n° 22852 | Fiche technique | 52411 caractères | 52411 9139 Temps de lecture estimé : 37 mn |
28/12/24 |
Résumé: Que voulez-vous ? J’ai été élevé devant Fanfan la Tulipe en noir et blanc. Il en reste forcément quelque chose. | ||||
Critères: #aventure #fantastique #coupdefoudre | ||||
Auteur : Amateur de Blues Envoi mini-message |
Où l’on fait connaissance avec notre héros.
La cité de New-Market était immense, la plus grande du monde connu. Vingt mille habitants, peut-être même plus, se serraient entre ses remparts. Le pouvoir était exercé par une élite censitaire, de riches héritiers que l’on nommait ducs et duchesses en souvenir de temps plus anciens. Ils se réunissaient pour prendre les décisions qui permettaient à la cité de se développer et de se défendre, sous l’autorité de la reine Gloria III, veuve du roi Gontran qui n’avait régné qu’un an avant de mourir dans des circonstances imprécises.
Parmi la foule laborieuse qui circulait à toute heure de la journée dans les rues étroites de la cité vivait un orphelin, un enfant des rues qui n’avait jamais connu ni père ni mère et qui s’était nommé lui-même Fanfan, en référence au personnage d’une vieille bande dessinée qu’il avait un jour trouvée dans un caniveau. Pour survivre ainsi, sans logement, sans famille et sans école, il fallait bien que le garçon ait du talent. La souplesse, la rapidité, l’imagination et l’intrépidité étaient des qualités indispensables à la survie et Fanfan n’en manquait pas. Il exerçait de nombreux métiers simultanément, au gré des opportunités, voleur, saltimbanque, portefaix, vendeur d’herbe, alchimiste, toutes professions ne demandant aucun diplôme, mais il pouvait aussi, si l’occasion se présentait, se faire passer pour un architecte, un spadassin ou un vigneron.
Au moment où nous débutons notre récit, il s’était installé en plein milieu d’un des principaux carrefours de la ville et il bloquait la circulation en jonglant avec trois torches enflammées. Un gamin qu’il avait recruté circulait dans la cohue des voitures et des carrioles bloquées avec un bonnet.
Fanfan n’était pas grand, à peine plus grand que le petit va-nu-pieds qui circulait entre les équipages. Sa croissance avait été difficile, mais la musculature révélée par son maillot troué était celle d’un homme adulte. Son visage, par contre, était juvénile et ses traits aristocratiques. Toutes les commères de la ville basse en étaient folles et il suffisait souvent qu’il arbore son célèbre sourire pour qu’elles lui offrent gîte et couvert, si vous voyez ce que je veux dire.
Pour l’instant, il regardait tout en jonglant un spadassin qui se frayait un chemin dans la foule pour s’approcher de lui. On allait lui demander de se sortir du passage. Eh bien, il n’obéirait pas, car il avait absolument besoin de l’argent d’un bonnet plein pour aider le morveux qu’il avait pris sous son aile, lui et ses deux petites sœurs, à peine plus grandes que des chiots et qui, sans Fanfan, seraient déjà mortes.
Le spadassin appartenait au Duc dont Fanfan voyait l’équipage dans la file de véhicules qui s’était formée en amont du carrefour. C’était certainement un grand personnage, car la voiture était richement décorée et les deux tigres qui constituaient l’attelage étaient des bêtes exceptionnelles, plus hautes que Fanfan. Les attelages de tigres étaient une mode récente qui se répandait chez les nantis. La circulation devenait de plus en plus chaotique et des tigres permettaient souvent d’effrayer suffisamment le petit peuple pour se frayer un chemin plus rapidement.
L’homme d’armes devint tout rouge. Il sortit son sabre et, dans le même geste, tenta de pourfendre Fanfan qui échappa à la mort par un salto arrière impeccable, les torches enflammées retombant sur le soldat. C’était presque brillant, mais le sabre avait tout de même eu le temps d’effleurer le ventre du jeune homme, y laissant une ligne rouge et surtout de couper net la ficelle qui tenait ses braies. Aussi, Fanfan retomba sur ses pieds, prêt à la suite des évènements, mais il était nu.
