Une Histoire sur http://revebebe.free.fr/
n° 22937Fiche technique20899 caractères20899
3683
Temps de lecture estimé : 15 mn
23/02/25
Résumé:  Un homme, une femme. Une rencontre, une histoire – mélancolie. « Passons passons puisque tout passe. » Alors que reste-t-il ? Le vent, la mer.
Critères:  #poésie #philosophie #drame #rencontre #regret #nostalgie
Auteur : Sorel            Envoi mini-message
Bleu

Il est des jours bleus comme une nostalgie. Depuis ce matin, elle ne peut s’en défaire, laissant ses pensées dériver et les horloges se taire. Il est des jours comme des nuits, se dit-elle tout en fermant le robinet de la douche. Des jours où rien ne peut y faire. C’est ainsi.

Sur le vertige de son dos, ses cheveux mouillés dessinent des arabesques. Une goutte glisse le long de sa colonne et s’en vient mourir sur ses reins. Comme elle va pour se sécher, elle passe devant le miroir dont elle essuie la buée d’un geste de la main. Dans le reflet, sa nudité se déploie comme un sortilège.


Un souvenir l’envahit, des mots lui reviennent. Ceux que lui disait son amant, avant. Avant qu’il ne meure. Il parlait de l’art d’écouter ce qui surgit. De synesthésie, aussi. Il disait, citant un philosophe dont elle a oublié le nom : « notre expérience directe de nous-même et du monde nous montre que nos sens ne sont pas séparés les uns des autres. Si tu y fais attention, tu le ressentiras. Par exemple, tu apprendras à te voir – vraiment – à travers tout ce qui te touche. L’air, des pensées, le soleil… »

Alors, comme l’humidité chante sur sa peau, elle écoute l’eau tracer des sillages sur son corps. Chaque goutte, une par une. Celles qui explorent ses frissons, celles qui dessinent sa géographie intime.

Il y a tant de gouttes et tant de souvenirs.


Elle ferme les yeux et laisse ses sensations ouvrir en elle un autre regard. Dans le ciel de sa conscience émerge une impression fugace, qui lentement devient image de plus en plus nette : la virgule de son cou en suspend, le plein de son sein comme un élan, la longue parenthèse de son dos, le frisson de ses reins ou l’indécente rondeur de ses fesses.

Elle tourne ce regard là où son corps est le plus sensible. D’abord la poitrine. Sur son téton elle perçoit comme une caresse. Il durcit, se tend. Des vagues de frissons y naissent, délicates. Elles effleurent sa peau, s’échouent sur ses grèves, progressent vers son ventre, vers le soleil de tous ses plaisirs aux effluves si indécents.


Comme à chaque fois qu’elle se donne ainsi à ses perceptions, elle a la sensation de devenir autre. Un double astral ? Une esquisse floue ? Un être de vibration, habitant ses propres limbes ? Pourtant, aujourd’hui, l’expérience lui échappe. Quelque chose d’autre l’emmène plus loin.

Elle rouvre les yeux. Une tache de lumière s’est posée sur sa gorge. Elle glisse vers son épaule, en épouse l’arrondi, revient, effleure l’autre épaule puis descend sur son sein. Lentement, elle en souligne le galbe, y trace des cercles. Cette caresse devient presque insoutenable. Trop de frissons. Presque une douleur. Plaisir et douleur, dangereux sortilège qui libère une puissante magie. Une déchirure.

Du doigt, elle trace une ligne sur sa nudité pour diriger la tache vers d’autres secrets. Pour l’inviter. Elle s’enroule autour de sa cuisse comme un serpent, comme une libellule. Un papillon ?

À tant ressentir, tout son corps devient houle qui ondule, entre lumière et profondeur, plein de ses effluves marins. Elle doit se tenir au rebord du lavabo pour ne pas tomber, pour se laisser partir, car plus rien ne la retient, car elle n’est plus que beauté qui tourne, qui se cambre et se tend, car le monde n’est plus qu’une immense caresse qui la remue et la bouleverse. Elle devient pleinement chair. De son ventre des ondes de plaisir pulsent jusqu’à ses pieds ou sa nuque. Elles l’envahissent, vont et viennent, tourbillonnent et la font quitter terre.

Elle se penche en avant, son corps tressaille. Sa bouche s’ouvre, mais ne peut plus aspirer d’air. Elle se recroqueville, femme en fusion au bord du monde. Elle se sent à la fois immense et belle.

