Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 22933Fiche technique14410 caractères14410
2489
Temps de lecture estimé : 10 mn
20/02/25
Présentation:  « Les clichés ont la vie dure », une collection pleine de sens. À risque ici, où les auteurs, moi la première, les exploitent à tour de bras. Eh, L’artiste, cette contribution est un hommage à ton talent et à ta croisade humoristique !
Résumé:  Victime de propos offensants, une femme intrépide met au point un plan Q dans une grotte pour renverser clichés et fantasmes. Entre rebondissements et quiproquos, parviendra-t-elle à ses fins ?
Critères:  #humour #nonérotique #vengeance fh
Auteur : Maryse      Envoi mini-message

Collection : Les clichés ont la vie dure
Quand les clichés se heurtent à la réalité...

Le plan « Trois en un »


Tout a commencé par une offense. Une de celles qui claquent, qui résonnent, qui vous font remettre en question votre place dans l’univers. « Tu n’es qu’un glaçon frigide ». Voilà ce que j’ai entendu, entre le fromage et le dessert, de la bouche d’un type dont je me suis empressée d’oublier le nom.


Glaçon. Frigide. Deux mots, et soudain, je ne suis plus une femme libre de choisir mes envies, mais une statistique dans une étude sur le soi-disant manque de spontanéité féminine.


Je ravale ma colère, afin de faire mentir le cliché qui a la vie dure de la créature sans cervelle hystérique qui hurle à tout bout de champ. Non, mais, et puis quoi encore !


Si je n’avais pas été une femme, puisque la bienséance due à notre sexe exige calme et modération, je lui aurais enfoncé mon glaçon là où je pense, histoire qu’il garde les fesses serrées plutôt qu’il ouvre la bouche !


C’est bien ma veine. Pour une fois que je tombe sur un gars capable d’aligner une phrase au lieu des sempiternels monosyllabes : ouais, OK, hein, après. À croire que son vocabulaire ne s’était enrichi que de ces deux mots, glaçon et frigide. Une belle prouesse linguistique !


Bon, maintenant que c’est arrivé, il faut que je réagisse en femme affranchie, afin de prouver à moi-même plus qu’à ce sombre crétin que je suis capable d’être une femme fatale, une amante intrépide, une héroïne sensuelle. Mais par où commencer ?


En personne avertie, je sais que « spontanéité » n’est pas « précipitation ». Nous, les femmes, ne sommes-nous pas des modèles de retenue ? Avant de passer à l’action, je dois peaufiner mon plan de bataille. Car, telle une Jeanne d’Arc des temps modernes, je pars en guerre contre les clichés sur les femmes. Et croyez-moi, ce n’est pas cuite que vous m’aurez, mais crue de crue ! Croisade exige.


C’est là qu’intervient mon magazine préféré, Wonder Women. Ou plutôt, sa rubrique phare : « Les fantasmes féminins les plus inavoués ». Une mine d’or :


* Cunnilingus passionné : humm, prometteur, pour une fois, je jouirai (la première).


* Sexe dans un lieu public : un peu risqué, mais si le frisson en est meilleur, pourquoi pas.


* Prendre les rênes, mener la danse : tiens, ça me changera de simuler.


Un plan est né : réaliser ces trois fantasmes en une seule et unique expérience mémorable. Un acte audacieux qui allait, une bonne fois pour toutes, clouer au pilori le cliché du « glaçon frigide ».


Il me fallait juste un champ de bataille adapté et discret, mais suffisamment public pour cocher la case « lieu périlleux ».


La plage ? Pour finir couverte de sable qui gratte ? Jeanne d’Arc d’accord, mais pas martyre pour autant.


Des toilettes ? Téméraire oui, mais pas suffisamment pour affronter la saleté ni les microbes qui y pullulent.


L’avion ? Non, les opérations commandos c’est sur terre qu’elles se mènent, pas dans les nuages.


Et puis l’éclair de génie : une grotte ! Romantique à souhait, mystérieuse et légèrement angoissante, idéale pour une aventure pimentée sans finir au poste. Courageuse, mais pas folle !


