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Temps de lecture estimé : 25 mn
10/02/25
Présentation:  Toute gamine, quand je fermais les yeux en y songeant, je ne pouvais m’empêcher de me poser des foules de questions. Cet intérêt puissant pour ces époques perdues ne m’a jamais abandonnée. C’était forcément comme je l’imagine. Forcément…
Résumé:  Depuis quelque temps, elle ne cherchait plus à réfléchir au nombre de journées et de nuits qu’elle passait à marcher. Elle savait que deux saisons étaient passées. De cela au moins, elle était certaine.
Critères:  #nonérotique #aventure
Auteur : Juliette G      Envoi mini-message
Un si long voyage

UNE FEMME



Depuis quelque temps, elle ne cherchait plus à réfléchir au nombre de journées et de nuits qu’elle passait à marcher. Elle savait que deux saisons étaient passées. De cela au moins, elle était certaine.


Zoug, le protecteur du clan, lui avait expliqué le passage du temps. Ce qu’il appelait cycle des saisons. Zoug était un sage. Le sage de son petit monde. Peu d’entre les gens qui vivaient dans la prairie comprenaient les explications de Zoug. Il en avait toujours été ainsi. Pourtant, le vieil homme avait toujours été respecté par le clan. Quant aux motivations et aux décisions du sage, personne n’aurait jamais osé les critiquer, incapables qu’ils étaient de les élucider. Tous obéissaient pourtant sans discuter. La dernière décision de Zoug était à l’origine de son départ. Zoug était venu la trouver un matin et lui avait annoncé que c’était le meilleur moment pour partir. Le vieil homme ne l’avait pas même regardée. Il n’avait rien dit d’autre. Il ne lui donna aucun conseil, ne la salua pas et se détourna après avoir lâché une simple phrase, statuant sur son sort. C’était une sentence. Le vieil homme semblait comme pressé et mal à l’aise. Les autres membres de son clan ne furent pas plus bavards et démonstratifs à son encontre. Ils avaient honte.


Au tout début de son voyage, la femme marchait dans des prairies parsemées de restes de neige toujours durcie par le froid. Les grands froids, eux, étaient maintenant passés. Il n’y aurait plus de blizzard et il ne restait que peu de neige. Elle portait ses peaux les plus chaudes pour se préserver des dernières rafales de vent. La peau de renne de sa longue tunique était doublée de peaux de blaireaux et l’habillait jusqu’aux chevilles. Une lourde et chaude pelisse à capuche taillée dans une peau d’ours noir enveloppait le corps de la femme. Des moufles et des bottes constituées également dans une peau d’ours brun, celui-là complétait sa tenue de voyage. La température avait lentement baissé et la neige avait totalement disparu. Maintenant, ses peaux étaient roulées et sanglées et la femme les portait suspendues à un léger harnais de cuir sur son dos. Elle voyageait, habillée d’une simple tunique assemblée de peaux de rennes cousues ensemble. Le vêtement lui laissait les bras nus et ne lui cachait plus que le haut des cuisses. Elle n’avait pas voulu s’encombrer et n’avait pris que ces peaux d’hiver et cette simple tunique légère. Elle marchait maintenant pieds nus. La voyageuse jeta un coup d’œil au ciel bas. De lourds nuages gris menaçaient de crever le plafond et la nuit tomberait vite. Elle devait se trouver un abri rapidement. Seuls, les grands arbres pourraient lui apporter un soutien relatif. Leurs feuillages la protégeant d’une éventuelle averse. S’il pleuvait, elle n’aurait pas de feu. Sans feu, elle ne dormirait pas.


L’orage avait été violent, mais n’avait bien heureusement pas duré très longtemps. La femme n’avait pas eu le courage de faire un feu et n’avait que peu dormi, attendant l’aube. L’aurore donnait des lueurs blanchâtres au ciel. Il était temps de bouger. Elle se dégagea de sa pelisse d’ours qu’elle utilisait pour se couvrir. Un morceau de viande et une infusion de plantes avalés rapidement pour une longue journée de marche. La femme voyageait pour la toute première fois de sa courte vie. Elle n’avait connu jusqu’ici que la sédentarité. Une vie de groupe sédentaire et plaisante. Chacun savait ce qu’il avait à faire et le faisait. Les uns veillaient sur les autres et c’était rassurant.


Deux sagaies, son coutelas, son arc et sa fronde reposaient sur une peau de loup. Elle quitta sa place pour prendre la grosse besace où elle rangeait ses outils. L’inventaire lui prit peu de temps. Son inspection n’avait qu’un but. Vérifier si la besace avait bien protégé son contenu de la pluie. Une petite bourse contenait des brindilles de bois mort et des feuilles très sèches. Elles n’avaient pas souffert et restaient prêtes à l’emploi. Elle tripota tour à tour, ses pierres de silex, une planchette et deux baguettes de bois. Cet assortiment d’outils lui était indispensable pour allumer des feux et, sans ces petites choses, sa vie serait très difficile. Des pointes d’os avec chas et des nerfs de rennes assouplis à la graisse lui servaient à coudre les peaux ensemble. Elle soupesa une hachette et la reposa auprès des couteaux. Le tout en pierres de silex taillées et emmanchées dans du bois. Un lourd marteau de pierre et un gros os de renne complétaient son attirail. Ces outils seraient tout aussi précieux que ses armes. Ses armes étaient dorénavant ses seuls alliés. Ses outils devenaient ses seules aides.


