une femme libre, elle en aurait été capable.
Drusilia et sa mère sont arrivées à la maison en tenant leur nouvelle acquisition au bout d’une chaîne, pour ne lui fournir un pagne qu’une fois à destination. En chemin, on leur a fait des propositions : elles auraient pu le revendre plus cher. C’était exclu. Question de réputation, de rang à tenir.
À l’invitation de ses parents, l’adolescente a elle-même choisi le nom d’esclave : Cyrta, épicène et rare, parfait pour ce garçon ne ressemblant à personne. Comme il était muet sur son origine, personne n’a su quel était son nom d’avant la servitude. On aurait dit qu’il émergeait de nulle part. Drusilia, à l’imagination comme toujours féconde, a soupçonné qu’il était un demi-dieu, fils d’Apollon ayant fécondé une mortelle rencontrée par hasard, né dans l’ombre et le silence d’une nuit sans lune ni musique, puis tombé sous la coupe d’impitoyables pilleurs d’enfants.
Il a été dévolu à l’entretien général de la demeure. Il s’est toujours montré sérieux, ne rechignant pas devant les tâches pénibles, jamais pris en défaut ni puni pour une quelconque désinvolture. Il n’a pas profité de son charme pour obtenir des faveurs, afin de ne pas se rendre impopulaire auprès des autres domestiques. L’idée d’une évasion ne lui a même pas traversé l’esprit. Il est conscient de sa bonne fortune d’être intégré à une famille où chacun est nourri et traité d’une manière que son époque considère comme correcte, alors qu’il aurait pu tomber sur un maître pervers. Il a toujours aimé obéir à la jeune femme qui l’avait choisi, en espérant une récompense câline, même s’il ne savait pas exactement en quoi cela pourrait consister. Dès le jour de l’acquisition, Drusilia a choisi d’attendre de le découvrir mieux avant de l’initier, et ce jour est enfin venu. En attendant, afin de préserver sa candeur, il a été tenu à l’écart de tous les débordements érotiques de maisonnée.
Sabina entre à son tour dans le temple. Habituée aux frasques de sa maîtresse, elle ne s’étonne pas.
Obéissant, l’esclave continue à pilonner de son mieux. Maintenant que son rêve se réalise, il craint de décevoir son initiatrice par trop peu d’ardeur à l’honorer. Son cœur bat à tout rompre, il a la fièvre, la sueur coule sur son front depuis son crâne rasé, le long de son torse glabre. Il contemple la chair nue, il frissonne, et son sexe redouble de vigueur, de même que ses coups de reins.
La coquine Sabina, après une courte période d’observation, passe derrière lui et, par surprise, glisse un doigt humecté de salive à travers la rosette anale, jusqu’à masser fermement la prostate gorgée de suc, tandis que l’autre main, experte, chatouille les testicules d’un mouvement rapide. Elle lui murmure à l’oreille les propos les plus obscènes qu’il ait jamais entendus. Il ne comprend pas tout, mais ces mots contribuent à son trouble, comme les formules magiques d’une charmante sorcière. Il pense à Circé, la magicienne qui transforme les hommes en cochons avant d’attirer Ulysse dans son lit pendant une année entière. Il veut bien être changé en n’importe quel animal, endosser la laideur d’un porc, si c’est le prix pour faire l’amour encore. Peut-être sa maîtresse possède-t-elle des pouvoirs surnaturels, elle doit être une nymphe immortelle, puisqu’elle communique avec les dieux, puisqu’il vit dans l’idolâtrie de cette fille depuis qu’il habite là. Sabina lui ordonne de se retenir le plus longtemps possible, mais, comme ce geste est irrésistible, il se sent emporté par les eaux brûlantes d’un fleuve en crue, ses jambes flageolent, il s’abandonne faute de pouvoir garder le moindre contrôle sur son corps, il s’épanche à flots dans la gaine féminine, en plusieurs longs jets. Jamais, en se masturbant, il n’avait lâché une telle quantité de semence – il faut dire que, les jours précédents, il s’est abstenu de se toucher, à cause de l’intuition que « quelque chose » allait se passer. Il se montre si prolifique que le vagin déborde en longues lignes blanches sur les cuisses et jusque sur l’autel. Drusilia accueille la décharge par des contractions qui le maintiennent, quelques instants, prisonnier, surpris de ne pouvoir se dégager. Même dans ses fantasmes les plus épicés, seul sur sa paillasse en train de se pétrir le vit, il n’a jamais osé espérer ce moment. Il trouve le destin bien moqueur de lui offrir cette réalisation le jour même où tout s’écroule autour de lui.