Reste le plus délicat : le partenaire. L’outil clé de ma stratégie. Je dois le définir avec lucidité sans tomber dans le cliché totalement irréaliste de l’homme beau, intelligent, viril et sensible, bien monté et habile… Après avoir passé en revue toutes mes connaissances, je dois me rendre à l’évidence : des concessions s’imposent !


Bien monté, inutile, c’est le cunnilingus que je vise.


Viril, pas nécessaire, c’est moi qui aurai les commandes.


Beau, à quoi bon, dans une grotte obscure.


Intelligent… C’est vrai qu’il devra utiliser sa langue, mais pas de façon docte, juste pour me donner du plaisir.


Je reprends ma liste de noms et là, comme par magie, tous conviennent. En fin de compte, trouver un homme, ce n’est pas si difficile, en faisant preuve de pragmatisme et de réalisme !


Je tire au sort et le hasard désigne Éric. « Oui », me dis-je en moi-même, « Il est suffisamment ouvert d’esprit pour accepter. Et puis, il a un sourire à faire fondre un iceberg – donc mon statut de glaçon. D’une pierre, deux coups ! »


Sans plus attendre, j’envoie un message aussi subtil qu’un obus : « Et si on se retrouvait demain pour une aventure ? »


Réponse immédiate : « Une aventure genre Koh-Lanta ou genre 50 Nuances de Grey ? »


J’aurais dû me méfier. Un homme qui cite « 50 Nuances de Grey » est soit un expert, soit un imposteur (non, là, ce n’est pas un cliché, mais un enseignement de la vie !). Mais bon, trop emballée (une fois n’est pas coutume, pondération féminine oblige), j’oublie mon intuition et précise dans un tac au tac digne d’une femme d’esprit : « Plutôt, Voyage au centre de la Terre avec une touche d’Octavie Delvaux 1».


Le rendez-vous est fixé au lendemain. Une grotte, un plan, et un partenaire au sourire prometteur qui va me dégeler. Parfait, tout est en place.


« Sus aux clichés qui ont la vie dure ! », hurle la Jeanne d’Arc en moi.




Le passage à l’action


Tout est prêt. Ou presque. Parce qu’une femme digne de ce nom sait que l’improvisation a ses limites et que toute opération de séduction nécessite une logistique irréprochable. Ce n’est pas pour rien que les héroïnes de cinéma ont toujours une tenue impeccable, même en plein chaos. Il me faut donc choisir une tenue qui allie sensualité et praticité. Après tout, séduire dans une grotte, ce n’est pas une mince affaire.


On dit que l’habit ne fait pas le moine, mais il peut faire tomber un homme… à condition qu’il ne soit pas dans les ordres, bien sûr. Pas question de se pointer en tenue d’exploratrice négligée, je ne suis pas là pour un documentaire sur la spéléologie. Il me faut une allure de femme fatale, mais qui supporte l’humidité et affronte l’aspérité des rochers. Une robe ? Risqué. Un pantalon ? Trop banal. Je finis par opter pour une combinaison noire, moulante juste ce qu’il faut. Moins résistante qu’une cotte de mailles de Jeanne d’Arc, mais assez ajustée pour suggérer mes intentions sans les rendre trop évidentes… Subtile ruse féminine qui fait toujours son effet !


Une fois mon look validé, reste le choix des accessoires (on ne perd pas le sens du détail, que les hommes confondent souvent avec le superflu, encore un cliché sur les femmes à qui il faut tordre le cou) : bougies pour l’ambiance, une couverture pour le confort, une bouteille de vin pour détendre l’atmosphère… et, bien sûr, l’indispensable protection. Encore un cliché tenace : pourquoi est-ce toujours à nous, les femmes, de penser à tout ? Sans oublier un plan B en cas de catastrophe : une excuse toute prête pour m’éclipser dignement si Éric n’était pas à la hauteur des attentes charnelles… Une esquive à laquelle, hélas, j’ai déjà trop souvent recouru. De quoi se demander si le problème vient d’eux… ou de moi !