Maintenant, Tallah était seule…




LA COLLINE



La femme marchait, prenait quelques instants pour se reposer, manger et boire, campait pour la nuit et dormait quand elle le pouvait. Et tout recommençait dès le lendemain. Son périple semblait interminable.


Un matin, Tallah décida de ne pas quitter son feu de camp. Regardant la prairie s’étaler en contrebas, elle laissa sa décision s’imposer. La petite colline au sommet plat était un endroit idéal pour un campement. L’endroit n’abriterait que quelques personnes, mais le problème ne se posait pas pour elle. Elle serait la seule occupante du lieu. Un point de vue élevé sur les alentours, une prairie d’herbe giboyeuse et un petit cours d’eau qui vagabondait non loin étaient des atouts qu’elle ne pouvait ignorer. Elle resterait dans la vallée. Tout au moins le temps de s’organiser au mieux. Jusqu’ici, elle avait parcouru des pistes sans se poser de questions. Toujours dans la même direction. Elle marchait et marchait encore, sans se préoccuper de l’avenir. Tallah venait de se rendre compte que c’était stupide. Tout d’abord, elle se devait de mettre toutes les chances de son côté. Ensuite, pourquoi devait-elle se presser ? Elle avait décidé de ne pas revenir vers les siens. Pourquoi donc devrait-elle prendre des risques inconsidérés ? Il n’y avait plus d’urgence. L’idée qu’elle voyagerait désormais pour elle-même lui fit se poser toutes sortes de questions. Jusqu’ici, elle s’était éreintée à abattre des journées de marche. Désormais, elle prendrait son temps. Ou plutôt, elle veillerait à ne pas se fatiguer inutilement. Elle s’imagina voyager dans le seul but de se découvrir une autre vie. Une vie plus agréable. Un autre clan peut-être…


Zoug l’avait envoyée sur les pistes. C’est ce qu’il lui avait intimé de faire. Revenir sur ses pas après avoir trouvé ce qu’elle cherchait était devenu une tout autre histoire. C’est ce que Zoug et son clan attendaient d’elle. Qu’elle revienne, après avoir accompli sa mission. Zoug ne lui avait laissé aucun choix. En fait, il l’avait chassée. Pour le bien du clan certes, mais elle avait été sacrifiée. Les autres avaient laissé faire. Elle ne leur pardonnerait pas de l’avoir abandonnée.


Tallah devait s’organiser. Elle devait faire preuve de prévoyance. Penser à des préparatifs. Elle devait prendre le temps de se constituer des réserves. De la viande en quantité, des fruits si elle en trouvait, des racines et d’autres petites choses. Sans cela, continuer à voyager était idiot. Idiot et surtout dangereux. Tallah regardait son installation et la trouva suffisante. Sa hachette de silex retrouva sa place dans la besace de peau et la femme daigna s’accorder un moment de repos. Quatre petits troncs plantés en terre. De longues branches de saule et une grande quantité de fougères. C’était la première fois qu’elle construisait de quoi s’abriter. Le clan vivait dans deux grottes immenses et contiguës. Elle se souvenait d’une conversation entre femmes lors d’une cueillette. Aza était la plus jeune des femmes du clan, Tallah mise à part. Elle était pourtant devenue trop âgée pour enfanter. Tout en fouillant la terre à la recherche de carottes sauvages et autres racines, Aza lui avait parlé d’Olia. La mère de Tallah. Elle et son clan ne vivaient pas dans des grottes. Olia avait parlé de cabanes et de huttes. Tallah venait d’achever sa propre hutte. Elle la protégerait des intempéries.


Pour la première fois depuis très longtemps, Tallah contempla longuement son reflet dans l’onde calme du petit cours d’eau. Zoug parlait de lunes, de saisons, et d’âges. Tallah avait deux mains et six doigts d’âge. Elle était née en hiver, d’Olia, la femme venue d’ailleurs. Olia avait été tuée par un vieux sanglier rageur lors d’une cueillette. Tallah n’était encore qu’une fillette à peine capable de courir sans tomber quand sa mère quitta le monde. Les membres du clan se souvenaient d’Olia. Tallah lui ressemblait beaucoup. Olia et Tallah restaient à la connaissance du clan, les deux seules personnes ayant des yeux foncés. Ses yeux avaient la couleur des feuilles des arbres, avant qu’elles ne meurent, disait Zoug.



