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Temps de lecture estimé : 35 mn
23/02/25
Présentation:  Je vous propose une histoire à combustion lente. Ce développement long est nécessaire par rapport à l’histoire que je veux partager. À noter que c’est le premier texte corrigé et amélioré à quatre mains (et yeux) que je publie. Bonne lecture à vous.
Résumé:  Isabelle, sur les conseils de sa psy, noircit les pages de son journal intime. Elle y couche ses maux, sa colère et ses regrets, pour dévoiler une existence que l’on devine chaotique. La plume sera-t-elle son salut ou le début d’une descente aux enfers ?
Critères:  #journal #réflexion #psychologie #drame #vengeance #adultère #différencedâge fh fplusag profélève pénétratio
Auteur : Rainbow37      Envoi mini-message

Série : Journal d'un monstre

Chapitre 01 / 04
Journal d'un monstre 1

Dimanche 8 juillet 2018


Salaud. Connard. Monstre. Déchet d’homme.


Combien de fois vais-je devoir écrire ces mots pour apaiser cette rage sourde qui brûle en moi ? Ces insultes semblent dérisoires face à l’immensité de ce que je ressens. Aucun mot n’est à la hauteur. Pas même la haine.


Je rêve de toi. Mais pas de la manière douce et sucrée qu’on chante dans les poèmes. Non. Mes rêves sont sombres. Je me vois poser mes mains sur ton cou. Lentement. Sentir ta peau contre mes paumes, ta vie qui palpite sous mes doigts. Je rêve de serrer, de t’étouffer, de te regarder suffoquer. Je peux voir cette lueur s’éteindre dans tes yeux, inexorablement. Si lentement pour que chaque seconde devienne un supplice, comme celui que tu m’infliges.


Une vie pour une vie. Ton agonie pour la mienne.




Lundi 9 juillet 2018


Cela m’a pris une semaine. Une semaine à tourner autour de ce journal comme un chat autour d’une proie. Mais voilà, c’est fait. J’ai écrit hier. J’ai laissé ma colère exploser sur ces pages, je ne savais pas que j’avais tant de rage en moi. C’est comme si ces mots n’étaient pas les miens, je ne me reconnais pas…


Pourtant, ce matin, en relisant ces lignes, j’ai senti quelque chose de nouveau : une sorte de soulagement… fragile, mais réel.


C’est peut-être une bonne idée, finalement, ce journal. Je n’aurais jamais cru dire ça, mais la psy a peut-être raison. Mettre des mots sur ma douleur, ma rage… Cela me fait comprendre à quel point je suis brisée.


Vincent. Son nom. Juste son nom et tout remonte à la surface. Il est la plaie qui refuse de se refermer, l’ombre qui plane sur tout ce que je fais. Il a détruit ma famille. Gâché ma vie. Ces mots me brûlent les doigts, j’en ai les mains qui tremblent, mais ils sont là, noirs sur blanc.


Écrire. Vomir tout ça sur le papier. Peut-être qu’un jour, cela me fera moins mal. Peut-être qu’un jour je saurai quoi faire de tous ces sentiments qui bouillonnent en moi. Alors, je dois continuer. Une page à la fois. Peut-être même que ce journal deviendra un allié. Peut-être qu’il m’aidera à survivre.


Mais pas ce soir. Je ne peux pas encore le revivre. Pas encore raconter. Je n’en ai pas la force. Un jour. Mais pas ce soir.




Dimanche 15 juillet 2018


J’ai la nausée. Je suis restée pétrifiée à la vue de Patrice, sur son canapé, à hurler de joie devant son match de foot. Il riait, applaudissait, emporté par l’excitation générale, comme si rien n’avait jamais changé.


Ça me dépasse. Comment mon époux peut-il s’extasier devant des buts, des passes, des conneries, alors qu’il y a peu, un monstre nous a volé ce qu’on avait de plus précieux ? Notre enfant.


Et puis il y a eu les klaxons dans la rue. Les chants, les rires, les drapeaux agités à travers les fenêtres. Tous ces gens qui célèbrent, comme si leur monde était parfait, comme si rien ne pouvait briser leur bonheur.


Même Patrice. Il s’est réfugié dans ces putains de matchs de foot, dans ces cris, dans cette mascarade, laissant penser que tout peut encore être normal. Moi, je n’ai pas ce luxe. La vérité, c’est que je me sens terriblement seule. Une île, abandonnée au milieu de cette tempête de joie et de fête.


J’ai cru qu’écrire aujourd’hui apaiserait ce nœud dans ma gorge, mais tout ce que cela a fait, c’est de le rendre plus serré encore. Peut-être que demain sera différent… Peut-être pas…




Mardi 17 juillet 2018


Encore une fois, le sommeil me fuit, me contraignant à me lever beaucoup trop tôt. Nous devions partir en balade ce matin, alors j’ai attendu Patrice. Il était encore dans notre lit, ronflant paisiblement. Puis, incapable de patienter plus longtemps et de rester dans cette maison, je suis allée marcher seule au parc. J’ai croisé une mère et sa petite fille. Je n’ai pas pu retenir mes larmes.




Vendredi 20 juillet 2018


Je dois le faire. Il faut que je l’écrive, que je mette des mots sur cette horreur qui me ronge.


Tout a commencé l’été dernier. C’était un samedi. Justine avait ce regard malicieux, celui qu’elle avait depuis toujours quand elle essayait de me convaincre de quelque chose. Elle voulait passer la nuit chez Camille, sa meilleure amie, pour une « soirée pyjama ». J’avais hésité, mais elle avait tellement insisté pour que je l’y amène. Avec les années, elle savait si bien jouer de mes faiblesses. Elle avait 18 ans depuis quelques semaines, le sens des responsabilités, alors, j’ai dit oui.


Ce n’était pas une soirée pyjama. Ce n’était même pas chez Camille. En réalité, c’était une de ces fêtes idiotes entre jeunes, avec trop d’alcool et pas assez de cervelle. C’est là qu’elle l’a rencontré. Vincent.


Je ne sais pas ce qu’il lui a fait, ce qu’il lui a dit pour la convaincre de s’immiscer dans sa vie, dans sa vulnérabilité, dans son corps. Je préfère ne pas imaginer comment il l’a manipulée. Je ne saurai jamais exactement ce qui s’est passé cette nuit-là. Mais ce que je sais, c’est que le résultat a été implacable…


Quelques semaines plus tard, Justine est venue me voir, tremblante, le visage blême, avec un test de grossesse dans les mains. J’étais abasourdie. Patrice, lui, a explosé. Et Justine ? Elle pleurait. Ma petite fille.


Et là, la vie qu’on avait imaginée pour elle s’est écroulée. Elle était terrifiée. Nous étions terrifiés. Patrice et moi avons tout fait pour lui faire comprendre qu’elle ne pouvait pas garder ce bébé. Son avenir, ses rêves… tout cela serait anéanti.