Elle devient le début et la fin du temps, dans son ventre naît l’univers. Elle a envie de crier, mais aucun son ne sort, alors ce cri envahit sa toute sa chair. Mille rayons lumineux, mille couleurs fragmentent son cerveau tandis que le monde se courbe, s’enroulent autour de son ventre, autour de sa pulsion de vie qui la fait partir irrésistiblement.

L’instant se suspend dans un sublime paroxysme.

Passe la vague qui l’a submergée. Le monde lentement se recrée autour d’elle. Son corps se souvient tandis qu’une nouvelle sensation naît et l’envahit : une délicate torpeur, une douce chaleur, un fragment d’éternité. Accroupie sur le tapis de la salle de bain, elle laisse refluer la marée de son plaisir.

Elle ne s’est même pas touchée. Est-ce l’univers qui l’a prise, qui lui fait l’amour, qui l’a fait jouir ?


Si tu savais. Si tu savais comme tu es belle.

Je te regarde dans ta salle de bain, je ne peux cesser de le faire. Je ne suis plus qu’un fantôme, l’ombre d’un souvenir qui habite tes rêves, qui se meut en silence dans les angles de tes perspectives. La mort nous a séparés il y a bien des années, à l’aube de notre histoire, à l’aurore d’un jour qu’on rêvait sans fin. La mort nous a séparés, mais je n’ai pas disparu. Je suis là par le lien d’un amour qui refuse de mourir, qui ne peut se faner tant tout en toi est sortilège.

Si tu savais combien de fois, depuis, je t’ai regardée, je t’ai contemplée, j’ai épousé le déploiement de ton être, dans la délicatesse de tes hésitations comme dans l’absolu de ta beauté. Si tu savais combien de fois je t’ai fait l’amour, même si je ne peux plus te toucher.

Cette lumière, tout à l’heure, sur ton corps, c’était moi. Ma façon de me manifester.



°°°



Ils s’étaient rencontrés un jour d’automne. Le sable, la mer et le ciel portaient le même reflet, une variation de crèmes aux nuances de vert. Un jour d’infinie mélancolie, quand, de leurs fenêtres aveugles les villas regardent passer, sur des horizons incertains, des voiles solitaires.

La marrée basse laissait sur la plage une fine pellicule d’eau qui reflétait les nuages. Plus haut, mille ruisseaux coulaient sur le sable, dessinant des arabesques comme des cheveux sur un dos nu.

Il arpentait les grèves avec son appareil photo, pour tenter de capter, au delà de l’instant, le don de l’univers – la poésie cachée dans la lumière. Comme il contemplait la mer, il vit une femme qui marchait à la lisière des vagues. Ses jambes nues se reflétaient sur le miroir de la plage, dessinant dans la fine pellicule d’eau une seconde silhouette, inversée et incertaine. Sur son gilet, des fleurs rouges et violettes coloraient de taches lumineuses l’harmonie triste de la journée. Elle regardait les lointains, seule avec les vagues. Il captura la scène qu’il retravailla le soir, sur son ordinateur, pour en faire surgir la rémanence. Dans la photo, elle apparaît si petite, seule présence dans l’immensité blanche d’un rêve.


Toi, ton gilet et l’élan tout en galbe de tes jambes. Une esquisse, un instant en suspend, une beauté qui dialogue avec celle de la mer.


Le lendemain, il retourna arpenter la plage, en suivant les mêmes chemins que la veille. Pour lui les lieux se souviennent des émotions vécues ; le jour était de velours et de laine. Tandis qu’il photographiait, perdu dans ses perceptions, elle s’approcha de lui. Elle aussi était revenue au même endroit. La marinière qu’elle portait ce jour-là soulignait sa gorge et sa nuque. Quelques mèches y jouaient en délicatesse.

D’une voix qui sonnait faux, elle entama la conversation.



Sa réponse avait jailli, trop vite. Il se sentit ridicule. Il n’aimait pas parler de sa façon de voir le monde, il savait mal le faire. Pourtant, elle l’invita du regard à poursuivre, sans sarcasme ni moquerie. Alors, il lui parla des instants transcendants ; du chant du monde ; du souvenir des passions vécues qui se rejoignent dans la mer et du don de la beauté, cette perle d’impermanence. Tant de mots pour masquer sa gêne.

Il lui montra, sur son téléphone, la photo qu’il avait faite la veille.



