n° 22990 | Fiche technique | 23185 caractères | 23185 4045 Temps de lecture estimé : 17 mn |
30/03/25 |
Présentation: Je travaille à ces chronique depuis environ dix ans: une petite idée de Micha ? On la griffonne et on verra. Voici ces cinq premières aventures. Ces "contes" sont racontés comme un aventurier les raconterait: dans le désordre le plus total. | ||||
Résumé: Durant l’âge hyborien, si Conan le Cimmérien vivait des aventures, il n’était pas le seul. Ces chroniques racontent, sans ordre chronologique, celles de Micha l’Aventurière. | ||||
Critères: #recueil #chronique #fantastique #merveilleux #fantasy fh conte | ||||
Auteur : Samir Erwan Envoi mini-message |
Collection : Rites, moeurs et aventures d'un monde lointain Numéro 01 |
I – Conte de taverne : Micha
(Raconté par Orvin, apprenti forgeron, les joues rouges et les reins en feu.)
Je l’ai vue arriver au petit matin, quand la brume s’accrochait encore aux pierres comme une vieille douleur. Elle est descendue de son cheval comme on descend d’un trône – avec grâce, puissance, et un petit bruit de cuir tendu qui m’a noué le ventre.
Micha.
Je savais qui elle était. Tout le monde savait. La fille du vieux Gorr, celle qui s’était tirée à seize ans avec une épée volée et une cicatrice neuve sur la hanche. On racontait qu’elle avait tué un roi à mains nues, qu’elle avait couché avec une sorcière pour gagner une bague qui rend fou, qu’elle avait traversé les ruines de Varnak sans cligner des yeux.
Et là, elle était devant ma forge. En sueur. Poussiéreuse. Vivante. Je crois que j’ai arrêté de respirer pendant dix secondes.
Ses cheveux noirs, tirés en une longue queue de cheval, claquaient dans son dos comme un fouet. Sa tunique de cuir ne cachait rien : ses seins hauts, fermes, tremblaient à chaque pas. Sa taille était celle d’une panthère, ses hanches… bordel, ses hanches, larges et solides, comme faites pour chevaucher ou pour accueillir.
Elle m’a regardé de ses yeux sombres, comme si elle lisait en moi tout ce que j’avais déjà imaginé d’elle. Et elle a dit :
Gamin. Mon entrejambe a réagi comme un forcené. Je n’ai pu que hocher la tête.
Elle est restée au village deux jours. Deux jours où je n’ai pas dormi. Je la forgeais cette putain d’épée comme si c’était une offrande à une déesse païenne. Je la trempais dans l’eau en pensant à sa peau moite. Je martelais le métal en imaginant son dos arqué. Je me brûlais les doigts, j’oubliais de manger. J’étais possédé.
Le deuxième soir, elle est venue à la forge. Elle sentait la sueur, le vin, le feu. Elle s’est assise sur un tabouret, les jambes écartées juste ce qu’il fallait pour me rendre fou, et elle a bu à ma cruche sans me demander la permission.
Et elle a commencé à parler. De la jungle noire de Kush, des pirates shemites, d’un prince cruel qu’elle avait séduit puis étranglé avec ses propres cheveux. À chaque mot, sa voix coulait comme du miel épicé. Son sourire tordait mon cœur. Et moi, je bandais, dur comme l’acier que je venais de forger pour elle. Je n’osais pas bouger. J’aurais voulu lui sauter dessus. J’aurais voulu fuir. J’étais prisonnier.
Et elle savait. Oh, elle savait.
À un moment, elle s’est levée, s’est approchée de moi. Je sentais la chaleur de son corps, le cuir tiède, le sel sur sa peau. Elle a passé un doigt sur ma joue noircie de suie :
Puis elle a attrapé l’épée, l’a testée. Un mouvement, deux. Gracieuse comme une panthère. Puissante.
Elle a souri, m’a lancé un clin d’œil :
Et elle est partie. Comme elle était venue. Je suis resté là, raide, les doigts tremblants, le cœur battant comme un tambour de guerre. Elle ne m’a pas pris. Mais elle m’a brûlé. Et j’ai aimé ça. La nuit, je rêve à elle, et je collectionne toutes les histoires que j’entends sur Micha.
