n° 22826 | Fiche technique | 10044 caractères | 10044 1752 Temps de lecture estimé : 8 mn |
16/12/24 |
Résumé: Être plombier, ça présente d’indéniables avantages, notamment en nature. Mais, heureusement, ce n’est pas le seul métier à risque… | ||||
Critères: #recueil #chronique #humour #travail fh fplusag inconnu collègues travail cérébral | ||||
Auteur : Coutumier du Fait Envoi mini-message |
La semaine dernière, Fanette, la rédactrice la plus venimeuse du très subversif mensuel Novö1, m’a téléphoné pour me confier la responsabilité de noircir quelques feuilles de papier. L’objectif était de faire du texte pour le numéro 0 d’un autre mensuel sournoisement comploté par une équipe dissidente de ce même Novö.
Présenté comme ça, c’était plutôt séduisant. En fait, si on avait une liberté totale pour y aller au lance-flammes sur la connerie ordinaire, la frénésie wokiste, et plus généralement tout ce qui nous engluait le quotidien, ça pouvait même devenir ludique.
Un test !? Pour le coup, je me suis revu sur les bancs de l’école : « À remettre ce vendredi, dissertation sur… » Le sujet proposé était inexorablement d’une nullité sphérique2. Je me souviens, avec une petite larme de nostalgie, qu’à cette époque j’éprouvais une satisfaction toute particulière quand, fruit de ma résistance à l’oppression, j’obtenais un superbe zéro triplement souligné de rouge.
***
Bon, faut pas rêver. Dans la vie, il y a toujours des moments où on est plus ou moins amené à exercer le plus vieux métier du monde. (Oui, j’aurais aussi pu écrire « amené à faire la pute », mais je suis parfois victime de pudeurs inexplicables.)
Donc allons-y.
C’est parti.
Voilà.
Une nouvelle sur les secrétaires, du point de vue d’un coursier…
Pour être franc, ça ne m’inspire pas grand-chose. Et pour être encore plus franc, ça m’inspire tellement rien que ça pourrait servir pour illustrer la notion de néant. Dans un cas pareil, c’est-à-dire quand tu es devant une page blanche et que tu es comme sœur Anne, tu n’as plus qu’un seul moyen pour t’en sortir : la technique.
Alors, d’abord, dans une nouvelle, faut une intro, et de préférence une intro qui plonge tout de suite dans le vif du sujet, quitte à revenir un peu plus tard sur les généralités pour situer l’action dans un contexte plus large. Une journée de coursier, ça pourrait commencer par :
La journée était mal barrée.
Saisissant, non ? Après, évidemment, il faut expliquer pourquoi ça partait mal.
Non pas à cause d’une légère gueule de bois qui me taraudait un peu la tronche, mais à cause de la météo. Il tombait une pluie fine qui menaçait de durer jusqu’au soir tant le ciel était gris à perte de vue. Non, il ne faisait vraiment pas un temps à mettre un coursier dehors.
Ici, tu décris grosso modo en quoi consiste le métier de coursier.
Oui, j’étais coursier. C’est clair, pour mon épanouissement intellectuel et la tranquillité de mon métabolisme, j’aurais certainement pu trouver mieux que ça. Me trimballer des plis et des paquets en bécane d’un point à un autre de Paris, et ce, en slalomant comme un malade entre les bagnoles, à l’évidence, ce n’était pas le plus court chemin entre le prix Nobel de littérature et moi. Mais bon, comme j’étais payé à la course et que je roulais vraiment comme un dingue, le salaire était plus que correct pour un boulot aussi naze. Et puis il fallait bien que je remplisse mon frigo d’une façon ou d’une autre.
Maintenant tu peux introduire le thème : les secrétaires.
Je bossais dans un univers presque exclusivement féminin. Secrétaires, hôtesses d’accueil… Dans une journée de boulot, des nanas, j’en rencontrais à peu près une trentaine. Bien sûr, il y avait les pouffes prétentieuses, les faux derches et les vraies connes – il paraît qu’il faut de tout pour faire un monde –, mais, et heureusement, il y avait aussi les autres, celles qui étaient sympas et souriantes4.
J’admets. Tel que je viens de l’écrire, le paragraphe précédent est un peu brut de décoffrage. Mais ça te donne l’idée générale. Après, tu peux toujours refaire la déco et meubler comme tu le sens, hein ?
À ce stade de la nouvelle, quand tu as fini de brosser les banalités introductives, tu peux émailler ton texte de quelques anecdotes plus ou moins croustillantes. Dans ce domaine, évite le tout-venant, ça n’intéressera pas tes lecteurs. Le mieux, c’est de chahuter un peu l’hypocrisie des conventions sociales. Mais un tout petit peu seulement. Remarque, ça, c’est surtout une question de choix personnel. Si tu tiens absolument à t’épanouir dans la débauche et la provoc porno, personne ne t’en empêche.
Là, par exemple, pour rester léger, il pourrait être intéressant de raconter la scène de drague d’une secrétaire qui navigue autour de la cinquantaine alors que, toi, tu as eu vingt-deux ans avant-hier. Tu vois, quand je dis « léger », je ne me vautre pas dans l’euphémisme, hein ? C’est vraiment léger. Même si le texte tombait dans les mains d’un lecteur dont les mœurs sont conditionnées par la rectitude d’un manche à balai, il y aurait à peine de quoi lui chatouiller la sensibilité.
