n° 22928 | Fiche technique | 10990 caractères | 10990 1993 Temps de lecture estimé : 8 mn |
19/04/25 corrigé 19/04/25 |
Résumé: Les clichés naissent d’images répétées, de scènes vues et revues, jouant sur nos attentes, nos fantasmes, nos désirs et nos craintes. S’ils perdurent, c’est qu’ils continuent de nous captiver… et de nous enflammer.
(L’Artiste). | ||||
Critères: #humour #chronique #personnages | ||||
Auteur : Melle Mélina Envoi mini-message |
Collection : Les clichés ont la vie dure |
10 h 00
Nous faisons le tour du service avec Norbert, le chirurgien. Nous sommes quatre à lui donner des nouvelles des patients des chambres 21 à 28. Cependant, il n’a pas la tête à ça, je le vois sans cesse reluquer les fesses de Fanny, une collègue infirmière. C’est la seule qu’il ne s’est pas encore tapée et à voir les jeux de regards auxquels ces deux-là s’adonnent, je suis sûre que ce n’est plus qu’une question d’heure.
Norbert n’est pas ce qu’on pourrait appeler quelqu’un de beau, mais il est riche, très riche et Fanny aime bien.
Michèle est à présent mariée au chef de service de la gastro, alors il n’ose plus trop la coincer dans les couloirs. Jocelyne a eu une aventure également, et elle aimerait bien remettre le couvert mais ce n’est pas la plus belle d’entre nous. Ce qu’aime Norbert, c’est la chasse – une fois qu’il a réussi à capturer sa proie, il a tendance à s’en désintéresser.
Dans la chambre, le patient se remet bien de l’opération, il va pouvoir sortir cet après-midi. Je crois bien être la seule à connaître son prénom et une partie de son histoire. Il s’appelle Jean. Il aime le football, ou plutôt il adore le foot, c’est un supporter acharné. Il est donc un peu con, un peu raciste, un rien méchant… Bref, il ne me manquera pas celui-là.
Dans la même chambre, se trouve Paul, un prof de Fac, bardé de diplômes, attention, pas n’importe quel diplôme, pas le CAPES non, mais bien l’AGREG, il est très intelligent. Nous avons failli faire une confusion, c’est lui qui doit sortir cet après-midi ! Il faut dire que maintenant que les chambres sont doubles, la confusion est de plus en plus récurrente.
Le patient de la chambre 21, côté fenêtre, ou le patient de la chambre 21, côté toilette ?
oooo0000oooo
10 h 05
Nous arrivons dans la chambre 22.
Côté toilette, il y a Boumako. Boumako est noir. Boumako est concierge et homme à tout faire. Il travaille ici, bon pas là, puisqu’il vient de se faire opérer de la vésicule biliaire.
Les aides-soignantes chargées de sa toilette m’ont dit qu’il est baraqué, et il n’y a pas que ça… il a… vous savez ? Il a… une grosse bite et baise comme un Apollon ! m’ont-elles dit un sourire en coin. Elles se battent pour s’occuper de lui.
Bon, si ça les amuse de coucher avec un concierge… C’est leur problème.
Toutefois, avant qu’il ne s’en aille, j’irai voir si ce mythe est vrai…
Juste à côté se tient Mme Van CleenPutt (prononcez van cleenpout). Madame est une bourgeoise, elle est donc pingre mais elle est chrétienne, elle va tous les dimanches à la messe et a un fond raciste.
— Vous comprenez mon père, j’ai l’impression que je ne suis plus chez moi !
— Le bruit et l’odeur, mon enfant… le bruit et l’odeur !
Entre nous, nous l’appelons Tatie Danielle mais l’infirmière en cheffe, Christine nous a déjà fait la remontrance, on ne parle pas comme ça de nos patients, voyons !
Cette femme autoritaire a régulièrement de la visite de son mari, de ses deux adorables enfants, Guy-Hubert et Bertrand-Jacques, toujours tirés à quatre épingles. Elle aurait tant voulu avoir une fille mais que voulez-vous ? Ma chère, on ne choisit ce que Dieu a prévu pour vous !
Quant à son mari, un petit malingre à grosses lunettes, il m’a l’air gentil et obéit au doigt et à l’œil.
Tatie Danielle… Euh, je veux dire Madame Van CleenPutt s’entretient avec Norbert :
Puis se tournant vers nous :
Se tournant vers la patiente :
Fanny lui susurre :
– Madame VanCleenPutt…
oooo0000oooo
10 h 10
Chambre 23, il ne reste plus que Mohamed (le patient de la chambre 23 côté toilette est sorti hier matin).
Mohamed est un Arabe, Marocain ou Algérien. C’est un voleur qui vit des minima sociaux, il a plusieurs femmes qui ont plusieurs enfants et tous les étés, il descend au bled pour les vacances. Il a une double nationalité et il est musulman.
