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Temps de lecture estimé : 12 mn
04/03/25
Résumé:  Des clichés, des clichés, encore des clichés…
Critères:  #humour #psychologie #personnages
Auteur : Laetitia            Envoi mini-message

Collection : Les clichés ont la vie dure
L'art et la manière

Clémentine avait une particularité. Lorsque l’on abordait son métier, elle assistait à un spectacle fascinant. Le regard de ses interlocuteurs, qui avait du mal à masquer leurs sentiments face à elle, passait par trois phases bien distinctes. D’abord la surprise, puis le jugement, souvent accompagné d’un discret froncement de sourcils, et enfin ce petit sourire en coin mi-ironique mi-condescendant.


De ce fait, elle avait appris très tôt à jouer avec les apparences.


Il faut dire que son métier était tout de même assez particulier, pour le commun des mortels du moins.

Clémentine, aujourd’hui âgée de 25 ans, avait commencé sa carrière à 18 ans dans un milieu que la plupart des gens évitaient de regarder de près, enfin officiellement. Chez eux, à l’abri des regards, c’était autre chose…

Elle était actrice dans l’industrie pour adultes, comme on dit, sous le pseudo de Candy Love à l’écran.



Elle s’amusait de leurs réactions. On la prenait pour une idiote. Une femme qui passe ses journées en petite tenue devant une caméra ne pouvait pas être futée, voyons !


Pourtant, elle n’était pas le stéréotype du personnage qu’on lui attribuait. Derrière le maquillage et les projecteurs, il y avait une personne bien différente des lieux communs.


À quoi ressemble une hardeuse dans l’esprit du commun des mortels ? Demandez aux gens de vous dessiner une pornstar et vous obtiendrez une blonde à gros seins. Eh bien, pas Clémentine, alias Candy Love. La demoiselle a des cheveux bruns, son tour de poitrine ne dépasse pas le 85, bonnet A, et elle mesure à peine un mètre soixante pour cinquante-trois kilos. Préjugé tout ça, un peu comme l’épilation intégrale des actrices.


Pareil, demandez toujours au fameux commun des mortels de vous parler du bagage intellectuel des actrices, la réponse sera unanime : superficielles, écervelées et incapables de tenir une conversation sur autre chose que… eh bien… leur spécialité.

Pourtant, Clémentine était une jeune femme aussi vive que piquante, elle était brillante, drôle, son sens de l’humour était aussi affûté que son intelligence et sa culture. Derrière son sourire éclatant, il y avait un esprit alerte toujours prêt à démonter les idées reçues. Elle avait des avis et des opinions bien arrêtés, aimait discuter de littérature, de cinéma d’auteur et d’art en général.

Mais, bien entendu, personne ne s’attendait à cela d’une actrice de films X.


Longtemps, elle s’était rebellée contre les jugements. Elle s’était indignée, avait tenté d’expliquer, de prouver qu’elle n’était pas qu’un corps filmé en gros plan.

Lassée, elle avait décidé de s’amuser avec ces clichés et elle s’en portait bien mieux. Voir notre ami, le commun des mortels, désarçonné, était assez drôle finalement.


La vie l’avait poussée dans une direction qu’elle-même n’imaginait pas. C’était certainement aussi un moyen d’échapper à ses réalités passées, à une vie pleine de compromis et de rêves écrasés, sur le chemin que son entourage issu de la bourgeoisie avait tracé d’avance pour elle.

Tout avait commencé à 18 ans donc, lorsqu’elle avait quitté le domicile familial après une énième dispute avec son père au sujet de ses études. Ayant pris son indépendance, elle cherchait un moyen de gagner un peu d’argent pour financer ses études en cinéma, voie qui ne convenait pas à sa famille. Elle avait rencontré un producteur lors d’une soirée étudiante, qui l’avait convaincue de participer à un tournage. Certainement que ce type faisait son marché et cherchait de la chair fraîche lors des fêtes étudiantes.

Le monde du X au début l’avait fascinée. Les caméras, les lumières, l’attention. Il y avait quelque chose de libérateur dans l’instantanéité de ce qu’elle offrait et de ce qu’elle recevait. Mais au fur et à mesure des années, cette industrie était devenue sa cage dorée. Un jour, elle décida que cela ne pouvait plus durer. Elle aspirait à sortir de sa zone de confort. Clémentine voulait écrire, raconter des histoires qui n’étaient pas juste des fantasmes filmés, mais des récits humains. Elle rêvait de créer des films qui briseraient les stéréotypes et montreraient la complexité de la sexualité, de l’intimité et de la vérité humaine. Et cela, non pas par honte, mais pour se réinventer plutôt, même si la société semblait déterminée à réduire son identité à un simple corps ou à une image de désir.



oooOOOooo



Ce soir-là, Clémentine n’avait pas particulièrement envie d’aller à ce dîner mondain organisé par Mathilde, sa sœur aînée. Elle connaissait Mathilde, brillante avocate, mais fidèle à la famille et restée très bourgeoise dans l’esprit, qui était terrifiée à l’idée que ses connaissances découvrent qu’elle partageait le même ADN qu’une fille dont le métier impliquait plus de nudité et de coïts divers et variés, que de plaidoiries. Clémentine adorait malgré tout Mathilde.



