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Temps de lecture estimé : 6 mn
06/05/25
Présentation:  Les superstitions. À notre époque ! Non mais, quelles conneries. Pourtant, elles s’incrustent comme des cafards dans nos éviers. Comment ça c’est craignos chez moi ?
Résumé:  Fait chier ! Ce sera, exceptionnellement, léger maquillage et robe noire. La petite robe noire, un rien moulante, que toute femme peut s’offrir et qui s’adapte à toutes soirées.
Critères:  #délire #nonérotique humour
Auteur : Juliette G      Envoi mini-message
Superstition ridicule

Je déteste ça. J’ai pourtant accepté de remplacer mon amie au pied levé. Un dîner chez quelqu’un que je ne connais pas, accompagnée de personnes inconnues. Et pour couronner le tout, je me dois de me présenter sous mon meilleur jour. Je suis l’amie de celle qui ne pourra être présente. Et merde ! L’hôte de cette soirée n’est autre que son futur employeur.


Fait chier ! Ce sera, exceptionnellement, léger maquillage et robe noire. La petite robe noire, un rien moulante, que toute femme peut s’offrir et qui s’adapte à toutes soirées.



oooooooooo



Je suis sur place. Une voiture est venue me chercher. Non mais je vous assure ! J’ai l’impression d’être une figurante dans un film prônant les vertus d’un capitalisme débridé. Une longue et lourde voiture d’un noir d’encre dont je ne suis même pas capable de connaitre la marque. Un gâchis non ?


Pour accroitre ma mauvaise humeur, les agapes sont bourgeoises. Le cadre des festivités est un cliché à lui tout seul. La limousine traverse lentement un petit hectare de domaine, longe des écuries et s’arrête face à une bâtisse monstrueuse. Le sosie des anciennes plantations du Sud des États-Unis d’Amérique. Presque, je chercherais des yeux un champ de coton.


Le chauffeur du corbillard luxueux qui m’a menée en ces lieux, un homme tout aussi noir que son véhicule et d’une soixantaine d’années, m’offre gentiment sa main pour m’aider à quitter mon carrosse. Je suis Miss Daisy ! À ce rythme, peut-être même qu’un beau ténébreux va se jeter sur moi dans les escaliers et me rouler le patin du siècle.



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On m’a annoncée. Non mais vous vous rendez compte… Madame Juliette G, amie de madame Chloé J. Tout le monde s’en tamponne le coquillard et je le comprends aisément. Je ferais tout comme eux.


Je refuse le champagne, porté sur un immense plateau par un jeune pingouin aux manières de maître d’hôtel obséquieux. Un bar de bois rustique plus loin et je me retiens de m’y ruer.



Je suis presque soulagée de constater que ma vodka est infecte. Non, c’est faux. Elle n’a aucun goût, ce qui la rend parfaitement dégueulasse. Enfin quelque chose qui cloche. C’est revigorant.


Je tourne et vire sans but. Les conversations que je croise ne sont que des compilations. Les meilleurs moments des papoteries ineptes, qui ne servent qu’à meubler le silence. Les phrases sont ponctuées de rires, de « oh mon Dieu, oh oui, oh lala très chère, » et j’attends avec impatience le tout premier « prout-prout » de Marie Chantal.


Toujours est-il que personne ne m’a adressé la parole. Pas un mot, aucun sourire, pas le moindre signe de tête. Quand je me rends brusquement compte que personne ne m’a même regardée. Jusqu’ici je pensais que mon parfum avait peut-être viré, ou que je faisais godiche dans ma simple robe noire. C’est pire ! Enfin quoi, les gens se regardent dans une soirée non ? Pourquoi m’ignore-t-on ainsi ? Même s’il n’est pas spécialement amical, un regard sur moi suffirait. Non. Rien. Je suis simplement devenue transparente. Sans être un canon sur pieds, il arrive que des mâles me regardent. Que nenni. Je suis devenue moche et mal foutue. Pourtant, il y a du laideron dans l’assistance. Du sieur gras du bide, à la vieille peau peinturlurée.


