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Temps de lecture estimé : 20 mn
30/03/25
Résumé:  Le destin de deux hommes, d’une femme et de son fils…
Critères:  #nonérotique #historique #travail f h
Auteur : Jane Does      Envoi mini-message

Série : Vache enragée

Chapitre 01 / 02
Volontaire désigné d'office



La blonde qui vocifère depuis le début de la réunion, une femme dont le mari et un des deux fils sont sur le front, Hanna, repose son derrière sur son siège. Elle est la plus vindicative de toutes ces dames, qui, malgré l’absence de bras solides, font tourner leurs fermes. Et chez Hanna, il y a quarante vaches laitières. Comment faire face à tous les travaux qu’engendre un tel troupeau ? L’automne arrive à grands pas et derrière celui-là, l’hiver qui oblige à nourrir les bêtes à l’étable. Il en faut du foin pour passer les mauvaises saisons. Les greniers sont encore correctement remplis, mais ça risque fort de fondre comme neige au soleil sans homme pour la fenaison. Bon ! Hantz, le bourgmestre, a quatre-vingt-huit ans et il fait ce qu’il peut. Elle en est consciente.


C’est l’autre polichinelle qui commande le pays et l’armée à qui elles doivent toutes d’être dans une telle situation. Sans compter que parmi toutes celles qui assistent à ce débat, certaines pleurent déjà, qui un mari, qui un fils, tué au combat. Les gens de France ne se laissent pas tous envahir sans réagir, bon sang. Alors, des prisonniers qui ne baragouinent pas leur langue, si ce n’est pas la panacée, ce sera toujours mieux que rien. Enfin… dans un brouhaha confus, toutes les participantes à cette assemblée se dirigent vers la sortie. Résignée, Hanna, la blonde de quarante-trois ans, suit le mouvement. Le Bourgmestre la rattrape par le bras et la prend en aparté.



Hanna remonte la campagne de sa Forêt-Noire natale ! C’est une fille de la terre, une femme solide, une battante. Ça lui a fait du bien de gueuler un bon coup. Mais le boulot et les pis des Hinterwald, à la robe pie ou tachetée variant du fauve au rouge, n’attendent pas. Il a raison son beau-père. Bourgmestre par intérim, presque en remplacement de son rejeton qui se trouve en France. Merde ! Saloperie de guerre qui ne se préoccupe guère de la peine des gens. Peu importe le camp dans lequel ils sont. Le malheur ne regarde pas la couleur de l’uniforme. Et elle songe en rentrant sur ses terres que seul l’esprit du cinglé qui sème la mort demeure la cause de tout ce bourbier. Pas de temps à perdre à maugréer plus longtemps. Elle quitte sa belle robe pour un tablier plus adapté et rejoint son gamin qui est déjà à l’ouvrage. En passant dans son dos, une petite tape sur l’épaule du jeune et hop… elle entre dans la danse.



— xXx — 



La perception de vêtements, vieux uniformes gris où deux lettres blanches sont peintes dans le dos se fait en silence. Gaston récupère ses fringues et fait la moue. Les initiales KG s’affichent dans son dos et les gardes armés le poussent vers la meute de ceux qui viennent de le précéder. Il y a trois jours qu’il a été capturé, sans seulement avoir tiré un coup de feu. Les autres hommes qui sont ici sont dans la même situation… la ligne Maginot, tu parles d’une foutaise. L’armée ennemie est arrivée à revers, dans leur dos. Voilà… ils portent tous les lettres de l’infamie sur des uniformes qui n’en sont plus tout à fait. Lui, a trente-huit ans, n’a jamais demandé à se retrouver dans cette situation. Il est maître d’école et la mobilisation n’a épargné personne. Pour ce qu’elle a servi, finalement… une véritable débâcle.


Un à un, les gars rassemblés dans une enceinte close avec des fils de fer barbelés installés à la hâte par les vainqueurs sont tous reçus par un officier qui baragouine quelques mots de français. C’est à son tour d’être face à celui dont l’uniforme est impeccablement repassé. Une vraie gravure de mode, songe Gaston qui, debout, attend que le type parle.



Le boche lève la tête avec une sorte de rictus sur les lèvres. Sa voix sèche se radoucit et il invite le prisonnier à s’asseoir.



De la main, il semble désigner à Gaston les gars qui sont déjà passés devant lui et tous les autres qui attendent leur tour.



Drôle de volontariat ! songe Gaston. Mais bon, si ça peut lui éviter les baraquements, les poux ou les puces et surtout les gardes armés qui vont forcément être le quotidien de la plupart des gars qui sont là, pourquoi pas ! Reste tout de même le goût amer de se dire qu’il fait partie de ceux qui seront sans doute mal jugés, quand tout ceci sera fini. Tant pis ! Il file sans se hâter vers son destin. À la fin de la journée, ils sont quelques centaines à être parqués sous des toiles de tente, alors que leurs amis, copains ou collègues qui ont refusé la proposition de l’officier disparaissent à pied dans la nuit pour une destination mal définie. Assis dans un coin, Gaston voit son voisin, un grand type roux, fumer une cigarette. Leurs yeux se croisent et le gars, encore bien jeune, cherche un soutien visuel dans son regard.



