n° 22833 | Fiche technique | 29104 caractères | 29104 4955 Temps de lecture estimé : 20 mn |
19/12/24 |
Résumé: Elian trépignait d’impatience, il devait contenir la joie qui l’étreignait, et il se surprit à vouloir que le TGV se décide enfin à prendre sa vitesse maximum. | ||||
Critères: danser amour cérébral revede nonéro | ||||
Auteur : Melle Mélina Envoi mini-message |
Projet de groupe : Noëlies |
Elian trépignait d’impatience, il devait contenir la joie qui l’étreignait, et il se surprit à vouloir que le TGV se décide enfin à prendre sa vitesse maximum. Les kilomètres défilaient, mais pas assez vite pour son cœur qui s’emballait. Il s’était pourtant promis de ne plus revenir ; le Nord, il l’avait déserté, il avait quitté sa ville natale, il avait haï jusqu’à son nom : « Dunkerque ». Ce nom flamand sonnait comme un gros mot. L’église des dunes, plutôt l’église dans le gris, avec un ciel si bas qu’un canal s’est pendu.
Il y a déjà vingt ans !
Il y a déjà un mois, il reçut une invitation de Aïtana à passer la semaine de Noël avec elle. Voilà vingt ans qu’ils ne s’étaient plus vus et ils avaient repris contact timidement via les réseaux sociaux. Aïtana, sa meilleure amie ? Il se posait la question, avait-elle été sa meilleure amie ou était-elle son âme sœur ?
Ils s’étaient rencontrés comme voisins dans leur résidence étudiante « Pont de Bois » à Villeneuve-d’Ascq. Elle étudiait le droit et lui l’anglais. Ils s’étaient tout de suite plu, une complicité naturelle, comme s’ils se connaissaient depuis toujours, les avait soudés.
Cependant, si ces deux-là s’aimaient tendrement, il semblerait qu’aucune autre idée ne les effleura. Il ne la trouvait pas spécialement belle, quoiqu’elle le fût selon les standards que l’on attribue généralement à la beauté, et elle le considérait comme son frère. Leur connexion ne semblait pas être érotisée.
Bien qu’elle fût en couple avec Damien, elle ne tarissait pas de gestes tendres pour son « frérot ». Ils s’échangeaient souvent des bisous, dans le cou, sur les joues, ils étaient souvent tactiles l’un l’autre.
Puis il y eut ce carnaval.
Ce carnaval-là.
Est-ce l’alcool qui les grisa ou furent-ils pleinement conscients ? Qu’importe ! Toujours est-il que leurs lèvres se joignirent et, bientôt, ils dormirent ensemble.
Cette journée, Damien absent, ils s’amusèrent ensemble au carnaval. L’ambiance festive, les interdits, les jeux des masques, tout joua à ce qu’ils s’embrassent. Ils étaient censés dormir dans des lits séparés, mais elle le réclama, elle voulait se sentir à l’abri dans ses bras.
Avant d’éteindre les lumières, ils jurèrent de ne pas aller plus loin. Aïtana et Elian eurent une pensée sincère pour Damien qui leur faisait confiance.
Aujourd’hui encore, il regrettait cette nuit.
Il regrettait d’avoir été si sage.
Six mois plus tard, Aïtana se mariait avec Damien.
L’histoire était finie.
Il ne s’était pas posé de question, à peine l’invitation reçue, qu’il confirma sa présence, mais pour une nuit et deux jours seulement. Les questions vinrent par la suite. Nombreuses, très nombreuses. Pourquoi ? Pourquoi maintenant ?
Il soliloquait sur leur passé commun. N’avait-il jamais été amoureux d’elle ? Il ne saurait le dire, mais, pour sûr, il se souvenait à quel point il était bien lorsqu’ils étaient ensemble, il se souvenait de leurs rires. Il avait connu de bien plus belles femmes – pourquoi ne l’avait-il jamais désirée au point que son slip fût trop petit pour contenir la manifestation de son engouement ?
Les réminiscences se bousculaient, des images en chassaient d’autres, des sourires, des souvenirs et des anecdotes qu’il pensait avoir oubliés remontaient en surface – tant est si bien qu’il se mit à rire à chaudes larmes alors que le train doublait le dernier village avant son terminus.
