Les rues de Paris sont plus calmes que d’ordinaire. Mon humeur plus morose aussi alors que je reprends le chemin de mon bureau. Trois semaines au bord de l’océan, et même s’il me tarde de revoir des frimousses connues, je regrette encore pour quelques heures les baignades et les bains de soleil de la côte atlantique. Les plateaux de fruits de mer ou les crêpes de déjeuners sympas, oui, ça reste gravé dans ma mémoire. Les faubourgs sont trop libres et ça me fait tout bizarre. Le parking souterrain et la place vide au fond de laquelle ma plaque minéralogique est la gardienne de mon espace perso, tout me semble comme étranger dans ce petit matin de fin août ! Tous les bureaux n’ont pas encore repris du service. L’ascenseur qui mène aux étages, j’y renonce finalement pour prendre les escaliers. Un petit répit avant de me frotter aux questions de circonstances pour celle qui rentre de congés.
Bien entendu, la première sur qui je bute littéralement dès mon apparition dans l’espace de lumière des bureaux, Mélanie. Sa bouille crispée se détend à ma vue et sa voix aiguë me torture les oreilles de nouveau. Bon sang, si elle avait pu muer durant mon absence ! Mais non, et ce n’est pas son excès de parfum qui va me réconcilier avec cet environnement que j’ai zappé pendant mes vacances.
- — Ah… Élisabeth, heureuse de te revoir… tu as bonne mine. Ça t’a fait du bien, on dirait…
- — Oui, je l’avoue, c’était chouette. Mais… tout a une fin, les meilleures choses surtout !
- — Oh… tu te serais très vite ennuyée sans nous !
- — Pas si certaine… mais France n’est pas là ?
- — Ah ma pauvre… Figure-toi qu’elle s’est entichée du nouveau, tu sais, ce Benjamin que j’ai du mal d’encadrer. Et… je crois bien que ces deux-là sont cul et chemise depuis ton départ.
- — Ah ? Mais c’est une bonne nouvelle, ça !
- — Tu trouves toi ? Les employés qui fricotent ensemble, ça m’a toujours paru louche… et contre-productif.
- — Pourquoi ? C’est interdit par le règlement de notre journal ? Non ! Alors, laisse-les vivre leur vie, bon sang.
- — Ouais… tu as raison, mais on risque bien d’avoir ce jeune loup dans les pattes plus que prévu. Enfin, je dois aussi reconnaître qu’ils forment une bonne équipe, tous les deux… après, elle fait ce qu’elle veut de ses nuits… et qui sait, un jour tu auras à l’écouter aussi dans le cadre de tes « potins de nanas ».
Elle rigole et j’imagine que c’était une manière bien à elle de m’annoncer la couleur, tout en voulant faire de l’esprit. Puis elle revient à un sujet plus terre à terre.
- — Ta rubrique, c’est du billard pour nos tirages… je crois qu’elle m’a aussi parlé d’une ou deux lettres qu’elle t’a mises de côté… une pourrait peut-être s’avérer prometteuse…
- — Je vais voir ça… le temps de reprendre mes marques un instant… si tu le permets.
- — Bien sûr… et pour te récompenser de ton bon boulot, tu vas rire, mais je t’ai fait un cadeau…
- — … ? Un cadeau ?
- — Oui… tu sais, le café de la machine est infect… alors, je t’ai offert une vraie cafetière.
- — … ? Pas si bête ! Sympa, même…
Je me garde bien de lui dire que ça m’emmerde, surtout parce que, bien entendu, elle va venir empester plus souvent mon espace de travail. Si seulement elle oubliait de temps en temps son « Opium », ou si elle devenait raisonnable au niveau de la quantité… mais là, je crois que je crois encore au père Noël…
- — Bon ! Je vais lire tout cela et je te tiens au courant… Mélanie.
- — Pas de souci… je passerai prendre un jus vers dix heures… ça te laisse le temps de consulter et de voir ce qu’il y a de bon à tirer des courriers triés par France et son Jules.
