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n° 22855Fiche technique8035 caractères8035
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Temps de lecture estimé : 6 mn
01/01/25
Résumé:  héritage
Critères:  #voisins
Auteur : Landeline-Rose Redinger            Envoi mini-message
Villa triste suivi de Maison F.

Villa triste


Aujourd’hui le vieux poète est mort. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’étais conviée par l’agence, souvenons-nous de mon activité lucrative d’Escort – pour une soirée festive, conséquence heureuse de la primaire écologiste portée par cet homme qui ne détestait pas le jupon. Bref. Donc maquillée, chevelure de jais, robe droite sur bottines aiguille, facture classique dirais-je. J’étais prête ; on frappa à ma porte, un homme un peu défait, défait par le défunt qu’il veillait et qui n’était autre que le vieux poète de l’impasse. Souvenons-nous également des pas de danse qu’un soir nous esquissâmes lui et moi, aussi les grâces buccales dont il bénéficia dans les ajours du grillage qui clôt ma petite propriété.

Tous, voisins et amis étaient autour du corps. Beau dans son costume, un panama posé sur le buste, le poète semblait donner le meilleur de lui-même. Il apparaissait à son visage une forme à peine esquissée de sourire. Ah ! me dis-je, cet homme était encore ardent comme un bois vert, il y a peu de cela et le voilà bientôt entre les quatre planches d’un vieux chêne. Mais plus que de m’attrister, cette pensée m’inclina vers la magnificence de la vie. On chouinait un peu autour de lui, mais quelque chose tenait du factice plus que de l’affliction. Pour cette veillée funèbre et par pure coïncidence, j’avais la tenue de circonstance. J’avais fait fi de ma prestation d’Escort, on me remplaça sur le champ.

Empreinte de cette mélancolie propre aux effets de la disparition d’un être cher, je voguais pourtant légère vers des souvenirs heureux. J’avais eu avec cet homme quelques moments gracieux ; non ne vous méprenez pas, il y eut des soirées de pure poésie. Harmonie subtile du vin, de la douceur du soir, égayée d’une musique ambiante, de sa main sur ma hanche dans le lent tournoiement de nos corps. Que je rendisse grâce à la verticalité de son membre parfois, n’entre pas dans le champ poétique de nos moments mémorables. Puis d’un silence de veillée, nous glissâmes sobrement vers des échanges cordiaux découvrant là l’existence d’un frère âgé, d’une sœur bonne sœur, et de l’inévitable séducteur ami et éditeur du poète, qui me reconnut avant de me connaître.


On parle bas avec déférence. On se faufile de pièce en pièce ; on l’imagine aisément, des rayonnages de livres, des empilements de manuscrits, comme autant de petites tours sur le sol. Là des feuilles jaunies, là des stylos sans capuchon, visiblement le poète transposait sur sa machine à écrire antique, les brouillons de ses poèmes griffonnés au crayon de papier.

Le souci de l’ordre n’était pas dans ses gènes. Mais celui de sa personne en était un. Costumes, cravates, souliers de cuir et chapeau bien sûr. Des photographies sous verre, ; on va le voir avec quelques femmes, jolies ou moins, on croit reconnaître un visage, on cherche, on fait un jeu de piste de son existence. Son ami l’éditeur commente comme par snobisme, en nommant tel personnage comme si cet homme avait traversé le temps bras dessus bras dessous, avec les légendes de l’art à la française. C’est une approche de séduction qu’il me fait là. Mais pour l’affaire, le vieux dandy ne s’y entend pas, pitoyable en somme.

Là c’est un portrait à la terrasse des 100 kg, lui portant droit polo d’été chapeau léger, moi robe courte, jambes croisées et nos fiertés sont réciproques pareilles à nos bonheurs.

L’éditeur contient mal la déglutition de son désir. Je gagne le jardin où une petite fraîcheur m’enveloppe ; des choses dont le vieux poète me fera légataire, le petit encadrement m’est le plus cher.

Car contre toute attente, on vint par courrier recommandé, me convier en l’office notarial où l’ensemble des manuscrits non-publiés me fera héritière. L’éditeur proteste, conteste, crie et pleure mais repart gros-jean comme devant en me traitant de garce. Voilà l’homme parfois.

La villa est en vente, l’impasse est un peu triste.



Maison F.