Son « ouragan », comme il aimait l’appeler, était la fille la plus gauche qui soit, une maladroite relayant Pierre Richard au rang des amateurs. Une peau de banane ? Et, immanquablement, elle y glissait. Un achat d’un appareil électroménager ? Forcément, il était défectueux. Une place de concert réservée ? Inévitablement, aucune trace de sa réservation.
Elle avait toutefois de la chance dans sa malchance, tous les désagréments qui lui arrivaient n’étaient jamais graves et n’affectaient ni sa santé, ni son moral. D’humeur constante, elle rayonnait, le sourire large, l’œil espiègle, sûre d’elle.
C’est avec elle que j’aurai dû construire un avenir, pas avec l’espèce d’épouvantail avec laquelle je me suis marié. Un mordeur en plus méchant que ceux de walking dead.
À présent, fraîchement divorcé, il espérait rattraper le temps perdu. Mais qu’espérait-il vraiment ? Qu’Aïtana soit également libre ? Ce qui voudrait dire qu’elle n’aurait pas été non plus heureuse en ménage ? Souhaitait-il que son amie ne soit pas heureuse ? Souhaitait-il que son amie ait connu les mêmes affres que lui ?
Les questions se bousculaient sans attendre de réponse.
Il arriva tôt le matin dans l’habituelle grisaille glaciale. Comme il aurait été maussade s’il n’avait pas eu ce rendez-vous en ligne de mire ! Il ne savait rien du programme qui l’attendait, mais, connaissant son « ouragan », il se doutait qu’il n’aurait pas le temps de souffler.
Il alla poser ses valises dans le B&B qu’il avait loué pour une nuit, puis prit enfin contact avec elle.
Elle lui donna rendez-vous dans un magasin de prêt-à-porter pour homme en centre-ville. Elle le prévint :
Il n’eut pas le temps de lui demander de quoi il en retournait qu’elle raccrochait.
Elle était déjà dans le magasin en grande discussion avec un vendeur lorsqu’il arriva. Il eut tout à loisir le temps de bien la regarder (l’admirer ?) avant qu’elle ne le voie à son tour. Son petit ouragan gardait la même silhouette, toujours alerte, ses cheveux avaient perdu un peu de leur blondeur et il lui sembla que quelques pattes d’oie se dessinaient à présent.
Il l’avait quittée en jeans, converses et gros pull long (beaucoup trop long) et keffieh autour du cou et il la retrouvait telle quelle.
Lorsqu’elle le vit, elle coupa la conversation d’avec le vendeur pour courir se jeter dans ses bras en s’exclamant :
Elle se prit les pieds dans le tapis et elle tomba littéralement sur lui.
Il en était sûr, elle n’avait pas changé d’un pouce !
Ainsi lovée, une odeur de patchouli lui provint depuis son passé, elle n’avait même pas changé son parfum. Une vague de bonheur le submergea, comme une révélation, il se rendit compte à quel point il était heureux avec elle.
Il se sentait comme dans l’œil du cyclone, apaisé, serein, aimant (oui, aimant) tandis que son ouragan s’activait à tout bousculer sur son passage.
Avant même d’avoir eu le temps de réagir, elle lui donna un bisou sur la joue et déguerpit en ajoutant :
En sortant, elle trébucha sur un présentoir et fit tomber deux costumes. Ruben, le vendeur, lui assura qu’il n’y avait pas de problème et, d’un geste de la main, l’invita à partir.
Restés seuls, tout en remettant les affaires en place, Ruben lut les questionnements dans le regard d’Elian. Il lui expliqua qu’il était convié par Aïtana à la soirée « années Charleston de Noël ». Le vendeur allait s’occuper de lui trouver le costume, les chaussures et autres accessoires nécessaires pour être dans le thème – sans doute, Aïtana devait en faire autant dans un autre magasin de prêt-à-porter.
Une fois l’affaire entendue, Elian devait retrouver son amie au marché de Noël sur la grand-place.