Les autres membres de la communauté, et cela, même aux temps où ils étaient plus nombreux que huit fois les doigts des deux mains, avaient les yeux clairs. Pâles comme un ciel sans nuage. Rarement, plus foncés. Le vénérable Zoug vous toisait d’un regard de la teinte d’un ciel orageux. C’était lui qui avait les yeux les plus sombres de ceux qui restaient du clan.


Les lourdes mèches rassemblées sur le sommet de son crâne et ligotées par un lacet de cuir étaient de la couleur de la terre après la pluie. Là encore, sa chevelure déparait de celles du clan. Tallah avait les cheveux brun sombre. Toutes et tous qui vivaient à ses côtés, avaient des cheveux beaucoup plus clairs. De la blondeur des épis de blé sauvages au beige soutenu de la robe des pumas. Tallah avait un front haut, de grands yeux, un nez droit et fort et une large bouche. Bouche, presque perpétuellement étirée par un sourire. Ce qui n’était plus le cas depuis sa longue errance. Elle n’avait plus souri ni éprouvé de joie depuis son lointain départ. Une mâchoire volontaire et un menton puissant lui donnaient un air un brin masculin. Tallah aimait regarder son reflet. Son corps était modelé par une vie rude. Larges épaules, corps ferme et muscles déliés. Une charpente puissante. Tallah était de haute taille et, bien souvent, les autres se moquaient gentiment de ses longues jambes musclées. Encore enfant, elle égalait pratiquement en taille les hommes du clan. Depuis longtemps, elle dépassait Arn, le meilleur chasseur, d’une bonne tête. Les quelques joutes amicales que les hommes daignaient lui accorder avaient démontré qu’elle était très forte. Aucune femme n’aurait pu rivaliser avec Tallah à la lutte, si évidemment les femmes avaient pu lutter. Certains hommes, pouvaient même perdre un combat contre Tallah, cette femme, considérée par tous comme différente. Quant à la course… Personne ne pouvait rivaliser avec Tallah.


Tallah, élevée par les femmes du camp, avait toujours été considérée comme une enfant du clan. Simplement, personne n’oubliait qu’elle venait d’ailleurs. Olia venait du Sud. Sa mère avait suivi un groupe des siens qui désirait fonder son propre clan. Des lionnes en chasse avaient attaqué Olia et ses compagnons. Sa mère avait raconté, à ceux du clan qui l’avaient accueillie, la panique et la débandade qui s’en étaient suivies. Les lionnes avaient faim. Leurs petits devaient être affamés. Olia avait assisté à la mort de deux chasseurs et avait fui. Elle n’avait jamais pu retrouver les autres. Elle ne savait rien d’eux…


Ce n’étaient pas les origines de Tallah qui étaient cause de son départ. La décision de Zoug était même la plus grande preuve que son clan tenait infiniment à Tallah. Elle le comprenait, mais en était blessée.




STEPPES ET FORÊTS



Elle avait eu le plus grand mal à quitter sa colline. L’endroit lui avait permis de vivre agréablement. Elle avait tout ce qu’il lui fallait et se sentait en sûreté. Les fauves étaient de simples loups. D’après ses observations, Tallah avait dénombré trois hordes de loups se partageant les plaines environnantes et les bêtes ne s’intéressaient pas le moins du monde à elle. La saison des feuilles qui tombent et les neiges suivantes, la femme avait beaucoup bougé, restant parfois plusieurs nuits en bivouac, loin de sa chère colline.


Étrangement, ces longues escapades lui apportaient du plaisir. Tallah voyageait maintenant en se sachant tranquille. Elle avait un point de chute. Elle parcourait les vastes plaines pour mieux les découvrir. Une fois cela fait, les nouvelles terres devenaient son domaine. La décision de Zoug n’était plus sa préoccupation. Pourtant, elle ne pouvait que suivre un destin que le vieux sage lui avait imposé. Le vieillard avait parfaitement raison sur un point. Il lui fallait s’atteler à la tâche. Elle ne devait pas rester seule plus longtemps. Pour son propre bien. Pas pour satisfaire ceux qui l’avaient renvoyée.


Tallah marchait à nouveau sans, cette fois, un abri sûr pour la réconforter à son retour. La progression vers un espoir ténu était maintenant dangereuse et nécessitait toute son attention. Tallah dormait peu. La nuit, elle avait peur. Toute une faune veillait et ce n’était guère rassurant. Les prédateurs chassaient et les proies tentaient de sauver leurs peaux. Toute cette vie sauvage et cruelle la tenait longtemps éveillée. Son feu la rassurait, mais elle n’était pas certaine qu’un prédateur affamé ou plus hardi que les autres ne se risquerait pas à affronter sa peur des flammes pour l’attaquer. Parfois, des hurlements ou des rugissements gutturaux l’éveillaient et Tallah sentait la terreur lui nouer les entrailles.