J’ai pris un rendez-vous en urgence avec mon gynécologue. C’est alors que mon monde s’est écroulé : le délai légal pour avorter était dépassé.


Alors, il ne restait qu’une solution : accoucher sous X. C’est ce que nous avons décidé, tous les trois, après des nuits interminables de larmes et de disputes. C’était la moins destructrice des solutions, du moins en apparence. Justine a fini par céder, mais cela n’a pas rendu les choses plus faciles. Voir le ventre de ma fille s’arrondir un peu plus chaque jour était une torture pour moi.


Il y a encore tellement à dire… mais pas ce soir. C’est trop. Juste d’écrire ces mots, j’ai l’impression de revivre tout ça en détail. La suite attendra, je n’en ai pas encore la force.




Dimanche 22 juillet 2018


La tension était insoutenable ce soir. Patrice m’a demandé si j’allais « rester dans cet état encore longtemps ». Je lui ai répondu que je me battais chaque jour. Il a haussé les épaules. Puis il est parti dans le salon, me laissant seule avec mon verre de vin dans la cuisine.




Mardi 24 juillet 2018


Aujourd’hui a été une bonne journée, une vraie bouffée d’oxygène. Une de ces rares journées où la vie semble normale, presque paisible. Patrice et moi avons terminé par une promenade autour du lac, main dans la main, comme autrefois. J’en avais besoin, et pour une fois, j’ai presque réussi à oublier. Presque.




Mercredi 25 juillet 2018


Ce soir, je me sens plus forte, prête à écrire la suite. Parce que ma psy insiste, il faut que je continue, même si chaque mot pèse une tonne…


C’était un après-midi, je m’en souviens parfaitement. Justine venait de passer des heures à pleurer, terrifiée à l’idée qu’on veuille parler à Vincent. Elle voulait qu’on gère ça entre nous. Mais Patrice ne l’a pas écoutée.


À bout de patience, il s’est levé brusquement, enfilant son blouson avec un regard que je ne lui connaissais pas. « Je vais lui dire le fond de ma pensée et lui mettre une bonne raclée, à ce petit con », a-t-il lancé en claquant la porte.


Une partie de moi était sidérée, mais une autre, plus sombre, jubilait. J’aurais voulu être là, moi aussi. Pouvoir mettre un visage sur ce nom devenu l’objet de nos désaccords. Voir ce salaud payer, ne serait-ce qu’un peu, pour ce qu’il avait fait. Je l’imaginais déjà à genoux, pitoyable, son visage marqué par les coups de mon époux déchaîné. Ce fantasme était presque un soulagement.


Mais ce n’est pas ce qui s’est passé.


Patrice est rentré quelques heures plus tard, les épaules basses, incapable de me regarder dans les yeux. « Je n’ai pas pu », a-t-il murmuré. Ma déception a été immédiate, froide et tranchante. « Ce gosse… il n’a pas cherché à nier. Il a dit qu’il était prêt à reconnaître l’enfant après l’accouchement sous X. Qu’il voulait prendre ses responsabilités. »


Des responsabilités. Ce mot. Comme si cela effaçait tout. Comme si son offre était noble, ou même acceptable. Je ne sais pas ce qui a pris le dessus à ce moment-là : la colère ou le mépris. Peut-être les deux. Une rage sombre a éclaté en moi, une tempête que je n’avais pas prévue. C’était comme s’il avait osé me voler quelque chose d’autre. Pas seulement ma fille, pas seulement sa jeunesse. Mais aussi notre décision, notre solution. Il s’érigeait en chevalier blanc alors que nous allions abandonner un enfant, comme si cela allait tout arranger.


Ordure manipulatrice, je te hais.




Jeudi 26 juillet 2018


C’est notre anniversaire de mariage. J’avais espéré qu’il s’en souviendrait. Peut-être un mot gentil, un geste. Mais la journée s’est déroulée comme une autre. En fin d’après-midi, il m’a demandé ce qu’il y avait pour dîner. Je ne lui ai pas répondu.




Jeudi 2 août 2018


Cela fait plusieurs jours que je n’ai pas écrit. Mais je vois la psy la semaine prochaine, alors… J’ai un peu plus de force et de courage pour replonger dans tout ça. J’en suis là, et il faut bien continuer… Reprendre là où je m’étais arrêtée…


Patrice et Justine ont fini par accepter cette idée : l’accouchement sous X, avec cette condition insupportable qui me tord encore l’estomac. Donnons à Vincent ce qu’il voulait : la reconnaissance de cet enfant. Peu m’importait. Si ce salaud voulait s’occuper du monstre qu’il avait engendré, qu’il le fasse. Qu’il emmène tout ça loin de nous, qu’il vive avec ce poids pour le reste de sa vie.


Alors, nous avons mis les choses en ordre. Devant un huissier que j’ai missionné. Une scène froide et administrative. Justine, à peine capable de relever les yeux, a signé une déclaration officielle de paternité, reconnaissant Vincent comme le père biologique. Et, en retour, cet homme – si on peut encore le qualifier ainsi – a signé un engagement. Il s’est engagé à ne jamais rien demander à Justine ni à notre famille pour élever… son bâtard. Ce mot, je l’ai pensé si fort à ce moment-là que j’ai failli le cracher à voix haute. Aucun droit, aucun contact, aucune intrusion dans notre vie. Il prenait tout. L’enfant, la responsabilité, les conséquences. C’était écrit noir sur blanc.


Pourtant, même ce moment-là ne m’a pas apaisée. Je le regardais signer, cet air suffisant sur son visage, comme s’il avait gagné quelque chose. Comme si cela le grandissait. Cet aplomb qui me donne encore des envies de meurtre. J’aurais voulu lui arracher son attitude hautaine et lui rappeler à quel point il n’était rien. Mais Patrice m’a retenue, d’un simple regard.


Justine, elle, n’a rien dit. Elle semblait ailleurs, évitant Vincent du regard, visiblement pressée d’en finir. Peut-être que c’était sa façon de survivre, d’accepter l’insupportable. Mais moi, je voyais, je savais.


Je vais m’arrêter ici ce soir. Écrire ces lignes m’a épuisée. Mais au moins, c’est fait. Une page de plus.




Vendredi 3 août 2018


Encore une énième dispute avec Patrice… Tout ça, c’est de la faute de Vincent.


Vincent, espèce d’ordure. Salaud. Parasite. Chaque fois que je pense à toi, je sens cette rage noire monter en moi. Tu n’es rien d’autre qu’un poison, un fléau, une plaie infectée qui ne cesse de suppurer dans nos vies. Toi et ta suffisance, toi et ton sourire de merde, toi et ta façon de te glisser dans la vie des autres pour tout ravager.


Tu as tout détruit. Tout. Tu as volé l’innocence de ma fille. Tu as brisé ma famille. Tu n’es qu’un monstre déguisé en homme, une erreur que la vie a permis d’exister. Si seulement…


Non. Je dois m’arrêter. Ces mots me consument, mais ils étaient là, en moi, et il fallait que je les laisse sortir.