- — Ça me va…
Pff ! À peine de retour et j’ai déjà l’envie folle de repartir. C’est vrai que ça part d’un bon sentiment cette histoire de cafetière, mais… franchement, c’est insupportable cette odeur d’Yves Saint Laurent… à trop haute dose, c’est… bon bref, passons. Je vais devoir encore me faire une raison. Et je débute donc la lecture des quelques plis qui sont bien rangés dans une panière sur mon bureau. Si les deux premières sur la pile ne m’inspirent pas, la troisième, elle, par contre, me parle bien. Elle émane d’une nana qui vend… des jouets sexuels. Vendeuse indépendante, elle fait des réunions à domicile chez des clientes. Oui ! Ça pourrait être intéressant de voir ce qui peut ressortir du vécu de cette femme. Et puis… nos lectrices pourraient bien être intéressées.
Un petit coup de fil, et me voici avec un rendez-vous. Yolande, c’est ainsi que se prénomme la femme qui a rédigé la lettre et avec qui je viens de converser au téléphone. Demain à quatorze heures, je vais la rencontrer dans les Yvelines à Bois-d’Arcy. J’en parle donc avec ma rédactrice en chef… avant d’aérer mon bureau. Mélanie m’encourage, comme toujours à suivre mon instinct. Il est évident que, jusque-là, elle m’a toujours laissé carte blanche. Ça ne lui réussit pas trop mal, et il n’y a donc aucune raison pour que ça change. Je peux préparer mon itinéraire pour le lendemain et répondre à deux ou trois messages qui dorment dans ma messagerie depuis mon départ, au début du mois.
En fin de matinée… le couple honni par Mélanie déboule dans mon bureau. Benjamin n’est pas affecté plus que cela par mon retour. Il me salue joyeusement, tout comme France. Et d’emblée, elle joue cartes sur table.
- — Salut Élisabeth… je suppose que notre boss t’a rencardée… Elle a dû te raconter que Benjamin et moi nous fricotions, non ?
- — Ce sont vos affaires, les jeunes ! Je n’ai rien à redire à ça.
- — Oui… mais au moins les choses sont dites et c’est plus clair. Je ne vais pas me cacher… et puis c’est Mélanie qui me l’a mis dans les pattes…
- — Oui, bien sûr, mais pas forcément entre celles-là, hein…
- — Ne joue pas sur les mots ! Moi, j’y trouve mon compte et ne vois pas pourquoi je devrais en avoir honte…
- — Il n’est pas question de cela… France. Tu fais ce que tu veux, tant que ça ne nuit en rien à ton boulot…
- — Elle s’en plaint, la cheffe ?
- — Non, pas le moins du monde. Tu es assez grande pour prendre tes décisions toute seule, je veux juste te rappeler de prendre soin de toi… le peu que j’ai vu de ton ami, ce n’était pas le plus beau…
- — Oh… il m’a tout dit. Il s’en veut et avait peur de ne pas avoir le poste en arrivant en retard.
- — Est-ce bien normal de faire des doigts d’honneur aux femmes qui sont au volant ? Bon… oublions ceci et vis ce que tu as envie de vivre. Je n’ai rien à te dire… soit heureuse, quoi. Demain, je vais rencontrer la vendeuse de sex-toys… à Bois-d’Arcy…
Elle rigole et laisse tomber gentiment…
- — Si elle te fait des prix, tu peux nous en rapporter quelques-uns, tu sais… ça peut servir, on ne sait jamais.
- — … ? Pour quoi ? Tu as peur des défaillances de ton benjamin, déjà ? Il est tout jeune et plein de fougue pourtant… et il a des doigts magiques, me semble-t-il !
- — Tu ne perds aucune occasion de me le rappeler qu’il lève facilement le majeur…
- — Autre chose aussi, non ? Je suppose que ça fonctionne bien, ça aussi, entre vous.
