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Temps de lecture estimé : 7 mn
01/12/24
Résumé:  Le soir de Noël, un homme désabusé participe à un rituel mystérieux qui pourrait bien transformer sa vision du monde.
Critères:  #fantastique #conte #personnages ffh froid hsoumis fdomine cérébral
Auteur : L'artiste  (L’artiste)      Envoi mini-message

Projet de groupe : Noëlies
La Nuit des Âmes Perdues

Noël. L’époque de l’année où tout le monde sombre dans une frénésie absurde. Les rues débordent de décorations, les magasins résonnent de chants sirupeux, et les gens perpétuent des traditions sans âme, par habitude. Sourires forcés, repas excessifs, cadeaux inutiles. Le pire, c’est cette vacuité partout étalée. De la sincérité ? Combien de ceux qui semblaient m’aimer m’ont trahi, m’entourant de sourires faux et de promesses creuses ?


Une fête en éloge à la duplicité, je la laisse aux autres : pas de sapin ni de festin en famille ou entre amis, juste moi, un verre de whisky et un vieux film. À quoi bon, si les émotions s’avèrent aussi factices que les guirlandes accrochées aux balcons ? Pourtant, une lettre anonyme m’est parvenue :


Venez célébrer le véritable Noël. Nous vous attendons.


J’ai failli la jeter, mais par curiosité, ou ennui, je l’ai gardée. Au fond, peut-être est-ce ce sentiment d’irrépressible lassitude qui m’a poussé à prendre la route, ce soir du 24 décembre. Me voici donc à rouler dans une campagne déserte, guidé par un croquis griffonné. Le GPS n’affiche rien, et plus je m’enfonce dans cette forêt enneigée, plus je doute.


En sortant de la voiture, l’air glacial me saisit. Un calme profond, pesant. Une maison vierge de décoration, aucune de ces parures qui ornent habituellement en cette époque les habitations. Ce silence, je le connais bien, il reflète mon propre monde intérieur. En poussant la porte massive, une douceur m’enveloppe. Personne pour m’accueillir. Pourtant, des manteaux sont accrochés et des bottes humides sont posées près de l’entrée. Je regrette presque de m’être laissé convaincre, mais il est trop tard pour reculer. Je m’annonce, personne ne me répond.


Un escalier se dresse devant moi. En haut, une lumière vacillante et des voix en sourdines attirent mon attention. Un salon décoré à l’ancienne éclairé par des bougies m’attend ; une dizaine de personnes sont installées autour d’une grande table en bois.



Elle porte une longue robe de lin, simple, mais solennelle, et sur sa tête repose une couronne de fleurs blanches. Elle me désigne une chaise près de l’âtre, je m’y assieds plus par automatisme que par volonté. Les autres personnes présentes m’observent froidement, leurs visages sont pâles et sibyllins. Une étrange aura les entoure. Sans âge, vêtus d’habits semblables, l’on dirait des druides ou des mages d’une époque révolue depuis des siècles.


Un homme au crâne rasé prend la parole.



La femme à la couronne sourit, et poursuit.



Où suis-je donc tombé ? Une secte ? D’où sortent encore ces hurluberlus ? Quoi qu’il en soit, rien de vraiment sécurisant. Elle s’approche, pose une main légère sur mon épaule, sa chaleur traverse le tissu de ma chemise et un frisson incontrôlable me parcourt.



Ses doigts glissent lentement sur mon bras. Elle se penche, son souffle caresse ma nuque. J’éprouve une étrange sensation, c’est agréable, presque envoûtant.



Compassion ? Amour ? Ces mots me paraissent vides, comme tout le reste. Depuis quand sont-ils autre chose qu’une fiction commerciale ? Pourtant, l’impression de sa respiration laissée sur mon épiderme demeure, et, contre toute attente, une chaleur inattendue grandit dans ma poitrine.


Une autre femme, à la peau d’albâtre et aux longs cheveux blonds, vient s’asseoir à mes côtés. Elle ne dit rien, mais sa main se pose sur ma cuisse. Une sensation enivrante qui bizarrement me transcende. J’ai construit jusqu’ici un mur de solitude qui, à cet instant, commence à s’effriter. Ce geste pourtant presque anodin semble faire renaître quelque chose d’enfoui, je frémis.



Ses doigts continuent leur ascension, d’abord doucement. Je me raidis. Puis sa bouche se pose dans le creux de mon épaule, ses dents mordillent mes chairs. Je devrais fuir, mais une partie de moi réclame ce contact, cette présence. Un désir que j’avais enterré refait surface et je me surprends à apprécier plus fort encore. Malgré mon malaise grandissant, je me laisse faire, et perds peu à peu mes repères.



Les autres ne paraissent pas prêter attention à la scène qui se déroule devant eux. Cette indifférence me déconcerte. Pourquoi ne réagissent-ils pas ?