Les longues journées étaient tout aussi dangereuses. Tallah avait pu cependant se préserver de leurs dangers. Cela avait nécessité une attention et une prudence de tous les instants. Au cours de son périple, Tallah avait abattu deux loups des steppes très agressifs à quelques jours d’intervalle. Des solitaires. De vieilles bêtes, laissées pour compte par leurs meutes respectives, et qui avaient du mal à trouver pitance. La faim les avait rendus audacieux. Ou plutôt, imprudents. L’idée que ces loups avaient, tout comme elle-même, été chassés par leurs congénères ne l’empêcha pas de les tuer.


Par deux fois, elle avait dû se précipiter pour escalader un arbre. Une première fois perchée, ses flèches avaient eu raison du puma qui tentait de la déloger de sa hauteur. Sa seconde mésaventure avait été mémorable. Tallah était restée dans son arbre près d’une journée entière. L’arc était inutile et elle n’avait dû son salut qu’à la chance et à la patience. L’énorme ours noir avait fini par en avoir assez de recevoir des pierres sur la tête. Tallah récoltait en permanence des cailloux pour sa fronde. De tailles différentes, de formes diverses, mais toujours assez lourds pour tuer la proie visée. Mais là, les plus petits ne devaient même pas déranger le plantigrade courroucé par l’intrusion de la femme sur son territoire. Sa bourse de peau était presque vide quand l’énorme animal avait abandonné l’arbre et sa proie en poussant des grognements sourds. De hauts sommets encadraient la destination qu’elle avait choisie et ne lui permettaient plus d’en changer. La femme marchait plein sud.


Son chemin était maintenant plus ardu. Elle progressait plus lentement, traversant des steppes désolées et des forêts qu’elle devinait très peuplées. Toutefois, il n’était plus question de chasser. Les steppes n’offraient que peu d’occasions de trouver une proie. Les forêts, elles, foisonnaient de gibier. Ses proies avaient malheureusement de quoi bien se cacher et devenaient introuvables. Tallah les entendait, mais ne les voyait que rarement. Pour une chasse, il lui aurait fallu prendre le temps de s’arrêter ou de poser des pièges. La femme n’en avait ni les moyens ni l’envie. Pire encore, elle pouvait devenir une proie elle-même. Elle ne pouvait plus voir le danger venir de loin et s’y préparer. C’est ce qui l’effrayait le plus. Tallah ne chassait donc plus. Bien heureusement, elle pourrait vivre un certain temps sur ses réserves de fruits secs, de baies, de racines et de viande séchée.


Enfin, elle avait fini par quitter les hautes futaies étouffantes. Tallah éprouvait un vif soulagement et retrouvait des plaines, certes toujours dangereuses, mais lui laissant une vue dégagée. Le ciel au-dessus d’elle lui enlevait la sensation oppressante d’être étouffée. Elle en avait terminé de la forêt. Sa satisfaction prit de nouvelles proportions, quand elle se trouva face à une gigantesque masse d’eau.




LE FLEUVE



Elle avait trouvé l’eau. L’immense cours d’eau était une délivrance. Elle distinguait à peine la rive de l’autre côté, mais n’avait aucune intention de traverser le large bras liquide qui la séparait de l’autre terre. Zoug disait « fleuve ». Délivrance et providence. Il suffisait d’être attentive et d’éviter de s’approcher des ours qui pêchaient ou des fauves qui venaient se désaltérer sur les rives.

Tallah savait se mouvoir dans l’onde. Elle avait nagé un moment pour aller explorer un petit îlot, non loin de la berge. Elle n’y avait rien trouvé d’intéressant.


L’eau était la vie, répétait le sage de son clan. Elle pêchait avec beaucoup de réussite tous les soirs et s’approvisionner en eau, ou simplement boire n’était plus des problèmes. Elle se permettait même de changer l’eau de son outre tous les soirs. Elle avait confectionné l’objet de ses propres mains. La première difficulté résidait dans le choix de la peau de chèvre que l’on utiliserait. Ensuite, il s’agissait de patience et de savoir-faire.


Zoug lui avait dit que suivre un cours d’eau important l’aiderait. Le vieux sage avait voyagé vers l’Est dans ses jeunes années. Il avait découvert un fleuve et, très vite, rencontré des hommes. Quand un fleuve était là, ses rives étaient toujours fréquentées. Si l’on prenait le temps de chercher, si l’on était assez patient, il y avait de fortes chances de rencontrer des hommes. Beaucoup de clans vivaient aux alentours de l’eau. L’eau était source de vie. Tallah suivit l’eau très longtemps. Autant de journées passées que deux fois les doigts de ses mains. La femme gagnait le rivage et se lavait le visage et le corps aux petits matins, toute nue et frissonnante dans la fraîcheur des débuts de journée. Elle sentait dans l’air les prémices des grands froids. Très bientôt, il neigerait.