Samedi 4 août 2018


C’était dur hier. Trop dur. J’ai essayé de continuer à écrire la suite de l’histoire, mais les souvenirs m’ont engloutie, et ma prise de bec avec Patrice n’a pas aidé. Ça m’a causé une nouvelle crise. Une vraie tempête.


Je ne sais même plus comment ça a commencé. Peut-être un mot de trop, ou son silence qui m’a mise hors de moi. Quoi qu’il en soit, il est parti. Toute la journée. Je ne l’ai pas revu avant le dîner. Il a préféré manger devant la télé, une assiette sur les genoux, plutôt que de rester à table avec moi. Il fait ça pour éviter de me parler. Peut-être qu’il est aussi fatigué que moi.


Je réalise qu’on ne fait plus grand-chose d’un couple ordinaire. On partage un toit, mais plus une vie. Souvent, il préfère manger seul plutôt que de s’asseoir avec moi. Et moi, je n’ai même plus l’énergie de lui en vouloir pour ça.


Les signes d’affection ? Presque inexistants. Parfois, il pose une main sur mon épaule, mais c’est mécanique, sans âme. Quant au sexe… Je devrais plutôt dire « ce qu’il en reste ». Pour lui, c’est juste un besoin à satisfaire… Se vider, puis s’endormir.


Pour moi, c’est une souffrance. Physique, d’abord. La pénétration me fait mal, à cause de cette sécheresse que je traîne depuis si longtemps. Mais surtout, sentimentale. Il n’y a plus rien entre nous. Pas de désir, pas de complicité. Juste le vide.


J’aimerais dire que je vais essayer de réparer ça, de nous retrouver. Mais je ne sais même pas par où commencer, ni si j’en ai encore l’envie.




Lundi 6 août 2018


Aujourd’hui, j’ai eu ma séance avec la psy. Je ne sais pas pourquoi j’ai cédé, mais j’ai pris mon courage à deux mains et je lui ai tendu mon journal. Elle a lu une partie, en silence. Je scrutais son visage pour y chercher un indice, une réaction, quelque chose qui me dirait si ce que je fais a un sens.


Quand elle a levé les yeux, elle m’a souri doucement. « Vous avez trouvé des mots, Isabelle. Même dans vos crises, même dans votre rage. C’est déjà un pas immense. Continuez. »


Continuez. Ce mot résonne en moi. Je ne sais pas si je suis capable de poursuivre, mais au moins, aujourd’hui, je me sens un peu moins seule dans cette tempête.




Mardi 7 août 2018


Je crois que j’ai ri aujourd’hui. Patrice a raconté une anecdote, une histoire banale de boulot. J’ai souri, même ri un peu. Mais ça n’a duré qu’une seconde. Il n’a même pas remarqué. Peut-être qu’il ne cherche plus à me voir heureuse. Peut-être que je ne sais plus l’être.




Vendredi 10 août 2018


Aujourd’hui, je suis prête à parler de ce jour maudit où j’ai perdu mon titre de mère. C’était le 13 mars dernier. Justine était à terme.


Patrice et moi étions partis travailler le matin comme tous les jours, après avoir embrassé notre fille, loin de nous imaginer que notre vie allait basculer définitivement.


C’est en début d’après-midi que j’ai reçu l’appel de l’hôpital nous informant de la prise en charge en urgence de Justine. J’ai prévenu un collègue de mon départ précipité et je me suis ruée vers ma voiture tout en appelant Patrice.


Après notre arrivée, la personne de l’accueil nous a fait patienter dans cette pièce glaciale où tout résonnait, même nos silences.


Puis, l’attente fut longue. Trop longue. Je n’oublierai jamais le visage du médecin lorsqu’il est venu nous voir. Son regard fermé, presque vide, comme s’il portait un poids insupportable. « Votre fille a été transportée par les pompiers dans la matinée. Malheureusement, elle avait déjà perdu beaucoup de sang. Nous l’avons tout de suite emmenée au bloc opératoire », a-t-il dit. « Mais elle présentait une hémorragie utérine massive. » Une phrase si froide, si clinique, pour annoncer l’impensable.


« Nous avons tout essayé, mais nous n’avons pas pu la sauver. » C’est comme ça qu’il l’a dit. Impassiblement, comme un verdict. Justine, ma fille, ma petite lumière, s’était éteinte ce 13 mars 2018. Je crois que mon cœur s’est arrêté à cet instant. Patrice a fondu en larmes, mais moi, je suis restée figée. Comme si mon esprit refusait d’accepter la réalité.


Et le monstre qu’elle portait ? On l’a appris plus tard, il a survécu. Bien sûr qu’il a survécu. Ce petit être infâme, digne de son géniteur, est venu au monde en prenant la vie de ma fille. Je ne sais pas si je pourrai un jour pardonner la vie elle-même pour cette cruauté.




Jeudi 16 août 2018


Les quelques jours qui ont suivi ma dernière séance d’écriture ont été compliqués. Cette expérience a exorcisé mes émotions, et depuis, tout est plus intense. Mais étrangement, je me sens mieux. Pas « bien », pas encore, mais mieux.


Hier soir, quelque chose d’inattendu s’est produit. Patrice et moi… Nous avons partagé un moment d’intimité, comme avant. Pas juste physiquement, mais dans un moment de douceur et de complicité qui me manquait tant. Patrice a posé sa main sur la mienne pendant que nous regardions un film. Je ne m’y attendais pas, et ça m’a bouleversée. C’était devenu tellement rare, que j’ai retenu mon souffle. Mais il l’a retirée presque aussitôt. Il s’est levé, prétextant une fatigue soudaine pour aller se coucher. J’ai tergiversé quelques minutes, puis je me suis décidée à le rejoindre. Pour la première fois depuis des mois, j’ai ressenti du plaisir au contact de son corps. Pas seulement un soulagement physique, mais une vraie chaleur, une connexion. Peut-être est-ce un signe, un premier pas vers un renouveau ?




Lundi 27 août 2018


C’est officiel : je reprends le travail à mi-temps. J’ai attendu ce moment, avec un mélange d’appréhension et d’excitation. Après en avoir discuté avec le médecin et ma psy, je me suis enfin sentie capable de reprendre.


Ce matin, j’ai rencontré Charles, mon proviseur. Il a toujours été un soutien pour moi, même dans mes périodes les plus sombres. Quand je lui ai dit que je souhaitais reprendre les cours, il a souri et m’a proposé quelque chose auquel je ne m’attendais pas : « Pourquoi ne pas repartir comme professeure principale d’une classe de BTS ? Ils sont plus matures, et ce serait une transition idéale pour vous, Isabelle », a-t-il dit.


Il avait raison. Cette idée m’a semblé pertinente. J’ai dit oui. Ces BTS et deux terminales, c’est suffisant pour l’instant.




Dimanche 2 septembre 2018


Ce soir, j’ai soigneusement préparé mes affaires. Demain, c’est la rentrée. Les livres, mes notes, et même une nouvelle tenue. Tout est prêt.


