n° 22964 | Fiche technique | 11930 caractères | 11930 2005 Temps de lecture estimé : 9 mn |
08/03/25 |
Présentation: Voici une histoire sur les remèdes de grand-mère, avec un clin d’œil à Lucky Luke et à Doc Doxey, le charlatan qui vendait des élixirs capables de tout guérir : de la rage de dents à la chute des cheveux… tout, sauf les crédules ! | ||||
Résumé: Enrhumé, Luc, le gamin le plus malchanceux de l’Ouest, est pris en otage par deux mamies prêtes à tout pour prouver la supériorité de leur remède miracle. Il devra ruser pour éviter l’empoisonnement… et tenir bon jusqu’au prochain éternuement. | ||||
Critères: #humour #pastiche | ||||
Auteur : Maryse Envoi mini-message |
Collection : Les clichés ont la vie dure |
Avant-propos : Cette histoire s’inspire d’une discussion où chacun vantait les propriétés curatives miraculeuses de l’eau-de-vie de sa région… Un duel de saloon ! Alors, L’artiste, je m’y suis collée. Une modeste contribution à ta talentueuse collection déjà bien fournie et un clin d’œil à la célèbre bande dessinée du « lonesome cowboy », bien seul devant un cliché qui a la vie dure !
Le vent soufflait en longues rafales, soulevant des volutes de poussière sur la place du village. Un vieux journal roulait au sol tel le buisson d’épine d’un western spaghetti. L’enseigne de l’épicerie grinçait sous la bourrasque, donnant à l’instant une tension dramatique digne d’un duel épique.
Luc le savait : dans cette histoire, il était un garçon bien seul et sans défense. Les deux Calamity Jane en face de lui avaient cette lueur dans le regard… celle qui précède une exécution publique ou une dégustation forcée.
Aujourd’hui, pris dans ce courant d’air où sévissait un rhume infernal, l’heure n’était pas venue de départager celle qui dégainerait le plus vite… mais celle qui détenait le remède le plus miraculeux.
Luc, au centre de cette rivalité ancestrale et impitoyable, avait l’impression d’être devenu une version malchanceuse du dommage collatéral. Son ombre, elle, avait filé plus vite que lui, déjà à l’abri, cachée derrière un buisson d’aubépine, de ronce sauvage ou de toute autre plante suffisamment épineuse pour tenir à distance le danger.
D’un côté, Mamie Jeanne, droite comme un i, une louche fumante à la main. Son regard était aussi perçant que celui d’un shérif traquant une quinte de toux hors-la-loi se dissimulant dans des bronches encombrées.
Sa marmite ? Une Cocotte-Minute cabossée, vénérable témoin de batailles culinaires passées. À l’intérieur, un liquide beigeâtre et trouble, où surnageaient des morceaux indéfinissables – peut-être des plantes, peut-être des reliques d’anciens goûteurs disparus dans d’atroces souffrances. L’odeur défiait toute classification scientifique : un mélange d’herbe anciennement coupée, de légumes fatigués et de vieille soupe ayant mijoté trois jours de trop.
Un breuvage si puissant que même la cuillère, terrorisée, s’enroulait sur elle-même avant d’y être plongée…
De l’autre côté, Mamie Lucette, tablier taché, sourire en coin, tenait d’une main ferme une carafe pleine d’un liquide ambré aux reflets douteux. À chaque mouvement du récipient, des volutes de vapeur s’en échappaient, comme si la potion continuait à mijoter toute seule… ou manifestait son mécontentement d’avoir été extraite trop tôt du baril de pétrole où elle avait été concoctée.
La potion vrombissait comme une ruche affolée. Son odeur, elle, relevait du crime olfactif : un mélange explosif entre un putois en rut, une distillerie clandestine et une serre botanique en pleine putréfaction.
Luc pâlit, observant la carafe comme on observe un bâton de dynamite dont la mèche aurait été allumée par erreur.