Sabina relève furtivement un pan de sa tunique. Drusilia remarque que son amie porte le poignard sur sa cuisse, et acquiesce, d’un discret signe de la tête, à cette attention fidèle.
À l’extérieur, les combats gagnent encore en intensité. Dans les rues, c’est le sauve-qui-peut. Le sol tremble sous le poids des pierres que propulsent sans répit les catapultes. Un projectile incendiaire vient de toucher les écuries familiales. Il serait vain de vouloir éteindre le feu, alors que l’eau manque. Il faut d’urgence ouvrir les portes, libérer les chevaux, sous peine de les voir brûler vifs. Terrorisés, incontrôlables, ils s’enfuient en galopant au hasard dans les rues de la ville. Ils seront à qui les attrapera par la bride et saura les calmer. Puis, soudain, la ville se tait, un silence de mort s’étend. Chacun comprend que l’assaut final se prépare.
Malgré ces troubles, les convives affluent, comment s’ils émergeaient de la terre : tous les amis de Drusilia, la jeunesse dorée de Rome, et aussi des connaissances plus âgées de sa famille, tout un peuple de nantis ou plutôt d’ex-nantis parfois plongés dans une récente misère, tant les affaires sont malmenées. Mais qu’importe : si l’eau est rare, le vin ne l’est pas, surtout celui longuement mûri dans des fûts de plomb et qu’adore l’aristocratie de la cité. Son goût doucereux rend fou, cela est bien connu. Vivre la déliquescence d’un empire est de toute manière une folie.
Le soleil s’est couché sur Rome. Pensive, Drusilia regarde par la lucarne. Elle songe que Sardanapale, ce roi si féminin, a au moins eu le courage de tout brûler, de tout massacrer, d’égorger ses eunuques et ses concubines dans une apothéose de sang, pour ne rien laisser d’intact à ses envahisseurs. Elle envie son courage, mais ne se sent pas la force de l’imiter. Elle éprouve de la pitié, non pas pour elle-même, mais pour ses convives qui seront bientôt plongés dans l’obscurité la plus profonde que le monde ait connue depuis Romulus et Remus.
L’impératrice Marcia Euphemia arrive à ton tour, sans escorte, le visage dissimulé sous une longue cape noire. Elle vient seule, car son époux n’a pas osé quitter sa cachette. Elle, par contre, se moque des risques qu’elle prend, maintenant qu’elle sait que ses enfants sont en sécurité. Elle veut frémir, profiter de sa dernière bacchanale, exulter avec son corps et qu’importe la suite ! Drusilia l’accueille chaleureusement, l’embrasse sur les lèvres. Les deux femmes se connaissent bien, malgré une vingtaine d’années de différence d’âge. Elles font partie du même monde. Les langues se mélangent, sortent, entrent dans les bouches, se frottent l’une sur l’autre, les mains se font baladeuses sur les cuisses et les fesses. La robuste Drusilia soulève Marica et le duo tourne sur lui-même, de plus en plus vite, jusqu’à l’essoufflement dans un éclat de rire.
Elle ferme les yeux pour revivre le songe qui lui procure tant d’excitation que les tétons dardent visiblement sous la fine robe de soie.
Le garçon rougit du compliment. Il est surtout abasourdi de se retrouver en face à la souveraine, la femme sensée se trouver au sommet de l’empire, alors que lui, l’esclave, est le dernier des derniers dans la pyramide sociale, sans même un pagne pour masquer sa nudité ! Il ne se sent pas digne de se tenir debout devant elle. Ne sachant que faire, dans un élan d’humilité, il se jette aux pieds de Marcia et bécote les orteils sous les sandales de cuir. L’impératrice admire le dos et les fesses exposées de son adorateur, puis retire d’un geste sa robe sous laquelle elle ne porte rien d’autre que ses parfums altiers.