Dans ses yeux passaient mille choses qu’il ne savait comprendre, mais qui la rendaient troublante. Elle ajouta :



Ils allèrent boire un thé quand vint la pluie. Dans le bar, l’eau dessinait sur les vitres des arabesques insensées. Elle lui dit qu’elle faisait aussi de la photographie. Pourtant, elle ne précisa pas qu’elle exposait déjà en galerie.

Elle avait un studio dans une longère qu’on lui prêtait, une vieille bâtisse normande à l’abandon, une de ces maisons pleines de fantômes et de souvenirs.



À cet instant, dans le jardin de leur être, quelque chose savait déjà l’histoire qu’ils allaient vivre, comme une évidence. Pourtant, il leur fallut bien des jours pour oser y croire. Peut-être que ce temps était nécessaire pour ne pas gâcher la rencontre dans une pulsion éphémère ?

Elle l’invita à visiter son studio, le lendemain. Plutôt que de lui expliquer ce qu’elle faisait, elle préférait lui montrer. C’était du nu masculin, au Polaroïd, pour « capturer le fragment d’esprit invisible, le fantôme dans l’être ». Il trouva ses polas fantastiques, il avait rarement vu une telle sensibilité. Et là, bien sûr, comme si l’idée surgissait en elle sans qu’elle n’y ait pensé avant, elle lui proposa de poser. Le piège était tendu, il accepta d’en devenir la victime volontaire. Suivant les indications qu’elle lui donna, il se déshabilla pour s’asseoir devant une fenêtre, de la même façon que Yves Saint Laurent dans un de ses portraits iconique.

Elle baptisa la série faite ce jour-là « journal d’un homme libre ».


À la fin de la séance, tu me remercias en effleurant ma joue de tes lèvres. Si tu m’avais déshabillé d’un mot, si tu m’avais exploré de ton regard de photographe, si sûre de toi, au moment de me dire au revoir tu es redevenue cette délicatesse qui hésite presque. Je ressentis cet élan que tu retenais, car ce qui se joue entre deux êtres est précieux. La plus intense des intimités sait le prix de ne rien brusquer.


Bien sûr, ils se revirent. Et se revirent encore, les grèves devinrent leur jardin et la mer de velours sur leurs pas qui se referment. Ils parlaient d’art, de poésie. Elle lui proposa de poser pour lui. Mais cette fois, il n’y avait rien de mutin en elle, aucun sous-entendu. Elle lui proposa de le faire pour l’aider, pour créer avec lui. Pour se découvrir elle-même, aussi. Ses premiers instants de modèle furent hésitants. Cette douce fragilité le fascina, car on ne pouvait la résumer à ça – elle était bien plus que cela, bien plus complexe, habitant avec génie tous les contraires. En même temps, cette fragilité la rendait plus vraie et encore plus humaine.

Lui, jusque là, n’avait photographié que des paysages de mer.


Je me suis laissé envahir par ton corps nu, par ta beauté. J’en oubliai de créer ; je n’ai pas su faire de photo qui n’ait déjà été faite, par d’autres, en mieux. Pourtant, je me souviens d’une, très réussie.

Je t’avais cadrée serrée, du front à la base du sein. Je t’avais demandé de te tenir droite, face à moi, torse nu. Tu avais les mains glissées dans les poches de ton jean, les bras bien tendus afin de relever les épaules que tu tirais légèrement vers l’arrière, ouvrant ainsi le buste. Ces secrets ne sont pas visibles au premier regard sur la photo - cet art du trompe-l’œil – mais participent à en créer le rendu. Tu portes une casquette d’homme en tweed qui couvre tes yeux et projette une ombre légère sur ton nez – ton joli nez duchesse. Elle souligne le trait délicat de tes lèvres et, comme un écho, l’ovale de ton visage. De la casquette sortent, rebelles, quelques boucles qui ourlent ton œil gauche, celui dans l’ombre, ainsi que ta nuque. Tu tiens la tête légèrement penchée vers la gauche de la photo, offrant ton cou à la lumière naturelle. Un fin collier en or le souligne. Un pendentif en forme de fleur, une pierre verte, souligne la naissance des seins. Le flou et le grain donnent à ta peau une texture de velours aux contrastes doux, aux ombres légères, comme dans une peinture. Pour la première fois, j’avais su capturer la nudité non pas pour ce qu’elle dit du désir, du plaisir, mais comme un reflet de ton être naturel, délicat et sensible, tout en douceur qui hésite. J’avais su capter l’esquisse d’une féminité au delà de ce qui est convenu.


