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Temps de lecture estimé : 11 mn
14/03/25
Résumé:  Un coup de fil de Pétra la sort d’une soirée morose.
Critères:  #drame #nonérotique #adultère #voisins jalousie
Auteur : Delectatio      Envoi mini-message
Martine Ledru

Martine Ledru sirotait tristement sa Suze, assise devant la télé. Lorsque le présentateur annonça le dernier tirage du loto, elle jeta négligemment un œil sur les bulletins qu’elle avait étalés sur la table. Mais, sans trop y croire, ce n’était pas pour elle, en tout cas pas son jour. Finalement, elle se resservit un autre apéro, par dépit.


Son mari devait travailler au moins jusqu’à 23 h et ne serait donc pas là avant minuit, il était à peine 19 h. Mais, avec sa patte folle et sans véhicule, elle ne pouvait pas aller bien loin. Déjà, descendre les deux étages par l’escalier était pour elle un calvaire. Elle était condamnée à rester seule dans ce logement sordide, à se morfondre comme une imbécile.


Ce fumier ! Elle avait encore retrouvé ses culottes empoissées de sperme dans le bac à linge. S’était-il branlé ? Plus vraisemblablement, il avait dû revoir sa pouffiasse ! Quel salaud ! Il ne la touchait plus, il préférait courir la gueuse. Une Viet’ en plus, cette catin n’était même pas française, elle lui avait complètement retourné la tête. Maintenant, ce pourri rêvait de s’installer avec elle aux Antilles.


Elle essaya de se rappeler le bon vieux temps, quand ils avaient leur petit commerce, lui comme gestionnaire, elle comme simple serveuse. C’est ainsi qu’ils s’étaient rencontrés, il lui pinçait fréquemment les fesses dans l’arrière-boutique.

À l’époque, elle était bien chaude et beaucoup plus alerte qu’aujourd’hui. Elle l’avait séduit, presque envoûté, et ils s’étaient mariés. En ce temps-là, il n’était pas rare qu’il la trousse sur le comptoir, le soir à la fermeture.

Son Jules était jaloux comme une teigne et ne supportait pas qu’elle flirte avec les clients. Combien de fois l’avait-il prise dans le magasin en guise de représailles, les stores à peine fermés ?


Mais, cette époque était bel et bien révolue, ils avaient fait faillite, il avait fallu trouver du travail ailleurs, lui dans un restaurant et elle qui faisait les ménages à droite, à gauche. Elle avait pris de l’âge et des bourrelets, et le désir de son homme s’était émoussé. Elle avait beau l’attendre parfois en nuisette transparente le soir, il la regardait à peine. Et, si elle se maquillait, il la trouvait carrément grotesque.


Assurément, avec ses varices et sa poitrine tombante, elle ne tenait plus la route face à la petite asiatique.

Elle était souvent désespérée. À 57 ans, elle n’était plus très fraîche. Qui plus est, son état physique se dégradait, elle ne pouvait même plus travailler, un arrêt maladie sans cesse renouvelé depuis de nombreux mois. Il aurait fallu l’opérer, mais sans garantie de résultat, car ses vertèbres étaient foutues. Il n’y aurait plus de belles années, plus de moments de bonheur, juste de la souffrance et une longue attente parsemée d’une inévitable solitude.


Son portable se mit à sonner, elle décrocha maladroitement avec ses doigts boudinés. Comme souvent à cette heure-là, c’était Pétra. La bourgeoise excentrique la crédita d’un « Comment vas-tu, ma belle ? » purement formel.

Cette minaudeuse l’agaçait fortement avec ses chichis, les deux femmes n’étaient pas du même monde, seule l’infortune les avait rassemblées. Elles s’étaient croisées à la boulangerie d’en face. Comme elles avaient toutes les deux une grande gueule, inévitablement, elles avaient fait connaissance. Martine s’était retrouvée à boire un café dans un appartement cossu qui la mettait mal à l’aise et aiguisait sa jalousie. Orgueilleuse et prétentieuse, son éloquente amie d’origine espagnole n’en pouvait plus d’étaler ses richesses. Elle était évidemment issue d’une famille bien sous tous rapports. Son mari était un riche notable, un ronchon aigri qui habitait Trélissac. Quant à son amoureux transi, un petit coquin qu’elle avait rencontré sur Internet, il avait une bonne place dans une grande société et gagnait, lui aussi, bien sa vie.

De fait, elle menait une double existence, la moitié du temps près de Périgueux avec son légitime, le reste du temps ici avec son chéri. Elle devait ménager la chèvre et le chou, aussi bien avec l’un qu’avec l’autre, ça ne devait pas être évident, mais son art de l’esquive était vraiment au point. Elle avait des heures de vol et un grand savoir-faire pour duper les mâles.


