n° 23028 | Fiche technique | 12808 caractères | 12808 2347 Temps de lecture estimé : 10 mn |
02/05/25 |
Résumé: Julien est toujours là pour dire une connerie quand il faut pas. Et qu’est-ce qu’il me sort, en posant sa main sur mon épaule et avec un putain de sourire aux lèvres ? | ||||
Critères: #initiatique fh collection | ||||
Auteur : Samir Erwan Envoi mini-message |
J’ai rien vu venir. Nathalie m’a regardé droit dans les yeux, posée, tranquille et m’a balancé ça entre deux gorgées de thé :
Vincent, son ex, celui qu’elle disait fini, mort, insignifiant. La salope. J’ai pas crié. J’ai pas pleuré. J’ai serré la mâchoire. J’ai fixé un point sur le mur. Pas de scène, pas de crise. Juste le vide. Quelle connasse ! J’ai pris mes clopes, mes clés, et j’suis parti. J’suis allé noyer cette merde dans l’alcool. J’suis pas rentré depuis.
Au bar, y avait Julien, mon pote, fidèle au comptoir, fidèle à ses vannes de merde. Il a pas attendu. Il m’a vu arriver, il a deviné. Il a versé deux verres, il m’a tendu le mien.
J’ai vidé le verre. J’en ai demandé un autre. Il a insisté. J’ai craché l’histoire. Les mots m’ont dégoûté pendant que je les disais. Julien est toujours là pour dire une connerie quand il faut pas. Et qu’est-ce qu’il me sort, en posant sa main sur mon épaule et avec un putain de sourire aux lèvres ?
J’ai tourné la tête lentement. Je l’ai regardé, j’allais le bouffer.
Il a voulu rigoler, un peu gêné, faire passer ça. Il m’a tapoté l’épaule. J’ai reculé.
Il a voulu m’offrir une autre bière. J’ai décliné. J’ai balancé un billet sur le comptoir, j’ai tourné les talons. Je sentais encore son regard dans mon dos, gêné, impuissant et con. Moi, fallait que je marche, fallait que je crève un peu. J’ai marché, sans but, sans plan. J’avais besoin de silence, ou de bruit. Mais surtout pas de mots et pas de phrases toutes faites de mes deux.
Et là, à deux rues du bar, je tombe sur Fanny. Elle sortait d’une librairie, un sachet à la main. Elle m’a vu, elle a souri. Fanny avec sa robe trop courte pour le mois d’avril et son sourire qui se souvient de toutes ces choses sales, ce qu’on a fait ensemble.
Elle m’a regardé longtemps, j’ai dû avoir l’air crevé.
J’ai hoché la tête. On a marché ensemble sans bavardage inutile. Au bar, on s’est posés. Elle a commandé du vin rouge. Moi j’suis resté à la bière. Elle m’a demandé ce qui n’allait pas. J’ai dit : « Nathalie. » Elle a fait une grimace. Elle s’en souvenait.
Fanny a pas posé plus de questions. Elle a bu. J’ai balancé l’histoire, vite fait. Elle m’a écouté, sans faire de commentaires de merde, elle. Elle a plutôt changé de sujet. Elle a parlé de ses envies, de son manque, du besoin de sentir quelqu’un, de s’oublier dans la peau de l’autre. Puis elle a dit :
J’ai souri. Elle a posé sa main sur ma cuisse. J’ai écarté les jambes. Elle l’a remontée doucement.
J’ai dit :
Elle s’est levée. Elle m’a regardé. J’ai suivi. Dans la rue, elle marchait vite. On n’a pas parlé. Arrivée chez elle, elle a claqué la porte. J’ai attrapé sa nuque, elle m’a sauté aux lèvres. Nos bouches s’écrasaient l’une contre l’autre. J’ai baissé sa culotte sans enlever sa jupe. Elle a ouvert ma braguette à deux mains. Elle m’a tiré à elle, collée, offerte. On est tombés contre le mur du couloir. J’ai glissé en elle sans attendre. Elle était déjà trempée. Elle a gémi sans retenue. Elle s’est accrochée à mes épaules, ses ongles plantés dans ma peau. Je l’ai prise debout, contre ce mur, fort. Elle en redemandait. On a fini dans le salon, à moitié nus, les vêtements autour de nous, inutiles. Elle est montée sur moi. Elle a chevauché comme si elle voulait m’écraser sous elle. Ses seins bondissaient, ses cuisses claquaient. J’agrippais sa taille, son cul. Elle gémissait, elle me disait de pas m’arrêter, de foutre tout ce qu’il me restait. Je l’ai retournée. J’ai tiré ses cheveux. Elle a crié de plaisir. J’suis allé au fond. Elle a hurlé mon nom. Quand j’ai joui, c’était violent, un relâchement total, un coup de tonnerre dans la tête. J’me suis effondré contre son dos, haletant et vidé.