L’endroit paraissait tout aussi parfait que la colline qu’elle avait décidé d’abandonner. Cette fois encore, cette petite grotte pourrait lui apporter un abri sûr. Prudemment, torche et sagaie en main, elle inspecta ce qu’elle espérait être un nouveau refuge. L’endroit était large de quelques pas et assez profond pour qu’elle ne puisse plus voir la lumière du jour après s’y être enfoncée jusqu’à son extrémité. Et surtout, il était inoccupé. Pas d’ours, pas de fauve. En tout cas, aucune trace récente du passage d’un carnassier ou d’un animal dangereux. Elle se contenterait de rester aux abords de l’ouverture.


La rive accueillait toutes sortes d’animaux. Tallah évitait les ours, laissait loups et pumas tranquilles et tuait les autres. Les bêtes se désaltérant étaient très vulnérables. Elles tombaient sous ses flèches ou ses pierres. Tout le monde avait besoin d’eau. Hommes comme bêtes.

Le fleuve ne gèlerait pas. Son courant était bien trop fort pour succomber à l’emprise du froid. Cette facilité de se ravitailler en poissons comme en viande et la promesse d’eau toujours proche, alliées à la sécurité de sa grotte accueillante, avaient poussé Tallah à se décider. Elle passerait la saison froide sur place.




LA CHASSE



C’était une femelle. Elle était jeune et ne devait encore jamais avoir mis bas. Une jeune ourse pas encore réellement rompue avec les dangers de la vie. Chaque aube la voyait emprunter le même chemin pour se rendre au fleuve. Nonchalante, sûre d’elle, la bête prenait tout son temps. Elle sortait chaque matin du taillis que Tallah venait d’inspecter. On pouvait supposer que le plantigrade reposait ses pattes aux endroits exacts qu’elles avaient foulés la veille.


Tallah avait bien réfléchi. Elle attendrait que l’ourse se cherche un endroit pour hiberner. Peut-être en avait-elle déjà un. La femme ne s’inquiétait pas outre mesure du fait que sa propre grotte pourrait intéresser l’animal. L’odeur du feu, de fumée, et sa propre odeur éloigneraient l’ourse du lieu. Il lui faudrait suivre l’animal durant toute sa journée d’activité pour être bien certaine de trouver son refuge. Ce ne serait pas du temps perdu. Tallah avait besoin de cette bête. Sa viande, sa peau et sa graisse lui seraient très utiles. À elle seule, cette bête suffirait à la nourrir, mais la proximité du gibier et l’éventail des proies qu’elle tuait lui suffisaient amplement. La graisse de l’ours était donc plus importante encore que la viande. Mélangée aux bons ingrédients, elle lui servirait à fabriquer des cataplasmes en cas de plaies ou de blessures. Elle assouplirait les peaux et les cuirs. Tallah aurait enfin des bougies et pourrait se fabriquer des torches. Zoug fabriquait des blocs à laver pour le clan. Tallah adorait se frotter le corps et se débarrasser des salissures avec ces blocs. Sa recette était son secret et Zoug la gardait pour lui. Tallah l’avait entendu dire un jour qu’il avait besoin de potasse. Mais rien d’autre n’avait été expliqué. Aza lui avait dit qu’Olia et les siens connaissaient des plantes qui faisaient mousser l’eau et qui permettaient de se laver. Elle en avait longtemps cherché sur le territoire du clan, fouillant les abords des cours d’eau ou des marais, sans malheureusement en trouver. Aza avait montré comment mélanger de la graisse animale avec des cendres de bois. Ses blocs à laver n’étaient pas aussi efficaces que ceux du sage, mais au moins, elle saurait les préparer.


Ce nouveau projet l’occuperait presque à temps plein. Suivre l’ourse et trouver son antre lui prendrait peut-être des jours. Une fois l’habitat de la bête connu, il lui suffirait d’attendre les débuts de son hibernation. Tallah savait qu’il lui aurait été bien plus facile d’abattre l’animal au sortir de sa longue retraite. L’ourse serait très affaiblie et certainement plus facile à tuer. Pourtant, c’était pour se préparer aux neiges qu’elle avait besoin de cette proie. Pas question de débusquer ce monstre dangereux. Tallah espérait donc qu’elle bénéficierait de l’effet de surprise en attaquant l’ourse à moitié endormie.


C’était la première fois que l’ourse ne se montrait pas. Tallah décida d’attendre encore, camouflée par les roseaux qui bordaient la rive. Elle guettait, assez loin du point de chute où l’animal venait boire. Immobile, la femme frissonnait dans l’air froid du lever du jour. Elle s’était contenue, dédaignant un jeune renne qui, pour quelque raison idiote, était venu se désaltérer seul. Une proie aussi tentante que facile. L’ourse pouvait arriver à tout moment et le risque d’être découverte était trop élevé.