Il était à peine quatre heures de l’après-midi que déjà le ciel s’obscurcissait. Les rues étaient décorées de guirlandes lumineuses, et l’air était empli du parfum des marrons chauds et du chocolat chaud. Au cœur de cette effervescence festive, Aïtana se tenait devant le marché de Noël, un sourire aux lèvres, les yeux pétillants d’excitation. Bien que la vie les ait séparés, elle n’avait jamais vraiment oublié son charme désinvolte et son rire contagieux.
Au détour d’un stand, Elian était là, en train de contempler une étoile en bois qu’il tenait entre ses mains. Ses yeux s’illuminèrent en le voyant :
Ils échangèrent enfin quelques mots sur leurs vies respectives, mais rapidement, l’atmosphère festive les enveloppa et les invita à se plonger dans le moment présent.
Elian lui sourit, son cœur battant un peu plus vite, un frisson d’excitation parcourant l’échine, il rappela :
Elle se contenta de lui lancer un « Chochotte » avant de lui prendre le bras et de le diriger vers la grande roue qui trônait majestueusement devant le marché.
En montant dans une des nacelles colorées, une fois installés, ils prirent place côte à côte, leurs mains se frôlant presque sans oser se toucher. Aïtana sentit son cœur s’emballer. La roue commença à tourner lentement, les lumières de la ville scintillant comme des étoiles en contrebas.
L’atmosphère était empreinte de magie et d’émerveillement. Alors qu’ils prenaient un peu de hauteur, le monde en contrebas s’illuminait de mille feux.
Le rythme tranquille de la rotation, les légers balancements de la nacelle, accompagnés du souffle du vent, ajoutaient à cette ambiance apaisante, Aïtana savourait chaque instant.
Les lumières dansaient autour d’eux, créant une atmosphère féerique. Aïtana tourna son regard vers lui.
Il devenait blanc cadavérique, incapable de bouger alors qu’immuablement, la nacelle les menait plus proches du ciel qui revêtait sa couleur bleu sombre.
Un silence complice s’installa entre eux, brisé seulement par le doux bruit des rires des enfants en bas et le souffle du vent frais.
Pour le rassurer un peu, elle lui prit la main et lui dit, son regard plongé dans celui du phobique :
La magie de ce moment était palpable. Dans cet instant suspendu, tout semblait possible.
Tandis que la roue commençait à tourner lentement, la lumière des lanternes illuminait son visage d’une douceur particulière. Alors qu’ils atteignaient le point culminant de l’attraction, le paysage s’étendait à perte de vue : des lumières scintillantes partout autour d’eux, comme un océan d’étoiles. Aïtana ferma les yeux et formula son vœu :
Blanc comme un linge, Elian esquissa un sourire et dit :
Après une minute d’un silence complice où les sourires restaient scotchés sur les visages et des étoiles dans les yeux, il se risqua à demander :
Quelques minutes plus tard, depuis le sol, le responsable de l’attraction prévenait :
Elle regarda son ami, craignant sa réaction lorsque, soudain, celui-ci explosa de rire ! La malchance, la légendaire malchance d’Aïtana venait encore de frapper !
Une fois le calme recouvré, il dit :
Ils se regardèrent avec une tendresse renouvelée.
Le temps s’éternisait sans que la nacelle amorce un quelconque mouvement. Le vent commençait à les gifler. Ils se pelotonnèrent pour se prémunir du froid qui devenait véritablement mordant. L’odeur du patchouli chatouillait les narines d’Elian, une fragrance qui l’apaisait.
Il tenta d’en savoir un peu plus, mais elle éludait les questions avec maestria et, lorsqu’elle était acculée, elle maugréait envers cette fichue attraction qui refusait instamment de se débloquer.
Enfin, la nacelle redescendit doucement vers le sol. Quoique rassuré par la descente, une légère déception accabla Elian, il aurait tant voulu que ce moment s’éternise un peu plus. Une fois au sol, Aïtana, toujours guillerette, entonna :
Comme elle chantait faux ! C’était un supplice pour les oreilles, mais un bonheur à voir, un rayon de soleil dans la nuit qui était tombée prestement. Tandis que les passants retrouvaient le sourire, les musiciens de rue l’accompagnèrent en rigolant et Elian se boucha les oreilles.