- — Jalouse, va ! Tes vacances se sont bien passées…
- — Elles sont finies et je suis déjà dans le grand bain… alors on oublie les plages et les apéros.
- — Tu t’es éclatée au moins ? Tu n’as pas ramené un Vendéen dans tes bagages ?
- — File au lieu de dire des conneries. Va retrouver ton Roméo… regarde-le, il tourne comme un lion en cage.
— xXx —
Yolande ! C’est au bistrot du centre commercial que nous nous sommes donné rendez-vous et l’endroit est clair, aéré, sympa en fait. La jeune nana, coupe au carré qui dégage un visage jovial, est déjà assise à une table. Une mallette sur un siège à ses côtés, je devine à sa manière de scruter tous ceux qui passent dans les environs qu’elle attend ma venue. Dès qu’elle entrevoit mes hésitations, elle se lève à demi de sa chaise et fait des moulinets de sa main pour attirer mon attention. Immédiatement, je me dirige donc vers cette femme. Elle est sans doute moins jeune que j’ai pu le penser au premier abord.
- — Bonjour… Je suis Elisabeth Marchand…
- — Enchantée… Yolande Romania… je ne savais pas à quoi vous ressembliez…
- — C’est chose faite maintenant, n’est-ce pas ?
- — Oui… vous… je n’imaginais pas que vous pouviez être aussi jeune. Pour moi, le terme « journaliste » est forcément associé à une femme qui porte des lunettes et un appareil photo en bandoulière.
- — Déçue donc ?
- — Non pas vraiment, un peu surprise, dirons-nous ! Mais dans le bon sens du mot, si vous voyez ce que je veux dire… Vous voulez boire un café ? Ou autre chose, bien entendu ?
- — Oui, volontiers… puis vous me racontez ? Je suis impatiente de vous entendre me déballer quelques-unes des anecdotes croustillantes qui doivent émailler votre parcours professionnel. Il n’est pas banal de croiser la route d’une VRP qui vend ce genre de produits…
- — Oh… le sexe est un filon très enrichissant pour qui sait l’appréhender. Et le créneau dans lequel j’évolue offre finalement des débouchés infinis.
- — Je veux bien vous croire… ça marche si fort que ça ?
- — Vous n’avez aucune idée… de plus en plus, les femmes vivent leur sexualité sans tabou. Et mes produits sont parfois des remplaçants qui leur permettent de ne pas se focaliser sur la recherche d’un compagnon. Et elles me le disent souvent, au moins au petit matin, ou lorsqu’elles ont bien pris leur pied, elle nettoie et range le bidule qui pourra servir à nouveau, dès qu’elles en auront envie. De plus, ça leur offre aussi l’avantage que mes appareils ne posent pas de question, qu’ils ne sont pas accrochés à leurs basques pour les relancer. Oui… bien des femmes solitaires n’y voient que des avantages.
- — Vous pensez qu’elles en retirent les mêmes bénéfices que si c’était plus… réel ou concret ?
- — Ben… imaginez… ça reste d’une consistance égale, je veux dire par là que ça ne débande pas… avec deux piles, hop ça vibre des heures durant et les dames qui s’en servent peuvent moduler le rythme au gré de leur humeur, de leurs envies. Quand elles le désirent, où qu’elles se trouvent, n’importe quand. Certaines m’ont même avoué qu’il leur arrivait de se faire du bien dans les embouteillages… et vous qui bossez à Paris intra-muros, vous devez savoir qu’on peut se faire chier longuement dans ces files interminables de voitures qui n’avancent plus ou si peu…
- — Je confirme… de là à utiliser… un objet pour…
- — Chacun voit midi à sa porte et… franchement, ça me permet de bosser…
- — Vous parvenez à vous en sortir un salaire décent de vos ventes ?
- — Décent ? Vous seriez, Élisabeth, surprise par mon chiffre d’affaires mensuel.