Et nous voilà, Éric et moi, marchant vers l’entrée de la grotte de tous les records.


L’ambiance ? Envoûtante, presque mystique. Le bruit des gouttes qui s’écrasent sur la roche, une légère brise circule dans l’obscurité, et moi qui frissonne d’impatience.


Tout fonctionne comme sur des roulettes…


Éric, lui, bombe le torse, enfile son masque de virilité et prend un air détendu, façon homme intrépide. Il croit sûrement incarner l’archétype du héros ténébreux, mais, avec son petit froncement de sourcils nerveux, il évoque plus un apprenti explorateur en sortie scolaire qu’un Indiana Jones des cavernes.


Aïe… Ça sent le grain de sable qui pointe à l’horizon.


Je prends les devants, assumant pleinement mon rôle de commandante fatale en mission. D’une main sûre, j’allume une bougie et lève un regard engageant vers lui.



Il lâche un petit ricanement, genre « moi, peur ? Jamais ! », mais son regard fait une rapide évaluation du tunnel béant devant nous. Un léger toussotement plus tard, il décrète avec aplomb :



Et voilà qu’il passe devant, comme un preux chevalier prêt à me protéger d’éventuels dangers souterrains. C’est mignon, vraiment. Un peu cliché convenu, mais mignon.


L’embellie pointe du nez…


L’air se rafraîchit à mesure que nous progressons. Les parois de la grotte suintent d’humidité, réfléchissant la lumière vacillante de la petite flamme que je tiens à bout de bras. Nos pas résonnent, leur écho s’amplifiant à chaque avancée. L’ambiance est parfaite. Un décor brut, sauvage, intime. Juste ce qu’il faut pour faire monter la température.


Je l’attire contre moi, pose une main légère sur sa nuque et murmure des promesses audacieuses à son oreille. Il frissonne. Je me sens invincible. Jeanne d’Arc, me voilà !


Mais soudain, un léger bruissement monte de la pénombre.



Il acquiesce, mais je vois bien qu’il commence à regarder autour de lui, les yeux écarquillés, scannant l’obscurité avec la prudence d’un lapin traqué.


Un deuxième bruit. Plus proche. Un souffle, peut-être. Ou juste notre imagination qui s’emballe.


Je décide d’ignorer et de reprendre la main. Une Jeanne d’Arc ne baisse jamais la garde ! Je m’approche, effleure ses lèvres des miennes. Mais au lieu de répondre à mon baiser, Éric se raidit. Ses pupilles vont et viennent entre les ténèbres et moi.



Et là, comme dans un film d’horreur mal scénarisé, un courant d’air glacé nous caresse la nuque. Saperlipopette, à la place de fondre, je me refroidis… Serais-je condamnée à rester un glaçon éternel ?


Éric sursaute.



Bon. Ce n’est qu’une minuscule ombre voletante. Peut-être un papillon de nuit égaré. Mais lui, il est déjà en train d’agiter les bras comme si un essaim entier lui fonçait dessus.


Je le repousse doucement.



Mais il n’écoute plus. Il fixe un recoin sombre avec l’air de quelqu’un qui s’attend à voir surgir un vampire. Sa respiration s’accélère.


Et puis…



Traduction : il a la trouille.


Moi qui pensais que ce serait lui qui me supplierait d’arrêter tellement j’allais être audacieuse… Voilà que c’est moi qui assiste, impuissante, à sa débâcle. Son dos se profile déjà à la sortie de la grotte, découpé par la lumière déclinante du crépuscule. Jeanne d’Arc, par pitié, viens à mon aide !



Bien sûr, Éric. Bien sûr.


Il s’éloigne encore. Un pas. Puis deux.


Et il finit par déguerpir, me laissant seule avec ma bougie et ma libido en berne.


Je soupire.


Opération séduction : 0.


Clichés sur les hommes ? Éric vient d’en ajouter un nouveau à la liste.