Il y avait peut-être une centaine de personnes autour d’eux et plus encore si on considérait ceux qui assistaient à la scène depuis les fenêtres des immeubles alentour. Un immense éclat de rire général accueillit la nudité du garçon. Les épouses rougirent et les jeunes filles soupirèrent. Fanfan en véritable bête de scène se fendit d’une révérence à l’attention de son public, tandis que son adversaire se roulait par terre pour éteindre le feu qui avait pris à ses vêtements. Jugeant qu’il valait mieux en rester là, le saltimbanque siffla son acolyte et disparut en un éclair par la première ruelle venue.
Où notre héros rencontre une duchesse.
Fanfan était attablé dans une taverne de la ville basse avec ses protégés. Ils dévoraient des ailes de poulet frites avec appétit. Les garçons avaient devant eux un verre de vin et les fillettes du lait de chèvre. C’était un bon moment, le meilleur de la journée, et on ne savait jamais quand on pourrait en avoir un autre aussi bon dans le futur. Aussi, l’ambiance était joyeuse et Rasemotte, ainsi nommait-on le gamin, chantait une chanson à la gloire de Fanfan. Il était plutôt doué et une bande de colporteurs assis à la table voisine applaudissaient.
C’est le moment que choisit une belle dame pour entrer dans le bouge enfumé. Elle n’était clairement pas à sa place avec ses vêtements de lin et son châle tissé de fils d’argent. D’ailleurs, elle le savait bien, regardant autour d’elle avec effroi. Elle s’approcha de Fanfan dès qu’elle le remarqua et il comprit que c’est lui qu’elle cherchait. Les colporteurs la prenaient pour une duchesse égarée et commençaient à entonner une paillarde qui parlait du con de la duchesse au refrain. Le saltimbanque savait faire la différence entre une duchesse et une dame de compagnie et se demandait ce que celle-ci, qu’il ne connaissait pas, pouvait bien lui vouloir. Les yeux suppliants de la dame qui ne le quittaient pas du regard l’attendrirent. Il fit taire les peigne-culs, ordonna à Rasemotte de surveiller ses sœurs et de ne pas boire son vin avant de sortir avec elle.
Effectivement, le même spadassin que celui du carrefour, avec les vêtements noircis et la moustache toute roussie d’un côté, se tenait un peu plus loin, la main sur son sabre.
Et il suivit la donzelle sans faire d’histoires. Ils empruntèrent de nombreuses rues et montèrent maints escaliers, les ducs habitant tous la ville haute où l’air était plus sain et la vue magnifique. De temps en temps, Fanfan se retournait pour vérifier que le spadassin le suivait toujours. Le soldat était là, à trois pas, roulant des yeux et serrant les dents. Finalement, ils entrèrent par une porte dérobée dans un des plus beaux palais de la ville. La Duchesse de Blancnichon n’était pas n’importe qui.
Il se retrouva dans une buanderie où officiait une matrone, grande et grosse, vêtue d’une large chemise aux manches retroussées. La dame de compagnie avait disparu sans que Fanfan s’en rende compte et il demanda innocemment où était la Duchesse.
Jugeant qu’un bon bain lui ferait du bien, notre homme se laissa faire. L’eau était chaude et le savon sentait bon. La grosse lavandière le frottait au gant de crin en se penchant en avant, laissant ses mamelles s’agiter sous le nez de l’acrobate. Il tenta d’en profiter, mais, dès qu’il y mit la main, il se fit taper sur les doigts.
Elle le sécha et lui trouva une chemise fleurie et un vrai pantalon avec une ceinture, ce qu’il n’avait jamais possédé. C’est ainsi qu’il se retrouva propulsé dans une grande chambre où trônait un lit à baldaquin dans lequel un olifant aurait pu dormir. Une porte s’ouvrit et la Duchesse parut. C’était une femme qui avait certainement été très belle. Maintenant, à quarante ans, elle était un peu fanée. Les bijoux qu’elle portait sur elle auraient permis à Fanfan et à ses protégés de vivre cent ans au moins à l’abri du besoin.
Nouvelle révérence. Fanfan se demandait ce qu’elle pouvait bien vouloir.
C’était scabreux, mais notre jeune homme n’avait peur de rien et il baissa son nouveau pantalon sans ajouter un mot.
Sans attendre de réponse, la duchesse fit un pas en avant et empoigna la flûte de Fanfan. Elle avait la main sèche et froide et elle le manipula sans ménagement. Ce n’était pas agréable, mais l’outil en avait vu d’autres et il fut bientôt aussi raide qu’un sabre de spadassin dont il avait d’ailleurs la courbure.