- — Oui ? Mais les produits… ils vous arrivent bien de quelque part, non ? Et au départ, ce n’est pas des objets peu chers, je me trompe ?
- — Je les achète en gros et je sais ce qui plaît aux femmes… et puis vous savez quoi ? De plus en plus de mecs sont présents à mes réunions… ils sont nombreux depuis le mariage pour tous, à vouloir expérimenter certains vibromasseurs. Les plugs aussi, c’est du genre mixte et mon Dieu… rien ne ressemble plus à un anus féminin qu’un anus masculin.
Elle me regarde, rigole de sa bonne blague, puis marque une pause. Le serveur en tablier sombre qui dépose une tasse devant chacune de nous, nous scrute en imaginant sans doute que nous sommes deux dingues en goguette. Que dirait-il de notre conversation à bâtons rompus ? Il repart et je ne peux m’empêcher de voir les yeux de la vendeuse qui suivent tout de même le dandinement des hanches du gaillard.
- — Les hommes, en réel, en live, ne manquent donc pas à vos… clientes, Yolande ?
- — Pas à toutes… c’est l’affaire de chacune… moi, vous l’avez déjà bien saisi, je ne saurais pas m’en passer totalement. Et puis, quand ça balance comme ça… devant moi, j’en ai le sang qui bout…
- — Ah…
- — Et j’adore quand ce sont eux qui après ont le bout qui sent… vous voyez le tableau !
Cette fois, c’est moi qui pouffe pour de bon ! J’ai donc face à moi une espèce rare d’amusette joyeuse. Elle et moi touillons nos cafés en tentant de reprendre le sérieux de notre débat. Bon sang, cette femme a un je ne sais quoi d’attirant. Je me force pour dégoter une question qui puisse ramener un semblant de calme à la table…
- — Il y a un modèle plus prisé que les autres dans votre panoplie de vente ?
- — Je vous montrerais bien… mais l’endroit s’y prête plutôt mal. Et si nous finissions nos jus avant d’aller chez moi ?
- — Vous résidez donc dans le coin.
- — Oui à quelques rues d’ici, mais c’est d’un compliqué que j’ai préféré vous attendre au bistrot… et puis je suis rassurée de voir que ce n’est pas encore un truc pour… m’attirer dans un piège. J’ai appris à devenir très méfiante. Je suis déjà tombée sur des cas… cas…
- — … ? Pardon ?
- — Des mecs qui se font passer pour des filles, qui prennent un rendez-vous en espérant que je vais passer à la casserole. Alors, je ne prends plus de rencard chez personne si je n’ai pas eu au minimum une femme au téléphone… C’est vous qui m’avez appelé, donc j’étais sûre dès le départ que vous étiez bien une femme…
- — Ça vous est donc arrivé de faire de mauvaises rencontres ?
- — Oui ! Une fois ou deux ! Je m’en suis toujours sortie, mais de justesse, parfois.
- — Et vous n’avez donc pas peur de m’emmener chez vous ?
- — Ben… non ! J’ai lu vos articles dans Rêves de Femmes… je m’y suis même abonnée. Nous en parlons dans mes réunions, je vous l’avoue, vous serez sûrement un atout de poids pour mes futures ventes… Je serai assez fière de raconter que vous et moi avons discuté le bout de gras à la terrasse d’un troquet et que vous êtes montée chez moi.
- — … ? Vous n’avez donc pas de mari ?
- — Non… pourquoi se contenter d’un seul homme alors qu’ils sont tant à nous attendre… vous l’êtes, vous en couple ?
- — Euh… non ! Mais c’est de votre interview qu’il s’agit là…
- — On va chez moi ? Allez ! Je vous montrerai le canard qui fait fureur dans les meilleures salles de bain de notre bourgeoisie…
- — Bon… je vous accompagne jusqu’au parking. Je vous suis avec ma voiture pour aller jusque chez vous ?
- — Oui… nous serons plus tranquilles pour causer.
