n° 22900 | Fiche technique | 22030 caractères | 22030 3965 Temps de lecture estimé : 16 mn |
31/01/25 |
Présentation: Une journaliste rencontre des femmes qui lui racontent un moment, un jour, une vie ! | ||||
Résumé: Des vacances et des confidences | ||||
Critères: #nonérotique #romantisme #confession #couple fh vacances | ||||
Auteur : Jane Does Envoi mini-message |
Collection : Rêves de Femmes |
Les fêtes de fin d’année ! Une période que nous attendons toutes et tous et je suis comme les autres au bureau. Mais autant je suis heureuse de faire un break au boulot, autant la solitude de cette fin décembre me fiche le bourdon. Au journal, c’est un peu relâche, et depuis qu’une nouvelle machine à café a fait son apparition dans mon bureau, nombreuses sont les filles à s’y attarder. Le cadeau de Mélanie trouve là une place prépondérante dans l’équipe éditoriale du magazine. Et nous bavardons gentiment France et moi.
Nous rigolons toutes les deux et elle insiste encore un peu, mais elle sent bien que ma détermination au refus craquelle et se fissure de partout. Finalement, elle parvient à m’arracher un accord et, devant moi, elle appelle cette mamie Gisèle dont le haut-parleur de son smartphone me renvoie la voix enjouée…
La communication s’interrompt et le silence est chargé d’une émotion presque palpable.
— xXx —
Le premier contact avec la grand-mère de France est comme un éblouissement. Une femme dynamique, qui s’entretient et il y a, dans la manière de paraître de cette dame, quelque chose qui inspire confiance d’emblée. Elle est grande, menue sans être maigre. Et sa chevelure blanchie par les ans lui confère une certaine sagesse. Puis, en second plan arrive son sourire, lequel est en adéquation avec sa voix. Oui… un harmonieux mélange entre ce corps qui traverse la vie et une bonhomie sereine. C’est… plaisant et rassurant. En un mot comme en mille, toutes les femmes du monde souhaiteraient vieillir d’une aussi jolie manière. Pas de chichi, pas de fioriture non plus dans sa façon de me recevoir.
Pour elle, si sa petite fille m’amène chez elle, c’est qu’elle peut me faire confiance. Et elle le montre immédiatement.
Voilà ! C’est ainsi que Gisèle et moi, sous les yeux attendris de sa petite fille, nous faisons connaissance. Cette femme a un peps incroyable. Bien sûr, quelques rides sont apparentes aux coins de ses mirettes, mais masquées par un sourire engageant, elles ne font que renforcer la beauté de son visage. Et, bien entendu, nous sommes de plus en plus complices au fil des jours. France sent bien que le courant passe entre sa grand-mère et moi, et nous laisse souvent seules toutes deux. Je la soupçonne de s’échapper de temps en temps pour rejoindre celui qu’elle ne montre pas à sa mamie. Son Benjamin qui lui laisse des tas de SMS que le son de son portable trahit. Gisèle n’est pas dupe et elle me fait des clins d’œil qui prouvent qu’elle se doute qu’il y a anguille sous roche. Mais elle se garde bien de faire une quelconque allusion à quoi que ce soit.
C’est donc lors d’une de ses plages qu’elle remet sur le tapis mes interviews et je sens bien qu’elle aimerait aussi un peu s’étaler sur sa propre vie, mais sans les oreilles indiscrètes de France. Un peu pour lui faire plaisir et beaucoup par curiosité… soyons honnête, je la laisse faire. Un après-midi que nous ne sommes plus que toutes les deux, elle se lance dans une sorte de confession spontanée. Mais je ne veux pas garder en mémoire dans mon enregistreur les confidences de la vieille dame.
— xXx —
Sur la table, je dépose bien en vue l’appareil à peine plus gros qu’une boîte d’allumettes. Et Gisèle s’active devant sa gazinière, chauffant de l’eau pour un thé. Puis, alors que la boisson infuse, elle vient s’installer gentiment face à moi. Elle me sourit et sa voix claire et nette vient couper ce silence qui tend à s’installer.
Mes doigts effleurent la touche « on » et je fais signe à Gisèle qui se racle une dernière fois la gorge, avec un sourire espiègle…
— xXx —
Lorsque j’ai rencontré Camille, je n’étais pas majeure. Oui, à cette époque, il nous fallait attendre vingt et un ans pour l’être. Ça, les jeunes d’aujourd’hui l’ont un peu perdu de vue, et nous, les femmes, nous n’avions pas seulement le droit d’avoir un compte en banque. Ou alors seulement avec l’accord de nos pères ou maris. Oui… c’est bien loin tout cela. Notre mercredi à nous c’était le jeudi. Ce jour-là, nous n’avions pas classe. Pourquoi Camille ? Je n’en sais toujours rien alors que je suis au bout de ma vie. Enfin presque… je n’ai pas l’intention de lâcher la rampe tout de suite. Je ne saurais expliquer l’emballement de mon cœur devant ce garçon… et nous n’étions pas du même monde. Ses parents étaient aisés, pour ne pas dire riches. Les miens, de simples ouvriers.