C’était un matin, de bonne heure. Je me trouvais à l’accueil d’une entreprise dans une des monstrueuses tours de la Défense. J’attendais que quelqu’un, dans les bureaux, daigne se bouger les miches pour m’apporter le pli que j’étais venu chercher.
Assise à côté d’un magnifique bouquet de glaïeuls multicolore, l’hôtesse pouvait avoir dans les quarante-cinq ans. Elle était belle. Elle me rappelait Annette Bening dans le film Mars Attacks. Comme je n’avais rien d’autre à foutre et que je n’étais pas encore bien réveillé, machinalement, je me suis mis à la regarder. Au bout d’un moment, elle s’en est rendu compte.
- — Oui ? Vous avez besoin de quelque chose ? m’a-t-elle demandé sur un ton pas trop engageant.
Sa question m’a torpillé la léthargie. J’étais paisiblement en train de me laisser flotter sur des rêvasseries plus ou moins érotiques – plutôt plus que moins, d’ailleurs. Du coup, le temps de me remettre les idées en ligne, j’ai eu comme un petit passage à vide. Mais j’ai vite repris le dessus et je lui ai fait un grand sourire.
- — Non, rien. Merci.
- — Alors pourquoi est-ce que vous me regardez comme ça ?
- — C’est à cause du bouquet de glaïeuls.
- — Et qu’est-ce qu’il a, ce bouquet ?
- — Je trouve qu’il vous va bien.
Je ne mentais pas. Elle était tellement craquante qu’il y avait comme une harmonie presque palpable entre elle et les fleurs. N’empêche qu’elle aurait très bien pu ne pas apprécier ce que je venais de lui dire et m’exposer son point de vue sur un ton encore moins aimable que pas aimable du tout. Tant pis. Avec une nana, ça passe ou ça casse, et ma politique en la matière était simplissime : carpe diem. Je préférais me prendre un râteau dans les gencives tout de suite que de regretter plus tard de n’avoir rien tenté. C’est chiant, les regrets.
Elle s’est radoucie.
- — C’est gentil ce que vous dites… Ah ! si j’avais vingt ans de moins ! a-t-elle conclu en plaisantant.
Je n’ai jamais su si elle l’avait fait exprès ou pas, mais elle venait de me tendre une de ces perches !
- — Si vous aviez vingt ans de moins, vous seriez plus jeune, mais vous n’auriez pas plus de charme.
Répartie classique, mais efficace. À voir l’expression de son visage, je savais que, si je ne me prenais pas les pieds dans le tapis, j’allais pouvoir la cueillir en douceur. En fait, il m’a suffi de lui dire ce qu’elle avait envie d’entendre pour balayer ses dernières réticences.
Quoi ? Emballer une nana de quarante-cinq piges quand tu en as vingt-deux, ce n’est pas non plus une prouesse extraordinaire, hein ? Je n’irai pas jusqu’à prétendre que ça tombait comme à Gravelotte, mais, en ayant un peu de baratin et en étant gonflé, le retour sur investissement n’était pas si mauvais que ça.
Pour raconter le cinq à sept avec ta belle hôtesse, tu truffes le texte d’allusions scabreuses baignant dans une atmosphère de tendresse printanière. Si tu parviens à bien doser le contraste et à lier le tout avec un peu d’humour, la description du plan cul peut être très plaisante à lire.
Et puis tu en arrives à la conclusion. C’est important la conclusion dans une nouvelle. Il en faut une qui soit amusante, ou qui choque, ou qui surprenne, ou un peu tout ça en même temps. Avec un sujet pareil, ça ne va pas être facile. Disons que tu pourrais conclure sur quelque chose comme :
Pour fantasmer sur une trentaine de nanas tous les jours, il faut quand même avoir une certaine appétence, non ?
Je suis d’accord, cette chute est d’une nullité affligeante. Mais ce n’est qu’un exemple.
Bon, j’arrête le massacre, j’ai déjà carbonisé le cadre des six feuillets imposés. Finalement, c’est vrai, en développant et en peaufinant, ça pourrait presque faire une histoire potable.
(Qu’est-ce que t’en penses, Fanette ? J’ai tout bon pour le test ?)
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Notes
1. ↑ Mensuel qui a eu une durée de vie très brève et dont tu te doutes bien que Novö n’est pas le vrai nom.
2. ↑ Nullité sphérique : quel que soit l’angle d’approche, c’est toujours aussi nul.
3. ↑ Dans le monde des journalistes, un feuillet, c’est 1500 signes typographiques (espaces comprises).
4. ↑ Je me souviens de l’une d’elles en particulier. Elle s’appelait Muriel et elle était secrétaire chez Interfleurette à Levallois. À chaque fois qu’il m’arrive d’y repenser, j’ai la désagréable certitude d’être passé à côté de quelque chose. Je crois que j’avais vraiment envie de l’aimer.
2024, Coutumier du Fait