Ce fut pourtant une autre photo qui scella leur histoire.

Dans la demi-clarté d’une lanterne chinoise, il avait écrit sur son corps à elle un long texte, traçant à l’encre, avec beaucoup d’attention, des mots sur la peau nue. La pénombre le forçait à s’en approcher au plus près, à en contempler chaque détail, à en ressentir les parfums.

Son corps de femme, cette œuvre de courbes et de beauté, devenait le support d’une œuvre à venir. La lumière en soulignait les pleins et les déliés qui répondaient à ceux de la calligraphie.

Ils avaient passé plus d’une heure ainsi. Il suivait le chemin du pinceau, découvrais chacun de ses grains de beauté, la texture de sa peau, les poils frisés de ton pubis. Le silence en suspens les enveloppait.

Sur la photo, assise sur une table, une jambe repliée sous elle, elle ouvre un kimono de soie noire sur sa nudité comme un parchemin, ombre parmi les ombres dans le clair-obscur de la lanterne.

Après qu’il ait pris la photo, elle s’était approchée et lui avait murmuré combien ce pinceau sur sa peau l’avait troublée.


J’ai senti tes seins nus effleurer ma poitrine. Tu avais la bouche si près de mon oreille.


Leur premier baiser fut hésitant. Le second plus intense, comme s’ils voulaient exorciser une éternité d’attente. Le troisième fut une véritable poésie.



°°°



De leurs corps, ils savaient l’image, celle que donne la lumière. Ils en apprirent les élans, la matière, la présence. Les ombres et mêmes aussi, parfois, les ténèbres.


Elle avait le plaisir bleu, comme un O, et les mots impudiques.

Ses hanches ondulaient comme des lames, griffant les rêves et déchirant les certitudes. Des soupirs tout en rondeur venaient s’échouer sur ses lèvres, au creux de ses reins vivait l’âme de la mer.

Il avait le regard intense, qui enlace, et des orgasmes comme des tremblements de terre. Ses mains savaient toucher comme on tourne l’argile ou bien le bois, comme on caresse le vent ou bien la pierre.

Il aimait en elle la plénitude de son corps, si indécente, ainsi que l’intensité de son être. Elle aimait en lui sa présence brune, sa peau au goût de sous-bois, de montagne ou de rivière.

Avec eux, même le plus cru, le plus licencieux ne fut jamais obscène. Des corps en partage, ils goûtèrent le voyage, ils trouvèrent l’ivresse.



°°°



Trois semaines avaient passé depuis leurs premières caresses. Il devait partir quelque temps. Ils s’étaient donné rendez-vous pour se dire au revoir, dans une alcôve parmi les dunes. Elle l’attendait assise, ses jambes nues et son visage baigné de lumière. Au loin, les vagues s’élevaient, retombaient puis se brisaient. Un parfum de marée flottait sur les grèves.

Quand il la vit, en arrivant, il se dit qu’elle était fille du vent, de l’eau et de l’air. Il la trouva belle. Elle lui fit l’amour comme le ferait la mer. Son corps plein et vivant avait goût de miel.

Ils restèrent longtemps au creux du silence, après, jouant avec le sable blanc qui s’écoulait entre leurs doigts.



Elle lui prit la main qu’elle posa sur son sein et ajouta :



Elle mordit son doigt pour y faire perler une goutte de sang, puis le porta à sa bouche.



Il embrassa, sur ses lèvres, la petite tache carmin. Le vent se renforça, il murmurait de houle sur leur peau, comme de l’écume. Un ciel d’éclair grondait au loin. Ses yeux à elle étaient plus d’eau que jamais.



Il lui dit ses mots comme il la quittait. Il plut sur la mer toute la fin de l’après-midi. Une pluie d’orage sans retenue, tandis que le train les séparait.



°°°



Je ne t’avais pas dit pour la maladie qui me rongeait. Je n’ai pas su – je suis tellement désolé. J’étais venu à la mer après avoir décidé d’arrêter mon traitement. S’il n’y a pas de bonne façon de mourir, il y en a de mauvaises. Dans la chambre d’un hôpital impersonnel, par exemple.

C’est pour ça aussi que j’étais presque invisible dans notre histoire, te laissant toute la lumière. Je n’osais pas être trop présent. Aujourd’hui encore je suis l’absent de son récit. Mais la vie nous surprend toujours, à la fin. Rien n’a de sens, et c’est bien mieux ainsi.