Où la Duchesse fait de notre héros un pokey.
Fanfan reprit sa vie ordinaire de rapines, d’acrobaties et de coups d’éclat. Cela dura quelque temps et il commençait à oublier la Duchesse de Blancnichon quand la jolie dame de compagnie surgit un jour où il se baignait dans le fleuve avec ses amis. Ils étaient nus, évidemment, et s’aspergeaient dans de grands éclats de rire. Des commères étaient installées à demeure sur le pont pour profiter du spectacle. La dame, sur la berge, ne savait comment attirer l’attention du garnement sans passer pour une voyeuse. C’était terriblement gênant et elle était rouge comme une cerise.
Mais Fanfan qui observait constamment son environnement, la remarqua assez vite et c’est ainsi qu’il se retrouva à attendre dans un petit boudoir du palais. On ne l’avait pas lavé, cette fois-ci, peut-être parce qu’il sortait de la rivière ou peut-être parce que la duchesse avait autre chose en tête qu’une partie de bête à deux dos. Il s’attendait à tout, mais fut quand même surpris quand la porte s’ouvrit sur le duc, un homme vieux et lourd, caché sous un manteau d’hermine, bien trop chaud pour la saison, selon Fanfan.
À ce moment-là, la dame aux beaux yeux entra dans la pièce.
Aussitôt, celle-ci remit un petit billet parfumé au jeune acrobate. Le billet disait : « Acceptez ! » Fanfan ne savait pas lire, mais il devina.
Quand il sortit du palais, Fanfan chercha des yeux la messagère aux beaux yeux, mais il ne put la trouver nulle part. Ne fréquentant pas la ville haute et ses distractions, il n’avait aucune idée de ce qu’était un pokey. Pourtant, il en était devenu un.
Où notre héros découvre le monde des pokey et tombe amoureux.
Le lendemain, quand il se présenta aux écuries installées derrière le palais des Blancnichon, Fanfan ne savait pas encore grand-chose sur les pokey et les grands prix. Il avait signé un contrat avec l’intendant du duc, reçu le costume officiel des pokey Blancnichon, un gilet sans manches blanc et or et une culotte lie de vin pour rappeler que les Blancnichon avaient fait fortune dans le jus de raisin, et surtout, on lui avait délivré une avance de quarante sous sur ses gages à venir. Fanfan n’avait jamais vu autant d’argent rassemblé. Il en avait porté la moitié à son banquier, c’est-à-dire Rasemotte, en lui recommandant de ne rien dépenser, sauf en cas de force majeure. Il savait que le cas se présenterait très vite, mais il fallait bien que jeunesse se passe. Et il arrivait maintenant devant l’écurie, un immense hangar en bois d’où sortaient des effluves nauséabonds.
Un vieux traînait devant la porte, un balai à la main. Il regarda Fanfan arriver avec un air las et dégoûté à la fois. Une fois qu’il eut compris que le jeune homme était le nouveau pokey, il eut l’air encore plus las et plus dégoûté.
Fanfan ne put rien en tirer de plus. Il pénétra doucement dans l’écurie mal éclairée et vit un spectacle de cauchemar. Une énorme bête verdâtre aux yeux rouges, retenue par de lourdes chaînes en métal, se tenait vautrée dans un coin du hangar, et, tout autour d’elle, des os, des peaux et des débris divers jonchaient le sol. Le saltimbanque ressortit immédiatement et apostropha le vieux Dan qui s’était assis contre le mur.
Fanfan dut extirper les informations une à une de la bouche de Dan. Dans les courses de dragons, le pokey se tenait juste derrière la tête du monstre et le guidait avec une badine, une sorte de baguette magique qui envoyait des décharges électriques. Le pokey montait la bête enchaînée, et ensuite seulement, le lad libérait l’animal et ouvrait la porte arrière de l’écurie qui donnait sur un vaste plateau désertique à l’arrière de la ville haute. C’était là que Fanfan était censé s’entraîner pendant les trois semaines à venir, avant le premier grand prix de la saison.