Nous ne faisons pas de différence, notre code de déontologie nous interdit de faire des différences entre les patients, mais lui, il nous fait suer. Cinq fois par jour, nous devons le descendre de son lit, le tourner vers la Mecque pour qu’il fasse sa prière. Je ne sais même pas où elle se situe cette foutue Mecque. Il nous emmerde au moment des repas, Monsieur veut que ce soit hallal.
Et dans son pays, ils accepteraient que j’exige un repas kasher ? J’ai bien souvent envie de lui répondre « Hé mec, t’es en France, ici on bouffe du porc et si t’es pas content, c’est le même prix ! ». Cependant je m’en abstiens, après on va dire que je suis raciste.
Non je ne suis pas raciste, j’ai même une amie maghrébine, Fatima qui est femme de ménage ici. Alors…
Toutefois, nous sommes tranquilles, il refuse qu’une femme puisse lui prodiguer les soins et c’est le pauvre Rodolphe qui doit s’en charger. Rodolphe est de nuit, bin il peut lui ! Il n’a pas de gosse alors c’est facile d’être toujours disponible pour les week-ends et jours fériés. On verra quand il aura une famille.
Norbert nous apprend que le patient de la chambre 23 va pouvoir sortir cet après-midi.
Il n’y a que Michèle qui puisse intervenir. Vu qu’elle est mariée au chef de service de la gastro, un collègue de Norbert, ça passe. Mais que Jocelyne ou moi-même ayons un doute quant à sa décision et on se fait copieusement savonner. Tant qu’il n’a pas eu Fanny, cette dernière peut encore lui faire une ou deux réflexions.
Profite bien ma belle parce que ça ne va pas durer !
oooo0000oooo
10 h 15
Chambre 24. Côté fenêtre, se trouve Clémentine. Cette petite jeunette est une gaucho-anarcho-écolo-pacifiste-féministe, un peu wokiste. Elle a pour parfum du patchouli, porte des pantalons évasés, un keffieh autour du cou. Aujourd’hui, elle veut aller à la manif pour dénoncer la maltraitance animale.
Silence de nous quatre, pas envie de moufter mais envie de réprimer un fou rire qui risque d’être tonitruant !
On sent qu’il est à deux doigts de péter un câble, le pauvre, il n’a pas l’habitude. On voit qu’il a toujours eu tout ce qu’il voulait. Il a toujours pété dans la soie, il est né avec une cuillère d’argent dans la bouche… Putain de bourgeois, ça te fait des pieds !
Fou de rage, il passe de l’autre côté du rideau où se trouve le patient de la chambre 25.
Le patient nous a entendus et intervient en se marrant :
Bernard est un biker, il ne roule que en Harley, déteste les Japonaises (je parle ici de motos), il est toujours en perfecto, boit de la bière, est tatoué de haut en bas, et n’aime pas les pédés, lui c’est pas une taffiote.
Hier, tous ses potes sont venus le voir. Tous des blousons noirs, barbus comme des Vikings, bruyants comme des marteaux piqueurs et tatoués comme lui. À ce qu’il paraît, Evelyne, une infirmière de l’équipe de la veille leur a demandé d’être plus silencieux. Pour toute réponse, elle a eu le droit à une main aux fesses.
Remarquez bien que ça dût lui faire tout drôle à cette dernière. Pour casser le fantasme de l’infirmière, il n’y a pas mieux, une véritable mocheté, même Norbert n’en a pas voulu, c’est dire.
Bernard mesure un bon deux mètres, doit peser les 110 kg tandis que notre chir’ fait la moitié…
Silence de nous quatre, pas envie de moufter mais envie de réprimer un fou rire qui risque d’être tonitruant !
Trop dur, nous explosons, impossible de nous arrêter, Jocelyne en pisse de rire, Michèle et moi-même en pleurons… On se doute bien qu’on va amèrement le regretter, mais c’est plus fort que tout. Même Fanny qui s’interpose entre les deux ne peut s’empêcher de rire.
Et j’entends Clémentine en rajouter une couche :
Devant le danger, Norbert fuit la chambre et nous le suivons tandis que j’entends les deux patients se marrer comme des baleines.
Furibond, il nous engueule dans les couloirs. On se prend un savon comme jamais tandis que notre fou rire s’estompe un peu…
Avec le rire qui disparaît, l’angoisse de ce que l’on risque devient prégnante. Le Norbert fera tout ce qu’il a en son pouvoir pour nous foutre à la porte (peut-être pas Michèle parce qu’elle est mariée nanani…nanana…).
Nous sommes juste à côté de la chambre 25, la chambre en réfection…
Je ne veux pas perdre mon job…
J’y suis déjà passée…
Et plus d’une fois…
Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour notre job !
J’ouvre la chambre et pousse le Norbert sur le lit. Je lui dégrafe le pantalon. Fanny est là. Jocelyne aussi.
Michèle retire son alliance et dit :
Et comment qu’il a promis !!!
Les chambres 26, 27, 28 attendront le lendemain pour la visite quotidienne du chirurgien.