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n° 22921Fiche technique24836 caractères24836
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Temps de lecture estimé : 18 mn
13/02/25
Présentation:  Une journaliste rencontre des femmes qui lui racontent un moment, un jour, une vie !
Résumé:  Comment vivre ce qui n’était même pas envisageable, quelques années plus tôt ? Une lecture par la petite porte !
Critères:  #nonérotique #confession f fh
Auteur : Jane Does      Envoi mini-message

Collection : Rêves de Femmes
D'Il à Elle


  • — Élisabeth…
  • — Oui France ? Tu m’as l’air bien excitée ce matin. Qu’est-ce qui se passe ?
  • — Pff ! Écoute, dans le courrier, pas grand-chose de différent ! Ça revient un peu toujours au même. À croire que notre monde n’est peuplé que par des gens qui se trompent, se déchirent, divorcent ou vivent des aventures triangulaires sans grandes folies.
  • — Ben… tu sais, je crois que l’amour, le sexe, c’est un zeste répétitif. Finalement, nous sommes tous limités dans nos manières de faire et au bout d’un certain temps… on retombe dans les mêmes petits travers. Comme lorsqu’on quitte un mec, il arrive très fréquemment qu’en fin de compte, on se ré-acoquine avec quelqu’un qui au bout d’un certain temps, ressemble à s’y méprendre au précédent.
  • — Ouais ! C’est pas faux… mais franchement, pour les messages qui nous parviennent, on jurerait qu’il s’agit de copier-coller.
  • — Oh ! En relisant bien, tu devrais parvenir à dégoter un bon sujet. Pour le moment, rien ne presse ! J’ai encore quatre ou cinq rendez-vous de prévus tout au long de cette semaine. Prends ton temps et surtout respire un peu. Ça va toi ? Tes amours avec… Benjamin ?
  • — Rien à signaler de ce côté… il voudrait aller plus loin et moi, je freine des deux pieds.
  • — Tu n’as pas peur qu’il en prenne ombrage et qu’il aille voir ailleurs ? C’est souvent le cas et je suis bien placée pour t’en parler, avec toutes ces femmes que je rencontre.
  • — On verra bien et pour être franche avec toi, Élisabeth… je ne sais pas encore si c’est vraiment sérieux pour moi. Je suis… hésitante.
  • — Enfin, c’est ta vie, ton casse-croûte et ma foi, si tu aimes vivre sur le fil du rasoir tout le temps, ça ne regarde que toi.
  • — Merci en tout cas de me remettre en mémoire que je dois me décider. Mais… on boit un café…
  • — Si tu veux… donc comme ça, dans le monceau de mails qui nous arrive, tu n’as rien de trop bon à me mettre sous la dent ?
  • — Non… vraiment, tous les messages reçus ont l’air de se ressembler. Un seul aurait pu sortir du lot… mais c’est un mec qui l’a envoyé.
  • — Un gars… comment ça, un homme ?
  • — Ben… une transgenre ou un truc dans ce goût-là ! Et, comme ta rubrique s’appelle « potins de nanas », c’est un peu délicat.
  • — Mmm ! Et toi ? Tu en dis quoi ? Il ou elle parle de quoi dans son message ?
  • — Ben… l’écrit fait état de sa difficulté à vivre sereinement une existence normale avec son « homme ». Le rejet de sa famille, les yeux de la société sur lui, sur son couple, enfin tu vois le topo. Mais peut-on raisonnablement imaginer qu’une transgenre est une femme ? Je n’irais pas jusqu’à dire ça. Et peut-être aussi que nos lectrices n’apprécieraient pas qu’on mélange les histoires de nanas pures et celles plus controversées d’une pseudo-femme.
  • — Tiens donc ! C’est ton avis sur la question ou ton ressenti que tu mets en exergue là ? Et puis, si ça peut faire un bon papier… après tout, la société actuelle est plus permissive, non ? La mixité dans les couples n’est plus non plus une obligation absolue. Alors… mets le courriel de côté et j’éplucherai ça à mon retour. Il provient de quel endroit le message ?
  • — De Normandie… Honfleur pour être exacte.
  • — En plus, c’est un chouette coin ça… bon ! Buvons notre café et au boulot… j’ai mille trucs à mettre à jour. Ah… voici notre Mélanie nationale qui rapplique.
  • — Eh ben… moi, je me carapate… elle me fatigue notre « gentille cheffe ». Tu me tiens au courant pour cette nana « made in Normandie » ?
  • — Ouais… au fait, elle a un prénom ?
  • — Oui… Sandra… original n’est-ce pas ?
  • — Pff ! Toujours aussi critique, ma belle. Allez, salut, et le bonjour à ton Benjamin.