Un peu plus tard, Fanfan se retrouva sur le dos d’Oliver, une badine à la main et l’autre serrée à s’en faire mal aux jointures sur une corde passée autour du cou de l’animal. Dan avait ouvert la grande porte de l’écurie et Oliver galopait droit devant lui dans l’espace désertique du plateau. Au bout de quelques minutes, le jeune homme essaya de diriger le dragon avec sa badine, mais celle-ci semblait ne pas fonctionner ou Oliver s’en moquait. En tout cas, sa course échevelée ne déviait pas d’un pouce.
Soudain, un autre dragon, visiblement plus rapide qu’Oliver les rattrapa et vint se positionner à côté d’eux. Fanfan tourna la tête et vit alors la plus jolie chose qu’il ait jamais vue. Le pokey était une pokey, une jeune femme à cheveux longs qui flottaient dans le vent, aux immenses yeux noirs qui le regardaient d’un air moqueur, au pantalon jaune et au gilet bleu brodé d’argent. Sous le gilet apparaissaient les plus beaux seins qu’on puisse imaginer, fermes et pointus, avec de belles aréoles brunes. Traditionnellement, les pokeys ne portent rien sous leur gilet et Fanfan trouvait soudain cette tradition tout à fait estimable.
Et le dragon de la jeune femme fit demi-tour sur place et disparut. Fanfan alluma sa badine et en écrasa la pointe sur le crâne d’Oliver qui stoppa net sa course et s’effondra sur lui-même. La jeune pokey et son dragon n’étaient plus qu’un point à l’horizon. Le jeune homme venait de comprendre que pokey était un métier difficile et dangereux. Il savait aussi qu’il venait de cesser d’être insouciant. Il était amoureux et n’aurait de cesse qu’il n’ait revu cette jeune femme.
Où notre héros apprend qu’un danger plane sur sa tête.
Fanfan avait maintenant une chambre à lui, à l’arrière du palais des Blancnichon. Quand il ne s’entraînait pas, il y passait tout son temps, allongé sur le lit le plus moelleux qu’il ait jamais connu, les mains croisées derrière la tête à rêver de sa belle pokey mystérieuse. On lui avait bien fourni un livre sur le dressage des dragons, mais il n’y avait pas beaucoup d’images. Il en était à se rappeler les yeux noirs quand on frappa à la porte. C’était la messagère de la Duchesse, qui elle aussi avait de beaux yeux, mais plus clairs.
Il était amoureux d’une autre, mais cette dame-là lui avait tapé dans l’œil et il aurait bien fait un peu de gymnastique avec elle avant de se taper la vieille embijoutée.
La Duchesse de Blancnichon était dans son bureau, vêtue d’une belle robe mauve et pas du tout dans son lit en chemise comme Fanfan l’avait imaginé. Elle leva les yeux d’une lettre qu’elle écrivait quand il entra.
Il n’y avait pas de mal à la flatter un peu.
Fanfan pensa à part lui que cela serait très facile de ne pas briller au Grand Prix, étant donné les talents d’Oliver.
Où notre héros participe à sa première course.
Le jeune pokey s’entraîna d’arrache-pied, cherchant à chacune de ses sorties à revoir la jolie monteuse de dragons aux yeux noirs, mais il ne la rencontra plus. Par contre, il croisait régulièrement des dragons beaucoup plus performants que le sien, plus gros, plus rapides et plus obéissants. Ce ne serait vraiment pas difficile de rester discret pendant le grand prix.
Très vite, beaucoup trop vite, le jour « J » arriva. Fanfan obtenait d’Oliver qu’il tourne à droite ou à gauche, qu’il s’arrête et qu’il reparte, mais pas grand-chose de plus. Ils se retrouvèrent au petit matin dans une cohue de dragons qu’on conduisait en troupeau au départ de la course, guidés par des spadassins armés de grandes lances dont ils n’hésitaient pas à se servir pour contenir les dragons.
Tout le monde était très nerveux. Les animaux ne semblaient pas apprécier leurs congénères et menaçaient constamment de se ruer les uns sur les autres. Des fumées inquiétantes commençaient à sortir de leurs naseaux. Oliver était un peu à part, à l’arrière du troupeau. Il avait visiblement peur et le spadassin le plus proche devait le piquer sans arrêt pour le faire avancer.