J’étais stressée de revoir mes collègues pour la prérentrée, mais je réalise que c’était idiot, car ils ont été adorables.


Ce soir je ressens un certain enthousiasme à retrouver les salles de classe, les élèves, ce quotidien qui m’a tant manqué. J’ai hâte. C’est étrange d’écrire ça, mais pour la première fois depuis longtemps, j’ai l’impression d’être sur la bonne voie. Je vais de l’avant.




Lundi 3 septembre 2018


Après tant de jours à croire que j’allais mieux, à tenter de recoller les morceaux de ma vie… Tout s’effondre à nouveau. J’ai envie d’enrouler ma voiture autour d’un platane.


Ce matin, tout a volé en éclats. Vincent. Encore et toujours lui. Pourquoi me persécute-t-il ? Pourquoi m’inflige-t-il cette souffrance jour après jour ? Un parasite, un démon, fils de catin et du diable. Chaque évocation de lui est une gifle, chaque vision une brûlure.


Je le hais de toutes mes forces. Je hais son sourire suffisant, ses airs de faux innocent. Je le hais pour ce qu’il m’a pris. Ma fille, ma vie, mon bonheur. Vincent, espèce de salaud. Que le pire te tombe dessus, que la vie te réduise en poussière.


Pourquoi ne veut-il pas sortir de ma vie une bonne fois pour toutes ?




Mardi 4 septembre 2018


Hier, j’ai perdu pied. Aujourd’hui, je dois expliquer pourquoi.


L’inconvénient de vivre dans une petite ville de province…


Il était là. Dans ma salle de classe. Vincent. Celui que je ne voulais plus jamais revoir. Celui que je déteste le plus au monde, celui que je voudrais voir disparaître.


Tout a commencé dès la première heure de cours. J’ai accueilli mes BTS avec un sourire crispé, essayant de masquer mes angoisses. Alors que les élèves défilaient les uns derrière les autres, soudain nos regards se sont croisés. Le choc. Son visage, aussi inattendu qu’un coup en pleine face. Il est resté planté là un instant, lui aussi semblait surpris. Puis il s’est ressaisi aussitôt pour s’installer au fond de la classe avec un naturel déconcertant.


J’ai vacillé. Le temps de quelques secondes, je me suis agrippée à mon bureau comme à une bouée, me forçant à sourire tandis que les élèves sortaient leurs affaires. Il fallait que je trouve une échappatoire, une chose à laquelle me raccrocher pour ne pas montrer mon trouble… Je ne voulais pas lui laisser voir l’effet qu’il avait sur moi.


J’ai ouvert la liste des élèves sous prétexte de faire l’appel, celle que je n’avais pas pris la peine de regarder en détail la veille. Son nom était là, noir sur blanc. Cette fichue liste que j’avais largement eu le temps de regarder ! Pourquoi ne l’avais-je pas prêté plus d’attention avant ?


D’une voix tremblante, mais maîtrisée, j’ai égrainé la liste ligne par ligne. Et puis, en arrivant à son nom, je suis passée au suivant. Je ne pouvais pas. Impossible de laisser ce nom souiller mes lèvres.


Pendant tout le cours, je n’ai pas osé lever les yeux vers lui. J’ai fait semblant, le cœur au bord de l’implosion. À peine l’heure écoulée, je me suis précipitée dans le bureau de Charles. Il a confirmé ce que je redoutais. Aucune modification de classe n’est plus possible. Bien sûr, il fallait que ça tombe sur lui. Sur moi.




Mercredi 5 septembre 2018


Deuxième cours avec sa classe. Une nouvelle épreuve. Chaque minute passée à tenter de garder mon sang-froid m’a semblé une éternité.


Heureusement, ce BTS est en alternance. Une bénédiction déguisée : je ne le reverrai pas avant dix jours. Dix jours pour retrouver un semblant d’équilibre.


Après le cours, mes nerfs étaient à vif. L’idée d’abandonner m’a traversé l’esprit. À quoi bon continuer si c’est pour revivre ce supplice à chaque fois ? J’en ai parlé à ma psy cet après-midi. Sa réponse m’a surprise : « Ne laissez pas cette situation vous contrôler. Transformez votre douleur en force. Soyez proactive. »


Ce soir, j’en ai parlé avec Patrice. À table, après un long silence, il a posé sa fourchette et m’a regardée droit dans les yeux : « Tu sais… tu peux peut-être tourner ça à ton avantage. »


Son idée était cruelle, mais étrangement cathartique. Nous avons conclu que Vincent n’aurait jamais son BTS. Et si je pouvais le pousser à flancher avant la fin de ces deux années, ce serait parfait, après tout ce qu’il nous a fait subir.




Samedi 8 septembre 2018


Patrice est rentré au petit matin. J’étais déjà debout, une tasse de café à la main. Il n’a même pas remarqué mes yeux rougis par une nuit blanche. Juste un « Salut » avant de filer sous la douche. Aucun mot sur sa soirée avec ses « potes », aucune question sur la mienne. Je me suis sentie invisible, comme une ombre dans cette maison. Quelle semaine horrible !




Jeudi 13 septembre 2018


J’ai tenté d’avoir une discussion sérieuse avec Patrice. Sur nous, sur ce que nous sommes devenus. Il m’a écoutée, silencieux, puis a simplement dit : « Je fais de mon mieux. » Ensuite, il est allé dans le salon pour regarder une rediffusion d’un match. Moi, je suis restée là, déçue, incapable de bouger, les larmes roulant sur mes joues.




Lundi 17 septembre 2018


Ce matin, je me suis surprise à ressentir une force étrange en moi. J’ai ce nouveau projet qui m’anime : gâcher la vie de Vincent.


L’appel des élèves a commencé comme à l’accoutumée. Mais cette fois, en arrivant à lui, j’ai levé la tête et je l’ai regardé droit dans les yeux pour lui montrer que je suis plus forte qu’il ne le pense. Je ne sais pas si c’était de la colère, du mépris ou simplement du courage, mais j’ai tenu bon. Il m’a répondu d’une voix presque inaudible. J’avais gagné ce round.


Plus tard, en cours, nous avons abordé le sujet de la garantie décennale applicable aux vices de construction. Un sujet technique, qui a visiblement dérouté toute la classe. Je me suis arrêtée pour demander : « Est-ce que tout le monde a compris ? » Silence. J’ai remarqué l’inquiétude grandir dans les regards de mes élèves.


Alors, je me suis tournée vers lui. « Vincent, pouvez-vous expliquer à vos camarades ce qu’on vient de voir ? » Les joues rouges, hésitant, cherchant ses mots, il a été incapable de formuler une réponse cohérente.


Je jubilais intérieurement. Pas par méchanceté gratuite, mais parce que, pour la première fois depuis des mois, j’avais l’impression de reprendre le dessus. Ce n’était qu’un début. Il n’avait aucune idée de ce qui l’attendait.