Il fallait dire que Luc n’avait jamais eu de chance. Il aurait pu grandir, comme tous les enfants, dans une famille où un simple Doliprane suffisait. Mais non. Lui, il était obligé d’expérimenter des remèdes de grand-mères qui se prenaient pour les meilleures guérisseuses du monde. Chaque rhume se transformait en une épreuve de survie où le plus dangereux n’était pas l’agent infectieux… mais l’infectiosité des potions qu’on le forçait à ingérer.
Par miracle, il avait déjà survécu à :
* L’infusion aux oignons, qui l’avait fait pleurer jusqu’à perdre trois kilos d’eau (idéale pour retrouver la ligne).
* Le cataplasme de purée d’ail, qui l’avait condamné à dormir trois jours dans la grange à cause de l’odeur qu’il dégageait (À tenter pour retrouver un peu d’intimité).
* Le bain de pieds à la moutarde, censé « faire transpirer la maladie » mais qui lui avait surtout donné l’impression de marcher sur du feu pendant une semaine (une bonne solution pour finir sur une chaise longue).
* La ventouse à l’ail, une invention de Mamie Jeanne censée « aspirer le mal » … et qui avait surtout aspiré sa dignité lorsqu’il avait dû aller à l’école avec des ronds rouges partout sur la peau (très efficace pour faire fuir un prétendant un peu trop collant).
Le vent soufflait de plus belle, soulevant des tourbillons de terre, comme s’il cherchait à protester contre le traitement qu’on allait infliger au jeune garçon à la toux suspecte.
Celui-ci observait les deux protagonistes qui se défiaient du regard, prêtes à en découdre. Il savait qu’il n’avait que deux options : fuir… ou affronter son destin en buvant une mixture qui pourrait aussi bien soigner son rhume que lui donner des visions mystiques du Far West… dans le moins pire des cas.
Et maintenant, il se retrouvait coincé entre ses deux mamies armées jusqu’aux dents… de louches et de verres fumants, bien décidées à prouver la supériorité de leur élixir, plus qu’à faire mordre la poussière à son maudit virus.
Les yeux levés vers le ciel, il attendait, résigné. Son sort ne tenait plus qu’à un fil… avant que la corde ne se referme sur son cou.
Une échauffourée verbale éclata, lui laissant un instant de répit avant l’exécution.
La réponse outrée fut accueillie d’un rire sarcastique :
Mamie Lucette, les mains sur les hanches, bomba le torse et continua sur sa lancée, la voix triomphante :
Silence.
Luc, figé, tenta d’assimiler l’image qui venait de s’imprimer dans son cerveau. Il ouvrit la bouche… puis la referma. Mieux valait ne pas demander de précisions.
Mamie Jeanne haussa un sourcil sceptique.
Luc posa un regard inquiet sur le verre de grog fumant. Son instinct lui hurlait que tout être vivant qui ingérait ce breuvage ne pouvait plus jamais être le même.
Soudain, Mamie Jeanne, excédée, croisa les bras et déclara avec défi :
Mamie Lucette haussa un sourcil, puis, piquée au vif, répondit du tac au tac :
Luc ouvrit des yeux ronds. Elles allaient vraiment s’infliger leur propre remède ?!
Les deux grand-mères se jaugèrent encore une seconde. L’air vibrait de défi. Puis, d’un même mouvement, elles se servirent chacune une dose généreuse de leur breuvage. Mamie Jeanne remplit une louche d’eau trouble et verdâtre, tandis que Mamie Lucette versa une bonne lampée de grog aux vertus incertaines dans un verre… d’où s’échappaient quelques nuages de fumée. Des Indiens, quelque part, seraient-ils en train d’appeler à l’aide ? La cavalerie pourra-t-elle arriver à temps ?
Un silence pesant s’installa. Même le vent sembla retenir son souffle pour observer la scène.