Quant à moi, je m’étais prise pour une sorte de Jeanne d’Arc moderne, prête à brandir mon épée contre les clichés et à relever tous les défis. En sortant de la grotte, déçue, penaude, mes espérances balayées, je ne suis plus une héroïne invincible, mais une simple femme en repos forcé. Jeanne d’Arc, mon cul !




Epilogue : Clichés, fantasmes et réalité ?


Une fois dehors, je me retrouve face à une vérité irréfutable : les fantasmes, c’est sexy sur le papier, mais la réalité suit rarement le plan établi. Comme si elle prenait un malin plaisir à nous surprendre, souvent de la manière la plus inattendue qui soit.


Tout au long de la soirée, j’avais caressé l’idée d’une séduction digne des plus grands romans érotiques, où seule l’audace viendrait à bout des clichés qui affectent la vie amoureuse. Les magazines, les films et les récits nous promettent monts et merveilles. Mais le monde idéal n’existe pas. Et heureusement, car que serait l’existence si tout se déroulait comme prévu ? Après tout, nos attentes savamment orchestrées n’ont-elles pas plus de saveur lorsqu’elles se heurtent au tumulte imprévisible d’une grotte hantée ?


J’ai vu en Éric l’incarnation d’un stéréotype : le mâle dominant, sûr de lui, prêt à affronter toutes les péripéties. Mais au premier frisson d’ombre volante, son assurance s’est évaporée, le laissant presque attendrissant dans son désarroi. Et c’est là toute la beauté de la chose : les clichés ont la vie dure, mais la réalité, lorsqu’on la regarde avec humour, les dépasse toujours, avec son lot de surprises et son charme impromptu.


En y repensant, je ne peux m’empêcher de sourire. Si tout s’était déroulé sans accroc, sans cette petite chauve-souris semeuse de panique, aurais-je vraiment savouré le moment ? Peut-être pas. Car derrière cet apparent désastre se cache une leçon : l’authenticité de la vie dépasse de loin les scénarios préfabriqués. Les fantasmes ne sont pas des recettes miracles, mais des déclencheurs, des éclats de rêve qui, même heurtés à la crudité du réel, nous rappellent qu’il faut toujours oser.


Finalement, j’ai gagné quelque chose d’inestimable : le rire face à l’échec, la légèreté d’un moment imprévu, tout ce qui donne du relief à notre quotidien.


Alors oui, les clichés ont la vie dure, et les fantasmes continuent de nous séduire avec leurs promesses d’un ailleurs parfait. Mais ce sont les petites déconvenues – ces instants où l’on se croit héroïne d’un roman d’aventure avant d’être rattrapée par sa propre humanité – qui forgent nos meilleurs souvenirs. Car, au fond, l’amour dans la vraie vie n’a rien d’une comédie romantique bien léchée. C’est une succession d’imprévus, parfois risibles, souvent déconcertants, mais toujours inattendus. Le sel de la vie, en somme !


Et moi, en sortant de la grotte, Jeanne d’Arc déchue, mais le cœur un peu plus léger, je me dis que s’il faut lutter contre les clichés, autant le faire en riant de soi-même. Après tout, qu’est-ce qu’une tentative de séduction sans un petit échec qui nous invite à recommencer ? C’est l’espoir qui fait vivre, non ?




_____________________________





1. Octavie Delvaux a publié en 2013 un roman érotique qui a fait parler de lui, « Sex in the kitchen ». Ce roman, à la fois trash et drôle, raconte l’histoire de Charlotte, une jeune femme d’aujourd’hui lassée par la routine sexuelle de son couple. Bien décidée à pimenter sa vie, elle explore de nouveaux horizons. Entre rendez-vous clandestins, jeux de domination et aventures dans des lieux inattendus, elle découvre une facette insoupçonnée de son désir. Un récit irrévérencieux et inventif, qui plonge au cœur des fantasmes féminins avec audace et humour. À lire pour ceux qui aiment pimenter leur vision des choses.