Le festin commence. Les serviteurs apportent des plateaux chargés de friandises savamment préparées avec les dernières provisions alimentaires dont la maison dispose. Les vêtements s’envolent, révélant des corps bien propres, des torses et des pubis rasés de près, des ongles vernis avec soin, malgré les difficultés du siège, car s’il faut mourir massacré par la soldatesque, autant que ce soit avec élégance, quitte à consommer pour la toilette la dernière goutte d’eau disponible. Les aèdes entament leurs chants épiques que personne n’écoute, accompagnés de musiciens aux lyres, cithares et tambourins, bientôt couverts par les râles de luxure et les cris orgasmiques poussés sans retenue. Les convives ont faim de nourriture pour leur ventre et aussi pour leur sexe, les femmes à l’égal des hommes. Ils ont besoin de s’étourdir de plaisirs afin d’oublier l’horreur de leur monde qui s’écroule. Partout dans le temple règne le dévergondage le plus complet. Les orgies organisées par Drusilia après la mort de ses parents ont déjà la réputation d’être les plus dépravées de tout Rome. Celle qui s’annonce promet d’aller encore plus loin dans le vertige sybarite, sous l’égide de Vénus, dont la statue surplombe les bacchants.
Le jeune Cyrta, après avoir conduit l’impératrice à la jouissance au moyen de sa langue, n’est pas le dernier à profiter de l’orgie : Sabina le sodomise joyeusement avec son gode-ceinture, tandis qu’une dame mature, aux seins tombants et au maquillage excessif, lui offre une profonde fellation au cours de laquelle il répand sa semence dans la bouche, et alors que cette matrone se fait elle-même prendre en levrette, entre les lunes blanches de son cul rebondi, par un jeune homme qui l’attrape par les hanches et auquel une fille lèche les bourses, et ainsi de suite.
Minuit venu, Drusilia s’allonge sur l’autel, sur le dos, vêtue de ses seuls bijoux. Les voix s’éteignent. Elle se trouve au centre de tous les regards. À son amie fidèle, elle a demandé le poignard, elle le tient dans sa main, car, après avoir croisé le regard de Vénus, après l’avoir suppliée de lui insuffler de la force, elle se sent prête à s’ôter la vie elle-même, sans aide. Cela lui semble plus honorable. Personne ne tente de la dissuader. Elle s’interdit de penser pour ne pas échouer dans son projet mortel, regardant seulement la lame briller au feu ardent de la vasque. Elle étend son bras. Voilà, c’est presque fini. Elle ne regrette rien. Sabina se dit qu’elle la rejoindra ensuite. Elle en fait part, à voix basse, à Cyrta qui lui confie vouloir également en finir de cette manière. Ils se rejoignent à trois sur la surface blanche de l’autel, enlacés nus, amoureusement, formant un tableau aussi érotique que tragique. Il est convenu qu’à son apothéose, cette orgie sera de sang, que les barbares ne les captureront pas vivants.
Un homme âgé s’approche de la table sacrée. Il se fait masturber à pleine main par son épouse, puis il éjacule sur les orteils de Drusilia. Le couple est coutumier de cette pratique ; ils n’en sont pas à leur premier suicide. Ils sont nus, debout, serrés tendrement l’un contre l’autre. Le vieux regrette seulement s’être épanché trop tôt, alors qu’il aurait voulu que ce soit juste au moment où la lame entrerait dans le cœur encore palpitant. L’orgasme qu’il en a éprouvé n’en était pas moins superlatif, à telle enseigne que c’est lui qui succombe brutalement, par épectase, l’organe cardiaque épuisé de trop d’émotions. Son épouse, qui est bien plus jeune que lui, après avoir vérifié qu’elle ne peut plus rien pour lui, lape les gouttes de sperme sur les pieds de la jeune femme, comme habituellement.
Celle-ci, loin de s’en offusquer, proclame à ses invités une exigence, sous peine de malédiction : ils sont tenus, après sa mort, de s’exciter sur son corps refroidi. Sabina et Cyrta expriment la même demande. Il faudra que la fête continue dans la démence, comme un point d’orgue à la décadence. Chacun sait qu’il devra obéir. Plus encore, chacun et chacune envisage de plus en plus sérieusement d’imiter le trio. Alors, le poignard servira encore et encore, car personne ne veut affronter le pillage, qui signifie tout perdre, jusqu’à la propriété de sa propre existence. Personne, sauf l’impératrice qui veut vivre encore afin de s’offrir à de nouveaux maîtres, écarter ses cuisses pour eux, les hommes et aussi leurs femmes, connaître le feu du fouet sur son dos, les punitions érotiques, exaucer tous leurs fantasmes qui sont surtout les siens, enfin, se rebeller puis se rendre, car elle n’a pas renoncé à son rêve insane de crucifixion.