Un soupir de satisfaction m’échappe alors que la main de ma voisine devient plus audacieuse. Étrangement, la température, douce jusqu’à présent, chute considérablement. Un souffle glacial, surgi de nulle part, m’enveloppe. Je grelotte en sentant cette énergie sur ma peau. Je devrais m’insurger, résister, stopper cette folie, mais n’en ai plus la force. La salle, ses occupants, les bougies, les caresses… tout semble se fondre dans un rythme lent et hypnotique. Cela fait si longtemps que je me suis interdit de me connecter aux autres que c’est pour moi un renouveau. Mon cœur bat plus vite, entre l’excitation brûlante et la peur croissante. Je ressens comme un début de tournis.



La pression de ses doigts sur ma verge s’accentue, puis ses lèvres prennent la relève. Le plaisir monte. Je me sens tel un animal sauvage enfermé depuis trop longtemps enfin libéré. Enivré, je ferme les yeux. La douceur de sa bouche, son parfum, tout me semble vivant, plus intense que jamais, mais, quand je les rouvre, le monde autour de moi vacille.


Les autres se sont levés, formant un cercle autour de nous. Leurs visages sont effacés, flous. Leurs murmures m’enveloppent, des incantations chuchotées dans une langue inconnue. L’air vibre, ma tête tourne, ces sensations sont ponctuées d’un désir brûlant, mon corps tout entier réclame cet abandon.


La druidesse aux cheveux bruns avance vers moi, ses yeux pénétrants capturent mon regard. Elle glisse sa robe de lin le long de ses épaules, la laissant tomber en un mouvement lent et sensuel à ses pieds. Elle est parfaite, une beauté presque surnaturelle, une vision ensorcelante qui m’ébahit.



Les corps nus des deux femmes se pressent contre le mien, mais leur peau devient soudain insaisissable. Leurs contours se brouillent. Chaque caresse glisse sur moi sans jamais vraiment me toucher. Un sein, un pied, une oreille… tout se dissout. Un sexe, un nombril, des lèvres… tout s’éparpille. Froid, chaud, douceur et douleur… tout se mélange dans un tourbillon vertigineux. Rien n’est établi, rien n’est réel. Il ne reste qu’elles, ce désir qui m’enveloppe et l’envie maintenant irraisonnée, puissante, irrépressible de me laisser engloutir.


Le cercle de druides murmure toujours, les voix se font plus graves, plus profondes. Elles se propagent autour de moi, résonnent à l’unisson avec mes pensées. L’ivresse s’accentue. La pièce se déforme. Les murs s’allongent, se distordent. Je cligne des yeux, mais ne distingue plus rien clairement. Les bougies vacillent, leurs flammes courbées par un vent invisible. Je veux me concentrer, fixer un point stable, mais tout fluctue, tout bouge. Le sol oscille sous mes pieds, même les murmures se fondent en une mélodie entêtante qui paraît provenir de l’intérieur de ma tête.


Je bascule. Combien de temps s’est-il écoulé ? Une seconde, une éternité ? Plus rien n’a de sens. Je suis suspendu quelque part entre deux mondes. Un dernier souffle, et je sombre dans le néant.




**************




Je me réveille brusquement, désorienté, et balaie du regard ce qui m’entoure. Où sont-ils passés ? La neige a cessé de tomber et un soleil éclatant traverse les fenêtres.


Les souvenirs de la veille me reviennent en bribes. Les visages, les mains, les baisers, les sons… tout semble confus. Ai-je rêvé ? La réalité reste fuyante.


Je me rhabille lentement et sors. Le silence de la campagne m’apaise. Les odeurs environnantes et le froid me paraissent plus vifs qu’à l’ordinaire ; tous mes sens sont en éveil, étrangement acérés. En montant dans ma voiture, une couronne de fleurs aux pétales blancs est posée en évidence sur le siège. Mon cœur s’emballe. Je me retourne pour jeter un dernier coup d’œil à la maison. Elle a disparu. À sa place, un sapin gigantesque, décoré et scintillant de mille feux.


Soudain, tout s’éclaire. Le passage dont me parlaient mes hôtes m’a connecté à quelque chose de plus universel. Noël n’est pas seulement une fête ; c’est aussi une coutume qui puise ses racines dans une histoire bien plus ancienne, où la complicité, l’amour et l’altruisme triomphent de l’égoïsme, de l’indifférence et de la cupidité. Ce que j’ai vécu ici est une réconciliation avec cette vérité que j’avais oubliée, noyée dans le cynisme et le rejet des traditions.


Je me sens apaisé. Je comprends que la magie réside dans la connexion que mon propre dépit avait étouffée.


Désormais, Noël ne sera pour moi jamais plus le même.