Mercredi 19 septembre 2018


Aujourd’hui, j’ai surpris Vincent tout sourire, en train de glisser quelques mots à une élève pendant le cours. Sa petite manigance n’a pas échappé à mon regard.


Je n’ai pas hésité une seconde. « Vincent, vous êtes l’élève le plus âgé de cette classe. Vous devriez montrer l’exemple, ne pas perturber vos camarades. » Il s’est redressé, visiblement surpris par mon intervention, et a tenté de se justifier. « Je lui expliquais comment résoudre l’exercice sur les marges. » J’ai coupé court à ses justifications. Peu importe, un comportement inapproprié reste inapproprié. Cela s’est soldé par un avertissement. Je ne lui laisserai rien passer.


En sortant de la classe, j’ai ressenti une étrange satisfaction. Je vais mieux. Beaucoup mieux.




Samedi 22 septembre 2018


Seule pour le week-end. Patrice est parti avec ses amis à Paris pour assister à un match de l’équipe de France. En ce moment, il a besoin de prendre du temps pour lui, mais aujourd’hui, ça ne me dérange pas.


J’ai passé une journée à flâner. Un peu de shopping pour renouveler ma garde-robe, j’ai acheté quelques livres que j’avais envie de lire depuis un moment. Le soir, je me suis installée avec une tasse de thé et un roman captivant.


Un samedi agréable. Rien d’extraordinaire, mais ça fait du bien. Pour une fois, j’ai l’impression de respirer.




Lundi 24 septembre 2018


J’ai surpris Patrice en train de sourire à un message sur son téléphone. Quand je lui ai demandé, il a dit que c’était « un collègue qui racontait une blague ». J’ai hoché la tête, mais quelque chose en moi s’est brisé. Depuis quand ne m’a-t-il pas souri ainsi ?




Jeudi 27 septembre 2018


Les jours passent, et je réalise que, contre toute attente, tout se passe bien au travail. Même avec sa classe. Je me surprends parfois à anticiper mes prochains cours avec lui, non pas avec appréhension, mais presque avec une forme de défi.


Plus encore, j’ai hâte d’avoir un entretien avec son tuteur en entreprise. Peut-être pour constater comment il se débrouille dans un cadre où je ne peux pas encore l’observer… ou pour confirmer qu’il est aussi médiocre ailleurs.


Quoi qu’il en soit, je sens une certaine maîtrise revenir dans ma vie. Une sensation que je pensais perdue à jamais.




Lundi 1ᵉʳ octobre 2018


Aujourd’hui, grande première. J’ai donné des heures de colle à un BTS. À qui ? Évidemment… À Vincent.


Tout a commencé par un incident presque banal. L’élève assis à côté de lui a laissé tomber son stylo. Vincent, sans malice apparente, l’a ramassé et rendu avec un mot à voix basse. Une fois de plus, c’était l’occasion que j’attendais. « Vincent, vous n’avez visiblement pas compris que ce n’est pas un terrain de jeu ici. Sortez. Vous êtes exclus pour le reste de l’heure, et on réglera ça en retenue. »


Son regard trahissait une rage qu’il semblait avoir du mal à contenir. Il a protesté, mais je ne l’ai pas laissé finir. Même lorsque l’autre élève a tenté de le défendre, je n’ai pas écouté. « Les justifications inutiles ne m’intéressent pas. Vincent, dehors. »


Je n’ai ressenti ni remords ni hésitation. C’est moi qui ai le contrôle, et il doit le savoir.




Samedi 6 octobre 2018


La semaine de cours de Vincent s’est achevée sur une note délicieusement satisfaisante pour moi.


Le grand moment ? Mercredi après-midi, à voir Vincent passer deux heures à ramasser des papiers dans la cour, tel un élève de sixième puni pour une bêtise enfantine. C’était… pathétique.

Depuis le bureau des professeurs, j’observais la scène. Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. Juste un peu.


Il avait la tête baissée, le dos voûté, ramassant mécaniquement chaque papier qu’il trouvait, ses gestes empreints d’une colère à peine contenue. Je pouvais presque sentir sa frustration d’ici. Les internes qui traînaient dans la cour le regardaient, certains ricanant dans son dos. Une humiliation de plus qu’il n’oubliera pas de sitôt.




Mardi 9 octobre 2018


Demain, le moment que j’ai tant attendu depuis qu’il est dans ma classe. Je vais rencontrer Vincent et sa tutrice dans leur agence immobilière. À cette perspective, je suis excitée comme une enfant dans un magasin de bonbons. Au fond de moi, je sais que c’est peu puéril, mais il l’a bien mérité.


Ce sera l’occasion idéale. Une nouvelle chance de le pousser dans ses retranchements. Je n’arrête pas d’imaginer la scène. L’idée de l’humilier une fois de plus est terriblement réjouissante. Peut-être que je soulignerai ses lacunes devant sa tutrice. Ou alors, je mettrai en lumière son comportement inadmissible en classe. Une chose est sûre : ce ne sont pas les faiblesses qui lui manquent, et il sera aisé de les mettre en lumière.


Et si, par chance, il finissait par craquer ? Si cette confrontation devenait la goutte d’eau qui ferait déborder son vase ? L’idée me remplit d’un étrange bien-être. Demain, c’est moi qui aurai le dernier mot.




Mercredi 10 octobre 2018


Merde. Je viens de rentrer, et je n’arrive pas à me calmer, alors peut-être qu’écrire… Le rendez-vous ne s’est pas du TOUT passé comme je l’avais espéré.


La journée avait pourtant commencé comme prévu… ou presque. En fin de matinée, un SMS de sa tutrice a chamboulé mes plans : le rendez-vous était déplacé en raison d’un problème personnel. J’ai suivi l’adresse indiquée sans trop réfléchir pour me retrouver en face d’un immeuble assez modeste.


J’ai été accueillie dans le hall d’entrée par sa tutrice, une femme d’une quarantaine d’années, chaleureuse et très professionnelle. Elle m’a expliqué que Vincent aurait un léger retard. Puis, comme pour combler le silence, elle a commencé à parler de lui. Elle s’est lancée dans une série d’éloges : « Un élément prometteur, travailleur, et si volontaire malgré les obstacles », disait-elle. J’écoutais, pétrifiée, incapable d’interrompre ce flot de compliments. J’avais l’impression qu’elle me parlait d’une autre personne. Chaque mot m’écœurait davantage. J’étais venue avec l’intention claire de le descendre, de pointer du doigt ses faiblesses. Mais elle ne m’a pas laissé de prise.


Puis il est arrivé. Et là, tout a basculé.


Vincent nous a rejoints dans l’entrée, un enfant dans les bras. Mon souffle s’est coupé. Je n’ai pas eu besoin qu’il parle ; dès que j’ai vu ce visage, mon cœur a vacillé. Des mèches blondes lumineuses, de grands yeux bleus qui brillaient malgré une légère fatigue sur son visage… Le portrait craché de Justine.


