n° 22984 | Fiche technique | 11227 caractères | 11227 1893 Temps de lecture estimé : 8 mn |
25/03/25 |
Résumé: Faut pas se fier aux apparences | ||||
Critères: #nonérotique #fantastique | ||||
Auteur : Pitziputz Envoi mini-message |
Collection : Les clichés ont la vie dure |
Malida se préparait à ce jour depuis plus de vingt ans et elle avait la migraine. Elle vomissait jusqu’à ses organes, agenouillée au bord de la cuvette des WC du labo, et attendait le médecin miracle appelé par son assistante en urgence pour lui administrer n’importe quoi pourvu que ça passe. Elle avait mis toute son énergie, son temps et sa passion dans ce projet et s’était consumée dans cette attente, comme elle avait consumé son mariage et sa relation avec ses enfants et ses proches.
Son assistante s’accroupit à ses côtés : « Le Président est en ligne. Il veut des nouvelles de la progression. Vous voulez lui parler ? » Répondre par un hochement de tête lui provoqua un hoquet peu seyant et elle se remit à rendre de la bile en gémissant.
Depuis cinq ans, les équipes et les budgets avaient plus que doublé et tout était en principe prêt. Chacun était à son poste et, la veille encore, elle avait passé les mesures en revue en se demandant si l’organisation allait assurer tous les aspects de l’accueil de cet OVNI et de ses potentiels occupants.
Elle n’était alors qu’une jeune scientifique occupée à l’observation de la lune de la planète Triton lorsqu’elle avait cru voir un objet créer une ombre à une fréquence irrégulière.
Malida qui passait la plupart de son temps à vérifier le calibrage de télescopes plantés en hauteur à quelques milliers de kilomètres de son laboratoire s’ennuyait à dire vrai la plupart du temps à mourir. Dire qu’elle avait passé ces dizaines d’examens et de concours pour s’emmerder sur un tabouret roulant, huit heures par jour, n’était pas la moindre des ironies, car c’était évidemment toujours en fin de journée, quand elle pensait aller boire des verres et peut-être s’envoyer en l’air avec Piero, que ce fichu ordinateur indiquait une valeur inhabituelle, piétinant tous ses plans. En même temps, il fallait bien reconnaître que ces quelques minutes d’anomalies faisaient le sel de sa vie et ravivaient cette passion sélective qui l’avait conduite à contempler les étoiles.
Et ce jour-là, Malida avait été servie. Au début, elle s’était dit que c’était sans doute une météorite, comme il y en avait des dizaines ; alors, elle calcula. Ce n’était pas une météorite ! Elle songea que c’était sans doute l’ombre d’un vestige de satellite ; alors, elle calcula. Ce n’était pas ça non plus. Comme elle ne comprenait pas et n’osait pas vraiment y penser, elle fit ce qu’elle ne faisait jamais, frapper à la porte du bureau de Komen. Il l’écouta avec attention et la rembarra en lui demandant de refaire les calculs. Alors, elle recalcula avec toujours le même résultat et le même doute. Elle ne retourna pas voir Komen, car elle n’était pas maso, mais au bout de quelques heures, ce fut lui qui s’approcha de son poste de travail.
Komen les avait regardés. S’il était flemmard et généralement désabusé, il avait au fond de lui – comme elle d’ailleurs – cet espoir de la découverte qui allait le rendre célèbre ; et il regarda les calculs, calcula lui-même et recalcula. Il reposa les papiers et dévisagea la jeune scientifique.
Komen s’était gratté le bas du dos d’une main et la base du crâne de l’autre. Ce fut le début de leur aventure scientifique et sentimentale.
Au début, il avait fallu convaincre les big boss du labo, puis les big boss du département, puis les big boss de l’université, puis les big boss de la région, de l’état, des organismes interétatiques, bref…
Cinq ans plus tard, tout le monde se congratulait d’avoir été aussi efficace. Là-haut, dans le ciel, l’engin propulsé, l’EP, continuait son bonhomme de chemin comme si de rien n’était. Komen et Malida avaient pris du galon et monté une structure dont la seule mission était de scruter les progrès de cette capsule dont la taille avait finalement pu être arrêtée à plus ou moins 160 m de long et environ 70 m dans sa partie la plus large.
Une jeune Vrika occupait désormais le tabouret roulant de Malida, et s’efforçait de ne pas s’endormir sur ses calibrages en pensant à son cocktail et à Piero 2. 0.
Malida venait de mettre au monde son deuxième enfant et était encore en congé maternité lorsque la nouvelle tomba : L’EP se dirigeait droit sur eux. Qu’à cela ne tienne, elle acheta quelques biberons, assécha ses mamelons et repartit vers le labo, son bébé en bandoulière.
Après qu’elle eut entré les données, trajectoire, vitesse, masse estimée et marge d’erreur, la machine cracha une date à plus ou moins deux années.
Komen se gratta le bas du dos d’une main et la base du crâne de l’autre : « On ne va pas rester plantés comme ça pendant quatre ans. On doit être meilleurs ».
Et meilleurs ils furent, puisqu’ils avaient réussi au fil du temps à anticiper l’arrivée de ces « Extras », comme tout le monde les appelait dorénavant, à une date précise.