On a fini par se traîner jusqu’au lit. Elle s’est blottie contre moi, le souffle court. J’ai dormi là par épuisement. Le matin, j’me suis réveillé tôt. Elle dormait encore, nue, belle, la peau rougie par notre nuit. J’ai enfilé mes fringues, pris une clope, laissé un mot, et j’suis parti dans la lumière blafarde, avec la gueule de bois et le cœur anesthésié.
L’air frais du dehors m’a réveillé. J’ai marché vers chez moi, le ventre vide. J’ai tourné au coin de la rue, j’suis passé devant la boulangerie. L’odeur du pain chaud m’a frappé.
Et là… Rokia. Rokia, la tempête. Une noire superbe, la peau chaude, les yeux-pièges, une voix qui vibre, qui s’infiltre sous la peau. Son corps est fait pour être regardé, suivi, possédé. Et ce cul… Un cul à lécher à genoux, un cul qu’on claque, qu’on saisit, qu’on suit des yeux dans la rue. Elle le sait, elle marche pour ça.
À l’époque, avec Rokia, je faisais pas l’amour. J’adorais la reine de Saba chaque nuit. Et je la reconnais tout de suite, devant la boulangerie, avec le même port de tête, la même manière de se tenir, fière et fatiguée à la fois. Elle a un sac à la main, des fleurs qui dépassent, un petit sourire aux lèvres quand elle me voit.
La même phrase, deux fois en deux jours.
On se regarde longtemps, y a pas de gêne, pas de violence, juste le poids des années, le souvenir dans ses yeux.
J’ai dit oui. On a marché sans parler. Ses pas à côté des miens, son parfum discret, familier. Chez elle, elle a mis de l’eau à chauffer. J’me suis assis. Le silence ravivait mes souvenirs, tout ce qu’on s’était dit avant, ici, les nuits passées, les matins lents. Elle, nue, la tête renversée, les jambes écartées, les bracelets aux poignets qui s’entrechoquaient pendant que je la prenais. Elle n’enlevait jamais rien. Ni les colliers. Ni les chaînes d’or autour de ses hanches. Ni les boucles d’oreilles qui claquaient contre sa peau. Je baisais une princesse. Elle voulait être prise fort. Elle me disait de ne pas la ménager. Et moi, je donnais tout. Une nuit, elle a joui en m’insultant. Et j’ai joui derrière, comme si elle m’avait libéré. Mais c’était pas que ça. On s’est aimés dans ce lit, là, derrière la porte. On s’est déchirés aussi. Des cris, des claques, une fois j’ai même explosé un verre contre le mur. Une autre, elle a balancé mon portable dans la cuvette des chiottes. Et toujours, après, le sexe animal et impulsif.
Elle a posé les tasses sur la table. Elle s’est assise en face.
J’ai haussé les épaules. J’ai parlé de Nathalie, rapidement juste ce qu’il faut pour planter le décor. Rokia n’a pas commenté. Elle a hoché la tête, doucement.
J’ai levé les yeux vers elle.
Elle a souri, le genre de sourire qui te serre le ventre. Elle a fini son café, s’est levée, a ramassé les tasses.
J’ai ri. Elle m’a emmené dans la salle de bain. J’me suis lavé pendant qu’elle fumait une clope sur le rebord de la fenêtre. Quand j’suis sorti de la douche, torse nu, les cheveux encore trempés, j’ai regardé autour de moi. L’appartement n’avait pas changé. On avait quand même passé du bon temps ensemble, ici. Le tapis rouge élimé sous la table basse. Le miroir fêlé dans le couloir. Les rideaux jaunes qu’elle avait cousus elle-même. J’ai passé la main sur le dossier du canapé, ai revu les traces de sperme que j’y avais laissé.
Rokia m’attendait dans les draps, nue. Rien n’avait changé. Elle était toujours là, dans ce décor. J’ai marché vers elle. Elle a écarté les jambes, lentement. Les bijoux autour de ses chevilles brillaient dans la lumière pâle. J’ai su que j’étais de retour, dans son lit, dans sa vie, dans mes souvenirs.
Je l’ai rejointe. J’ai glissé mes mains sur sa peau. Elle a soupiré. J’ai pris mon temps cette fois. J’ai exploré. J’me suis souvenu de sa respiration, de son goût, de la manière dont elle m’enlaçait avec les jambes. Elle guidait mes gestes sans parler. Elle ouvrait son corps, elle me laissait entrer. J’étais en elle, profondément, lentement. Elle a joui sans crier, le dos arqué, les ongles plantés dans mon dos. Et moi, j’ai tenu, encore, encore, jusqu’à l’épuisement, jusqu’à ce que tout sorte. On est restés là, collés, humides, épuisés. Elle m’a caressé les cheveux. J’ai fermé les yeux. J’me suis endormi.
