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n° 22889Fiche technique15173 caractères15173
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Temps de lecture estimé : 11 mn
21/01/25
Résumé:  Une robe, un étang, un castel, une foire ! Quatre moments qui ramènent quelques souvenirs
Critères:  fh
Auteur : Jane Does      Envoi mini-message

Concours : Récit d'après 4 images imposées
Souvenirs

Vous retrouverez le règlement de ce concours ici.




Elle se souvient ! Facile de toute façon de garder en mémoire la date. La foire du village, une fois par an. Un vrai point de repère pour que son esprit situe dans le temps, ce qui reste, des années plus tard, de la plus belle saison de son existence. Un matin ordinaire, qui pourtant a marqué à jamais la jeune fille qu’elle était. Là, au bord de l’étang, comme ça, par jeu, pour que tout revive encore un instant en elle, elle a repassé la robe qu’elle portait ce jour-là. Pas franchement la plus belle de sa garde-robe, non ! Juste celle qui collait le plus à ses formes. Et là, assise devant ce miroir où le ciel au gré de ses humeurs reflète son image, elle laisse dans sa tête défiler les images.



— xXx — 



Un petit matin, un avril trop chaud pour s’habiller d’hiver. Et Claudette qui décide d’une balade. À vingt-cinq ans, son premier boulot, seule sans celui qui a partagé les quatre dernières années de son existence, puis s’est envolé vers une autre. Elle se sent mal, et un peu de dépaysement ne peut que lui être salutaire. Alors ? Quoi de mieux que d’aller cacher sa peine loin de ce Paris qui grouille de voitures, d’amis aussi qui ne cessent de lui rappeler que Marc fait ci, Marc fait ça. Il s’est juste bien gardé de leur dire qu’il l’a larguée sans raison, sans explication surtout.


Marc ! Elle et lui ont bien bourlingué. Hélas, c’est fini. Alors, quand Marjorie lui a proposé ce reportage loin de la capitale, elle y a vu l’opportunité de s’éloigner de celui qui, malgré son absence, lui manque énormément. Le croiser dans les couloirs du journal, le voir pérorer avec sa cour… comment supporter cela ? Qu’il aille au diable, et voilà comment tout a commencé. Mais la mort d’un amour n’est-elle pas souvent, le prélude à quelque chose de neuf ?



La discussion s’était ensuite tournée vers ces articles qu’elle voulait, et voilà pourquoi, ce matin-là… elle avait débarqué dans un village en fête. Des carrioles tirées par des bœufs, des étals où les producteurs locaux proposaient leurs victuailles. Sûr qu’elle dénotait dans sa robe bain de soleil au milieu de ces gens. Claudette se revoit, cheveux au vent, humant un air si différent de celui des trottoirs parisiens. Les regards aussi qui sur elle se posaient, attirés sans doute par sa tenue vestimentaire trop « citadine ». Les hommes surtout qui louchaient sur son avancée mammaire que la coupe du bustier de sa robe mettait trop en valeur. Les femmes, elles s’attardaient plus sur les mèches de sa tignasse, véritable phare dans cette foule qui circulait entre les camelots et autres vendeurs.


C’est au détour d’un de ceux-ci, stand d’où montait une odeur alléchante de pain et de viennoiserie, qu’un type, nippé comme un prince, lui avait souri. Dans un costume trois-pièces aux plis impeccablement repassés, Claudette s’était fait la réflexion qu’il devait crever de chaud. De plus, la « lavallière » nouée autour de son cou, lui conférait une aura distinguée. Un personnage en quelque sorte, sortant de l’ordinaire et du temps même, qui droit comme un « I » avait de quoi surprendre, perdu lui aussi dans les allées de cette foire villageoise. La jeune femme qui se tenait près du « Lord » tendait alors un plateau avec de petits morceaux d’une pâtisserie sur laquelle Claudette ne pouvait mettre un nom.



Elle avait alors saisi entre ses doigts un cube de cette douceur, puis elle le goûtait sous le regard amusé du mannequin habillé tel un seigneur. La voix du type l’avait soudain surprise.



Claudette s’était retournée et le doigt de la jeune fille indiquait une immense bâtisse faite de briques roses, un petit château posé sur un éperon rocheux, entouré d’une végétation abondante. Un vrai bijou qui, du coup, laissait entrevoir le pourquoi d’un tel accoutrement chez celui qui, visiblement, était le père de la jeune pâtissière.



Henry, un original, assurément, et il lui avait tendu la main, qu’elle s’était empressée de garder dans la sienne. Bizarrement, c’était à cet instant précis qu’un truc incroyable était arrivé. Une véritable décharge électrique lui avait traversé le corps. Envoûtée ? Oui, c’était bien ce premier mot qui lui montait à l’esprit. Ce type fringué tel l’as de pique lui remuait les sens. Oh ! Pas un geste inconvenant ni une parole déplacée, il s’agissait de toute autre chose. Indéfinissablement, Claudette s’était sentie enivrée, aspirée dans un courant d’air qui la faisait frissonner. Ensemble, ils parcouraient les allées et le bonhomme était salué par tout ce que comptait ce village comme âme. Lui montrait les vieux murs, les maisons et lui vantait les mérites de ses habitants.