*
II – Le Prêtre à Trois Langues
(Raconté par ceux qui l’ont entendue rire en s’éloignant du Temple de Jébal-Ur)
On raconte qu’un jour, dans les terres rouges et fiévreuses de Jébal-Ur, Micha pénétra dans un temple où la foi se chantait en gémissements et où les dieux avaient des goûts de débauchés. Elle portait la poussière du désert sur la peau, les cheveux noirs attachés en une longue queue de cheval battant ses reins à chaque pas, et le regard de celle qui avait déjà trop vécu pour croire aux avertissements.
Elle avait faim. Pas de gloire, ni même de sang : juste faim. La vraie, celle qui tord les entrailles et fait trembler les doigts. Le genre de faim qui fait vendre son épée au plus offrant… ou s’en servir pour prendre ce qu’on veut.
Ce jour-là, elle choisit le prêtre.
Il était gros, parfumé à l’ambre, avec des mains pleines de bagues et des yeux qui s’attardaient longtemps là où ils ne devraient pas. Il avait trois langues, disaient les rumeurs : une pour bénir, une pour mentir, et une… pour flatter les recoins les plus intimes du corps et de l’âme.
Il promit un trésor. De l’or, caché dans les entrailles du temple, gardé par un secret que seule une femme « agile, souple et… dévêtue » pourrait atteindre.
Micha sourit. Elle savait reconnaître un porc déguisé en saint. Elle entrouvrit son corsage juste assez pour qu’il arrête de parler. Et cette nuit-là, pendant qu’il s’endormait en rêvant déjà de la récompense, elle descendit seule dans les catacombes.
Les fresques sur les murs suintaient le péché ancien. Les dalles collaient sous ses bottes. Et l’air sentait la résine, la sueur et le foutre des siècles passés. Mais elle ne ralentit pas. Le mystère, elle le flairait comme un chien de chasse. Et ce mystère-là grognait dans l’ombre.
C’était une créature énorme, rouge, suintante, aux yeux comme des charbons vifs et à la langue qui battait l’air en sifflant un nom – son nom.
Un démon. Et un amateur, apparemment.
Il lui proposa un marché : une heure de plaisir contre le passage libre. Micha pencha la tête. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Puis elle s’approcha, dénoua sa ceinture, et dit calmement :
Ce qui suivit tient autant du combat que de l’étreinte. Il la saisit d’un bras large comme un tronc d’arbre, la plaqua contre une colonne sculptée de visages en extase. Sa peau était brûlante, son haleine sentait le soufre et la sève d’arbres anciens, mais Micha ne recula pas. Elle lui mordit la lèvre, le griffa jusqu’au sang noir, et écarta les jambes avec une provocation presque religieuse.
Le démon grogna, surpris. Elle rit.
Il la souleva comme une proie, l’écrasa contre lui avec une brutalité qui aurait brisé une femme ordinaire. Mais Micha était faite de chair et de feu, et elle répondit à chaque coup de reins avec un râle de plaisir et une claque en retour. Ils se frottèrent, se tordirent, s’avalèrent dans un ballet de rage et de désir, tandis que les chaînes suspendues aux plafonds tintaient comme des carillons de temple maudit.
Elle prit le dessus – littéralement – en enroulant ses cuisses autour de sa taille et en tirant sa tête entre ses deux seins. Elle le domina, le chevaucha, l’épuisa. Les fresques autour d’eux semblèrent s’animer, les corps sculptés ondulant dans la lumière rouge comme s’ils assistaient à un rituel oublié.
Le sol vibra sous leurs mouvements. Le feu jaillissait par à-coups des fissures dans la pierre. Une litanie de gémissements, de grognements, de rires rauques emplissait l’espace – ceux de Micha, ceux du démon, ceux peut-être des anciens dieux qui observaient.
Quand il rugit enfin, c’était un cri de bête blessée et comblée, un râle guttural de plaisir et de reddition. Elle, elle poussa un soupir satisfait, étira son dos cambré comme une chatte rassasiée, et descendit lentement de son « adversaire ».
Le démon tomba à genoux, épuisé, fondant en vapeur rougeoyante, son corps tremblant d’extase et de gratitude. Avant de disparaître, il se pencha, ses lèvres ardentes posées sur ses pieds couverts de poussière, les baisant avec une lenteur révérencieuse.
Micha, nue, haletante, les cuisses brillantes, ramassa sa cape et la jeta sur ses épaules. Elle ne répondit pas. Le plaisir, elle le prenait, pas besoin de le commenter.