Drusilia lève les yeux et cherche le regard de sa déesse. Ô Vénus, parle-moi, désires-tu vraiment notre sacrifice pour ta gloire éternelle ? Le mutisme de la divinité la déstabilise. Son bras tremble. Elle n’est plus sûre de rien et craint que son initiative se termine dans le déshonneur.
Soudain, des soldats suèves, de rudes gaillards issus d’un territoire correspondant au nord-est de l’actuelle Allemagne, font irruption dans le temple. Dès qu’il voit l’enjeu de la situation, un officier se précipite vers Drusilia pour lui arracher le poignard des mains, avant de lui lier les poignets derrière le dos avec une corde grossièrement tressée.
Le ton est sévère, mais pas brutal, comme un père sermonne sa fille après que celle-ci a fait une grosse bêtise. L’homme n’est plus tout jeune. Il est beaucoup plus grand que la plupart des Romains. Ses bras nus aux muscles secs sont couverts de tatouages mêlés de cicatrices, avec des bracelets de bronze gravés de symboles étranges. Ses yeux sont bleu azur et il s’exprime dans un latin à l’accent aussi rugueux que sa corde. Dans le temple, chacun perçoit que ce n’est pas sa langue maternelle, mais qu’il dispose d’autorité et qu’il vaut mieux lui obéir. Il faut se rhabiller en toute hâte, un peu honteux d’avoir été surpris en tenue aussi peu digne. La fête est finie. Les armes pointées vers eux les privent de toute possibilité de fuite. Il suffirait d’une minuscule provocation pour que tout le monde soit aussitôt massacré.
Les soudards acquiescent un poussant un hourra commun. Chacun choisit l’esclave qu’il pourra emmener, un seul pour ne pas trop compliquer la logistique. Entre les jouvencelles et les gracieux éphèbes, ils n’ont que l’embarras du choix. Cependant, une dispute éclate pour prendre possession de Sabina, la plus belle de toutes. Elle est blessée dans la bagarre. On finit par trouver un accord. Il reste du vin avec lequel les vainqueurs, assoiffés par la bataille, se réconcilient en s’enivrant.
Arioviste, ainsi les hommes appellent-ils leur chef, regarde autour de lui. Partout, le sol, les murs, le mobilier sont maculés de sperme et de nourriture gaspillée. L’officier se met soudain en colère. Il se souvient d’avoir croisé tant d’affamés dans les rues de la cité ! Il tire son glaive du fourreau et décapite d’un seul coup la statue de Vénus, dont la tête qui roule sur le sol, jusqu’à renverser la vasque, ce qui répand l’huile et provoque un début d’incendie. Lame tournée vers le ciel de la nuit, il ordonne à voix forte de détruire toutes ces idoles païennes qui font offense à la vraie foi. Il ajoute : que la musique continue ! Alors les musiciens retournent à leurs instruments.
Les soldats exaltés le mélange d’alcool et de fureur de la bataille se mettent à saccager non seulement les objets religieux du temple et de toute la maisonnée, mais aussi toutes les œuvres d’art, pourtant nombreuses et qui auraient pu les rendre riches s’ils les avaient emportées avec eux. Enragés, ils fracassent les meubles à l’aide de leurs armes, déchirent les tentures, percent les tapis, démolissent jusqu’aux mosaïques qui décorent le sol, tout ce luxe qui leur a toujours été refusé. Ils ne savaient même pas que tant de raffinement pouvait exister. Drusilia a le cœur brisé par la destruction de sa déesse, mais elle ne peut résister à cette fièvre qui emporte tout. Elle comprend que son monde a déjà basculé. Elle regarde par la fenêtre et voit Rome qui n’en finit pas de brûler. À l’image de sa vie, ses monuments ne sont plus que cendres.