Elle vient à peine de sortir de mon bureau que déjà Mélanie y pénètre. Après tout, c’est son rôle aussi de venir superviser ses subalternes, et jusqu’à preuve du contraire, j’en fais partie ! Elle me laisse assez libre de mes sujets et ça me convient parfaitement. Nous palabrons quelques minutes et je lui fais part de ma possible visite à la dénommée Sandra. Et ça a du bon de parler avec une cheffe. Elle me pose une question à laquelle je n’ai pas encore vraiment songé. La femme qui se fait appeler Sandra est-elle à l’origine un homme ou une femme ? Et je réalise, évidemment, que « transgenre » regroupe ces deux catégories. Il devient évident qu’une vaginoplastie est tout à fait différente d’une phalloplastie !


Et j’avoue que ça me fait bigrement cogiter… mais pour l’heure, je n’ai pas assez de détails pour savoir où en est cette personne dans un processus possible de transformation chirurgicale ni même si elle l’envisage. Je me promets d’en discuter avec l’intéressée au téléphone, et j’envoie donc France, mon assistante, à la chasse aux informations. Des réponses fournies, je prendrai ma décision de rencontrer ou non, celle qui a sûrement une histoire personnelle très difficile à vivre. Et je termine donc mon travail de remise en forme de ma dernière interview et, comme le week-end arrive, eh bien je remets à lundi mon appel téléphonique à ma nouvelle éventuelle candidate.




— xXx — 




Mon lundi est en règle générale consacré aux contacts téléphoniques. Et celui qui débute avec la personne qui dit se nommer Sandra Hachman est plus que cordial. La voix est douce, chaleureuse au point qu’il en résulte immédiatement une sorte de communion. C’est après un quart d’heure d’entretien que je décide donc, avec l’accord de Mélanie, de partir dès demain à Honfleur. Rien que le nom de la ville, j’ai déjà une petite musique dans la tête. Alors me voici partie à huit heures du matin ce mardi pour, si tout va bien, un trajet de deux heures et demie. Après, sortir de Paris est toujours un pari risqué. Et nous avons convenu, cette Sandra et moi, d’un texto dès que je serai aux abords du « vieux bassin », nom du vieux port.


Vers onze heures, par une de ces belles journées d’automne, je me gare et marche donc un moment pour gagner le lieu de mon rendez-vous sur le quai de la Quarantaine. J’adore les senteurs iodées qui sont partout ici et ça me change terriblement de l’odeur malsaine des pots d’échappement des rues parisiennes. C’est là que je dois donc retrouver celle qui aimerait que je raconte son histoire. Je cherche alors des yeux « La Trinquette », qui doit être un restaurant assez réputé de Honfleur. J’ai forcément un peu d’avance puisque je n’ai prévenu Sandra de mon arrivée qu’après m’être garée sur une place à quelques centaines de mètres d’ici. Alors, je flâne un moment. Puis assise sur un banc, je regarde passer les badauds.


Comme sur tous les ports de France et d’ailleurs, il y a toujours nombre de visiteurs et beaucoup sont sans doute des retraités, la rentrée des classes ayant eu lieu quelques jours plus tôt. Alors, lorsque de loin je repère une silhouette hyper féminine qui avance gentiment sur le trottoir, pas un instant je ne me doute qu’il peut s’agir de celle avec qui je vais discuter. Grande, élancée, très fine et d’une élégance rare, loin de l’idée très masculine que je me suis forgée tout au long de mon trajet, la silhouette qui avance dans ma direction semble chercher quelque chose. Son chemin, peut-être, et pas un instant je ne songe qu’il peut s’agir de Sandra. Ce n’est que lorsqu’elle fond littéralement sur moi, que je réalise que je me suis complètement plantée.



Nous nous dirigeons côte à côte vers la rue qu’elle paraît connaître par cœur. Et visiblement, ce qu’elle nomme « La Trinquette » laisse voir une carte des plus imaginatives. Je jette un coup d’œil alléché sur les photographies des plateaux de fruits de mer et l’eau me monte à la bouche. Sandra entre sans gêne dans la salle et les serveurs lui font discrètement de petits signes de la main. Elle est donc une figure locale connue et il y a une sorte d’aura qui émane d’elle qui fixe les regards dès qu’elle apparaît. Un charme inattendu dans sa démarche, tout comme dans sa voix qui n’a strictement rien des clichés véhiculés par internet sur les personnes transgenres. C’est donc indubitablement une femme que les mirettes des gens que nous croisons aperçoivent à mes côtés.