Le trésor, elle le trouva là, scintillant, moite d’humidité sacrée : des bijoux antiques, des pièces gravées d’empires morts, et un sceptre sculpté à l’effigie d’un phallus triomphant – un hommage grotesque, et parfaitement à sa place dans ce temple.
Quand elle remonta, nue sous sa cape, la sueur perlant entre ses seins et ses cuisses encore humides de feu, le prêtre l’attendait. Il souriait, la bouche avide, les doigts déjà tendus vers sa hanche.
Elle le plaqua contre l’autel. Une main sur sa gorge, l’autre entre ses cuisses, pour le masturber. Il gémit. Elle aussi, un peu. Et pendant qu’il jouissait d’elle comme un imbécile, elle enfonça lentement sa dague sous sa côte gauche, jusqu’à la garde.
Depuis ce jour, certains prêtres d’Ashur refusent de bénir les femmes aux longs cheveux noirs et aux regards sans repentir. D’autres les recherchent. Mais tous se souviennent du nom de Micha. Et de son rire, qui s’éloigne toujours avant qu’on comprenne ce qu’on a perdu.
*
III – La Grotte et le Fer
(Raconté des années plus tard, à voix basse, par ceux qui savaient. Ou croyaient savoir.)
Elle n’avait pas encore vingt ans. Sa peau avait encore la douceur de la jeunesse, mais ses yeux, eux, portaient déjà la morsure du fer. Micha vivait encore au village, ce trou de poussière et de boue planté entre deux collines stériles. Elle s’y entraînait chaque jour contre les hommes, et les battait. Tous. Sans exception. Même les anciens, même les plus lourds, même ceux qui disaient : « C’est pas un jeu pour une fille ». Elle répondait avec sa lame, un sourire narquois aux lèvres, les hanches balançant comme une menace.
Ce matin-là, des bandits avaient tenté de taxer l’entrée du village. Quatre hommes, cuirasses de bric et de broc, les dents jaunes, les regards qui déshabillaient les filles. Ils n’avaient pas eu le temps de finir leur menace.
Micha avait dégainé. En trois gestes, ils étaient au sol. Deux morts. Deux amputés. Les chiens du village finirent le reste.
Elle nettoyait sa lame quand il arriva. Varek. Le fils du marchand de grain, riche, trop peigné, sûr de lui parce que personne ne l’avait jamais frappé là où ça compte. Il voulait faire d’elle sa femme. Elle, elle voulait vomir chaque fois qu’il lui souriait.
Elle le regarda sans répondre. Il s’approcha, un couteau dans la main. Il visa sa queue de cheval. Il voulait la lui couper. Mais la lame ne bougea pas d’un pouce.
Elle le frappa. Genou dans les couilles. Poing dans la gorge. Et quand il tomba à genoux, gémissant comme un porc égorgé, elle lui tira la tête en arrière, sa lame effleurant sa joue.
Puis elle le poussa dans la poussière. Il resta là. Il ne parla plus jamais d’elle.
Mais Micha, elle, avait autre chose en tête. La grotte.
Dans la colline noire. On racontait qu’un ogre y vivait. Un monstre, haut comme deux hommes, peau grise et crue, des yeux jaunes pleins de nuit. Il dévorait les chèvres, parfois les voyageurs. Les enfants du village en parlaient comme d’un cauchemar. Micha, elle, en rêvait.
Ce n’était pas de la peur. C’était autre chose. Une fièvre dans le ventre, un frisson dans la gorge. Un désir brut, inavoué, d’affronter quelque chose de vrai.
Elle y alla. Seule. Son épée au dos, sa tunique serrée sur ses cuisses, les cheveux tirés haut. Guerrière en devenir. La grotte puait la cendre et la bête. Elle y entra sans hésiter. Sa main serrait le manche de son épée, ses cuisses brûlaient d’une tension nouvelle.
Il était là. L’ogre. Nu. Massif. Son torse était un mur de muscles et de cicatrices. Son sexe pendait entre ses jambes, obscène et puissant. Il la regarda. Elle n’eut pas le temps de parler.
Un coup. Un seul. Elle vit les étoiles. Puis plus rien.