Traduction : évite de parler de ton travail, s’il te plaît, et ne fais pas de vagues.


Clémentine se retrouva assise à côté d’un certain Étienne Rambert, critique de cinéma à la posture rigide, à la rigueur intellectuelle, au regard légèrement méprisant et surtout au mépris assumé pour tout ce qui ressemblait de près ou de loin à du divertissement grand public. Il lâchait ses avis dans un de ces magazines intello et élitiste, qui se targuent de n’avoir que peu de lecteurs, mais la crème, l’élite.

Ce type lui déplut au premier regard. Il portait, ce soir-là, un costume bien trop raide pour être confortable et avait un regard qui semblait peser et surtout juger, chaque mot prononcé par les autres convives.

Malgré la promesse faite à sa sœur, elle décida aussitôt de s’amuser avec lui. Il faisait, en effet, une proie de rêve pour une chasseresse d’abrutis, comme elle.



« Non, mon gars, tu ne vois pas du tout… »



Étienne hocha la tête, l’air surpris, puis sceptique.



Clémentine sourit. Elle connaissait la chanson.



Il y eut un flottement. Étienne la regarda comme si elle venait de réciter une équation mathématique en sanskrit. L’idée qu’elle puisse avoir une culture cinématographique poussée semblait improbable pour lui.



Et un ange passa… flotta et survola lentement au-dessus de la table et s’en fut par la fenêtre en soufflant dans sa trompe.

Clémentine s’étira sur sa chaise, savourant l’instant. Elle connaissait cette réaction par cœur. Il n’avait pas apprécié sa dernière réplique. Il n’allait pas tarder à devenir hargneux et à aligner ses arguments et les clichés qui vont avec.



Et voilà, c’est parti, pensa Clémentine, un léger sourire sur les lèvres. Les autres convives s’étaient tu et ne perdaient pas une miette de l’échange. Mathilde souffla discrètement un « Mon Dieu » dans son verre.



Clémentine eut un sourire, repensant à une mésaventure qui lui était arrivée le mois précédent. Elle lit ses contrats avec attention ? Pas toujours. Fatiguée ce jour-là, elle l’avait parcouru très vite, ne s’intéressant quasiment qu’aux grands titres. Le lendemain, elle est arrivée sur le tournage en retard. Après la séance de maquillage et l’enfilage de la tenue de scène, minimaliste certes, elle eut la surprise en arrivant sur le plateau, de s’apercevoir qu’elle devait tourner avec Tic et Tac, surnoms donnés à deux blacks particulièrement dotés par la nature (concernant Tic et Tac, ce n’est pas un cliché pour le coup). Elle s’était dit qu’elle aurait mieux fait de lire son contrat, comme elle le fait d’habitude. Elle est ressortie du tournage légèrement bancale, en ayant pris assez cher.


Elle continua :



Puis s’adressant à l’ensemble des convives :



Cela provoqua l’hilarité de la plupart des invités et un sourire forcé de Mathilde.

Alors que son voisin allait ouvrir la bouche, Clémentine le prit de court.



Étienne tourna la tête, faisant comme s’il se désintéressait totalement de Clémentine.



La tablée, bouche bée, attendait avec délectation la suite de la joute orale.



Mathilde lança à sa sœur un regard sévère, transformé en petit rire forcé, quand le reste de l’assistance éclata de rire. Clémentine, inarrêtable, continua :



Devant l’air renfrogné d’Étienne, Clémentine hésita entre éclater de rire ou le laisser en paix.



Il haussa un sourcil.



Là, elle le cueillit en pleine course.



Il prit une gorgée de vin, sans doute pour se donner un peu d’aplomb.



Clémentine fit mine d’hésiter, puis déclara d’un ton faussement innocent :



Silence autour de la table. Mathilde se figea. Étienne, lui, cligna des yeux. Clémentine arborait toujours son sourire radieux.



Elle vit son sourire se crisper.



Elle lui adressa un clin d’œil. De son côté, Étienne ne savait plus s’il devait rire ou s’étouffer avec son vin. Mathilde, elle, ferma les yeux, comme pour implorer le ciel d’intervenir. Clémentine, quant à elle, se tourna de l’autre côté et engagea la conversation avec son voisin de droite.


Les clichés ont la vie dure. Mais rien n’est plus savoureux que de les faire éclater en plein vol.


Le dîner terminé, les invités rentrés, Clémentine aida Mathilde à débarrasser.