En la regardant déborder d’énergie, de joie de vivre, il se demanda comment n’avait-il pas vu, n’avait-il pas compris, qu’elle était la femme de sa vie ? Pourquoi avait-il fallu qu’il préfère les femmes des magazines, les plus belles, les plus glaciales, sans comprendre que ce n’était pas la beauté qui comptait le plus ? Pourquoi n’avait-il pas compris qu’il ne ressentait pas seulement de l’amitié ? Il supposa que la vie avait besoin d’être expérimentée.
Pour mettre fin au carnage, il lui proposa de continuer cette fin d’après-midi autour d’un vin chaud. Aïtana acquiesça avec enthousiasme. Ensemble, ils s’éloignèrent vers les stands illuminés du marché de Noël, prêts à savourer chaque instant ce que ce début de soirée leur offrait.
Ils s’installèrent sur un banc en bois décoré, la chaleur du vin réchauffait leurs mains engourdies.
Elle le regarda, presque en minaudant, et se contenta de dire :
Il était temps de se préparer pour le bal. Au volant de sa 4L rouillée, Aïtana, un gros bonnet de laine sur les oreilles, des moufles aux mains, jurait comme un charretier sur les autres automobilistes.
Puis s’adressant à Elian :
Fort heureusement, l’appartement n’était pas situé à des kilomètres. Elian ne dit pas un mot, mais comprit facilement que ce studio était celui d’une célibataire.
Une heure et demie plus tard, elle sortit enfin de son antre. Elle était resplendissante, lumineuse, féerique. Elle portait une robe de perles à frange, courte, dorée, un modèle à fines bretelles laissant entrevoir sur son épaule droite le tatouage d’une cascade de fines plumes partant probablement de son sein pour remonter jusqu’à sa carotide, avec un tombé lâche. Plusieurs colliers longs en perles descendaient pour chatouiller le décolleté, des bracelets étincelants cliquetaient à chaque mouvement qu’elle entamait. Sur sa tête, un bandeau orné d’une plume noir de jais sublimait son visage.
Elle se tenait sur des escarpins à talons hauts :
Elian était subjugué. Les étoiles dans les yeux et son silence en disaient plus long que n’importe quel compliment.
Lui-même n’était pas en reste, il portait un élégant costume noir, un nœud papillon lui serrant la gorge, chemise blanche, pantalon à pince, chapeau Fedora, une fausse moustache et un fume-cigarette.
Ils arrivèrent congelés.
Dans une salle ornée de dorures et de lumières scintillantes, le bal de Noël sur le thème des « Années Charleston » battait son plein. Les invités, vêtus de costumes flamboyants, dansaient au rythme enivrant du hot jazz, leurs rires se mêlant à la mélodie des cuivres.
Les femmes, parées de robes à franges et de bijoux étincelants, resplendissaient sous les lustres, tandis que les hommes arboraient des costumes élégants et des chapeaux cloches. Elian n’avait d’yeux que pour son ouragan dans sa robe qui épousait parfaitement ses courbes. Il leva son verre de champagne, la voix teintée d’émotions :
La réponse d’Aïtana le surprit, il supputa un sens caché :
Il perçut également une onde de tristesse traverser le visage de sa partenaire qui, en un éclair, retrouva le sourire. Il lui sembla quelque peu forcé.
Endiablés, ils dansèrent comme ils l’avaient souvent fait il y avait vingt ans de cela. Accompagnés de couples qui tournoyaient dans un ballet élégant, ils valsèrent dans le tourbillon festif de cette soirée merveilleuse.
Et Elian de renchérir :
Elle le regarda et, de nouveau, il vit cette petite moue de tristesse se dessiner. Elle ne répondit pas, sourit et l’entraîna au centre de la piste…
Alors que la musique changeait pour une mélodie plus douce, ils discutèrent des années passées, des rêves qu’ils avaient partagés et des chemins qui les avaient séparés. Ils retrouvaient cette connexion perdue comme si le temps n’avait jamais eu raison d’eux.