Mais eux, on les regarde. Pas moi.



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Si ce type n’est pas croque-mort, il devrait se lancer dans la carrière. Il deviendrait la star du métier. Je suis grande, il me dépasse pourtant d’une tête. Il doit friser le double mètre. Il n’est pas mince non, il est squelettique. Visage à la mine sombre. Si sa mine est sombre, son teint, lui, est blafard. Les mots sont facétieux non ? Il a dû passer un temps comme larbin ou garde-chasse privé du sieur Frankenstein.



Franchement. Que lui répondre d’autre ? Ma mauvaise humeur s’est amplifiée et toute cette onctuosité me donne des haut-le-cœur. Autant jouer le jeu de la bourgeoise salope, hautaine et dédaigneuse. Je cadrerais avec tout ce fichu décorum. Naturelle, je suis plutôt sympathique mais du coup, je déparerais dans cette soirée merdique.



Non mais alors. Je suis vraiment de mauvais poil.



Que dire ? Que répondre à cet hurluberlu qui se tortille comme sous une crise de coliques néphrétiques ?



Mais le cœur n’y est pas et ma tentative d’humour est navrante. Quant à mon sens de l’humour, il me fait un bras d’honneur avant de se carapater vers d’autres horizons.




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J’ai fait de longues études. Pas assez cependant pour comprendre comment utiliser les ustensiles qui encombrent la table. De la vaisselle à tout va, argenterie étalée. Des plats en pagaille. Du cristal qui rutile, sous les immenses lustres garnis de fausses bougies. Un détail me turlupine. Carafes et verres sont emplis de vins. Je me suis servi moi-même. Un rouge tiède et fadasse, qui ne vaut certainement pas son prix. Mais pour la bouffe, ce n’est pas ripaille. Pas la moindre cacahuète esseulée. Je crève de faim et j’ai hâte de quitter la fête.


Si tout le monde m’ignore, je ne me gêne en rien pour observer les convives. Il est obèse, vieux et laid. Et il me fait face. Simple façon de parler, puisque près de trois mètres de chêne sombre et épais comme mon bras, nous sépare. C’est l’un de mes voisins de table. En quelque sorte. À ma gauche, à un mètre de mon fauteuil pour être précise, une femme rit très souvent. Une casserole qu’on récure au tampon métallique. Vous voyez ? Visage en lame de couteau, yeux saillants. Un nez long et maigre. La dame n’a pas posé un œil sur moi.


De l’autre côté c’est une autre femme qui s’est installée. La soixantaine, maquillée comme un carré d’as, bouche de tanche en rut et pommettes lissées à la talocheuse à béton. Les seins qui pointent sous le lin de sa robe moulante sont du pur plastique. Il doit même être encore chaud. Cruella tapote un couteau massif contre le fin cristal de son verre vide. C’est pour le moins agaçant.



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La voix est puissante. Certainement le maître de céans qui enfin, daigne nous faire l’honneur de sa présence.



La voix grave est proche de mon oreille. L’homme doit être penché juste au-dessus de moi. Je ne l’ai pas entendu arriver. Je ne vais pas me précipiter. Après tout, il a pris son temps pour se présenter le futur patron pété de tunes de Chloé.



Miss plastique ne se contente pas d’être ridicule. Elle est impolie. Reste calme Juliette !



Non mais quelle pétasse ! Je vais gentiment m’excuser, en faire des tonnes pour charmer ce monsieur, et présenter Chloé comme l’assistante idéale… et je vais me tirer d’ici. Je n’en peux plus.



Le silence est soudain pesant. La pétasse elle-même, a cessé de tambouriner sur le cristal. Un rapide tour de table.


Tout le monde a les yeux sur moi.


L’image d’un doux agneau qu’on égorge me traverse l’esprit.


C’est dû au silence certainement…