On arriva en bordure de plateau, là où une gorge étroite descendait vers la plaine. Tout le monde, sauf Fanfan, semblait savoir ce qui allait se passer maintenant. Les dragons, serrés les uns contre les autres, se contentaient de braire. Le cri du dragon est très désagréable à entendre pour l’oreille humaine. Fanfan regardait autour de lui, attendant un signe qui lui indique la suite. À côté de lui vint se placer un énorme dragon jaunâtre qui sentait si mauvais que Fanfan faillit vomir. Il leva les yeux vers le pokey à la manœuvre sur ce monstre et constata avec effarement que c’était une orque. Il en avait vu dans les livres d’images, mais il croyait qu’il s’agissait d’une légende. Eh bien, non, une orque, une vraie, avec des défenses qui lui sortaient de la gueule, poilue comme un grand singe, avec des petits yeux rouges comme ceux de son dragon se tenait derrière la tête du monstre. Il regardait Fanfan et se mit à ricaner comme un grincement de charrette. Oliver, effrayé par son énorme voisin tenta de se faufiler vers l’avant et à ce moment, un énorme coup de canon retentit.
Tous les dragons qui savaient à quoi s’en tenir se ruèrent en avant, propulsant Oliver avec eux par la même occasion. Le problème était que l’entrée des gorges était beaucoup trop étroite pour que toutes les bêtes passent en même temps. Elles ne pouvaient s’y tenir qu’à deux ou trois de front. Aussi, il y eut tout de suite un bouchon, mais les dragons de l’arrière poussaient encore et encore, si bien qu’une sorte d’explosion eut lieu. La pression accumulée avait projeté dans les airs deux ou trois dragons parmi lesquels Oliver, si bien que Fanfan se retrouva dans la vallée étroite bien avant tout le monde.
Derrière eux, la foule se ruait à son tour. Se voyant poursuivi, Oliver hurla et se mit à galoper sans que Fanfan n’ait rien à faire. Un seul dragon les précédait. C’était une chance inespérée. Le jeune homme avait oublié qu’il ne devait pas se faire remarquer et imaginait déjà qu’il allait finir dans les premiers. Un troisième dragon qui avait lui aussi voltigé, vint se placer à sa gauche et la chance souriait à Fanfan, car c’était la jeune pokey du premier jour qui montait ce dragon-là.
Elle fit alors un brusque écart et disparut du champ de vision de Fanfan. Au même moment, une langue de feu comme on n’en voit qu’en enfer passa près de lui pour aller carboniser le concurrent qui les précédait. En un instant, il fut réduit en un tas de cendres fumantes, dragon et pokey réunis. La vallée descendait toujours entre deux hautes falaises, si bien qu’il n’y avait pas d’échappatoire possible. Fanfan se retourna et vit derrière lui le gros dragon jaune avec l’affreuse orque au sommet qui désignait Oliver du doigt. Là, sur sa droite, le pokey repéra une petite grotte à l’entrée envahie par les ronces. Un coup de badine et Oliver se ruait dans les ronces. Fanfan faillit perdre un œil et se retrouva en sang dans l’obscurité de la grotte.
Ils virent passer devant eux le gros jaune, puis tous les autres concurrents. Les pokeys se battaient à coups de badine, les dragons se mordaient ou se lançaient des flammèches. Aucun ne semblait aussi puissant que celui monté par l’orque et on devinait qu’il allait gagner le grand prix, car personne n’essaierait de le doubler. Bientôt Fanfan et Oliver se retrouvèrent seuls dans le calme et le silence. Ils sortirent prudemment de la grotte et prirent le chemin de l’arrivée, sans se presser toutefois.
Au bout de quelques instants, ils furent rejoints par la pokey et son dragon. Ils avancèrent lentement côte à côte, d’abord en silence. Curieusement, les deux montures ne semblaient pas en rivalité. La jeune femme regardait droit devant elle comme si Fanfan n’était pas là. Néanmoins, il savait qu’elle l’aurait semé facilement si elle l’avait voulu. Finalement, il se résolut à briser le silence.
Où notre héros sauve la vie de la femme qu’il aime.