Il la maintenait d’une main ferme posée sur ses lombaires, leurs corps se touchaient, leurs visages étaient suffisamment proches pour ressentir le souffle de leurs respirations, leurs yeux se dévoraient.
Elle s’échappa, lui sourit et dit :
Ni une ni deux, Elian ôta son postiche :
Elian la suivit, mais son mental s’assombrissait. Qu’avait-elle à toujours fuir lorsque cela devenait plus sérieux ? Il ne la comprenait pas, il sentait bien que la connexion entre eux n’était pas que celle de l’amitié. De ça, il en était sûr, mais elle s’obstinait à l’esquiver. Il en perdait son latin.
Sur un balcon, à l’abri de l’animation, mais à la merci du vent frais, il marqua son agacement :
Les yeux brillants de larmes, elle se contenta de répondre :
Elle lui répondit :
Déboussolé, Elian jura malgré lui de ne plus poser de questions (même si ces dernières affluaient dans son crâne par milliers). Il tenta de contenir sa frustration et de s’amuser. L’ambiance n’était plus tout à fait aussi joyeuse, mais le naturel de sa partenaire lui fit retrouver le sourire et, bientôt, les rires qui avaient toujours été de leurs parties reprirent.
Une bonne dizaine de fois, Aïtana faillit se tordre la cheville, elle marcha sur les pieds de quelques danseurs, fit tomber une coupe de champagne sur un serveur et finalement se ramassa la binette et finit sa course dans la grosse caisse de la batterie.
Il était tard, il était temps de rentrer. La conductrice proposa de partager son lit « en tout bien tout honneur, tu te rappelles, comme la dernière fois ».
La dernière fois, c’était il y a vingt ans. Ce fameux carnaval.
Un silence s’appesantit. Un silence lourd que rompit Elian.
Le froid s’infiltrait par la fenêtre ouverte, le bruit couvrait partiellement la discussion, mais c’était le moment qu’elle choisit pour dire ce qu’elle avait sur le cœur.
Elian ne savait que dire, ne savait que faire à part geler et dans son corps et dans son cœur.
Elle avait encore à décharger toute la frustration accumulée depuis tant d’années.
Elle se tut.
Ils arrivèrent devant l’appartement.
Ainsi, elle avait choisi l’amitié à l’amour. Se peut-il que ces sentiments soient inexorablement voués à être distincts ? Se peut-il qu’ils soient si incompatibles que toute tentative est promise à l’échec ? Peut-être que l’un l’emporterait sur l’autre, et pourquoi faut-il que la vie soit un concours ?
La nuit fut atroce, interminable, froide et silencieuse. Pour la première fois qu’ils étaient ensemble, aucun rire, aucun sentiment de bien-être ne les accompagnèrent. Tous deux, pourtant si proches physiquement, ne s’étaient sentis autant éloignés l’un l’autre.
Elian ne trouva pas le sommeil, occupé à chercher les réponses aux questions qui le mitraillaient. Il en vint à se dire que, finalement, Aïtana avait raison, mieux valait rester sur une amitié solide. Aussi, il se rapprocha encore plus et murmura à son oreille :
Elle ne répondit pas, peut-être dormait-elle, il ne pouvait le savoir.
En fait, elle pleurait.
Le lendemain, après un petit déjeuner copieux composé de chicorée, de fruits juteux, de viennoiseries et une bataille de chantilly, la bonne humeur retrouvée, les deux amis allèrent se balader sur la plage. Malheureusement, l’image d’Épinal d’une banquise, où quelques imprudents s’aventurent pour en vérifier la solidité, où le sable est recouvert du manteau blanc, n’était pas au rendez-vous, juste le froid intense qui giflait les visages.