J’ai à peine entendu ses excuses : « Je suis désolé pour le retard, ma fille est un peu malade aujourd’hui, et je n’ai personne pour la garder. »


Sa fille. Cette révélation m’a frappée comme un coup de poignard. Je ne savais même pas que l’enfant de Justine était une fille.


Il nous a guidés jusqu’au deuxième étage et c’est seulement en entrant dans ce modeste appartement que j’ai compris. C’était chez lui. Chez Vincent.


Et moi, que pouvais-je faire ? Descendre quelqu’un qui jongle entre travail, études, et responsabilités parentales avec une telle dignité ? Comment aurais-je pu l’enfoncer après ça ? Non. Pas cette fois. Alors, j’ai laissé sa tutrice mener l’entretien en acquiesçant de temps en temps, puis je suis sortie de chez lui avec un goût amer de la défaite dans la bouche.


J’enrage de ne pas avoir pu dire ce que je voulais, de ne pas avoir pu frapper là où ça fait mal. Aujourd’hui, c’est lui qui a eu l’avantage, même s’il ne le sait probablement pas.


Et cette petite fille… Son image ne me quitte plus.




Jeudi 11 octobre 2018


Il est quatre heures du matin, et je n’arrive toujours pas à fermer l’œil.


Je suis restée éveillée toute la nuit, l’esprit embrouillé, le cœur lourd. Après cette journée aussi exaspérante qu’humiliante, j’ai attendu que Patrice rentre de sa soirée. J’avais besoin de lui parler, de lui raconter ce rendez-vous insupportable avec Vincent et sa tutrice, de partager ce poids qui m’écrase.


Mais lorsqu’il est enfin rentré très tard dans la nuit, visiblement éméché, il n’a montré qu’un intérêt poli. À peine quelques hochements de tête avant de se glisser dans le lit, et il m’a laissée plus seule que jamais face à mes tourments. J’aurais voulu lui crier dessus, lui reprocher de ne jamais être là quand j’en ai besoin. Mais à quoi bon ?


J’ai fini par rester dans la cuisine, seule, à ressasser le fil de cette journée. Chaque regard, chaque mot, chaque silence. La scène de cette petite fille dans les bras de Vincent revient sans cesse me hanter. Ses cheveux, ses yeux… Elle ressemble tellement à Justine. Comment est-ce possible ?




Dimanche 14 octobre 2018


C’est dimanche, et je suis encore seule. Patrice est parti tôt ce matin, une fois de plus, pour aller prendre un café sur le marché. Il me laisse là, à errer dans cette maison devenue si vide, si froide.


Depuis quelques jours, un doute insidieux s’est installé en moi, et il grandit. À quoi je sers encore ? Je ne me sens plus mère depuis ce jour funeste. Mon rôle d’épouse est un simulacre ; Patrice et moi ne partageons presque plus rien. Et mon métier, qui autrefois me portait, est devenu une arène où je combats des ombres.


Je n’aurais pas dû une nouvelle fois décaler mon rendez-vous chez la psy. Je doute de tout. De moi. De ma place. De ma capacité à avancer.




Lundi 15 octobre 2018


Ce matin, en cours, j’ai laissé ma colère déborder. Vincent a osé répondre du tac au tac à une remarque que j’avais faite sur sa copie. Je n’ai pas laissé passer. Je lui ai lancé devant toute la classe : « Si vous mettiez autant d’efforts dans vos études que dans vos excuses, vous seriez déjà diplômé. » Des rires étouffés de quelques élèves ont scellé sa défaite. Mais au fond de moi, cette satisfaction amère ne me suffisait plus.


Le répit a été de courte durée, car l’après-midi a pris une tournure inattendue. J’ai été convoquée dans le bureau de la direction. En arrivant, j’ai eu un choc : Vincent était là, accompagné de Léa, une des déléguées de sa classe. Charles, habituellement bienveillant, affichait une expression grave. Il avait le ton neutre et professionnel de « Monsieur le Proviseur ». Dans sa main, il y avait une feuille légèrement froissée.


Sur ce torchon, un tissu de calomnies, signé par quelques élèves de la classe. Ils se plaignent de mon attitude envers Vincent, la qualifiant d’injuste et d’humiliante. Pire encore, alors que j’étais prête à rétorquer, Charles m’a annoncé que les autres professeurs ne tarissent pas d’éloges sur lui, le décrivant comme un élève sérieux et investi.


Mon supérieur m’a regardée, l’air désolé, mais ferme, et m’a demandé : « Où va nous mener cette situation ? Je suis censé remonter ça à l’inspection académique. Isabelle, qu’est-ce qu’il se passe ? »


Je sens encore la façon dont ma gorge s’est serrée. Une sueur froide a perlé sur ma nuque. J’allais tenter de me justifier quand, contre toute attente, Vincent a pris la parole. « Monsieur, c’est ma faute. Mon comportement a pu donner l’impression que je cherchais à provoquer Madame Rousseau. Je vous promets que ça n’arrivera plus. »


Je suis restée sans voix. Il… Il m’a sauvé la mise. Mais. Pourquoi a-t-il menti ainsi pour me couvrir ? Est-ce de la stratégie ? De la pitié ? Je n’ai pas eu le temps de m’attarder sur la question. Charles a clos la discussion en rappelant qu’il surveillerait de près l’évolution de la situation.


En rentrant chez moi, j’étais complètement confuse. J’ai voulu en parler à Patrice lorsque nous nous sommes couchés. Il m’a écoutée, poliment, distraitement. Peut-être parce qu’il voulait quelque chose en retour. Et effectivement, après m’avoir dit sur un ton détaché « Tu devrais lâcher prise et ne plus penser à ça, ça serait pas mal », il m’a écarté les jambes. Ses mains étaient pressées. Aucune tendresse, aucune connexion. Juste son besoin. Je l’ai laissé faire, incapable de ressentir autre chose que le vide. Il s’est satisfait rapidement alors je regardais le plafond.


Aujourd’hui, tout m’a échappé.




Mercredi 17 octobre 2018


Éviter Vincent… Pendant tout le cours, mes yeux se sont délibérément posés sur chaque élève, sauf lui. C’était une étrange danse silencieuse, car lui aussi semblait m’éviter. Pas un regard, pas une remarque, rien. C’était presque un accord tacite : lui de son côté, moi du mien. Comme si nous avions décidé de nous ignorer mutuellement.


Pourtant, cette distance m’a pesé. Est-ce cela, la fin de ma vengeance ? Accepter de le voir comme un simple élève, lui permettre de s’en tirer sans rien ? C’est comme ça que ça s’arrête ?


Une part de moi hurle que c’est inacceptable. Que sa souffrance doit égaler la mienne. Que je dois continuer, quoi qu’il en coûte.


Mais une autre part hésite. Vincent n’a rien dit à Charles. Il aurait pu me nuire d’une phrase et il ne l’a pas fait. Et je ne comprends toujours pas pourquoi. Cette neutralité forcée me laisse dans le doute.