À l’arrivée de la course, Fanfan ne réussit malheureusement pas à passer inaperçu. Les ducs et autres notables de la ville qui suivaient la course depuis le haut des falaises avaient considéré qu’il avait eu un coup de génie en plongeant dans la grotte et il avait reçu le prix de jeune espoir de l’année. L’autre jeune espoir qui aurait pu revendiquer le prix ayant été carbonisé, il était en fait le seul en lice. Cela lui valut un bouquet, une somme d’argent conséquente, mais il ne comptait plus, Rasemotte le faisant pour lui et surtout une présentation devant la reine elle-même, présentation qui devait avoir lieu quelques jours plus tard. Cela l’inquiéta un peu, mais sans plus. Malgré son amour non payé de retour, il gardait un peu d’insouciance. Il était jeune et l’aventure était belle.
Il continua à s’entraîner, dans l’espoir de revoir Lumina et de progresser dans leurs relations. En raison de sa célébrité nouvelle, la Duchesse de Blancnichon lui fit savoir qu’elle remettait à plus tard leur rendez-vous secret et Fleur ne voulait toujours rien savoir. Oliver s’était habitué à lui et ils faisaient de bonnes balades tous les deux, explorant les parties du plateau qu’ils ne connaissaient pas encore, cherchant des yeux les grottes et les cachettes potentielles, au cas où.
Un matin, le soleil se levant dans son dos et éclairant le plateau, il arriva devant une sorte de tumulus, une simple bosse de terre un peu plus haute qu’un dragon. Il en était là, à se demander l’origine de cette concrétion, son dragon grattant le sol avec ses griffes pour dénicher lézards et suricates, quand il vit arriver Amazone, seule, la selle de travers et les brides pendant au sol. Le dragon avait l’air passablement déprimé et Fanfan comprit que quelque chose s’était produit.
Mais la dragonne eut l’air de comprendre puisqu’elle fit demi-tour et partit à fond de train en direction des falaises.
La dragonne l’amena au bord des falaises et là, le gros dragon jaune dévorait des buissons, lui aussi sans personne dessus. Une femme criait quelque part. Fanfan sauta à terre avec l’agilité d’un ancien saltimbanque et se dirigea vers les cris qui semblaient provenir de la falaise. L’orque avait-il jeté son amie en bas ? L’idée était terrible. Mais il vit en s’approchant du bord que la sale bête et sa victime étaient tous les deux sur une vire étroite un peu plus bas. La jeune duchesse était allongée au sol et l’orque se dressait de toute sa hauteur devant elle. La jeune femme n’avait plus de gilet et son pantalon était réduit en lambeaux, montrant ses cuisses blanches de duchesse.
L’orque avait un sabre de spadassin à la main et un monstrueux boudin rougeâtre et raide sortait de son pantalon. Il ricanait, à croire qu’il ne savait faire que ça. Fanfan n’attendit pas d’en savoir plus et bondit par-dessus le bord de la falaise. Il y avait peut-être quatre ou cinq mètres jusqu’à la vire, mais Fanfan avait l’habitude de sauter d’un toit à l’autre pour cambrioler des appartements et il arriva les pieds en avant sur le dos du sale agresseur qui bascula sous le choc, passa par-dessus Lumina et plongea dans le vide en hurlant. Fanfan faillit le suivre, emporté par son élan, mais il se raccrocha de justesse à un arbuste installé opportunément sur ce bout de vire et se rétablit comme l’acrobate qu’il était. « Et hop ! » faillit-il dire, mais il s’abstint. Il essayait de ne pas regarder la nudité de Lumina qui restait au sol, prostrée. Il se défit rapidement de son gilet pour le lui tendre et commença à observer la falaise au-dessus d’eux pour envisager un moyen de regagner le plateau. Pour l’instant, il n’en voyait pas.
Fanfan trouva la demande scabreuse et ne répondit pas.
Mais la tête vert pomme d’Oliver et ses yeux rouges apparurent au-dessus d’eux.
Le dragon secoua la tête comme s’il refusait, mais bientôt la bride dégringola bientôt le long de la pente. Malheureusement, le bout était encore trop haut pour que Fanfan puisse l’atteindre.
Oliver fit ce qu’il put et Fanfan put attraper la longue bande de cuir.
Et sans attendre une réponse qu’il imaginait cinglante, il se hissa le long de la falaise, aidé par Oliver qui reculait à mesure que Fanfan grimpait.
Ainsi purent-ils échapper à une situation difficile. Arrivée en vue de la ville, Lumina marmonna un « À bientôt » qu’elle disait visiblement à regret et partit au galop en direction de son écurie.