Bientôt, l’après-midi allait laisser place aux étoiles. Ils se dirigèrent vers le centre-ville, son marché de Noël et sa patinoire afin de se casser le coccyx. Sous une musique d’ambiance, Merry xmas everybody, ou encore It’s a wonderful life, avec son écharpe rouge enroulée autour du cou, son bonnet de Papa Noël, le sourire radieux, Elian plaisanta en lui tendant la main :
Elle rit, un peu nerveuse, parce que ce que venait de dire son cavalier ne pouvait être qu’une prémonition, mais heureuse d’être là avec lui. Ils enfilèrent leurs patins et glissèrent sur la glace, leurs rires résonnant dans l’air frais. Aïtana ne pouvait s’empêcher de voler des coups d’œil à Elian, admirant sa façon naturelle de se mouvoir sur la glace – qui était loin d’être son cas. Il glissait sur la glace lisse, dessinant d’exquises ellipses. Chaque fois qu’il se tournait vers elle, son cœur battait un peu plus vite.
Allez, ma fille, faut que tu te lances !
Aïtana s’élança et très vite se ramassa. Il l’aida à se relever et lui glissa un kiss.
Ils rirent de bon cœur et décidèrent de profiter plutôt de la fête foraine qui avait établi son campement non loin de là.
Les lumières scintillantes des manèges illuminaient la nuit, les stands colorés, ornés de guirlandes et de flocons de neige artificiels, dégageaient des odeurs alléchantes de pommes d’amour et de chichis. Au milieu de cette effervescence, Elian et Aïtana déambulaient, flânaient quand, enfin, un flocon de neige tomba délicatement sur le bout du nez d’Aïtana. Elle éclata de rire et leva les yeux vers le ciel étoilé.
Elle se lova dans les bras de son partenaire, image parfaite d’un petit couple d’amoureux, image de carte postale avec la neige tombante.
Ils allèrent aux auto-tamponneuses, dans le train fantôme, ils tirèrent à la carabine sur des ballons, Aïtana rata sa cible, mais pas l’ours en peluche situé à un bon mètre, ils mangèrent une pomme d’amour et se gavèrent de chocolat chaud.
Alors qu’ils se dirigeaient vers la voiture, soudainement, Aïtana se tordit dans le ventre, au point de chuter. Paniqué, Elian soutenait tant bien que mal sa partenaire et lui demandait sans cesse qu’est-ce que tu as, mon ouragan ?
10 novembre
Elle appréhendait ce rendez-vous médical plus que tout, les symptômes qu’elle avait expliqués à son médecin traitant lui avaient fait craindre le pire. Des douleurs abdominales atroces qui irradiaient dans le dos, des selles anormales, une fatigue excessive l’avaient conduite en urgence à l’hôpital afin de procéder à une écho.
Le 10 novembre
Ce putain de 10 novembre.
Le regard du médecin s’assombrit lorsqu’il regarda le moniteur accompagné d’un silence qui parlait pour lui-même.
Avant qu’il ne le lui dise, elle avait compris :
La journée passa, les examens arrivèrent et confirmèrent les craintes. Elle demanda une estimation. Ils lui répondirent : chimiothérapie. Elle insista, ils proposèrent une radiothérapie.
Le médecin tenta de la raviser, mais, lorsqu’elle lui demanda une énième fois une estimation, il lui répondit :
Aïtana se remit de son malaise et enjoignit Elian à ne pas s’en faire, une p’tite syncope passagère, c’est tout, t’inquiète, mec !.
Il était l’heure du train et ce dernier n’attendrait pas. Juste avant de monter, la larme aux yeux de se quitter de nouveau, il lui promit d’être de retour avant la fin de l’année.
Elle lui sourit et il perçut un non-dit, quelque chose qui s’apparentait à une forme de mélancolie, une touche de tristesse qu’il ne lui connaissait pas.
C’est donc le cœur lourd qu’il la laissa sur le quai, la tête en branle-bas, des questions qui n’en finissaient plus de le percuter. Pourquoi ? Pourquoi s’était-elle refusée ? Avait-elle fait le bon choix, celui de l’amitié plutôt que l’amour ?
Demain, son quotidien le suffoquera et les réminiscences de cette journée lui donneront tout l’oxygène pour ne pas sombrer.
Bien esseulé, il chercha dans sa mémoire fraîche la compagnie de son ouragan. Très vite, le sourire qu’il afficha illumina tout le wagon, une promesse avait été faite et Elian tenait toujours ses promesses.