Il avait l’air de savoir par cœur l’histoire de toutes les rues, de toutes les bicoques qui, pour la plupart, étaient anciennes. Chacune d’entre elles avait un vrai passé et la voix de ce Henry chantait vraiment. N’était-ce pas celle-là qui avait d’emblée séduit la jeune femme ? Puis il lui avait fait voir les alentours. Une clairière pas très loin du centre du village, à mi-chemin entre la foire du jour et la tour ronde de la demeure imposante. Là, il s’était allongé dans l’herbe, sans se soucier trop de ses vêtements trop élégants pour… supporter d’être ainsi maltraité. Sans dire un mot, il l’avait invitée, d’un simple mouvement de la main à s’asseoir près de lui.


Cheveux au vent, elle avait alors posé ses fesses sur la mousse. Là, sans parler, ils avaient longuement contemplé le ballet aérien de « demoiselles » fauves et pruine bleue. Vols nuptiaux sans doute, acrobaties saccadées pour des danses captivantes. Et le gars lui avait, par inadvertance, frôlée en voulant lui montrer deux yeux dans l’eau, le dessus de sa main. Si elle n’avait pas entrevu la grenouille, Claudette, par contre, s’était sentie comme prise dans un tourbillon inconnu sous l’effet d’une caresse qui n’en était pas réellement une. Pourquoi et comment avait-elle tourné son visage vers l’homme qui souriait ? Pas à elle, non, mais aux anges ou alors à un spectacle champêtre dont elle découvrait la beauté.


Instinct primaire, élan du cœur, là encore aujourd’hui, devant la pièce d’eau, elle se demande encore comment elle avait pu oser faire ce pas, vers lui. Oui… assurément, c’était bien elle qui, sans comprendre, était venue quérir un baiser. Oh ! Henry n’avait certes pas refusé l’offrande, mais il n’avait pas non plus profité de la situation. Mon Dieu, que de chemin parcouru depuis cet instant où… elle était restée suspendue à sa bouche, pour en écouter la musique des mots, pour savourer aussi la saveur de baisers qu’ils avaient renouvelés avec plus de fougue ! Elle était rentrée à son hôtel avec une invitation à le revoir, le plus vite possible. Là, dans la chambre, elle s’était mise à écrire… oui… pas vraiment un article, non !


Comment ? Pourquoi ? Sur les pages blanches de son calepin, les phrases coulaient de source. Il était loin ce Marc lâcheur, et en filigrane de son visage qui se diluait dans les méandres de son cerveau, Claudette voyait celui de Henry remplacer l’absent. Des heures durant, elle avait noirci des lignes et des lignes, inventant une histoire de marquis et de nobles. Toutes avaient pour toile de fond le château de « La Marre ». Pas une seconde, elle n’avait lâché son crayon et les rayons d’un soleil levant d’un jour nouveau n’avaient pas non plus entamé l’élan de la jeune femme. Ce n’est que l’appel de son ventre affamé qui lui avait fait réaliser que midi venait de sonner au clocher proche. Un déjeuner rapide, puis ses pas la dirigeaient vers le toit pointu de la belle demeure.


Là-bas… l’odeur de pâtisserie flottait autour de l’entrée. La jeune femme en robe et souliers de ville s’attardait dans la contemplation de ce qui au bout d’un chemin de terre, ressemblait à un décor des mille et une nuits. Le château de la belle au bois dormant… ou de Sissi, l’impératrice. Toutes les lectures de sa jeunesse revenaient en ordre dispersé chavirer le cerveau d’une Claudette éprise du lieu autant que de son propriétaire. C’était Jenny qui avait ouvert la porte donnant sur un hall immense.



Visite des pièces nombreuses de ce qui est une riche demeure. Puis un tableau… et là ! Claudette tombait en arrêt. La femme, couchée sur un lit, un livre à la main… bon sang, on aurait juré que c’était elle, peinte là dans une lecture assidue. Mêmes traits du visage, même chevelure aux mèches colorées lui encadrant la bouille. La tête appuyée sur sa main, les formes voluptueuses de cette dame… comment était-ce possible ? Jenny aussi marquait un temps d’arrêt, mais ce n’était pas la peinture qu’elle suivait des yeux. Le regard interrogateur, elle scrutait les réactions de Claudette.




— xXx — 



Claudette se souvient ! Facile de toute façon de garder en mémoire la date. La mare, les libellules, la foire au village, et Jenny et son pudding. Rien ne s’oublie, tout est là qui s’ancre dans les mémoires. Le journal, sa directrice de rédaction, Marc aussi qui a permis qu’elle soit là aujourd’hui. Sept longues années où, pour Henry, elle a tout jeté aux orties. Oui. Assise devant ce miroir où le ciel au gré de ses humeurs reflète son image, elle laisse dans sa tête dériver ses pensées. Dans ses mains, un livre ! Celui à l’écriture commencée la nuit de leur rencontre qui, depuis, a été suivi de trois frères. Elle ressemble toujours à s’y méprendre à cette femme sur le tableau. C’est à cela qu’elle songe Claudette, en suivant des yeux le remous fait par une rainette dérangée dans sa sieste au soleil par une ombre immense qui s’abat sur l’étang.



Henry ne dit plus rien… il est si difficile d’embrasser et de discuter en même temps… le ciel bleu se reflète dans l’onde et… la vie suit son cours !