Après Rokia, j’ai pas vraiment repris pied. Le lendemain, j’ai croisé Sarah. Une fille avec qui j’étais sorti pendant six mois. Une relation molle, tiède, mais son rire me faisait du bien à l’époque. Elle m’a reconnu, m’a souri, m’a dit :
J’ai répondu :
On a bu un verre. Elle portait un chemisier trop ouvert pour que ce soit un hasard. On a parlé vite de rien. Elle m’a emmené chez elle. On a baisé sur le tapis du salon. Elle voulait que je la prenne comme avant. Moi, j’me souvenais même plus comment c’était avant. Elle a dit mon nom en gémissant. J’ai répondu : « Rokia ». Elle a rien dit.
Le jour suivant, y a eu Clémence, une ancienne aventure, une fille nerveuse, fine, des ongles rouges toujours impeccables. Je l’ai retrouvée dans un resto, par hasard. Elle était avec des amis. Elle m’a fixé. À la fin du repas, elle m’a suivi dans les chiottes du resto. Elle a baissé sa culotte sans parler. Je l’ai prise là, debout, une main sur sa bouche pour qu’elle se taise. J’suis sorti avant elle. J’ai dormi à l’hôtel cette nuit-là, sans même me déshabiller.
Après, y a eu Camille. Ou peut-être Élise. Je confonds. Elles se ressemblaient. Une voix douce, des seins lourds, un appart trop grand pour elle seule. Elle m’a donné un verre de vin, s’est assise sur mes genoux. On a baisé sur le balcon, dans le froid. J’ai adoré ça. Elle m’a serré contre elle après, comme si j’étais encore important. J’ai dormi là. J’ai rêvé de Fanny.
Il y a eu aussi Lina, au corps sec, au regard dur. Elle m’a tiré par la ceinture dans un bar à vin.
On a ri. On a fini chez elle, sur la machine à laver en marche. J’me suis endormi dans le taxi qui m’a ramené à l’hôtel.
Y a eu Sonia, aussi, un dimanche. Elle m’a appelé par hasard ou peut-être pas. On a passé l’après-midi au lit. Trois fois. J’ai pas parlé. Elle m’a pas posé de questions. Elle savait ce que je cherchais.
Et puis y a eu… Je sais plus son prénom. Léa ? Julie ? Une fille du passé, croisée dans un parc, une robe verte, des yeux tristes. On a couché ensemble dans sa voiture. Il faisait chaud. J’ai su qu’on ne se reverrait jamais.
Et puis… J’ai fait le compte, assis sur un banc, les doigts tendus, comme on détache les pétales d’une marguerite. Un, deux, trois, quatre…
Fanny.
Rokia.
Sarah.
Clémence.
Camille ? Élise ?
Lina.
Sonia.
Léa ? Julie ?
Huit.
Et puis, naturellement…
Nathalie.
Elle devait bien faire partie des dix.
Je l’ai vue à la terrasse d’un café. Assise seule, les mains jointes autour d’une tasse. Elle m’a vu aussi. Elle n’a pas souri. Elle a juste levé les yeux, lentement, comme si elle savait que j’allais finir là. J’me suis approché. J’ai tiré une chaise. J’me suis assis. On n’a rien dit pendant une minute, peut-être plus. Puis elle a soufflé :
J’ai haussé les épaules. Elle a continué :
Elle a posé sa main sur la mienne. Elle tremblait un peu. J’ai pas parlé. Pas tout de suite. J’ai juste regardé son visage. J’ai pensé à Julien et à sa phrase de merde : « Une de perdue, dix de retrouvées… » Et ouais. Et celle perdue… c’est souvent une des dix.
On est montés chez elle. Elle a fermé la porte. On s’est regardés. Elle a enlevé son haut. Je l’ai baisée sans amour, mais sans haine non plus, juste parce qu’il le fallait, parce qu’on avait commencé quelque chose et qu’il fallait en finir. Je l’ai prise sur le lit, sur le ventre. Elle me demandait plus fort. Je l’ai écoutée. Ses ongles ont griffé les draps. Sa voix s’est brisée. Moi, j’ai tenu. Je voulais que ça dure : une dernière baise pour clôturer. J’suis venu en elle. Elle s’est retournée. Elle a voulu parler. J’ai mis mon doigt sur sa bouche.
J’me suis levé. J’ai remis mon jean. Elle est restée là, nue, les jambes encore ouvertes, les yeux flous. J’ai claqué la porte. Dans l’ascenseur, j’ai regardé mes mains. Dix doigts, neuf corps, une semaine. Et moi, là, j’ai soufflé dans le silence :
J’ai souri, car il me restait la dixième à trouver. Naturellement, dans ces expressions à la mords-moi-le-nœud… y a du vrai.