Tout d’abord, elle ne comprit pas. Il lui fallut un long moment pour se rendre compte que les bruits qu’elle percevait étaient des voix humaines. Tallah ne parlait plus à personne depuis trop de temps. Elle s’était tout d’abord sentie idiote de se parler à elle-même à haute voix. Pourtant, elle le fit de plus en plus souvent. C’était très vite devenu une habitude. Certainement par besoin d’entendre des sons humains. La jeune femme n’en pouvait plus de sa posture accroupie et sentait ses muscles se tétaniser. Elle ne pouvait en aucune manière se permettre une crampe. Lentement, précautionneusement, elle s’allongea sur le ventre. Les éclats de voix étaient maintenant proches et Tallah osa relever la tête. Ils étaient une fois les doigts d’une main. Tous des mâles. Tout comme elle, ils portaient arcs et sagaies. Vêtus de peaux, les nouveaux venus devisaient en marchant. Tallah remarqua les visages aux teints sombres. Ils étaient couverts de peaux qui cachaient leurs corps. Un seul homme n’avait pas de capuche. Tallah ne savait pas si l’énorme boule noire et frisée sur sa tête était sa chevelure ou un couvre-chef. Elle opta pour un nouveau genre de capuche. Ils sentirent le danger et l’un des hommes désigna l’orée des taillis du doigt en parlant aux autres. Tallah ne comprit pas un mot de ce qu’il énonçait. Quand l’ourse déboucha de dessous les frondaisons, elle comprit.


L’animal resta un moment immobile, puis gronda en direction des humains. Tout alla alors très vite. L’homme qui allait en avant lança une lourde sagaie vers l’animal aussitôt imité par celui qui le suivait. Ils étaient trop pressés. Ils avaient été surpris et la peur ou l’impatience les rendaient maladroits. Le premier jet toucha le plantigrade sans pourtant pénétrer les chairs. L’autre rata sa cible. Les flèches décochées par les autres membres du groupe, elles, firent mouche. L’ourse poussa un rugissement effroyable et se dressa à demi sur ses pattes arrière. La bête paraissait folle de rage. L’immense corps retomba au sol et le mastodonte amorça un demi-tour non sans lancer un autre rugissement. Douleur et rage, certainement. Puis l’ourse se détourna et s’élança dans les taillis.


Tallah s’était presque redressée pendant le combat des hommes contre la bête, puis s’était recollée au sol quand l’ourse s’était enfuie. Elle n’avait rien perdu de la rencontre, mais ne se montrerait pas. La femme n’osait bouger et restait prudemment aplatie sur la terre dure de la berge. Elle savait que s’ils ne s’approchaient pas, ils ne découvriraient pas sa présence. L’épaisse barrière de roseaux la cachait parfaitement. Ils parlèrent longtemps. Tallah ne comprenait aucun des mots, mais les tons employés laissaient deviner du soulagement. Ces hommes ne chassaient donc pas. Pas l’ours en tout cas. Pourtant, s’ils étaient intelligents, ils n’avaient maintenant plus le choix. Ils devaient se lancer sur les traces de l’ourse et la trouver. Ensuite, ils s’estimeraient assez nombreux ou devraient prévenir d’autres chasseurs. Enfin, l’ourse devait être tuée. C’est ce que les chasseurs de son clan se seraient empressés de faire. Il ne fallait pas laisser un fauve blessé en vie. Il fallait le pourchasser et l’abattre. Tout animal blessé devenait un danger et l’ourse ne mourrait pas de ces trois flèches. Elle souffrirait longtemps, serait irritable en permanence et deviendrait un véritable danger pour ceux qui la croiseraient. Hommes ou bêtes.





RENCONTRE



Elle n’avait rien emporté avec elle, sa grotte étant toute proche. La plus légère de ses sagaies et son coutelas étaient ses seules armes. Elle n’avait pas la moindre nourriture et elle n’avait pas pris son outre d’eau. Retourner à son abri risquait de lui faire perdre ses chances d’en savoir plus sur ces inconnus. Elle avait appris seule à relever des pistes et, si elle n’excellait pas dans cet art délicat, elle se débrouillait. Toutefois, elle connaissait ses lacunes. S’aventurer sur les traces des hommes sans eau ni nourriture et sans son arc était évidemment imprudent. Boire ne serait pas véritablement un souci. Elle pourrait se désaltérer au fleuve à l’occasion. Manger, elle pouvait s’en passer. Tallah se décida très vite…


Toute la journée, la femme suivit à distance le groupe d’hommes. Si ces gens étaient des chasseurs, ils n’étaient pas de bons chasseurs. D’abord, ils avaient abandonné l’ourse à son triste sort. Cette idée éveilla en elle une sourde colère et Tallah grimaça. L’ourse serait, très bientôt, son propre problème. Toutes deux partageaient le même territoire. L’incompétence de ces gens en matière de chasse était flagrante. Ceux de son clan, les trois derniers chasseurs de sa prairie l’auraient déjà repérée. Pourtant, ils étaient vieux et nettement moins efficaces que dans leur jeunesse. Ceux-là étaient jeunes.