— xXx — 




Le déjeuner est un régal. Le sentiment de bien-être que je ressens en présence de cette femme se trouve sûrement renforcé par l’obligation de manger avec les doigts. Les crevettes et autres coques et palourdes s’accommodant très mal avec les convenances de la table. Nous accompagnons notre mastication joyeuse d’un Muscadet gouleyant à souhait et sans véritablement discuter des motifs qui m’amènent face à elle, nous nous apprivoisons en avalant, ce qui ne gâche rien, ces délices maritimes hors de prix à Paris. Ses réserves, verrous naturels sautent un à un au rythme de notre dégustation d’huîtres et d’un demi-tourteau dont nous nous régalons. Ensuite, après chacune à notre tour, un bref passage dans les toilettes de l’établissement pour nous laver les mains et faire un raccord de maquillage, nous déambulons lentement dans la vieille ville.


Honfleur, c’est superbe. De plus, l’arrière-saison ensoleillée et la densité plus faible de touristes font que j’ai l’impression de prolonger pour quelques heures mes vacances. Au bout de dix minutes tout au plus, Sandra me désigne une maison d’aspect sympathique.



Tout en devisant simplement, la femme ouvre sa porte et s’efface en m’invitant à pénétrer dans son « chez-elle ». Un pied dans l’entrée, je suis saisie immédiatement par le bon goût de ce qui nous entoure. C’est meublé d’une manière plutôt résolument moderne, et la sobriété rend le lieu assez chaleureux. Nous pénétrons ensuite dans un salon qui fait également office de bibliothèque si j’en juge par les nombreuses étagères qui en tapissent trois murs sur quatre. Bien entendu, enchâssé dans l’une d’elles, un téléviseur et tout un matériel des plus « Hight Tech ». Quelques cadres photo aussi laissent entrevoir des visages souriants dans ce décor de poupée. Invitée à m’asseoir dans un large fauteuil, je visite des yeux cette pièce à vivre douillette.



Sur la table basse qui nous sépare, mon appareil, à peine plus volumineux qu’une boîte d’allumettes de grand format, est là ! Pas encore en service, et j’attends qu’elle prenne conscience que je vais véritablement garder sa voix en boîte. Elle me propose un café que j’accepte volontiers et en sirotant le breuvage très chaud, je la regarde fixement. Elle ne baisse pas les yeux, ne cherchant nullement à se dérober à mon regard incisif. Lorsqu’elle repose sa tasse à demi vide, elle me demande alors tout à trac :



Je la sens d’un coup perplexe. Comme si le fait d’être enregistré la décontenançait. Mais après s’être raclé la gorge, elle se décide enfin.




— xXx — 




Je… suis née, Simon Hachman… et j’ai aujourd’hui trente-quatre ans. Mes parents sont ce que l’on peut qualifier de « notables ». Un père notaire, un peu strict et plutôt bourgeois, une mère femme au foyer qui s’occupait de ma sœur aînée Astrid et de moi, une famille somme toute banale dans les traditions d’une France un peu désuète. Mais sans que j’en sache bien les raisons, dès mon plus jeune âge, je me suis sentie… prisonnière, dans un corps qui n’était pas le mien. Ou plus justement pas vraiment en harmonie avec mon cerveau. Ma sœur et moi partagions la même chambre, et lorsque j’ai su m’habiller seule, je me servais allégrement dans les vêtements d’Astrid de deux ans plus vieille. Ce qui m’a souvent valu des coups de pied aux fesses de la part de mon père, soucieux des apparences.



Je vous laisse imaginer l’ambiance et les rebuffades qui ont jalonné mon parcours. Les camions de pompiers pour moi sous le sapin et les poupées pour Astrid, sauf que dans ma tête, rien n’était aussi bien défini. Je schématise sûrement, mais c’est l’idée. Quelque part, je ne me sentais pas à ma place dans un corps de garçon. J’ai pourtant tenté de longues années de faire semblant, de ne pas laisser transparaître cette nature bizarre qui me perturbait. Je vous passe les bagarres avec Astrid qui voyait d’un mauvais œil que j’emprunte ses vêtements, et les engueulades de mon père qui m’a parfois découverte avec les chaussures de maman aux pieds. Et c’est vrai qu’en y repensant aujourd’hui, les hauts talons maternels m’ont sans doute attiré tout autant que les jupes et les chemisiers.