Vient ensuite le moment où, s’il ne reste plus rien à casser, demeurent les femmes. Alors les braies tombent, révélant des phallus durs comme pierre, car ces hommes sont épuisés de frustration pour n’avoir pas touché de corps féminin depuis tant de mois, voire d’années. Drusilia s’avance vers eux, malgré ses mains liées, après avoir fait signe à Sabina et Cyrta de l’accompagner, ainsi que toutes celles qui le veulent, notamment l’impératrice. Il n’est pas dit que des viols auront lieu chez elle, de sorte qu’il faut satisfaire ces nouveaux convives, quand bien même la fête, qui finalement n’est pas finie, prend des allures de cauchemar.
Seule au milieu des flammes, la tête tranchée de la statue de Vénus regarde la scène en maudissant, d’un discret mouvement des lèvres, l’imprécateur qui a osé porter atteinte à son intégrité tout en blasphémant.
Au matin, la cachette d’Anthémius est découverte : l’église de Sainte-Marie du Trastavere, où il était effectivement déguisé en mendiant. Ricimer n’a que faire de cet encombrant prisonnier sans aucune valeur et dont la tête est rapidement tranchée. L’Empire d’Occident pourrait ne plus avoir d’empereur. Cependant, Ricimer a déjà couronné un nouveau fantoche qui s’appelle, ne riez pas, Olybrius. Mais celui-ci vivra seulement jusqu’à l’automne avant de succomber, pour une fois, de façon naturelle.
Marcia est capturée, elle aussi, comme esclave, sans faire état de son rang 5. Les captifs sont une vingtaine, tous jeunes ; les autres ont été priés de rentrer chez eux. Ils quittent définitivement la demeure jonchée de débris, marchant silencieusement l’un derrière l’autre, attachés entre eux par une longue chaîne, dans la brume de l’aurore estivale. Sabina boite, à cause de son entaille à la cuisse qui saigne encore. Cyrta, conformément à sa promesse, a refusé d’enfiler un pagne : il est toujours nu. Drusilia n’en revient pas d’être encore vivante. Elle se doute que la vie ne lui fera plus de cadeaux, mais elle accepte avec panache le sort que les dieux étranges dans leurs choix lui ont préparé, en refusant son holocauste personnel. Elle ignore encore que son ventre couve un petit être que Cyrta a fécondé en elle… décidément, la vie est une aventure malicieuse, même au cœur des ténèbres.
En marchant, elle s’aperçoit qu’Arioviste la regarde avec les yeux du désir. Il semble clair qu’il a de moins en moins envie de s’en séparer, même contre une fortune. Pour Drusilia, qui pourtant le déteste, c’est sa dernière chance d’échapper à l’esclavage. Pour autant, elle est résolue à ne pas abandonner Sabina et Cyrta, ses amours, ses fidèles compagnons d’infortune. Il va lui falloir faire preuve de beaucoup de ruse pour s’en sortir.
Le triomphe de Ricimer est de courte durée : le 18 août, il meurt d’une hémorragie, puis est remplacé à la tête de l’armée par son neveu Gondebaud. À ce moment-là, le millénaire Empire romain, dans sa partie occidentale, ne dispose plus que de quatre années d’extrême décrépitude avant de disparaître définitivement, lorsque le germanique Odoacre déposera le dernier des empereurs, un adolescent de quatorze ans nommé Romulus Augustule.
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1. ↑ Cette expression est certes un anachronisme, puisqu’en langue française, elle date du XIXe siècle, afin de signifier : marché conclu. Cependant, vous vous demandez peut-être dans quoi les bouchers emballaient-ils leurs produits, alors qu’il n’y avait ni sacs en plastique ni papier journal ? Ils utilisaient principalement des feuilles végétales, comme celles de la vigne. Parfois, des linges, ou bien des petits paniers en osier.
2. ↑ Un solidus (pluriel solidi) est une pièce d’or, réservée pour les transactions importantes, utilisée comme monnaie à partir du début du IVe siècle. Elle contient 4, 5g d’or fin. Source : https : //fr. wikipedia. org/wiki/Solidus_ (monnaie)
3. ↑ Philicrotos = ami du bruit
4. ↑ L’empereur Constantin a interdit la crucifixion en 337. Ce supplice a néanmoins continué à exister d’une manière illégale, pour ne disparaître que progressivement.
5. ↑ L’Histoire n’a pas retenu le sort de l’impératrice Marcia Euphemia après la prise de Rome, en 472.