Donc à mes pieds, au centre de mon salon, ces malles déposées qui font mon héritage. Le temps avait jauni les feuilles. Sur la tranche des manuscrits une pellicule de poussière comme un drap de lin. Je suis là-devant un trésor, dont on ne sait que faire. Et puis cet homme fat et indélicat, mercantile et sournois qui n’ayant pas réussi par le charme m’avait traité de garce. Cet homme qui connaît ma fortune. Celui-là n’en veut pas à mon corps, celui-là en veut à mon trésor. Tel un avocat mafieux, il porte une mallette, mais un pied hors du pas de ma porte et je hurle. Et puis, comme la providence cette étrange apparition. Le toisant d’une bonne demi-tête Albane, dont la poitrine moulée dans un pull ajouré, semble se poster sous les paupières du petit gros, décontenancé suant, troublé paniqué, en fuite, au propre comme au figuré. Elle rit, elle entre me renverse, prend ma bouche, me met nue, mais sous ma longue chemise, je l’étais déjà – elle suçote mes tétons, elle lèche mon sexe. Et voilà qu’un monde succède à un autre ; hier une veillée mortuaire, là une langue qui fouille ma chatte ; ô les sursauts de la vie.

Tout d’elle part en l’air comme pris dans les ailes du vent ; son pull, sa jupe, ses bottes et puis son buste nu, seins lourds sur mon corps humide. J’ai son sexe tout comme elle a le mien sous la langue. Nos cris étouffés et nos bouches en rosée aux effilures de nos sexes, à nos salives mêlées.

Je le fais car elle en est friande ; en vibrato en va-et-vient, long et dynamique, suprême sodomie qui emmène Albane dans les strates où l’on va si peu. C’est mon rythme lent et régulier qui fourrage l’objet dans le trou de son cul, quand en alternance, ma main encore libre, fait de son clitoris une harpe de plaisir. Les coussins étouffent son visage, étouffent sa voix. Dans une impossible gymnastique elle reprend ma chatte, quand la sienne noie mon visage ; en cadence mécanique le membre de silicone entre et sort, reprend ses droits.

La fin du sexe est comme la fin d’un amour ; on se prend dans les bras, nos corps se collent, nos visages s’entremêlent ; je glisse un plaid sur nous et apaisées, essoufflées nous nous caressons comme deux amoureuses, mais nous ne le sommes pas ; non.


Après la douche, après le thé, elle dans sa joie visible ; rhabillons-nous dit-elle en passant sa jupe sur ses fesses nues, sa poitrine retrouve sa prestance sous le pull qui la cintre ; nous avons faim, quelques miettes de cookies filent sur le tapis, nos regards se sourient, après l’amour c’est encore l’amour.

Le rideau de pluie fine qui bat contre la baie vitrée participe de cette ambiance feutrée qui nous entoure.

Albane, tout comme moi, souffre d’allergie au papier vieux et poussiéreux. Mon Dyson fera le plus gros du travail ; et munies de gants de latex nous feuilletons chaque manuscrit, chaque page, rien ne nous échappera au long de cette journée. Toute l’œuvre non publiée du vieux poète nous capte nous accapare. Suave et érotique sa poésie attrape, subjugue excite. Nous sommes des pilleurs de trésor, des pêcheurs de perles, des pirates. Assises en tailleur sur le tapis, l’une et l’autre chacune à son attention, chacune lisant pour l’autre les pépites poétiques des feuillets.

Le moment lui-même alors recouvre cette aura de poésie qu’on vit si peu dans une vie ; cet homme a réinventé l’art sensuel et l’avait-il pressenti, cet échange charnel qui nous emporterait à la simple découverte de ses mots.

En lisant, ma main repart sous la jupe d’Albane et son sexe nu mouille ma paume, en déclamant les vers libres, mes doigts tout aussi libres fouillent sa chatte, elle, le souffle court, se tend, se cabre, relève sa jupe et vient s’écarter sur ma bouche ; ma langue se faufile entre ses lèvres, je bois, je m’inonde de son jus. Nous alternons les moments de lecture et ceux du sexe qui emportent comme emportent les mots.


Il exige, il menace ou affable il cherche le compromis, implore le consensus. Il vient jusqu’à ma porte, mais il ne le sait pas encore, les œuvres poétiques sont parties faire leur vie comme je fais la mienne.

Elles sont au bon soin de Pauline R. Éditrice de la grande Maison F.