Elle se réveilla attachée, nue, les bras liés au-dessus de la tête, les chevilles fixées dans des anneaux de pierre. Sa peau collait de sueur. Le sang battait dans ses tempes. Et entre ses jambes, quelque chose d’étrange : une chaleur, une tension, un vertige. L’ogre était là. Il la fixait. Muet. Il la frappa. Un revers, brutal, qui fit couler un filet de sang à sa lèvre.
Elle gémit. Pas de douleur. De plaisir. Un éclat de rire lui échappa :
L’ogre gronda. Un bruit profond, animal. Mais ses yeux avaient changé. Il la regardait comme on regarde un égal. Un défi. Il s’approcha. L’effleura. D’un doigt d’abord. Une joue. Un sein. Un entrejambe. Elle écarta les jambes. Elle souriait.
Il la détacha. Elle sauta sur lui.
Ce qui suivit fut un orage. Ils s’empoignèrent comme des bêtes, se mordirent, se frottèrent, se prirent. Micha chevauchait, hurlait, griffait. L’ogre rugissait. Ils se baisèrent comme on se bat – avec fureur, avec vérité.
Et au matin, elle dormait contre son torse. Une main posée sur sa peau rugueuse, un sourire aux lèvres.
Elle était née ce jour-là. Pas d’un homme. D’un monstre. Et elle ne l’avait pas vaincu. Elle l’avait libéré.
*
IV – Les Crocs du Dieu Vert
(Raconté par un marin shemite qui jure l’avoir vue sortir nue de la jungle, couverte de sang et de bijoux, un lézard géant à ses pieds.)
La jungle ne parle pas. Elle murmure. Elle halète. Elle suinte. Et Micha marchait en son cœur.
Son corps ruisselait de sueur, sa peau nue sous sa cape de toile fine, collée contre ses hanches et sa poitrine comme un linceul de désir. Elle marchait pieds nus, l’épée courte à la main, la queue de cheval trempée battant sa nuque, et le regard fixe, tendu, comme un félin traquant quelque chose qu’elle n’avait pas encore décidé d’épargner ou de dévorer.
Elle était seule. Mais Micha ne se sentait jamais seule. Elle était trop pleine d’elle-même pour ça.
Elle avait quitté la route il y avait cinq jours, à la recherche d’un temple englouti dont lui avait parlé un vieux marchand rongé par la fièvre et les regrets. Un temple dédié à Varak-Nur, le Dieu Vert, une entité oubliée, mi-plante, mi-bête, vénérée par les tribus les plus anciennes. Un dieu qui, disait-on, prenait ce qu’il voulait : femmes, guerriers, âmes.
Il y avait là-bas, paraissait-il, un collier d’émeraudes grosses comme des œufs de serpent. De quoi acheter un palais. Ou un royaume.
Mais Micha ne voulait pas acheter. Elle voulait conquérir.
La nuit tombait comme une chape de suie. Dans la moiteur suffocante, les cris des singes se mêlaient à ceux des fauves. Micha s’arrêta au bord d’un bassin noir, y plongea ses bras, but l’eau amère. Une vipère glissa près de son pied. Elle ne bougea pas.
Puis elle sentit la présence. Pas un bruit. Pas un souffle. Juste… quelque chose. Une pression contre sa peau. Une caresse de l’intérieur. Elle se redressa. Lentement. Sortit sa lame. Il était là.
Pas un homme. Pas tout à fait un monstre non plus. Une créature faite de lianes nouées, de chair brune et d’écorce vivante. Deux yeux d’ambre brûlaient dans son crâne couvert de mousse. Il était immense, beau d’une beauté étrangère, sauvage. Nu. Son sexe, semi-humain, mi-organique, battait doucement entre ses cuisses, comme une fleur carnivore en sommeil. Il ne parla pas. Il n’avait pas besoin.
Micha leva son épée. Mais elle ne frappa pas.
Elle le fixait, le souffle court, ses reins déjà chauffés d’un feu qu’elle ne contrôlait pas. La jungle tout autour semblait suspendue, les feuilles arrêtées en plein frisson, les insectes muets. Elle fit un pas. Un autre. Il s’approcha. Elle leva la lame entre eux, la pointa vers sa gorge.
Il inclina la tête. Elle rit, courte, sèche, et baissa la lame.