Si lui ne s’est pas attardé à ce détail, pendant très longtemps, sa mère m’a fait sentir, là je cite ses mots qui m’ont longtemps poursuivie, « ma basse extraction » ! Il m’a fallu du courage pour l’affronter, pour m’y opposer aussi et puis, avec le temps, elle a fini par accepter non pas moi, mais le choix de son fils. C’est ça… le choix de Camille ! Là, je vous parle d’une autre époque… celle de ces femmes qui lavaient encore le linge au lavoir communal, ou qui faisait bouillir les lessives de blanc dans des lessiveuses. Combien sont-elles celles qui s’en souviennent de ces énormes récipients de fer blanc avec un champignon dans leur centre ? Oui… les femmes qui se plaignent de nos jours n’ont sans doute pas connu non plus les jours de règles difficiles où nous n’avions pour toute protection que des serviettes de tissu. Alors ?
Eh bien, pour nous en resservir, il fallait bien les laver ! Et Dieu bénisse l’inventeur de la machine à laver, bien des femmes devraient lui dresser une statue ! Plus important sans doute que le petit pas de l’homme sur la lune, un grand pas pour la gent féminine, ça, je peux vous l’assurer.
Oui ! Camille et moi avons tout vécu à deux. De la vie modeste de nos débuts, à la joie d’avoir un peu d’argent et puis… plus de richesse. Mais surtout un immense bonheur d’avoir eu la mère de cette France qui me donne tellement de joie dans la vie. Oui… mais de longues années aux côtés d’un seul homme, ce n’est pas toujours un long fleuve sans méandre. Et de son côté, quelques coups de canifs dans le contrat de mariage ne l’ont jamais pourtant éloigné de moi. Nous avons connu de beaux jours, d’autres moins joyeux. Et Camille a fermé les yeux, où n’a jamais su peut-être une histoire qui aurait pu nous déchirer. Un autre homme a sans doute compté autant que lui, mais le courage de tout abandonner derrière moi, celui-là m’a manqué à l’ultime seconde.
Je devais avoir quoi ? Vingt-huit ou vingt-neuf ans lorsque Bryan, un homme un peu effacé, est entré dans notre vie. Oh ! Pas très longtemps, juste quelques mois, un entrepreneur australien venu de Melbourne. Il était en affaires avec mon Camille et rien ne pouvait laisser présager ce qui s’est passé entre lui et moi. Il n’avait rien d’un Apollon ou d’un dragueur, de ceux que l’on imagine en tout cas. Non ! Il a passé environ quatre semaines chez nous, ici, dans cette maison. Mais à cette époque, tout était différent. Il avait une chambre dans l’aile gauche de la demeure, bien séparée de nos appartements. Il prenait ses repas en notre compagnie et son français laissait à désirer. Alors, je ne me souviens plus très bien, mais il me semble que c’est mon mari qui avait suggéré que je lui donne quelques cours pour que Bryan se débrouille moins mal dans notre langue.
Nous avons donc passé bien des heures sur le vocabulaire, la lecture aussi et évidemment l’écriture, et je dois avouer que ça nous a rapprochés. Je me suis souvent demandé si… Camille n’avait pas voulu m’éprouver en me confiant une tâche quasi insurmontable. Enfin, mon élève particulier était rempli de bonne volonté, bien que son accent rocailleux ne se soit jamais totalement volatilisé. Certains mots prononcés par lui me faisaient rire et, un jour que mon mari était pris par ses affaires, loin de la maison, nous nous trouvions dans le petit salon… ici même donc ! Quand la main de Bryan avait-elle frôlé la mienne si délicatement que j’ai cru que c’était involontaire ? Je ne garde de cet après-midi-là qu’un souvenir épanoui. Jamais je n’avais retiré mes doigts et, lorsque ceux de notre hôte avaient de nouveau frôlé les miens, mon visage reflétait l’incompréhension.