— xXx —
Je me demande où j’arrive. Un immeuble presque neuf, une de ces résidences en périphérie des villes, et c’est au second étage d’un des quatre bâtiments que nous pénétrons dans un appartement. De toute évidence, notre amie Yolande n’est pas une championne du rangement. Mais l’essentiel n’est-il pas que dans ce « bordel » elle s’y retrouve ? Lorsqu’elle m’invite à dégoter une place dans un salon où traînent des fringues, des bouquins et tout un ramassis de trucs dont je ne sais pas les noms, elle se fout à rire. J’ai compris ! Chez elle, il s’agit d’un mécanisme d’autodéfense. Rire lui permet de passer à autre chose sûrement. Alors, elle empoigne une brassée de frusques propres ou pas, et elle finit sa course sur un fauteuil un mètre cinquante plus loin. Affaire réglée ! J’ai de quoi poser mes fesses sur un sofa.
Et sur la table basse qui le sépare d’un fauteuil, frère jumeau de celui qui vient de recevoir ses vêtements, elle pose sa valise. Elle n’est absolument pas gênée par cette situation et d’une voix claire me propose une boisson.
- — Tu veux boire un verre ?
- — …
Je note de suite le changement de ton et d’attitude de cette Yolande. Le « vous » poli et courtois est remplacé par un « tu » plus familier. Pas de quoi m’indisposer non plus, mais je suis surprise…
- — Non… je n’ai pas soif et puis… trop boire pourrait me donner envie d’aller aux toilettes.
- — C’est la porte à droite… si tu as besoin.
- — Merci… ça va aller.
- — Donc, tu me demandais au bistrot ce qui marchait le mieux dans mes… petits trésors ?
- — Ça peut être utile à mes lectrices…
- — Oui ! Tu peux les mettre en relation avec moi… j’ai tout ce qu’il faut pour réveiller les libidos les plus… inavouables… regarde !
Sa main déverrouille la valise et le couvercle qu’elle soulève laisse place à un tas d’objets. Si son appartement est du genre bordélique, son outillage professionnel est plutôt bien agencé. Des tas de sex-toys sont là sous mon nez. Elle extirpe de son coffret un « canard ». Je n’ai pas d’autre terme pour désigner ce qui effectivement ressemble à ce volatile.
- — Ça, Élisabeth, c’est la meilleure de mes ventes auprès des femmes du monde… un peu la ménagère entre quarante et soixante ans. Tu vois ! Ça vibre, c’est étanche et c’est inusable… L’utilisation dans le bain est un des points forts de cet objet. Très intime et passe-partout, il tient facilement dans un sac à main et peut ainsi être transporté partout… j’en vends entre trente et cinquante par mois… oui ! Et même si la marge n’est pas énorme… il me sert d’appel pour bien d’autres douceurs…
- — Appel ? Je ne saisis pas trop !
- — Ben… souvent, celles qui m’achètent ce jouet ne se contentent pas de celui-ci et… il est le compagnon de tout un panel qui va du vibro de base au modèle plus sophistiqué. Et les prix dans les autres gammes me font vivre.
- — D’accord ! Je commence à comprendre. Vous explicitez correctement ce que vous voulez dire Yolande. Vos clientes en supplément du caneton sont aussi amatrices de sensations plus fortes…
- — Ouais… plus profondes aussi. Parce que si le canard ne sert qu’à câliner les grandes lèvres et le clitoris, les joujoux qui s’apparentent plus à de vraies queues ont un tout autre usage… pas compliqué, n’est-ce pas… et regarde… tu vois ce type de bidule… un « easy-toys-lily » c’est doux comme de la soie, et agréable au toucher.
- — Et très flaschi… non ?
- — Oh… la couleur importe peu. Mais c’est vrai que les fabricants les parent de coloris très… sympa. Tu peux le prendre dans ta main, il ne mord pas, tu sais…
- — Je m’en doute !