L’ancienne serveuse imaginait l’air moqueur de la Périgourdine à l’autre bout du fil. C’était une fausse amie, elle avait toujours la désagréable impression d’être l’objet de ses sarcasmes ! L’Ibère devait être planquée dans un coin de la merveilleuse maison que lui avait offerte son « officiel » et Monsieur devait être dans les parages, puisqu’elle chuchotait au téléphone.


Martine l’entendait à peine, mais elle n’avait pas besoin de l’écouter pour savoir ce qu’elle voulait. Tout tournait toujours autour de « son » Matthieu, elle voulait savoir s’il était bien rentré chez lui. C’était toujours pareil, elle avait désormais en charge sa surveillance. Elle se leva difficilement, faillit renverser son apéro, poussa un juron puis s’en fut vers la fenêtre de la cuisine, pour jeter un coup d’œil vers le bâtiment d’en face :



Elle en était à combien de verres ? Elle ne savait plus trop. Mais, elle n’était pas claire et titubait à moitié.



« Va savoir ! », se dit l’handicapée en finissant son breuvage. « Toi, tu es bien à cinq cents bornes, avec ton nanti. Et, quoi que t’en dises, tu dois bien passer parfois à la casserole. Tu dois les écarter tes gros jambons d’Ibérique, sinon il ne te ferait pas profiter de tout ce luxe, ton prince… Alors, le petit Matthieu, pourquoi n’aurait-il pas droit, lui aussi, de courir la gueuse ? »



Martine ne trouva rien à répondre. La requête ne la surprit même pas. Ç’aurait été à un autre moment, mais, ce soir, elle se sentait réellement épuisée.

Elle souffla fort dans le combiné, simple réflexe de désespoir, afin de manifester sa désapprobation, et l’autre s’en prit plein les esgourdes.



L’alcoolique faillit la rembarrer : « Ça, ma vieille, tu l’as bien cherché, tu n’as qu’à être plus souvent là, tu pourrais le surveiller, ton bellâtre ». Mais, évidemment, elle s’abstint de tout commentaire.



Puisqu’elle la prenait par les sentiments, difficile de refuser ! Où trouvait-elle tout ce pognon ? Elle devait le faucher à son mari. Assurément, l’Hispanique n’avait peur de rien, elle commençait à bien la connaître ! Elle piquait même dans les magasins, comme ce jour où elle lui avait offert un flacon de parfum chez Séphora, mais sans passer par la case « paiement ».

Enfin, peu importe son origine, un peu de tune ne lui ferait pas de mal !


Elle s’habilla difficilement, enfila son lourd manteau, son bonnet et ses moufles. Il faisait très froid dehors, un vent glacial balayait les rues sans relâche. Puis, elle prit son courage à deux mains pour descendre marche après marche. Elle faillit lâcher sa béquille, se retint au dernier moment à la rambarde pour ne pas plonger. Bon an, mal an, elle se retrouva bientôt dans le vestibule. Elle évita de penser au retour qui serait, de toute façon, encore plus périlleux.


Depuis facilement cinq minutes, elle s’escrimait sur la sonnerie. Toujours personne. Était-il au moins là ? Était-il seul, ou même vivant ? L’interphone restait désespérément muet. Elle essaya de rappeler Pétra qui ne répondit bien sûr pas. Elle imagina cette prétentieuse en famille, bonne épouse, bien sous tous rapports, sagement assise devant la grande table de bois qui trônait au milieu de la salle à manger. Elle enragea, mais ne laissa aucun message vocal !


Elle allait rebrousser chemin quand le jeune homme ouvrit la porte et la héla. Lorsqu’elle se retourna, elle le reconnut à peine à travers cette tempête de neige fondue. Il portait juste un sweat et n’avait pas l’air affecté plus que ça par le blizzard.



À cet instant, Martine comprit que l’Espagnole commençait à courir sur le haricot de son bel amant. Comment s’en étonner, elle n’était là qu’une semaine sur deux, et encore ! Qui plus est, jalouse comme une teigne, une vraie harpie qui lui menait la vie dure !



Après tout, pourquoi pas, elle avait du temps devant elle avant le retour de son homme et cela lui ferait du bien de se reposer un peu, avant de repartir à l’ascension des escaliers.



Elle pénétra chez le jeune apollon et s’affala sans gêne sur le canapé qui trônait au milieu du grand salon. Elle était exténuée et la tête lui tournait.

Elle connaissait bien les lieux, elle était déjà venue plusieurs fois en présence de Pétra.



Il apporta aussi quelques gâteaux et des cacahouètes, qu’il déposa sur la table basse, avant de s’installer dans le fauteuil face à elle.