Et mon adolescence ne s’est pas vraiment passée mieux. Tiraillée entre des idées de filles et les valeurs bourgeoises de parents qui ne souffraient pas l’idée que je sois différente, j’ai vécu des jours difficiles. Impossible aussi pour maman de comprendre que je puisse préférer les garçons aux filles pour mes jeux. Les premiers noms d’oiseaux sont venus aux alentours de mes seize printemps. Je n’oserais jamais répéter ces mots violents, presque des insultes dont papa m’a affublé ce soir-là où il nous a surpris, Jeremy et moi dans ma chambre, couchés l’un près de l’autre. Je revois la bobine de l’infortuné garçon que mon père chassait de notre maison avec des termes ignobles. Et les choses ensuite se sont dégradées irrémédiablement.


Traînée pratiquement de force chez une psy qui devait « me remettre les idées en place », la pire période de ma vie, je vous assure, Élisabeth ! En revanche, aussi paradoxale que cela puisse paraître, ces moments très douloureux pour moi ont cependant forgé mon caractère. Je suis obstinée et désormais indépendante. Quant à la psy… au bout de trois séances, elle savait que je n’étais ni folle ni malade. Et je revois la tronche de mon notaire de père quand elle lui a clairement énoncé que mon état ne nécessitait pas de soins particuliers. Je me souviens de sa colère et cette malheureuse dame qui ne faisait que rapporter des faits s’était vue gratifiée du nom peu glorieux de « charlatan », de parasite également.


Et… imaginez que pour me remettre dans le droit chemin, je me voyais collée dans une école militaire, histoire de me « dresser ». Un mal pour un bien puisque ces endroits ne sont peuplés que de beaux jeunes hommes. Il est vrai aussi que la plupart se sont acharnés verbalement et les qualificatifs fleuris m’ont poursuivi une bonne partie de mon séjour dans cette école. Je vous fais grâce des : « pédé, lopette, salope » et autres gentillesses que des bouches viriles savent si bien chanter aux oreilles de ceux ou celles sûrement qui ne sont pas dans les canons de la morale ou dans les normes de notre société. Tant et si bien qu’à ma majorité, convoquée chez le directeur de l’établissement, je me voyais expulsée des cours et de l’internat.


Une vague tante Irina, sœur de maman, m’a recueillie, et j’ai pu chez elle recouvrer un peu de sérénité. Je dois aussi la saluer parce qu’elle avait assez d’humanité pour ne pas me juger. Pour la première fois de ma courte existence, j’ai pu chez elle déambuler sans ambiguïté dans des vêtements féminins et en apprécier la douceur. Là aussi, dans un environnement moins hostile, j’ai pu sans contradiction possible comprendre que j’étais bien une fille dans un corps de garçon, que le doute n’était plus permis. La nature, ou le ventre de ma mère, je n’en sais rien, quelque part, quelque chose a forcément bugué. C’est bien chez Irina que je me suis totalement décidée à vivre en fonction de mes aspirations profondes.


Ma sœur, venue me voir une fois chez notre tante, n’a guère été plus tendre que mes géniteurs et elle a coupé les ponts depuis tout ce temps, me laissant avec ce qu’elle m’a jeté à la figure en me qualifiant de : déchet de l’humanité… Heureusement que la main tendue de la sœur de maman m’a permis de faire front et de me relever de ces humiliations. J’avoue que j’ai encore aujourd’hui une sorte de douleur qui persiste à me déchirer le cœur. Ces personnes qui devraient le plus compter pour moi, celles que je devrais aimer le plus aussi, se sont comportées comme des sauvages, des gens « incivilisés », vis-à-vis de ce qui n’est en moi qu’un point de détail. Je pense femme, je vis femme et je n’ai aucune explication logique à ces faits.


Combien il peut être difficile de s’imaginer qu’aux yeux de ceux-là mêmes qui m’ont mise au monde, je sois devenue une sorte de monstre, une lèpre dont il fallait se débarrasser au plus vite ! Incroyable de me dire que je suis une tache dans la vie bien rangée de mes parents, de ma sœur aussi. Comment se reconstruire après tout cela ? Et c’est bien là que je dois faire preuve d’humilité et remercier le ciel d’avoir eu ma tante Irina pour me prendre sous son aile. Et vous voyez, sans elle, peut-être aurais-je abrégé mon séjour sur cette foutue terre. Mais elle m’a poussée à vivre selon mes aspirations les plus profondes. Et c’est également sur ses conseils que j’ai consulté des tas de médecins spécialisés.