Là, dans les grands yeux bruns de l’Australien, il y avait une flamme que je n’avais jamais vue ailleurs que dans les prunelles de mon Camille. Quand s’était-il levé cet homme pour me prendre par les épaules ? J’étais comme dans un brouillard, un rêve un peu flou. Puis ses lèvres se posaient délicieusement sur ma nuque alors que ma tête basculait simplement. Un immense fourmillement s’emparait alors de mon corps tout entier. Et… mon Dieu, les choses s’étaient alors accélérées d’une manière tout à fait démentielle. Des caresses sur mes joues, qui devaient être d’un rouge intense. Pas un mot ne franchissait plus ma gorge serrée par l’émotion. Bien sûr que Bryan s’était senti encouragé et… de ma nuque, la distance avec mes lèvres n’était pas si grande.
Pas insurmontable en tout cas, puisque quelques secondes plus tard, tremblante, mais conquise, pour la première fois de mon existence, un autre homme que mon mari m’embrassait. Un vrai baiser d’amour, pas un de ces petits bisous qui se volent entre gens pressés, non ! Lui avait pris le temps de me laisser savourer, de m’envoûter. Trop sans doute pour que la suite logique, je ne la lui refuse pas. C’est bien ce jour-là que j’ai, quelque part, rendu à Camille la monnaie de sa pièce avec intérêts, pour ses infidélités. Oui… voyez-vous, sur un autre sofa, bien sûr, un amant m’a fait l’amour. J’ai aimé cela au point d’avoir quelques hésitations, et surtout de telles palpitations que j’ai cru longtemps ne pas pouvoir les cacher à ce mari qui ne paraissait pas voir.
Bryan et moi avons fait ensuite, tous les jours, partout dans cette maison, l’amour dès que Camille nous quittait pour ses affaires. Et un choix cornélien s’était alors imposé à moi, au bout du séjour de l’invité de mon mari. Mon amant insistait beaucoup pour que nous allions ensemble explorer son immense pays, mais il y avait aussi Camille et notre vie… et surtout… la maman de France qui a sûrement fait pencher la balance en faveur d’un refus de tout jeter aux orties. Oui… je suis restée avec Camille. S’est-il un jour douté que nous avions été à deux doigts de nous quitter, de ne plus vivre ensemble ? M’a-t-il poussé au vice en me collant dans les pattes ce partenaire venu d’un autre continent ? Je n’ai bien sûr jamais eu de réponse à cette question.
Durant le séjour de cet homme chez nous, il m’est arrivé de faire l’amour dans l’après-midi avec Bryan et le soir avec mon mari. J’ai souvent cherché à comparer les deux manières, les sensations éprouvées avec l’un ou l’autre. Et j’avoue encore aujourd’hui que je n’ai pas su faire la différence. C’était merveilleusement bon avec l’un ou l’autre. Je n’ai jamais parlé de cette affaire à qui que ce soit. Ma fille ne sait rien de tout ceci, quant à France… si vous publiez mon témoignage, par la force des choses, elle va comprendre que sa grand-mère n’a pas toujours été la femme si sage qu’elle imagine. Je n’ai jamais su ce qu’était devenu mon amant australien ! Lui n’a pas non plus, de son côté, cherché à me retrouver. J’ai eu, durant quelques semaines, la peur d’être enceinte. Oh, pas pour le fait de l’être, après tout ça aurait été normal.
Mais plutôt de ne pas savoir de qui, parce qu’à ce moment, la contraception, était uniquement par le coït interrompu. Les choses ont bien évolué depuis tant d’années. Les femmes comme vous ou ma petite fille, vous ne pouvez pas savoir le bonheur que vous avez de ne pas avoir à vous inquiéter de rien. C’est presque de nos jours trop simple. À la moindre crise, les gens divorcent, se séparent ou vont voir ailleurs. Oui ! Je crois que le progrès a du bon et du mauvais ! On choisit un homme maintenant, quasiment sur catalogue, sur les « réseaux sociaux ». La cour ? Quel homme sait encore la valeur de ce mot ? Bien peu de jeunettes ne sont plus vraiment sensibles aux mots d’amour, à ces belles phrases qui faisaient que nous nous sentions admirées, adulées, « femmes », tout simplement. Ensuite, depuis que je suis seule, j’ai connu d’autres messieurs, bien sûr.
Mais le charme d’antan n’est plus tout à fait là. C’est comme le dit je ne sais plus quel chanteur « deux salades, trois tirades et c’est l’affaire qui court ».
— xXx —
Un bruit de moteur se fait entendre. Gisèle se redresse, va à la baie vitrée…
La porte d’entrée vient de s’ouvrir, et le sourire de celle qui revient a un éclat tout particulier. Elle fait une bise à sa mamie, la serre dans ses bras et vient au-devant de moi.
Nous nous étreignons toutes les trois et… mon séjour est très agréable, assurément.