Depuis sa rencontre avec ces hommes, elle se contentait de les laisser la distancer. Elle n’avait pas vraiment peur. Tallah, sans savoir pourquoi, éprouvait simplement de la méfiance. Pourquoi ces hommes lui auraient-ils voulu du mal ? Pourquoi ne se présentait-elle pas tout simplement à eux ? Sa longue, très longue, trop longue solitude, l’avait tout bonnement rendue différente de la femme qu’elle était avant son voyage. Le soir ne tarderait plus à tomber et le groupe d’hommes s’était rapproché de la berge. Tallah s’immobilisa et s’accroupit. Ces gens feraient halte très bientôt. Peut-être resteraient-ils sur place. Continuer plus avant alors que la nuit allait venir était imprudent. Marcher de nuit serait une pure folie. Le groupe se dispersa et Tallah en profita pour grimper dans un jeune saule. Bien cachée par le feuillage, confortablement assise sur la grosse branche basse et le dos collé au tronc de l’arbre, elle regardait le groupe s’affairer.



Tallah n’avait fait que murmurer, mais avait éprouvé le besoin d’entendre sa voix.

Celui resté sur place avait farfouillé dans un sac et Tallah l’avait vu en sortir de grosses portions de viande crue. Il découpait des morceaux dans la viande alors que les autres le rejoignaient. Chacun portait son fardeau de bois mort. Ces gens parlaient beaucoup. Ils s’interpellaient sans cesse. Ils étaient bien plus bavards que ceux de son propre clan. Tallah ne put contenir un sourire quand elle les entendit rire. Ils rirent longtemps. Puis sans savoir pourquoi elle se sentit rougir en regardant les hommes se déshabiller. Tallah, toute enfant déjà, avait vu des hommes nus sans y prêter d’attentions particulières. Il était vrai que cela n’avait plus été le cas depuis très longtemps. Elle mit cette chaleur surprenante, qui lui brûlait les joues sur le fait qu’elle n’avait jamais vu de mâle nu depuis qu’elle était femme. Peut-être aussi éprouvait-elle une certaine gêne à les épier ainsi. La bouche de la femme s’ouvrit en un O surpris quand elle comprit que les boules noires frisées sur leurs têtes étaient bien des cheveux. D’étranges chevelures de la couleur des plumes du corbeau. La peau de ces hommes était aussi foncée que ses propres cheveux. Des rires, encore, et Tallah observa une scène qu’elle ne comprit pas. L’un des hommes avait le sexe dur et dressé et les autres désignaient le membre en érection de leur camarade de leurs doigts en riant. Tallah savait ce qu’était une érection. Elle aurait dû être mère depuis si longtemps. Le visage de la femme s’assombrit sous ses tristes pensées. Tallah n’avait jamais vu un sexe d’homme dans cet état, mais connaissait parfaitement le principe de l’érection. Elle le savait de par des discussions entre femmes.


Finalement, seule femme capable d’enfanter et sans compagnon possible, Zoug l’avait envoyée seule dans un monde cruel et sauvage. Qu’elle rencontre d’autres gens serait le salut de son clan. Qu’elle réussisse à en convaincre un certain nombre de la suivre et de rejoindre son peuple, serait sauver son clan de sa fin imminente. Il ne serait pas facile de trouver d’autres clans, avait prédit le sage. Et si Tallah finissait par réussir, elle ne convaincrait certainement personne. Il lui faudrait déployer des trésors de persuasion pour que des gens se lancent dans une aventure si dangereuse. Tallah se renfrogna à l’idée que le vieillard n’avait pas hésité à la sacrifier, dans cette aventure qu’il jugeait si dangereuse. C’était néanmoins un but secondaire. Sa seule priorité restait qu’il lui fallait trouver un homme et que cet homme lui fasse un enfant. Après quoi, le nouveau couple devait rejoindre le clan. Et si l’homme ne désirait pas la suivre, Tallah devait rentrer seule. Seule, et grosse d’une nouvelle promesse pour les siens.


De nouveaux rires fusèrent, et les tristes pensées de la femme s’envolèrent aussitôt. Elle sourit à nouveau en les écoutant rire. Ils avaient gagné la rive et Tallah entendait le bruit des éclaboussures. Les hommes se baignaient dans le fleuve et s’aspergeaient d’eau. Tout en se morigénant sur le fait de rester prudente, la jeune femme se laissa tomber de son perchoir.



L’un des hommes était sorti de l’eau. Tallah s’avançait vers lui, mains tendues en avant, doigts écartés et s’immobilisa sans tenter de trop s’approcher plus avant. Sa posture était un signe de paix. Ses mains en évidence montraient qu’elles n’avaient aucune arme. Zoug lui avait expliqué cette simple pratique de courtoisie. Ce geste pouvait évidemment lui sauver la vie. Il ne pouvait être mal interprété. Le vieux sage lui avait également appris qu’elle devait rester à distance respectueuse d’un étranger. Ce serait lui qui l’inviterait à le rejoindre. C’était en tout cas les us et coutumes, de ceux qu’il avait lui-même connus. Il n’y avait toutefois que peu de chances que ces actes ne soient pas compris par d’autres peuplades.