Il la saisit comme une branche qu’on plie. Elle n’était plus une fille. Elle n’était plus une guerrière. Elle était chair, désir, défi. Il la plaqua contre un tronc énorme, la couvrit de son corps lourd, humide, palpitant de sève. Ses membres sentaient la terre et la vie ancienne.
Il la pénétra d’un coup brutal. Elle hurla. Pas de douleur. Mais de surprise. De ravissement.
Son sexe était vaste, texturé, vivant, comme si la forêt elle-même l’envahissait. Elle le sentait pousser, ramper en elle, la remplir au-delà de toute limite. Il la baisait avec la lenteur d’un orage, avec la régularité d’un tambour de guerre. Chaque coup la cognait contre l’écorce, ses seins frottés, griffés, léchés par des langues de feuilles étranges. Elle le griffa, le mordit, cria son nom sans le connaître.
La jungle vibrait avec eux. Des fleurs s’ouvraient, des racines tressautaient. Des lianes se mêlaient à ses jambes, caressaient ses flancs. Elle perdit tout repère. Ne restait que le feu entre ses cuisses, la bête contre elle, et sa propre voix criant son plaisir.
Elle jouit plusieurs fois. Fort. Viscéralement. Comme on survit.
Quand elle s’éveilla, au matin, la jungle était silencieuse. Elle était nue, allongée dans une clairière où la lumière filtrait comme à travers une cathédrale de feuilles. Le Dieu Vert avait disparu.
Mais à son cou pendait le collier d’émeraudes. Et autour d’elle, aucun prédateur n’osait s’approcher.
Elle se leva, ramassa son épée, et repartit. Sans un mot. Sans se retourner.
Depuis, la jungle se tait quand Micha y marche. Elle y a laissé quelque chose. Ou pris quelque chose que même les dieux n’ont pas osé réclamer.
*
V – Celui des bois
(Raconté un soir de pluie, alors que Micha fixait le feu sans boire ni sourire.)
Elle avait quatorze ans. Peut-être quinze. L’âge où les jambes s’allongent trop vite, où les hanches s’élargissent sans prévenir, et où le regard change, devient plus fixe, plus affamé. Micha n’avait ni sœur ni mère depuis longtemps. Elle avait grandi entre les sabots, la sueur, et le silence. Et les bois, surtout.
Les bois, elle les connaissait mieux que le village. Elle y passait des heures, des journées entières parfois. Pieds nus. La peau rayée de branches basses. À chasser les oiseaux à la fronde, à cueillir des baies qu’elle reconnaissait sans les nommer. C’est dans une clairière qu’elle le trouva.
Un homme. Étendu dans les fougères. Mal rasé, la peau mate, les cheveux collés de sueur. Son torse nu était couvert de plaies mal refermées, sa jambe saignait sous une bande de cuir sale. Il avait une épée à portée de main. Et une cicatrice ancienne sur la tempe.
Elle resta là, debout, le cœur battant. Il ouvrit les yeux. Pas un mot. Pas un cri. Juste deux regards qui se croisent, lents. L’un surpris. L’autre curieux.
Elle revint le lendemain, avec un quignon de pain sec, quelques baies, un peu d’eau dans une gourde. Il mangea, sans un mot. Elle resta assise, pas loin, ses genoux contre sa poitrine. Il avait des mains larges. De belles veines. Une voix rauque, quand enfin il parla.
Elle haussa les épaules. Et revint le jour suivant. Et encore.
Il s’appelait Kael. Un déserteur, c’est tout ce qu’elle sut. Il ne parlait pas de guerre ni de sang. Seulement de pluie. Du bruit que ça faisait sur les toiles de tente. De la chaleur d’un feu dans la nuit. Il la regardait avec prudence, au début. Puis avec une tendresse qu’elle n’avait jamais connue.
Les jours passèrent. Elle revenait toujours lui apporter à manger. La forêt semblait les garder dans un secret humide, vibrant.
Et un soir, sans réfléchir, elle posa la main sur son torse. Il lui prit le poignet. Elle crut qu’il allait la repousser. Mais non. Il la regarda d’un air hésitant, presque fragile, comme s’il attendait un signe. Mais elle, elle avait déjà décidé. Elle se pencha en avant, sentit son souffle tiède, l’odeur de cuir, de sueur, de terre – et elle posa sa bouche sur la sienne. Il l’attira doucement.