La zone d’impact fut elle aussi délimitée soigneusement. Manque de bol, elle se situait dans une aire à forte densité, hors de contrôle des autorités, sous gouvernement autonome de ce dictateur débile de Janam. Sa paranoïa était telle qu’il fut impossible d’aborder le sujet d’une collaboration internationale avec lui. Comme un enfant à qui on menaçait d’enlever un futur jouet, il affirma haut et fort que ses gens avaient toutes les compétences pour faire face à l’arrivée de ces invités d’un genre particulier, et qu’il tiendrait le reste de la communauté scientifique au courant. Un frisson avait parcouru l’échine de l’essentiel du monde dit libre, dont les journalistes rivalisaient de commentaires sur le confort des geôles de Janam et le caractère peu commode des tôliers, plaignant déjà les visiteurs que l’on imaginait, bardés de tuyaux archaïques et sanglés à des lits d’expérimentation, car tout le monde savait que, dans le royaume du fou, ni l’argent, ni le progrès ne circulaient plus depuis longtemps.
Partout, des manifestants scandaient des slogans sans queue ni tête, puisque personne ne savait ce que ce gros suppositoire contenait.
Et le monde libre dit : « pas de ça ! ». Tant qu’à examiner de possibles occupants de près, autant le faire chez nous. Alors, on fit la guerre, une guerre motivée par les droits élémentaires des citoyens de la dictature de Janam à vivre en démocratie, ce qui se révéla être un effet collatéral de l’éviction du despote par les armes, enfin pour celles et ceux qui étaient encore en vie, et permit en échange d’un soutien massif à la reconstruction du pays, de profiter de ces terres dévastées pour en faire une gigantesque base d’accueil avec salles de confinement en plusieurs étapes et laboratoires d’analyses hypersophistiqués.
Et il fallait qu’elle fût malade précisément aujourd’hui. Le médecin miracle arriva enfin et lui fit plusieurs injections, dont l’une, directement dans la tempe, était censée anesthésier les nerfs à l’origine de son mal de tête. Elle pouvait vivre avec un peu de nausées, pourvu que ses neurones ne la trahissent pas.
Enfin, les yeux rivés sur les écrans, le monde entier put suivre l’arrivée tout en douceur de ce grand vaisseau qui se posa dans un vacarme chuintant, la puissance de ses moteurs couchant les arbres au sol sur plusieurs centaines de mètres et plissant le bitume comme une vulgaire étoffe.
Puis, ce fut le silence.
De longues heures.
Les équipes d’accueil dans des combinaisons ignifuges, antibactériennes et autorespirantes finirent par s’approcher du vaisseau prudemment. La première garde était composée de militaires en apparence inoffensifs, mais armés jusqu’aux dents. La consigne : ne pas les effrayer.
Derrière eux marchaient les scientifiques, Malida en tête et derrière elle, en vrac, des politiciens et quelques journalistes triés sur le volet qui avaient pour mission de chroniquer les événements.
Ils n’étaient plus qu’à quelques dizaines de mètres lorsqu’un vaste sas s’ouvrit, livrant le passage à une dizaine d’Extra, vêtus de combinaisons ignifuges, antibactériennes et autorespirantes.
Dan, en quatrième ou cinquième ligne, commentait en direct pour la chaîne de télé NCN : « C’est étonnant, stupéfiant. À première vue, les Extra semblent être de la même taille et de la même corpulence que nous ».
Les scientifiques s’écartèrent alors pour livrer l’espace à des écrans géants qui diffusaient des images de vie quotidienne en guise de message de bienvenue.
Les Extra se regardèrent, puis livrèrent le passage à plusieurs autres congénères, tandis qu’une musique harmonique jaillissait de haut-parleurs, censée remercier pour l’accueil.
De part et d’autre, on se fit des courbettes et des gestes de la main apaisants et, finalement, tout ce petit monde fut emmené manu militari dans la première des salles de confinement. Fallait quand même pas déconner et on n’avait pas que ça à faire !
La première impression se confirma. Les Extra nous ressemblaient en tous points. Des hommes, des femmes, des jeunes et des plus vieux. Ils avaient des têtes proportionnées avec des yeux au milieu du visage et un nez, ce qui prouvait qu’ils respiraient, à part un petit qui reniflait comme s’il avait un rhume. Ils étaient tous différents.
Malida qui n’avait plus mal nulle part, ordonna les premiers tests.
Sanglés dans des capsules hermétiques, pilotées de l’extérieur par des machines, on leur prit du sang, rouge comme le nôtre, des cheveux, de la peau, on arracha une dent – ils en avaient beaucoup – et ils furent soumis à toutes sortes de tests et scanners.
L’une des arrivantes était même enceinte et les ultrasons révélèrent un fœtus en plein développement et bien vivant. Certains parlaient de l’extraire pour suivre son évolution dans une isolette, tandis que d’autres craignaient la perte de cette source de renseignements, dans l’ignorance de la durée de la gestation.
Les semaines passèrent.
Les Extra, avec lesquels aucune vraie communication n’avait encore pu être établie, montraient des signes de rébellion et il fallut les isoler les uns des autres, pour la sécurité du personnel.
Malida avait fini par repérer une femelle qui semblait être la leader du groupe et décida qu’il était temps de s’en rapprocher.
Assistée d’une machine de traduction instantanée, elle rencontra finalement la créature.
La femme hocha la tête incertaine. Elle approcha le traducteur de sa bouche.
Le logiciel méritait quelques ajustements.
L’Extra eut un sourire.
Malida soupira.