Quand je suis parti de la mer, je t’ai menti. J’ai prétexté un travail à faire. Je ne voulais pas que tu me voies dépérir. Je n’ai répondu à aucun de tes appels par la suite.

Coupable.

Pourtant, tu m’as offert plus que je ne cherchais avant de mourir. Ton plaisir aux cris rauques, la rondeur de tes soupirs, l’urgence de tes élans, comme celle de tes cambrures. Ton art de l’indécence dans ces mots que tu glissais à mon oreille.

Le labyrinthe si fascinant de ton être.

Je suis parti avec sur la bouche le souvenir de ton goût de miel, d’iode, de fruits d’automne un peu trop mûrs. De reine-claude. Des notes d’embruns. Léger sur les lèvres, plus intense sur la langue, plus profond, plus alcool de prune avec des notes de noisette.

Tu m’as offert ta beauté et le territoire de tes rêves.

Je suis parti comblé et serein.


Je ne voulais ni cérémonie, ni nom sur une pierre, ni tombe ni rien, en fait. J’aurais voulu être tibétain pour avoir une sépulture céleste. Pour que tu saches, à la fin, j’ai demandé à mon frère de te prévenir. Et de t’envoyer un tirage, ce portrait comme une impermanence dans l’infini des grèves. Ma première photo de toi. La première à jamais.

J’y avais joint un mot.


D’une rencontre, d’un peut-être, naît un murmure, un fil de soie, un fragment de vibration qui habite la terre. Avec le temps ce murmure trouve une rivière. Alors, il coule et coule vers la mer. Il rejoint l’océan des murmures. De tous les murmures mélangés, de tous ceux du passé ainsi que de ceux à venir. Le chant du monde, le souffle de l’univers.

Quand se taisent la fureur et les cris, les tigres et les lions, quand se taisent les bruits, alors, au bord du monde, une fenêtre s’ouvre sur l’infini. C’est le secret des ermites qui, libres de tout, entendent ce chant dans la beauté. Dans le monde sauvage, dans les soirs dans le désert ou dans les lointains de la mer.

Viennent deux êtres qui d’un regard, d’un instant, d’un plein qui appelle, font naître un rêve. Eux aussi, sans le savoir, ouvrent une fenêtre. Le chant du monde anime leur élan. Alors, en eux naît un murmure et ainsi se ferme le cercle.


Et ainsi se ferme le cercle.

Quand je suis mort je savais que je reviendrai. Car au delà du vide, déjà, tu me manquais.








Merci à Loaou pour son aide sur ce texte.


Un mot à propos de la synesthésie.


Dans la première scène, j’essaye de rendre une expérience de synesthésie. « Notre expérience directe de nous-même et du monde nous enseigne que nos sens ne sont pas séparés les uns des autres, et que les phénomènes du monde ne sont pas séparés de notre expérience. Expérimentons-nous le monde, ou est-ce le monde qui nous expérimente ? » est une citation de David Abram.

La synesthésie désigne une particularité neurologique qui fait que certains individus associent deux ou plusieurs sens à partir d’un seul stimulus sensoriel. La synesthésie la plus répandue est celle des graphèmes-couleurs, dans laquelle des lettres ou des mots sont aussi perçus comme des couleurs. Rimbaud écrivait, dans un poème en un vers, « A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu ».

Pour certains, dont David Abram, notre perception du monde est fondamentalement synesthésique, elle associe tous les sens en un seul ressenti.

Dès lors, si on essaye, on peut presque séparer sa conscience de ses sens et ainsi transformer les représentations qu’ils font naître. Notre peau est par exemple en permanence touchée par quelque chose (vêtement, air…). En concentrant son attention sur la sensation qui en naît, et qui est d’habitude masquée par d’autres stimuli, on peut voir émerger dans son esprit, dans sa conscience, une image de sa peau, de son enveloppe – une image qui ne naît pas du regard, mais qui donne conscience de son corps dans le monde – une expérience de synesthésie. Comme cette expérience est très spéciale et nous oblige à nous concentrer sur le toucher, elle peut devenir presque auto-érotique.

C’est cette idée que j’ai essayé de développer, qui résonne bien, je trouve, avec celle de pénétrer dans un autre monde pour y retrouver les fantômes et les souvenirs.