Elle le regarda, incrédule. Il avait l’air plus éméché qu’ensommeillé. Mais, franchement, c’était bien le cadet de ses soucis.

Elle était en train de se gaver d’arachides, en faisant le tour de la pièce avec un regard envieux. Salauds de bourges, le cul bordé de nouilles pour vivre ainsi dans l’opulence ! De beaux tableaux, des meubles raffinés, un décor somptueux, cela sentait le fric à plein nez.

En plus, cet enfoiré de Matthieu était vraiment un beau mec. Il avait beau ne pas être très viril, elle en aurait bien fait son quatre-heures. Quelle chance elle avait l’autre salope ! Pourtant, elle n’était plus ni très jeune, ni très fraîche. Alors, qu’avait-elle de plus, de la gouaille, une grande gueule, du sex-appeal et beaucoup d’aplomb ? Et, ses hommes, que ce soit son époux légal ou son queutard, elle savait tellement bien les embobiner. La grosse madrilène devait avoir quelques talents cachés !



Il la regarda interrogatif, se demandant s’il n’avait pas des problèmes d’audition.



La tournure que prenait la conversation semblait le mettre mal à l’aise, ce qui encouragea Martine à aller plus loin dans la provocation.



Sur ce, joignant le geste à la parole, elle écarta largement les jambes et remonta un peu sa jupe. Pas assez cependant pour qu’il puisse voir qu’elle ne portait pas de culotte, mais de façon suffisamment explicite pour que le message soit clair. Après tout, s’il voulait en bénéficier, elle n’avait vraiment rien contre.


N’importe quel homme normalement constitué aurait profité de la situation pour lui sauter dessus et lui faire sa petite affaire. Mais pas Matthieu ! La trouvait-elle si moche ou était-il pédé ? Libérée par les vapeurs d’alcool, elle tira un peu plus sur le tissu pour démasquer ses horribles cuissots, mais rien n’y fit. Il resta immobile, engoncé dans son fauteuil, insensible à ses charmes, plus ou moins dégoûté par son apparence et par son laisser-aller. Dire qu’avec sa Pétra qui le traitait comme une merde, il était aux ordres, comme un petit chien-chien !


Martine était écœurée. Elle termina son verre de pastis d’un trait pour oublier ses désillusions. Elle en aurait bien demandé un autre, mais craignit de subir une nouvelle rebuffade. Il était temps pour elle de s’en aller.

Elle était en train de se redresser péniblement lorsqu’elle entendit un bruit à l’étage juste au-dessus, comme un objet lourd qui tombe au sol. Elle se retourna vers Matthieu, le regard interrogateur. Manifestement, le godelureau était surpris et n’en menait pas large.



Il se fichait carrément de sa gueule, elle savait quand même faire la différence entre un craquement de charpente et ce qu’elle venait d’entendre.



Elle le vit carrément blêmir. Assaillie par la suspicion, elle remarqua alors un manteau de femme négligemment posé sur un pouf près de l’escalier, une tenue décontractée avec un col de fausse fourrure ; pour sûr qu’il n’était pas à Pétra, ce n’était pas son style de fringue. Et, un peu plus loin, deux flûtes à Champagne et une bouteille vide traînaient sur la paillasse de la cuisine.



Son hôte était en train de se liquéfier sur place. Heureuse de son petit effet, elle prit négligemment le chemin du retour, toute guillerette.

Mais, il la rejoignit prestement dans l’entrée et l’empêcha de sortir, la plaqua presque contre la persienne pour la molester :



Pas une seconde, elle ne le crut capable de l’étrangler ou de lui faire du mal. Elle dominait la situation, il ne pouvait que se soumettre.



Elle saisit alors la main du jeune homme et la porta contre son bas-ventre. Le geste ne méritait pas d’autre commentaire.



Il n’y avait rien d’autre à ajouter. Sur ce, elle repoussa l’homme avec gentillesse, ouvrit la porte avec grâce et s’en fut telle une ensorceleuse dans la nuit froide, dégrisée après cette bonne partie de pêche.

Elle venait de ferrer un gros poisson, mais elle n’était pas pressée de le remonter en surface, elle attendrait qu’il se fatigue, qu’il rue un peu dans les brancards et qu’il se mette à paniquer… Ce n’est qu’alors qu’il viendrait tranquillement se jeter dans ses bras, en implorant toute sa clémence.


Après tout, cela ne lui coûtait pas grand-chose de se taper une vieille rombière, c’était moins cher qu’une pute, il n’avait même pas à se déplacer, il avait tout sur place.

Quant à Pétra, cette grosse vantarde, elle pouvait bien s’asseoir dessus.