Où notre héros est accusé de régicide.
La veille de la réception au palais royal, Fanfan reçut la visite d’un clone de Fleur qui lui indiqua de la suivre parce que « Sa majesté voudrait s’entretenir avec vous avant la réception de demain ». Le pokey était devenu docile et suivit sans problème le joli minois de l’émissaire. On le fit entrer dans le palais par une porte dérobée et, de cela aussi, il avait pris l’habitude. On l’abandonna dans un petit boudoir avec la promesse que ce ne serait pas long.
Pourtant, les minutes passaient et se transformaient en heures et personne ne venait le chercher. L’avait-on oublié ? Soudain, tout s’accéléra. Une soubrette surgit dans le cabinet en hurlant, une main sur la bouche et s’enfuit. Ce n’était que la première. D’autres domestiques, hommes et femmes passèrent devant Fanfan. Tous avaient l’air terrifiés et aucun ne s’intéressait à lui. Le jeune homme se demanda ce qu’il devait faire. Fuir lui aussi, ou attendre d’en savoir plus ?
Son dilemme fut résolu par un groupe de spadassins qui pénétrèrent dans la pièce, sabre au clair.
La pièce était petite, les hommes nombreux et armés. L’affaire était mal engagée et Fanfan comprit que ce n’était pas le moment d’essayer de se disculper. D’un bond, il s’accrocha au lustre et envoya ses bottes frapper le visage du plus près de ses ennemis avant de se projeter à travers la croisée. Dans ces palais, on ne sait jamais exactement à quel étage on se trouve. Heureusement pour Fanfan, bien que sautant d’assez haut, il atterrit sur le toit d’un petit appentis sur lequel il se réceptionna.
De toit en toit, il gagna son quartier puis s’enfila dans une ruelle, prêt à disparaître. C’est à ce moment qu’il fut tiré par la manche dans un coin sombre et qu’il se retrouva nez à nez avec Lumina.
Où notre héros et son amie dressent un plan audacieux.
La chambre de Lumina était confortable et calme, dans une tourelle du palais des Toumignon où personne ne venait jamais, car on savait que la jeune femme avait un caractère affirmé. Fanfan était tout émoustillé de se trouver là, même s’il n’en disait rien, si près du lit de la belle. Lumina ne laissait pas entrer les soubrettes dans son aile, et comme elle n’était pas elle-même une parfaite ménagère, le rangement laissait un peu à désirer. Quand Fanfan voulut s’asseoir, il dut enlever de son siège une culotte, à son avis déjà portée, et cela ne contribua pas à son calme.
Quand ils furent dans le noir, Lumina dans son lit et Fanfan sous un plaid qu’elle avait bien voulu lui concéder, le jeune aventurier continua de réfléchir à la situation. Depuis toujours, il réfléchissait mieux dans le noir et le silence et, soudain, la solution lui apparut.
Le silence revint dans la chambre, assez longtemps pour que chacun d’eux pense que l’autre s’était endormi. Puis,
Où notre héros et son amie mettent en œuvre leur plan improbable.
Une autre des héros de bande dessinée préférés de Fanfan était le Fantôme. Lumina lui prêta des vêtements de son père entièrement noirs et il partit par les toits. De palais en palais, de toit en toit, il parcourut la ville haute jusqu’au palais de la reine, enfin du roi, puisqu’il n’y avait plus de reine. Quand il fut sur les toits des Blancnichon, il hésita à entrer pour voir où en étaient la Duchesse et sa dame de compagnie, mais la discussion de la nuit lui revint et il s’abstint.
Une fois introduit dans le palais royal par un vasistas, le plus dur restait à faire. Il n’avait aucune idée de l’architecture des lieux et de l’endroit où pouvait se trouver le roi. Il ne connaissait qu’un petit boudoir qu’on atteignait par un escalier qui donnait sur une porte discrète. C’était assez maigre comme renseignements. C’est alors qu’il devint vraiment le Fantôme. Il parcourut tout le palais, des cuisines où il vola son déjeuner à la chambre d’une soubrette qu’il vit culbutée par un majordome. Il fut souvent dans la même pièce que des serviteurs ou des spadassins sans que personne ne détecte sa présence. Quand l’affaire serait finie, il donnerait des conseils au roi pour assurer sa sécurité qui laissait bien à désirer.