Elle vient de me coller le « Rabbit rose » dans la paume de la main et c’est comme une caresse. La texture est particulière et sans trop savoir comment, en le tripotant, mes doigts le mettent en fonction vibrante… Il n’y a pas une grande intensité et ça me surprend…
- — Les femmes qui utilisent ce produit sont toutes satisfaites ?
- — Oh… ce que tu tiens là, c’est le plus basique, mais il y a le modèle plus… strong… avec beaucoup plus de punch… celui-là, tiens… c’est quasiment le même, mais je t’assure que ce joujou-là, il décape… tu veux l’essayer ?
- — Hein ? Non, non, bien sûr que non !
- — Dommage, tu ne sais pas ce que tu perds !
Elle rit et j’ai sûrement l’air d’une godiche avec son truc entre les doigts. Une poule qui viendrait de trouver un couteau… je repose donc l’engin sur le coin de la table. Et elle déballe d’un autre étui un appareil oblong, presque comme un œuf.
- — Voilà ce qui convient parfaitement pour les bouchons sur le périph parisien.
- — Quoi ? Ce petit objet ?
- — Oui… c’est bourré de technologie et ça fonctionne soit avec une télécommande minuscule, soit avec un smartphone… et tu peux le faire vibrer à distance. C’est un machin que mes clientes achètent souvent pour jouer en couple… tu vois ?
- — Pas trop…
- — Imagine alors, tu vas te faire une toile avec ton amant ! Il est un tantinet joueur et vous décidez de vous faire plaisir. Avant de quitter ton domicile ou ta voiture, il suffit que tu, ou mieux, qu’il t’enfonce cela dans le vagin. C’est invisible, indolore et pas gênant du tout. Et lorsqu’il, ou tu, le décide… il appuie sur une touche de la zappette ou de son téléphone et te voilà envahie de sensations incontrôlables. Ça peut être très jouissif, lorsque tu es entourée d’un tas d’inconnus ou en famille. Et puis plaisir garanti, c’est juré…
- — C’est un peu… pervers non ?
- — Ben, tu sais, de nos jours, les femmes aiment beaucoup un grain de perversion dans leurs jeux sexuels… ne me dis pas que tu n’as jamais eu envie d’un peu de fantaisie dans tes relations de ce style.
- — Euh… je préfère le vrai… le réel.
- — C’est un pis-aller, je te le concède, mais chacune d’entre nous se contente comme elle peut… et puis il n’y a aucun mal à se faire du bien…
- — Mais parlez-moi donc alors de vos réunions. Je ne vous imagine pas faire des essais en direct avec vos clientes potentielles.
- — Ça m’est déjà arrivé pourtant… oui, un soir chez un couple. Des libertins. Et ils avaient invité d’autres personnes de ce milieu… et depuis, je trimballe aussi des capotes.
- — Des préservatifs ? Mais pour quoi faire ?
- — Pour l’hygiène de mes produits… ce sont ceux de présentation, mais s’ils servent, je ne tiens pas à ce qu’ils véhiculent je ne sais quel microbe.
- — Bien sûr ! Suis-je bête… et vous… aussi, vous consommez parfois ?
- — Tu veux dire : est-ce que je couche aussi ?
- — C’est plus direct, mais c’est le sens de ma question !
- — Ben… quand tu cuisines, tu ne manges pas ce que tu fais cuire ?
- — … !
De nouveau, nous éclatons de rire. Cette femme a un bagout incroyable et je me sens tout idiote devant sa malle aux trésors. Elle tient encore à me montrer des tas de jouets, tous adaptés à des plaisirs différents. Certains arborent des tailles raisonnables, mais elle me sort aussi des engins dont j’ai du mal de les visualiser dans les endroits pour lesquels ils sont conçus… Toute une série aussi de rosebub argentés ou dorés dont les diamètres dépassent l’entendement. De véritables œuvres d’art aussi, dont les prix grimpent très vite en flèche.
