Merry Christmas, Carole.
- — Matthias ne m’a même pas calculé, c’est comme s’il voyait à travers moi, a grogné Thomas.
- — En même temps, il t’a déjà assez tapé entre les fesses, si on regarde au fond, on doit y voir une lueur, ai-je glissé.
- — Ta gueule, Jérémie, tu te l’es fait, toi aussi. C’est un sale con, mais un dieu au pieu !
- — Ignorer les gens, c’est pas mal ce qu’il fait déjà en temps normal avec tout le monde, mais là, il s’applique… a ajouté le petit Toby, avec un tremblement dans la voix, probablement dû au fait qu’il est la dernière proie connue en date du baiseur en série…
- — La soirée de Noël de Matt est la pire de ma vie, a dit Carole, en se matérialisant à côté de moi. La baraque prétentieuse, mais kitsch, l’ambiance prétentieuse, mais vulgaire, l’hôte prétentieux et con… Vous lui trouvez quoi, à ce gros naze ?
On s’est entre-regardés, pour répondre, en canon presque parfait :
- — Un bon coup !
- — Merde, les mecs, ça fait pas une personnalité, ça ! Mais, euh… vous vous l’êtes tous fait, sérieux ?
- — Avec bien d’autres avant nous, ai-je admis. En ce qui nous concerne, dans l’ordre, d’abord Thomas, qui me raconte tout, hein, mon Tom-Tom ? Puis moi, qui savais donc à quoi m’en tenir, mais qui n’ai pas tenu bien longtemps, et dernièrement, notre adorable et candide Toby.
- — Vous avez jeté Toby dans la cage de l’animal ? a craché Carole.
- — Pour qu’il explore le potentiel ultime de sa sensualité, a dit Tom.
- — Un peu pour ce qu’a dit Thomas, et parce qu’il est trop love-love de Matthias… quoi… ai-je suggéré.
- — J’espère juste que tu as atteint un but, et renoncé à l’autre, mon Tobychou.
- — Oh oui ! Et oui aussi… par la force des choses… a-t-il murmuré, avec un regard désabusé vers Matt, qui entreprend maintenant un mec-meuf aux cheveux roses, trop bizarre, sur un canapé.
- — Je lui ai parlé tout à l’heure, c’est le cliché de l’apprenti coiffeur de comédie US, regardez la pose… Efféminé à crever, et con comme un balai, c’est toujours pas lui que Matt présentera à ses pauvres parents innocents.
- — Ils sont où, eux ? a demandé Carole.
- — Croisière aux Antilles, ai-je dit. Probablement déjà très conscients de tout, et désabusés, raison pour laquelle ils l’ont laissé ici, et autorisé à donner cette soirée…
- — De merde, a-t-elle conclu, il n’y a presque plus que nous et… Oh ! Il y a du mouvement, le capilliculteur le traîne vers sa chambre.
- — Ben, il reste à boire, a dit Thomas, on s’en prend un dernier et on range un peu ?
- — Et puis quoi encore ? Laisse-lui le chantier pour demain. Puis il n’est même pas minuit, mais Matt est déjà cuit, je l’ai vu tirer des lignes et il a bu son volume de vodka-RedBull, soit il va faire couiner le Pink Boy pendant deux heures, soit il… Aaah ben non, c’est le deuxième « soit », ai-je dit en voyant l’apprenti Figaro repartir, clairement frustré.
Dong-dong-dong-dong – dong-dong-dong – dong-dong-dong – dong-dong.
- — Merry Christmas, Carole, a dit Toby, toujours mignon.
- — Oooh ! Merci, mon Tobychoupinou, parfois, je me dis que j’aimerais porter tes enfants, beaux, adorables et blonds, ce serait mon rêve.
- — C’est marrant, ça, « Christmas Carol », ai-je murmuré, rêveur.
- — Pourquoi marrant ?
- — Ça veut dire « chant de Noël » en anglais, Tom. ♫ ♪ We wish you a Merry Christmas, and a Happy New Year ♫ ♪ Puis c’est un roman de Dickens… Attends… sérieux ? Monsieur Scrooge, le petit Tim… Bon, de la part de Matt, je capte, c’est pas au programme de son cursus EPS, mais…
- — J’ai pas ta culture littéraire, Jérémie, mais musicalement… Je t’ai tiré des vocalises… plus en mode chant de gorge mongol faut dire.
- — Arrêtez de parler de ce que je ne connaîtrai jamais, a tranché Carole. Et c’est quoi l’histoire avec mon prénom, Jérémini ?
- — Ben, le petit Tim est malade, Mr Scrooge est le boss de son père, mais n’en a rien à battre, et la nuit de Noël, il reçoit la visite de trois fantômes qui lui font voir le sale con qu’il est, voilà.
- — Ouais ! J’en connais un à qui ça pourrait servir… Euh… Faudrait pas aller voir, là ?
On est montés, Carole s’est approchée du lit et a secoué Matthias, qui a ouvert un œil et a grogné. Oh ! Un an…che…ge… Assez m-m-moche, avant de rejoindre le pays de ses rêves maudits.