D’ailleurs, ce qui l’inquiétait fort était de constater que les spadassins qui se trouvaient dans tous les couloirs avaient le costume des Crodeor. Il ne faudrait pas qu’on tue le jeune roi avant qu’il intervienne. Finalement, glissé derrière une tenture, il vit entrer le roi dans une grande pièce où brûlait un arbre entier dans une cheminée monumentale.
Le fantôme attendit encore un peu. Le roi s’était assis dans un grand fauteuil, face aux flammes et il soupirait. Quand il fut sûr que personne n’était plus dans la pièce, le jeune aventurier sortit de sa cachette et se présenta devant le roi par un petit bond suivi d’une révérence.
Le roi lut la missive, jetant de petits coups d’œil inquiets sur l’homme devant lui.
C’est ainsi qu’une petite troupe sortit du palais royal. Le jeune roi marchait entouré de trois spadassins fidèles, accompagnés d’un quatrième, plutôt petit en taille pour un spadassin, mais à la fausse barbe impressionnante. Des hommes du duc tentèrent bien de les arrêter poliment, mais l’autorité du roi ne pouvait être combattue frontalement et ils durent s’effacer.
Pendant ce temps, Lumina de Toumignon s’était rendue en tenue de pokey chez le Duc de Crodeor. Elle s’était fait annoncer et avait été introduite aussitôt. Le Duc était un homme énorme, mesurant près de deux mètres et avec presque les mêmes mensurations en tour de taille. Il se tenait dans son lit en kimono de soie, avec une soubrette nue de chaque côté de lui. Quand Lumina entra, il dévorait un grand plat de beignets. Une soubrette lui essuyait la bouche après chaque bouchée.
Aussitôt, une des soubrettes se précipita, les seins gigotant dans sa course, pour satisfaire à la demande ducale.
Lumina sortit aussitôt sans attendre de réponse. Elle était sûre que le vieillard lubrique serait au rendez-vous. Elle faillit s’arrêter dans le couloir pour dire deux mots à la soubrette qui revenait, toujours aussi nue, portant un plateau avec le thé, mais elle jugea que ce n’était pas le moment de marivauder.
Où notre héros et son amie démasquent le coupable.
Le piège était en place. Fanfan et le roi étaient installés derrière une tenture qui représentait un dragon beaucoup plus majestueux que l’affreux Belzebuth du Duc. Lumina avait quitté ses habits de pokey pour une chemise en lin blanche qui ne laissait rien ignorer de ses formes et dénoué ses cheveux. Elle sentait si bon la lavande et la sauge que l’odeur venait jusque derrière la tenture et les deux jeunes hommes en étaient enivrés.
Mais à ce moment ils se turent, car on annonçait le Duc de Creador. Le gros homme entra en se dandinant, coincé dans une armure en peau de licorne, suivi par un spadassin à tête de tueur.
Déjà, elle s’était approchée de lui et lui caressait la barbe. Le militaire ne savait plus quelle contenance adopter et le duc rougissait à vue d’œil.
Quand ils furent seuls, Lumina proposa un rafraîchissement et un grand fauteuil confortable au duc. Celui-ci crevait de chaud dans sa belle armure et accepta avec un soupir qui disait son état.
Elle enlevait de grands morceaux de peau de licorne très raides sur les jambes et le torse du duc, laissant apparaître une peau malpropre et velue.
Tout en faisant semblant de dénuder l’hippopotame à la chair blanchâtre et gélatineuse, Lumina entravait ses bras et ses jambes. Au moment où Fanfan surgit de derrière son rideau en habit de spadassin royal avec un grand sabre, elle n’eut qu’à le bâillonner avec son foulard de soie et le vilain était à leur merci.
Lumina enleva le bâillon du duc.
Le jeune Gontran sortit de sa cachette. Il prit le sabre des mains de Fanfan et décapita dans l’instant le Duc de Crodeor.
Pendant ce temps, les gardes fidèles avaient désarmé Mordred et lui avaient passé une épée au travers du corps.
Où notre héros apprend le secret de son amie, juste avant leur mariage.
Les aventures sont finies. Le mariage de Lumina avec Fanfan a lieu dans quelques jours et les deux tourtereaux profitent du soleil sur la terrasse des Toumignon. La jeune femme est allongée, la tête posée sur les genoux de son futur époux.