Est-ce simplement une pause, avant de frapper plus fort ? Je n’en sais rien. Mais non. Je ne suis pas prête à capituler. Pas encore.




Vendredi 19 octobre 2018


Je suis assise seule dans la cuisine, incapable de bouger, dans le noir. Mon cœur tape dans ma poitrine comme s’il allait exploser.


Tout a commencé innocemment. Cet après-midi, j’ai croisé par hasard Amélie, la femme d’un des « potes de foot » de Patrice. Nous avons échangé quelques banalités avant qu’elle ne laisse tomber cette phrase, anodine pour elle, mais fatale pour moi : « Ça fait du bien, un week-end sans foot, pas vrai ? Les hommes vont enfin passer un peu de temps avec leurs petites femmes. Marc nous a réservé une chambre d’hôte en Dordogne. »


Je ne me souviens même pas ce que j’ai répondu, mais à cet instant, j’ai senti tout mon corps se tendre. Pas de match ? Pas de foot ce week-end ? Alors, où va Patrice ce soir ? J’ai forcé un sourire, prétexté une course urgente, et suis rentrée chez moi, le cœur au bord des lèvres. J’ai cherché un match de foot pour ce soir sur mon téléphone, en ville ou à la télé. Rien. Pas une seule rencontre.


Il me ment. Depuis combien de temps joue-t-il ce petit jeu ? Et pour quoi, ou plutôt pour qui ?


Je me suis effondrée sur le canapé, hantée par mes pensées, quand une révélation m’a frappée. C’est Vincent. C’est encore et toujours Vincent. Celui qui a détruit ma vie. Le responsable de la mort de Justine. Le coupable de l’éclatement de mon couple. À cause de lui, je ne suis plus qu’une coquille vide.


Un plan se forme dans ma tête, d’une clarté effrayante. Je sais où il habite. Cet appartement misérable, ce lieu où il joue au père parfait. Je vais le pourrir. Tout casser chez lui, faire venir les flics et, peu importe les conséquences, je n’ai plus rien à perdre. Je veux qu’il sente ma colère, qu’il comprenne qu’on ne peut pas anéantir une vie sans en payer le prix. Parce qu’aujourd’hui, c’est tout ce qu’il me reste : ma haine pour Vincent et ma soif de vengeance.




Samedi 20 octobre 2018


Le jour est en train de se lever, et je ne dors toujours pas. Je n’arrive pas à croire ce qu’il s’est passé hier soir. Quelle horreur… ! Quelle folie !


Après avoir réalisé la tromperie de Patrice, la rage m’a consumée. J’ai pris mes clés et traversé la ville dans la nuit fraîche et brumeuse avec la ferme intention de régler mes comptes avec Vincent. Arrivée au pied de son immeuble, j’ai attendu qu’une personne en sorte pour me glisser dans l’entrée. Je venais de franchir la ligne, et pourtant je me sentais capable du pire.


J’ai tambouriné à sa porte comme une furie jusqu’à ce qu’il ouvre, son air contrarié rapidement remplacé par la surprise. Je me suis jetée sur lui, frappant son torse de toutes mes forces, criant, pleurant, l’accusant de tout. Il essayait de m’arrêter, me suppliant presque : « Isabelle, calmez-vous. Ma fille dort… S’il vous plaît ».


Ces mots n’ont fait qu’attiser ma rage. Sa fille. Celle qui m’a pris ma Justine. Cet enfant que je ne voulais pas connaître, et pourtant… son image m’a hantée depuis le jour où je l’ai vue.


J’ai senti les bras de Vincent m’enlacer fermement pour m’immobiliser, me maintenant avec force contre son torse. J’ai essayé de me dégager, mais il est bien trop fort. Je me suis retrouvée là, collée à lui, à pleurer, à hurler ma douleur pendant qu’il continuait d’implorer « S’il vous plaît Isabelle ». Et, finalement, mes coups se sont espacés, puis arrêtés.


Je me suis effondrée. Littéralement. Mon front contre son torse, mes mains accrochées à son tee-shirt, et les larmes qui coulaient sans fin. « Je suis bonne à enfermer », ai-je lâché dans un sanglot.


« Non, Isabelle », a contesté Vincent avant de continuer plus douloureusement « je sais combien vous souffrez ». Sa voix habituellement grave, adoucie par l’émotion, m’a fait lever les yeux vers lui. Il pleurait. Cette constatation m’a bouleversée, je ne savais plus comment réagir, alors j’ai baissé la tête pour échapper à cette vision perturbante.


Sans m’en rendre compte, j’ai réalisé que j’avais passé mes bras autour de sa taille, comme une recherche d’apaisement. Rapidement, il m’a répondu, ses mains glissant dans mon dos dans une légère caresse. Je suis restée blottie dans ses bras, et je n’ai rien fait pour l’arrêter. Je devrais avoir honte. Je devrais. Mais au lieu de cela, j’ai ressenti cette chaleur d’un corps lové contre le mien que je n’avais pas ressenti depuis longtemps.


Et puis… C’est allé plus loin. Ses mains se sont attardées sur mes hanches, et ont continué leur chemin, audacieuses, jusqu’à mes fesses. Je n’aurais jamais dû le laisser faire, j’aurais dû crier, me débattre, protester. Mais je n’ai pas bougé. C’était agréable. Cette sensation d’être désirée, touchée, une preuve, malgré tout, que j’étais vivante… Il ne m’attirait pas, je ne le voulais pas. Pas une seconde. Mais… quelqu’un avait envie de moi. Après tout ce chaos.


Dans un moment de lucidité, j’ai fait volte-face, je devais partir, mais il s’est plaqué contre mon dos. Son souffle chaud sur ma nuque m’a fait frissonner. Ses bras ont plaqué nos corps l’un contre l’autre et j’ai senti sa dureté contre mes fesses. La conscience de son désir m’a traversée comme une décharge. Puis ses mains, brûlantes, ont quitté mes hanches pour s’attarder sur mon ventre avant d’empaumer mes seins. La douce pression sur ma poitrine, ses soupirs dans mon cou… Je sentais mon corps se réveiller, s’éveiller à nouveau à la vie, devenir femme à nouveau. Mes jambes tremblaient. Mais je voulais qu’il continue.


Une main a glissé le long de mon ventre avant de s’immiscer dans ma culotte. La délicatesse de ses doigts sur ma peau était une sensation si étrange après tant de jours passés dans la rage et la douleur. La caresse sur mes poils pubiens… un frisson, un gémissement que je n’ai pas senti arriver. Mon corps avait abandonné toute volonté de résistance. Il n’attendait qu’une chose.


Emportée par le plaisir, j’ai perdu toute notion du temps. Je me suis retrouvée alanguie sur le canapé, le chemisier ouvert, les seins offerts et la culotte tombée au niveau des cuisses. La « bonne mère de famille » que j’avais incarnée jusqu’ici… reléguée aux oubliettes. Je n’étais plus qu’un brasier de désir.