Ce fut d’abord maladroit. Un peu trop humide. Un peu trop rapide. Ils s’arrêtèrent, rirent tout bas. Puis recommencèrent. Plus lentement. Plus vrai. Elle sentit sa langue, sa barbe rêche contre sa joue, ses mains encore incertaines sur ses hanches. Sa robe était légère, usée, ouverte juste assez pour laisser passer le vent. Il la défit avec précaution, sans la brusquer. Le tissu glissa le long de ses épaules, tomba doucement sur la mousse humide. Elle frissonna. Pas de froid. De vertige.
Ses seins se tendirent sous ses doigts rugueux, comme si son corps savait déjà quoi faire, avant elle. Elle le regarda, nue, offerte, respirant fort. Et il l’embrassa à nouveau, cette fois avec faim. Ses mains explorèrent, sans empressement, son ventre, ses hanches, l’intérieur de ses cuisses. Elle haletait.
Quand il ôta ses propres vêtements, elle le découvrit, entier. Son torse couturé, sa taille puissante, et ce sexe qu’elle n’avait encore jamais vu ainsi – dur, vivant, palpitant. Il la regarda, comme pour lui laisser le choix.
Elle écarta lentement les jambes. Le cœur battant. Les yeux ouverts, grands, brillants. Il s’allongea sur elle, entre ses cuisses. Il la pénétra lentement, centimètre par centimètre, la main posée dans la sienne. Elle étouffa un gémissement, ses ongles plantés dans son dos. Il était large, chaud, insistant. Elle crut un instant qu’elle allait se déchirer. Mais la douleur se fit plaisir. Profond. Sourd. Montant.
Elle bougea avec lui, ses hanches cherchant le rythme, son souffle s’accélérant à chaque va-et-vient. Il la caressait, la baisait, l’embrassait tout à la fois, comme s’il voulait la graver en lui. Elle gémit contre son cou, le mordit à l’épaule, les yeux mi-clos. Il accéléra.
Elle sentit le feu s’amasser entre ses reins, puis éclater dans tout son ventre. Elle jouit en silence, la bouche ouverte, la gorge vibrante. Son corps tout entier s’était tendu, puis relâché d’un coup, dans une vague chaude, terrifiante et délicieuse. Il la suivit. Enfoncé au plus profond d’elle, il jouit à son tour dans un râle étouffé, les bras tremblants, le souffle court. Elle le serra fort, de toutes ses forces.
Ils restèrent là, un moment. Nus. Enlacés. Le corps mouillé de sueur et de sève.
Elle avait mal. Juste un peu. Mais elle souriait. Elle venait de se perdre. Et de se trouver. Elle était à lui. Et il n’appartenait à personne.
Ils se retrouvèrent trois fois encore. En secret. Dans l’ombre. Dans la chaleur. Elle s’entraînait avec lui. À manier le couteau, à bloquer une attaque. Ils riaient. Ils s’aimaient. Comme seuls peuvent s’aimer ceux qui n’ont rien d’autre.
Mais un matin, alors qu’ils dormaient nus, enlacés, les bandits arrivèrent. Des hommes du coin. Deux, trois, quatre – elle ne sut jamais. Des chiens errants qui avaient flairé la fumée de leur feu. Ils entrèrent dans la clairière avec des ricanements. Des lames au poing. Kael se redressa. Elle aussi. Tous deux nus, la peau couverte de rosée. Ils se battirent sans réfléchir. Lui, avec rage. Elle, avec cette clarté froide qui ne l’avait jamais quittée.
Un coup. Deux. Le sang jaillit. Elle planta un couteau dans une gorge. Kael hurla. Il en tua un. Puis un autre. Mais il prit une lame dans le ventre. Une profonde. Micha vit rouge. Toujours nue, elle frappa. Encore. Encore. La dernière gorge s’ouvrit sous sa main.
Quand le silence revint, elle tomba à genoux. Il était là, sur le flanc. Le regard fixe. Le ventre ouvert. Elle le serra contre elle, le sang tiédissant sa cuisse. Elle le berça. Elle murmura des mots qu’elle ne comprenait pas. Elle pleura, le visage contre son torse.
Et il mourut. Sans bruit. Dans ses bras.
Elle l’enterra seule. Pas loin du ruisseau. Elle grava un mot sur une pierre. Rien de grand. Juste : KAEL. Puis elle remit sa robe. Elle prit son couteau. Et elle rentra au village. Différente.