- — Mais quel connard, ce mec, il lui faudrait la visite d’une centaine de spectres, on est juste quatre… Sauf si… mon beau Jérémie, si tu nous racontais l’histoire, en détail ?
- — Ben, je sais plus trop, j’étais petit, la famille de Tim n’a pas de dinde pour Noël, mais ils sont heureux ensemble. Scrooge est seul, le fantôme des Noëls passés lui montre qu’avant, il avait été gentil, celui du Noël présent, ce qu’il est devenu, et celui des futurs, sa tombe, mais sans date de mort…
- — Oh ! C’est comme dans le Noël de Mickey, le dessin anim… a glapi Toby, immédiatement gêné de sa candeur.
- — Hmmm… On peut bidouiller un truc du genre, a-t-elle suggéré. Réunion de stratégie, les mecs !
On s’est concertés pour un plan qui faisait passer celui de Daenerys et John Snow dans Game of Thrones pour du génie militaire, mais bon…
Ça ne fonctionnera jamais, ai-je pensé, en entrant dans la chambre de Matthias avec un drap sur la tête, avant de taper un coup de pied – aïe, flûte ! – sur le cadre de son lit.
- — Gné ? C’est quoi ? T’es qui, toi ?
- — Je suis tous les mecs que tu as séduits et abandonnééés, Matthiaaas, ai-je prononcé d’une voix sépulcrale, et qui plus jamais ne te feront confiaaance ! Tu finiras seeeul…
- — C’ét…fff…tait juste du c-c-cul, et personne s’est pfff… plaint, roooh… Rrrrrrr.
- — Résultat ? a demandé Carole, lorsque je suis sorti.
- — Mitigé, on dira…
- — Hmmm… J’ai pourtant envie d’y croire, on passe à la suite, Toby… TOBY ! Il est où, lui ?
On l’a retrouvé assis sur le canapé du salon, peut-être encore plus petit et fluet que d’habitude… mais il a fini par accepter de jouer le jeu. Il s’est déshabillé, à rester en boxer blanc, décidément très joli (lui, et le boxer aussi), Carole a brûlé un bouchon de liège pour lui tracer des cernes inquiétants, et dessiner de fausses traînées de sang sur le torse avec les fruits du bol de punch… Avant de le pousser dans la chambre, précédé du solide Thomas, qui s’était glissé sous le lit pour le secouer.
- — Tob…by ? a ânonné Matthias, t-t-t’es bizarre.
Il a déclamé le dialogue préparé, en mode dramatique. Je suis ce que tu m’as fait, tu m’as détruit…
- — Et j’ai kiffé, je le referais, grrr…
Le blondinet nous a rejoints, un peu défait.
- — Soit… a soupiré Carole. Phase trois, et on ne se voit pas trop amener une pierre tombale, donc on se fait une variation, OK ? On prépare un scénario…
Retour de Thomas, en mode ninja, sous son lit, moi dans sa salle de douche, Toby derrière la fenêtre ouverte, et Carole dans le couloir de nuit, derrière la porte entrebâillée…
- — Mathias…
- — Maaathias…
- — Mathiaaas…
- — Maaathiaaas !
Et le lit qui bouge.
- — C’est qu-fff-i ? qu-fff-oi ?
D’une seule voix, on a prononcé :
- — Nous sommes ton avenir, à trop jouer avec les garçons, tu vas finir seul, comme maintenant !
- — Rrrrfffzzz-grmblm-rrrrr…
- — Il s’est rendormi, tu le crois, ça ? m’a murmuré Thomas après être sorti de sous le sommier. Du coup, on range un peu ? a-t-il ajouté, toujours éthique, dans le salon.
- — Sérieux ? Qu’il aille se faire toboganer ! a glapi Carole. On va finir la soirée où on aurait dû la commencer, au Blue Bar.
***
- — C’était bien, hier, à soufflé Toby, allongé à côté de moi, la joue posée sur son bras replié, son autre main glissant sur mon torse.
- — La deuxième partie de la nuit, tu veux dire ? J’ai adoré.
- — Adoré… quoooi ? a-t-il demandé, avec un regard inhabituellement lubrique.
- — Te découvrir offert… Dévorer ton corps… Te faire l’amour…
PING ! a sonné mon smartphone. On a lu le message de Matthias…
Hey, Jérémie, je me rappelle plus de grand-chose, mais hier, il y avait un machin bizarre, très chaudasse, cul fabuleux, cheveux roses, tu sais pas qui c’était ?
- — Carole va être déçue, tout ça pour rien » a dit Toby.
- — On oublie ? ai-je suggéré.
- — Totalement ! Prends un selfie de nous deux, s’il te plaît. CLIC ! Voilà. On est tout beaux… Dis, tu peux le lui envoyer ?
- — Et comment !
Je l’ai fait, et j’ai ajouté un message :
Aucune idée, Matt, je kiffe les petits blonds, perso.