Un dernier regard. D’un même mouvement, elles portèrent leurs potions à leurs lèvres.
Mamie Jeanne fut la première à boire. Elle prit une longue gorgée, les yeux plissés par la détermination. Au début, elle ne broncha pas… puis son visage se crispa imperceptiblement. Son nez se fronça, sa mâchoire se contracta. La teinte de sa peau passa par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel pour finir rouge écarlate. On aurait dit qu’elle venait de boire une infusion de piment. Celle dont les frères Dalton utilisaient pour faire fondre les barreaux de leur prison avant de s’échapper !
Luc cligna des yeux. Il n’y croyait pas une seconde.
De son côté, Mamie Lucette ne voulait pas être en reste. Elle s’envoya cul sec son eau de feu légendaire. Sitôt le liquide passé dans sa gorge, elle se figea. Ses yeux s’agrandirent puis faillirent être éjectés de leurs orbites. Ses cheveux se hérissèrent sous l’impact. Une espèce de mucus jaunâtre fumant lui recouvrit le visage gonflé comme si tout était sur le point de se dissoudre. Elle se mit à tousser dans son tablier, avant de lever un pouce tremblant.
Luc regarda, incrédule, les deux mamies au bord de l’implosion… Chacune refusant de céder.
Le vent reprit, soulevant de nouveau la poussière. Luc comprit que c’était maintenant ou jamais. Car, après s’être prouvé à elles-mêmes la puissance de leur mixture, elles allaient vouloir lui administrer la dose fatale.
Il chercha une échappatoire… redoutant la catastrophe qui se précipitait vers lui, à toute allure.
Luc recula d’un pas, puis d’un autre…
Vint alors le miracle. Le ciel l’aurait-il pris en pitié ?
Il trébucha sur un chat noir qui passait par là, pile-poil au mauvais moment. L’animal vexé agita sa queue, réveillant son allergie. Un picotement chatouilla ses narines…
Luc se plia violemment en avant et heurta simultanément la louche de Mamie Jeanne et le verre de Mamie Lucette.
Les deux potions s’envolèrent dans un ralenti dramatique, se mélangeant dans les airs, avant de retomber.
Mamie Lucette reçut une douche fumante sur la tête, les épaules et les bras. Mamie Jeanne, quant à elle, eut tout juste le temps de plisser les yeux avant de prendre une gorgée involontaire en pleine bouche.
Un silence sidéré tomba sur la place. Luc ouvrit un œil. Il était… en vie.
Il observa les deux mamies. L’espace d’un instant, il crut avoir signé leur arrêt de mort.
Mais non. Au contraire… elles semblaient en pleine forme.
Mamie Lucette, trempée jusqu’aux os, secoua ses cheveux et déclara :
Mamie Jeanne, un filet de potion encore au coin des lèvres, s’étira comme une jeune fille et souffla :
Luc regarda la scène, médusé. Qu’avait-il provoqué ? Avait-il découvert par inadvertance un élixir d’immortalité ? Une potion de jouvence ? Ou juste un remède à base de pure mauvaise foi ?
Les deux mamies échangèrent un regard… et hochèrent la tête.
Elles se serrèrent la main, concluant ce duel légendaire, chacune convaincue d’avoir prouvé l’efficacité de son élixir.
Luc, lui, n’en revenait toujours pas, le regard perdu dans le vide.
Il était vivant. Il avait survécu.
Jusqu’au prochain rhume… Et il voyait déjà les deux mamies réconciliées… mijoter un nouveau breuvage encore plus puissant.
Décidément, il n’était pas Lucky Luke. Certes, il s’en sortait toujours de justesse… mais il portait bien son nom : Luc la Poisse. Ou pour les anglophones, Unlucky Luc. Le kid qui éternuait plus vite que son ombre !
Tout ça, à cause de ce fichu cliché qui a la vie dure… celui des remèdes de grand-mère. Y a pas à dire, ces clichés… quelle malédiction !