Combien sont-ils dans ce train qui les emmène vers les frontières de l’Est ? Tous sont perdus dans leurs pensées et un long arrêt en gare de Strasbourg met des idées en tête aux voyageurs qui scrutent les environs. Sûrement sont-ils très nombreux à rêver de filer, mais les fusils et les chiens qui encadrent leur convoi sont d’une dissuasion totale. Personne ne joue la fille de l’air, même si tous y songent. Lorsque la locomotive s’essouffle et reprend de la vitesse, les yeux qui aux fenêtres suivent les paysages bien peu différents de ceux de la France, ces quinquets-là savent tous que la langue n’est plus le français de ce côté-ci. Cependant, Gaston fait partie du petit nombre qui comprend l’allemand pour l’avoir étudié lors de sa scolarité. Ce n’est pas le cas de la plupart de ceux qu’il nomme, mentalement, des déportés.


Au fil des étapes dans des gares aux noms imprononçables, les wagons se délestent de leur cargaison humaine. C’est à Fribourg qu’il se retrouve embarqué dans un camion militaire, et hasard de la vie, Benoit, lui aussi, est dans le même bahut. Ensemble donc, ils grimpent les pentes de cette Forêt-Noire encore ensoleillée et verte, puis, par groupe de deux, leurs compagnons de route les quittent pour finir le voyage vers des destinations dont ils ignorent tout. Ils ne sont plus que quatre lorsque le camion s’arrête au croisement de la route et d’un chemin de terre. Au loin, le toit de tuiles rouge d’une ferme, ceux des bâtiments annexes aussi, et le garde appelle avec son accent épouvantable : Benoit Manseaux et Gaston Lafarge.


C’est le terminus pour eux ? Sur le bas-côté, alors qu’ils viennent de sauter au sol, un vieux bonhomme et un jeune garçon sont là. Le garde fait signer au vieillard quelques papiers, le bon de leur livraison, sans doute, et le bruit du moteur s’éloigne. Le type qui est là les regarde avec une certaine crainte dans les prunelles. Le gosse lui interpelle l’ancien sans trop se douter que Gaston saisit ce qu’ils se racontent.



Le grand-père tape gentiment sur l’épaule de son petit-fils et s’adresse à Benoit et lui, en allemand évidemment.



Le gamin qui marche aux côtés de Benoit rajoute, avec ironie et une sorte de fierté…



Gaston ne réplique rien et, comme Benoit n’a rien entravé, lui aussi reste silencieux. La femme blonde qui, les mains sur les hanches, voit la petite troupe avancer vers la maison se garde bien de montrer quoi que ce soit. Benoit, lui, a l’air d’être subjugué par cette femme qui ne doit guère dépasser la quarantaine. Il pousse du bras son compagnon qui a aussi les prunelles fixées sur la maîtresse des lieux, et pour un peu le plus jeune des deux prisonniers claquerait sa langue dans sa bouche. Il se retient in extremis, pour rester poli. Mais il ne peut s’empêcher de lancer quelques mots à l’attention de Gaston !



Gaston tourne la tête vers lui, et dans son regard, il y a comme des reproches. Sans s’affoler et en chuchotant, il répond à son jeune camarade.




— xXx — 



Dans la cour Elias, Hantz et les deux gaillards qui sont attribués à cette ferme sont là. Ils avancent et elle, si elle se sent presque soulagée, reste sur la défensive. Ces deux hommes ne sont pas forcément là de leur propre volonté, et ils peuvent potentiellement représenter un danger. Elle les dévisage l’un après l’autre, soupesant le degré de dangerosité de l’un et l’autre. Le moins âgé des deux à des yeux de porc. Il la déshabille littéralement du regard, son compagnon semble lui faire des remontrances. D’emblée, elle sent bien que rien ne va être simple. La barrière de la langue est un frein à la communication. Elle avance vers la petite troupe.



Le garçon jette un regard furieux à ce grand-père qui le sermonne et il emmène les deux nouveaux vers les locaux annexes qui constituent une partie du corps de ferme…



À quoi bon répliquer de toute façon ? Ce coquelet n’a pas la maturité nécessaire pour entendre raison et puis se quereller avec lui ne serait pas une bonne chose. Le gamin montre les chambres plutôt sommaires aux deux prisonniers et file retrouver sa mère qui est près du lavoir. Un instant, Gaston suit de loin les formes de la femme et, comme Benoit est dans les parages, il se borne à lui dire simplement.



Marques difficiles à prendre pour les hommes qui sentent la méfiance de la maîtresse de maison et carrément la haine du fils de celle-ci. Le premier matin pourtant, Benoit dévoile ses capacités en prouvant qu’il est bien un enfant de la terre. C’est donc vers huit heures trente que les quatre travailleurs de la maisonnée se retrouvent autour de la table familiale. Ça sent bon le café et le beurre frais, tartiné sur des tranches d’une miche de pain, vraisemblablement fabriquée par Hanna. Un vrai régal pour les papilles. Elias reste muet, assis à la place du chef de famille absent, il ne cache pas sa hargne, mais ne hausse pas le ton devant sa mère. Hanna, quant à elle, arbore un tablier propre qui couvre ses formes, sans parvenir à les camoufler dans leur totalité. Elle s’affaire à ses fourneaux.



Un premier jour assez contrasté où toute l’animosité du fils de la maison semble s’abattre sur Gaston. C’est vrai que pour Benoit, c’est un peu différent puisqu’il demeure en retrait des événements, ne pigeant pas grand-chose à ce qui se dit. Le dîner du soir est plus calme, sans doute grâce à la fatigue des uns et des autres qui n’ont guère envie de s’user la salive en paroles inutiles. Dans leur chambre, les deux employés de dame Muller se racontent un peu ce qu’ils ont fait, chacun dans leur coin. Puis ils s’endorment, rêvant peut-être de leur région d’origine, loin des fracas de la guerre qui perdure chez eux. Un long moment, Gaston voit la lumière de la cuisine de Hanna et il imagine la blonde qui prépare sans doute les repas du lendemain.




À suivre…