- — Tu es certaine que tu ne veux pas en essayer un ou deux ?
- — Non, sans façon, merci.
- — Ne te sens pas gênée… j’ai l’habitude, tu sais. La plupart de mes clientes se sentent un peu… gauche puis… finalement, rien n’est plus naturel que ce genre de plaisir. Les femmes s’assument désormais. Et je te l’ai raconté tout à l’heure, il y a de plus en plus d’hommes qui sont prêts à dépenser des fortunes pour que leur épouse, leur compagne ou leur maîtresse prennent du plaisir…
- — Je m’en doute. Mais je suis toujours neutre lorsqu’il s’agit d’écrire pour mon journal. Et vous imaginez si je devais essayer tout cet attirail.
- — Je ne te force pas… c’est comme tu le sens, mais c’est de bon cœur. Ton petit copain n’aime pas les jouets ?
- — Joker, Yolande… vous voulez bien ! Je vais écrire un papier sur tout ceci et retracer fidèlement vos appréciations sur ces objets… mais je ne veux pas intervenir dans ce que vous venez de me raconter… Bon… je crois que j’ai assez d’éléments pour mon article.
- — Tu me fileras un exemplaire de ce que tu vas pondre ?
- — Oui… vous aurez comme toutes celles que j’écoute un droit de rectifications… c’est une règle absolue, mais je ne m’implique pas plus dans ceci…
- — Comme tu veux et chacune son job, mais si tu peux booster mes ventes… ce serait super chouette.
- — Eh bien… je rentre à Paris…
- — On garde le contact Élisabeth ?
- — Oui, avec grand plaisir…
Je me redresse et récupère mon sac. Yolande aussi se lève et nous marchons vers la porte. J’entrouvre celle-ci et m’apprête à lui dire au revoir. Elle me retient par la manche, se replie en direction de son salon en marmonnant je ne sais quoi. C’est pour mieux revenir vers moi en courant. Elle tient dans sa main un étui de carton.
- — Tiens ma belle ! C’est ton petit cadeau de bienvenue… et fais-en bon usage…
- — Mais, je ne peux pas accepter…
- — Allons ! Un cadeau est un cadeau… tu auras une petite pensée pour moi quand… tu t’en serviras. Allez va… parce que tu vas trouver du monde sur la route, à cette heure de sortie des bureaux… Salut Élisabeth !
- — Au revoir Yolande.
— xXx —
Trois heures pour faire les quarante-huit kilomètres qui me séparent du bureau. Une folie douce et des tas d’arrêts. Impossible, la région parisienne devient impossible. Mélanie est pourtant encore dans sa tour d’ivoire lorsque je débarque dans mon espace de travail. Elle entend ma porte s’ouvrir et elle se radine dans la foulée.
- — Alors, Élisabeth ! Intéressante, ta vendeuse, de perversité ?
- — Une femme heureuse en tout cas. Elle semble adorer ce qu’elle fait…
- — Mais ça va donner quoi, ton papier ?
- — Ben… je n’en sais rien… j’ai matière à écrire, après tu sais bien que c’est à l’appréciation du public… en tout cas, ça peut donner des idées à celles qui sont sans mec…
- — Si tu le dis…
- — Tu passes donc aussi tes nuits au journal, Mélanie ?
- — Non ! J’allais rentrer… mais tu as peut-être envie que nous allions boire un verre. Je me sens un peu… seule le soir.
- — Ah !
Je suis tentée de décliner l’offre, à cause de son parfum, puis je me ravise. Après tout, moi aussi, je vis dans un appartement vide et je sais bien ce que peuvent représenter les soirées devant la télé. Je range mon dictaphone dans un tiroir et au moment de loger la clé du meuble dans mon sac, la boîte en carton rouge et or me fait sourire. C’est vrai que j’ai du coup un compagnon muet dans mon baise-en-ville…
- — Bon ! On y va, Mélanie, alors ?