Puis un jour, j’ai appris à m’aimer et surtout à me dire que je suis comme je suis et que ce n’est pas fondamentalement à moi de changer. Le regard des autres n’a pas à me culpabiliser. Ensuite, j’ai entrepris une thérapie qui m’a conduite à envisager une opération et, sur les conseils des médecins, je me suis donc lancée dans cette entreprise très longue. Il y a maintenant trois ans, je suis devenue physiquement une femme. Vous pouvez, Élisabeth, voir le résultat et je dois admettre que ça dépasse toutes mes espérances. Une belle poitrine, totalement modelée par une chirurgie esthétique de haut niveau. Bien malin ceux qui, croisés dans la rue, sont capables de dire que l’état civil de ma naissance m’attribuait le prénom de Simon.


Là encore, une longue bataille pour faire reconnaître mon droit à changer de sexe officiellement. Mais après des années de combat, je possède pour toujours non seulement l’apparence d’une femme, mais bien plus important, le statut de femme reconnu par l’état civil lui-même. Vous dire que ce parcours ne m’a rien coûté serait mentir. C’est au prix de tellement d’humiliation, de privation également. Et au terme de toute cette bataille, physique et juridique, j’ai enfin découvert que je pouvais être aimée pour ce que je suis et non pas pour ce qu’on aurait voulu que je sois. Et l’homme avec qui je fais mon chemin depuis un bon moment, sait bien lui qu’être femme, ça se joue aussi dans le cerveau.


Ces instants de désespoir, de découragement, et osons mettre des mots sur les difficultés, mes envies d’en finir avec la vie ne sont plus que de lointains souvenirs, des traces d’un passé qui n’appartient qu’à moi. Bien sûr, me restent les regrets que mes parents, ma sœur, surtout Astrid en fait, n’aient pas su comprendre ma détresse, dans ce qui me paraissait insurmontable. Vivre dans la peau de quelqu’un d’autre ! Un vrai traumatisme qui depuis mon opération s’estompe dans les nuits des jours qui défilent. Mon compagnon sait que nous n’aurons jamais d’enfant, et nous avons longuement parlé de ce qui m’a poussé à être terriblement isolée. C’est ensemble que nous faisons cause commune depuis notre rencontre.


Et si je tenais tellement à vous rencontrer, c’est pour que mon témoignage serve à toutes celles, ceux aussi bien sûr qui ont été ou sont encore dans le cas de figure de rejet de notre société. C’est pour cela que nous avons créé une association pour venir en aide aux personnes « différentes » qui ne se sentent pas en phase avec leur corps. Nous sommes là pour soutenir et guider dans un parcours qui peut s’avérer absolument dément. Et pour montrer à ces malheureuses ou malheureux que tout est possible. Que de toute évidence, si nous naissons différentes ou différents, nous ne l’avons pas choisi ! Alors, vos lecteurs et lectrices peuvent, par le biais de votre journal, si bien entendu, Élisabeth, vous publiez mon récit, se rapprocher de notre association…




— xXx — 




Elle marque un temps de pause, semblant reprendre son souffle et il y a dans sa voix une flamme dont je suis certaine qu’elle n’est pas près de s’éteindre. Je lui souris et stoppe d’un doigt l’enregistreur. Il y a dans les yeux de Sandra une fierté et une envie violente de hurler au monde ce qu’elle ressent. C’est si profond… puis, alors que je la sens au bord des larmes, ses souvenirs lui ayant à coup sûr remué les méninges, ou pour se donner une contenance, elle me lance sobrement des mots pour détourner mon attention de ce qui se joue en elle.


  • — J’ai besoin de prendre un verre, si vous n’y voyez pas d’inconvénient ! Vous ne me refuserez pas de trinquer à l’association que je porte à bout de bras, Élisabeth ?
  • — Non ! Volontiers. Je trouve ça plutôt bien que des personnes qui vivent de tels évènements se fassent les porte-parole du changement possible. Vous êtes une femme courageuse, Sandra, et je vous admire. Vous pouvez aussi compter sur mon soutien pour votre entreprise et celui de mon journal. Nous sommes des femmes au service des femmes et votre histoire me touche au plus profond de mon être…
  • — Merci…

Tout au long de mon trajet de retour, j’ai dans l’esprit cette détresse qui transpirait de la narration de cette Sandra, pourtant si forte malgré une fragilité latente. Bon ! Je ne sais pas ce que va penser de cette affaire Mélanie, mais ce que moi je sais d’ores et déjà, c’est que l’association de Sandra Hachman, je vais lui faire une pub d’enfer. Il m’est pour des raisons évidentes, impossible de comprendre et de savoir ce qu’elle a effectivement vécu. Mais ce dont je suis quasiment sûre, c’est bien que ça lui a chevillé à l’âme, une volonté impénétrable autant qu’inébranlable. Cette femme… je suis contente de l’avoir rencontrée, car elle fait désormais partie de ces entrevues qui jalonnent ma vie et qui l’ont changée à tout jamais…