Je l’ai vu prendre place entre mes cuisses. Son corps est venu s’écraser contre le mien et nous nous sommes frottés l’un contre l’autre dans une frénésie incontrôlée. À chaque fois que son sexe frôlait mes lèvres, mon impatience s’amplifiait, j’en voulais plus, toujours plus. Du bout des doigts, fébrile, je l’ai guidé pour qu’il trouve le chemin de ma matrice. Un frisson a parcouru tout mon corps lorsque, avec une lenteur presque insoutenable, il m’a pénétrée. Je me suis tendue en sentant la chair de son sexe glisser contre la mienne, je me délectais de sentir mon corps s’adapter au sien pour l’accueillir, c’était une sensation à la fois familière et totalement nouvelle.


J’étais pleine d’une manière que je n’avais plus connue depuis longtemps, et je ne voulais pas que ça s’arrête. Mes mains ont agrippé ses fesses, mes ongles s’enfonçant dans sa peau, pour le garder prisonnier en moi quelques instants de plus. Nos corps étaient serrés au plus près, comme une fusion, un mélange de rage, de désir et d’une étrange forme d’abandon. Puis j’ai relâché la pression pour le laisser me prendre à son rythme, ses mouvements doux et profonds à la fois. La chaleur de son corps contre le mien, sa peau brûlante, nos gémissements partagés, c’était aussi bon et enivrant que ce sexe qui coulissait en moi.


Je me suis accrochée à ses épaules pour accompagner son mouvement. À chaque va-et-vient, ses gestes gagnaient en intensité, la cadence s’accélérait, je sentais cette onde de plaisir se propager en moi. Mes jambes se sont écartées davantage, offrant mon intimité à sa voracité, mes talons remontant contre ses fesses tandis que son corps se heurtait au mien, chaque balancement m’arrachant une lamentation. J’étais à la fois spectatrice et actrice, mon corps répondant à chaque impulsion.


Lorsque j’ai été happée par un orgasme puissant, ma respiration s’est coupée. Je me suis serrée contre lui en râlant ma jouissance sans retenue, puis j’ai senti mon vagin se contracter sur son sexe, l’attrapant, le comprimant. Il n’a pas résisté plus longtemps et s’est soudé à ma croupe, immobile, un gémissement rauque s’échappant de sa gorge. Lui, ce démon, venait d’éjaculer en moi.


L’instant suivant, la réalité de ce qui s’était passé m’a frappée de plein fouet quand il s’est retiré, un filet de sperme poisseux s’écoulant de mon entrée. Je n’étais plus qu’un corps, nu, souillé, envahi par la semence de l’homme que je détestais, ce venin qu’il avait déposé en moi, l’ultime humiliation.


Je me suis relevée, les membres lourds, comme anesthésiés. J’ai rassemblé mes vêtements en toute hâte, les doigts maladroits sur le tissu. Alors que je me rhabillais, j’ai senti du sperme couler le long de mes cuisses. La sensation était répugnante. J’évitais de croiser son regard, mon esprit refusant de traiter les mots qu’il me disait. Alors, je me suis dépêchée de fuir cet appartement, courant dans la nuit, les poumons en feu, le cœur battant la chamade.


De retour chez moi, le sentiment de souillure était intense, une vague sombre et puissante. Je me suis précipitée sous la douche, l’eau chaude brûlant ma peau, essayant désespérément d’effacer cette sensation, cette marque indélébile que j’avais l’impression d’avoir sur le corps et sur l’âme. Chaque parcelle de mon épiderme semblait salie, et je frottais, encore et encore, avec une frénésie désespérée. La mousse glissait sur mon corps, emportant, pensais-je, le souvenir de cet acte, le goût de sa peau, cette putain de sensation d’avoir cédé à mon propre désir. Je voulais effacer chaque contact, chaque soupir, chaque souvenir. Je voulais retrouver ma pureté, ma dignité.


Au matin, je me suis regardée dans le miroir. Des marques rouges, comme des griffures, sillonnent ma peau… Les traces de ses mains, de ses baisers, des souvenirs brûlants d’un acte de folie. Des marques de cette soumission inattendue, de cette perte de contrôle, comme si mon corps avait une mémoire propre. Je me sens sale, maculée, comme si la honte et le dégoût avaient pris racine dans ma chair. Et pourtant… il y a quelque chose de plus, une nuance, un contrepoint à cette désolation. Une étrange sensation de… vide rempli. Comme si, dans cette nuit de déraison et de douleur, j’avais retrouvé une partie de moi-même, une part enfouie sous des mois de rage et de deuil. Une part que je ne comprends pas encore. Une part qui me fait peur.


Patrice est rentré plus tard, comme un fantôme dans la lumière de l’aube. Je n’arrivais toujours pas à dormir, mon corps était trop lourd, mais me voir ainsi n’a pas éveillé le moindre questionnement de sa part. J’ai cherché un réconfort, une présence amie. Mais pour lui, ce n’était qu’un signal. Un appel au sexe sans âme. Il me déshabillait du regard, et sa main s’est vite posée sur ma cuisse, comme sur un vulgaire bout de viande.


Il s’est approché, sans la moindre tendresse, sans un regard, sans un mot. Ses gestes sur mon corps étaient brusques. Je me suis laissé aller au devoir conjugal, encore. J’étais épuisée, incapable de lui faire comprendre ce que je voulais vraiment. Et, comme d’habitude avec lui, il n’y avait rien. Aucun frisson, aucune envie, aucun plaisir, seulement un vide immense. Le contact de son corps était froid, étranger, comme la sensation d’une pierre glacée contre ma peau. Il a pris son plaisir, vite, sans un mot. Puis il s’est endormi, aussi rapidement qu’il était arrivé, son corps pesant sur moi, comme une chape de plomb.


Soudain, un haut-le-cœur m’a pris, peut être déclenché par les relents d’alcool qui s’échappaient de sa bouche, ou bien par le dégoût de moi-même. Je l’ai repoussé péniblement, son corps lourd roulant de son côté du lit. Incapable de supporter plus longtemps son contact, je me suis levée en catimini pour aller aux toilettes. Ce liquide blanc et tiède qui s’écoulait de moi était une dernière humiliation. Malgré un nettoyage rapide, je ne me sentais pas plus maîtresse de mon corps.


Je suis retournée dans la chambre et je suis restée là, les yeux ouverts dans le noir, le corps encore engourdi, l’âme en miette. J’ai repensé à lui, cet autre poids, cette autre présence en moi… L’empreinte brûlante de Vincent, mélangée à celle froide et insensible de Patrice. Deux hommes, deux mondes, deux univers qui s’entrechoquaient violemment. Deux hommes qui, chacun à leur manière, avaient imprimé une marque indélébile sur ma peau et dans mon âme cette nuit. Un mélange révoltant et déchirant. Le sperme de celui que j’aime encore, mélangé à celui de l’homme que je hais plus que tout.