L’OURSE



L’homme afficha un large sourire, puis il se tourna vers le fleuve. Il cria une phrase incompréhensible et ses compagnons se tournèrent vers lui. Eux aussi, maintenant, découvraient la présence de la femme. L’homme sombre prononça quelques mots à voix forte. Tallah sourit en songeant qu’il lui faudrait apprendre leur langage. Il lui souriait aussi et cela seul comptait. La voyageuse avait atteint son but. Sans qu’elle puisse s’en empêcher, ses yeux glissèrent sur le membre de l’homme. Elle rougit encore en s’imaginant bientôt dans les bras d’un mâle. Bientôt, elle serait grosse. Tallah serait très vite mère.



Les autres avaient rejoint l’homme qui n’avait pas fait mine de s’avancer. Ils échangèrent des phrases et encore, ils rirent. Tallah était incapable de les différencier. Une douce pénombre était tombée et leurs peaux sombres ne lui permettaient pas de détailler leurs traits. Un rire une nouvelle fois et celui qui l’avait vue en premier lieu adopta la même posture que Tallah. Puis les autres l’imitèrent tout en s’esclaffant. La femme eut l’impression qu’ils se moquaient gentiment d’elle. Elle était maintenant convaincue que ces hommes n’auraient aucune mauvaise intention. Tallah baissa les bras, sourit plus largement et fit un pas en avant. L’homme qui se campait au premier plan face à elle cria et Tallah cessa d’avancer. Les autres bougèrent très vite et l’un d’eux se jeta sur leurs ravitaillements entassés près du tas de bois mort. Celui le plus proche d’elle cria encore, mais resta comme tétanisé. Sa main lui fit signe de le rejoindre et Tallah allait le faire quand elle sentit que quelque chose n’allait pas. L’homme était loin de sourire maintenant et Tallah se sentit brusquement inquiète. Elle ne comprenait plus rien. Elle sentait de la menace dans les mots lancés par les uns et les autres.


Un mouvement derrière elle. Un souffle rauque et puissant la fit se retourner et Tallah fut violemment projetée en l’air. Un rugissement de rage lui vrilla les tympans quand elle tenta de se relever. Elle retint un hurlement de souffrance quand elle souleva son corps. Son épaule n’était que douleur et son bras gauche pendait, le long de son corps. Elle songea que son épaule devait être déboîtée. Ou peut-être fracassée. Son bras devenu inutile était cassé. Tallah ne pouvait plus bouger. Un autre rugissement la fit frémir et une masse sombre se jeta sur elle. La tête de Tallah cogna la terre avec un bruit mat. Elle sentit le souffle brûlant et l’haleine fétide de l’animal tout contre sa bouche. Elle s’étonna de ne pas avoir peur. Elle avait mal. La douleur l’empêchait de penser. Douleur et souffrance. Pas de peur. Elle fit un effort et réussit à ouvrir les yeux. De la bave dégoulinait de la gueule du monstre et macula son visage.


Tallah entendit les cris et devina les hommes qui bougeaient autour d’elle. Le museau de l’ourse la cogna rudement au menton et la femme sentit ses dents s’entrechoquer. Un nouveau coup de museau, et Tallah sentit ses vertèbres cervicales, prêtes à se rompre. C’en était terminé. Tallah regardait la gueule monstrueuse au-dessus d’elle sans pouvoir réagir. Elle se sentait comme disloquée. Comme sa poupée de peaux cousues et bourrées de petits cailloux que sa mère avait fabriquée pour elle. L’objet était mou et la petite fille pouvait la manipuler comme elle l’entendait. Un terrible grondement de rage, et l’ourse releva sa lourde tête. Tallah vit la sagaie qui se fichait avec un bruit sourd, dans le cou du gigantesque fauve.


Une large patte armée de longues griffes se dressa sous ses yeux et devint l’unique champ de vision de la femme. La chasseresse était au-delà de la douleur. Elle n’éprouvait aucune rancœur. L’idée qu’elle mourait si proche de son but l’effleura et cette pensée fit naître le visage de Zoug. Le vieux sage l’observait. Son regard clair était embué de larmes et Tallah discerna une lueur d’affection dans le bleu de ses yeux. La jeune femme soupira longuement. Il lui sembla que la gigantesque patte de l’ourse lui caressait la joue. Elle laissa échapper un léger râle alors que sa tête s’écrasait une nouvelle fois sur la terre dure.



Tallah avait murmuré ses mots en souriant. Elle sentit le poids de l’énorme patte sur son visage.


Un voile noir…