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n° 23061Fiche technique13380 caractères13380
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Temps de lecture estimé : 10 mn
15/05/25
Résumé:  Sans confession et sans concessions.
Critères:  #nonérotique
Auteur : Pitziputz      Envoi mini-message
Le banc des accusés

J’ai vidé mes poches.

Dans le bac en bois j’ai posé de la petite monnaie, un reçu du pressing, deux cartes de crédit et un vieux chewing-gum enroulé dans du kleenex.



Je haussai les épaules.



J’ai avancé. On m’a installé dans une sorte de bureau sans fenêtre et des néons au plafond. À la place de la table, y a un lit et c’est tout.

J’ai envie de me gratter. C’est ce pantalon. J’ai refusé les sous-vêtements des autres. Je me cache du regard de la caméra sous la couverture.



Mille ans plus tard.



J’ai chaud. Le plafond est composé de plaques carrées avec des rainures et des angles à 45 degrés. Sur chaque plaque, il y a des rangées de trous, dix dans un sens et dix dans l’autre. Combien y a de trous en tout, si on ne compte pas deux fois ceux qui sont dans les coins ?

Y a une grande tache jaunasse à cheval sur deux plaques. Me demande bien ce que c’est. Elle n’est pas régulière, ça gâche.

J’essaie de dormir, mais je gamberge. J’ai encore mal au ventre.


Mardi, mercredi, jeudi, dimanche, mercredi, samedi ou dimanche, mardi ou jeudi. Lundi ?


On me promène dans un parking à ciel ouvert et je fume.

La vraie solitude me manque.



Je soupire. Encore ?



Arrêtez de me torturer !



Retour en cellule. Visite de mon avocat. Il a l’air d’avoir 12 ans.



Vingt-sept jours que je suis dans cette cellule d’attente. Je n’ai pas lu une ligne à part mes procès-verbaux d’auditions.

Et puis, une lueur.



Le trajet dure deux heures. Je suis menotté dans un box, sur le côté et je ne vois pas la route. J’ai le mal d’auto. On doit s’arrêter deux fois pour que je vomisse. Le gardien s’impatiente : « Soit tu prends ce foutu cachet, soit tu te vomis dessus la prochaine fois. On arrête ce cirque ».

On passe les portes.

Je vois des barbelés, des miradors. J’entends des clés dans des serrures et un son grave à chaque ouverture électronique. On me tend à un autre gardien. J’essaie de lui sourire, mais il ne me regarde pas. Il prend livraison.

J’ai droit à une douche, ce sera mon quota de la semaine. On me refile d’autres vêtements. Je refuse toujours le slip. Je ne vais pas mettre mes parties là où d’autres ont mis les leurs.

J’ai un début de torticolis. Ce sont ces fichues menottes. Elles me tirent les trapèzes vers le bas.

Les escaliers sont une épreuve avec les bracelets autour des chevilles. On me dit que c’est le règlement.

Hauteville est un panoptique. C’est ovale, avec des galeries sur plusieurs étages et des cellules alignées. Au centre, à chaque niveau, ils ont installé des filets de cascadeurs, comme au cirque.

Un gars beugle depuis le couloir du haut, un autre lui répond, trois cellules en dessous. C’est dans ce brouhaha que j’arrive enfin à la cellule B432. Quatre mètres carrés à tout casser. Deux lits superposés. Le gardien pointe le lit du haut et une petite armoire. C’est mon coin. Au fond de la cellule, il y a une toilette et un lavabo séparés du reste par un rideau trop court. Y a une fenêtre qui s’ouvre, même s’il y a des barreaux : « interdit de fumer en cellule ». Ce seront les seuls mots.

Je me couche. Je pleure. J’ai rien fait !


Mardi, mercredi, jeudi, dimanche, mercredi, samedi ou dimanche, mardi ou jeudi. Lundi ?


Axel, mon codétenu, prend toute la place. Il ne me calcule pas. Je préfère encore ça. Lui, il sort tous les jours et se fait des pizzas avec ce qu’il cantine. Il a un four à micro-ondes et une tablette. C’est chasse gardée. Je n’ose pas y toucher.



Moi, je crois que ce serait avouer et je n’y suis pour rien, alors je refuse.



Mon défenseur en culottes courtes me regarde dubitatif.



Alors j’écris.


Monsieur le Procureur,

Comme je crois en avoir le droit, je vous demande ma libération immédiatement. Je promets de me mettre à la disposition de la justice, de me présenter à toutes vos convocations et de déposer mes papiers où vous me direz de les déposer.



Risque de fuite, risque de réitération, risque de collusion. Niet !

Comme je suis innocent, je recommence, mais cette fois, j’ai pu consulter le code de procédure pénale. J’ajoute à ma demande des articles de lois.

Niet ! Encore NIET !


J’attends maintenant mon procès avec impatience, je leur expliquerai à tous ces mous du gland qu’ils n’ont rien, que leur dossier est vide et que ma mère, âgée de 82 ans, paix à son âme, a fait un saut périlleux sans que je ne sois là pour l’applaudir. Pourquoi diable est-ce si compliqué à comprendre ? Les accidents, ça arrive ! Les gens ne meurent pas tous parce qu’on les tue, enfin !



La tête faisait un angle étrange et sa jambe droite touchait son épaule gauche. J’avais cru entendre un gémissement, mais je ne trouvais pas indispensable d’entrer dans ce niveau de détail, puisqu’elle aurait été morte de toute façon.



Comme si j’avais eu la tête à penser à l’heure. Tiens, ma mère est éclaffée au bas de l’escalier, vite, quelle heure est-il…



Je réfléchis à cette histoire d’horaire. Tout le monde peut se tromper, c’est évident, et cette voisine a toujours été une vieille pie mal baisée. Ça fait plusieurs années qu’elle a des problèmes de mémoire, mais comme elle vivait seule…



Hahaaaa… Là je vais marquer un point.



Cette salope croyait me coincer.



Je suis fier de mon argument.

Mon avocat me regarde, bouche ouverte, comme une carpe hors de l’eau. Si je devais vraiment compter sur lui pour assurer ma défense, je serais condamné pour au moins 20 ans. Heureusement que j’assure.



Résultat : 20 ans !


Il n’en est pas question. Je vais faire appel et sans le mouflet. Je réintègre Hauteville, mais cette fois, je suis en exécution de peine, la vraie.

Axel est tout à coup sympa. Apparemment il n’aime que ceux qu’il considère comme de vrais criminels. J’ai même droit à une part de pizza et maintenant, je sais où il planque le hachoir. Faut pas qu’il me fasse chier.

Au bout d’un mois, je suis autorisé à faire une activité. Je trie les bouquins dans la bibliothèque. Y a plein d’ouvrages de droit.



Il me regarde d’un air entendu. Lui aussi dit à tout le monde qu’il n’a rien piqué au kiosque et que le gérant s’est gouré de personne. Normal, il devait être dans les vapes après les gnons qu’il s’était pris. Moi, Julio, je sais qu’il ment. C’est plutôt un bon type, mais je l’ai déjà vu se mettre en pétard et c’est pas joli, joli.


Les juges d’appel n’ont rien voulu savoir. C’était plié.


Avril, mai, juin, septembre, décembre, mars, décembre, mars ou avril, décembre ou janvier, décembre ?


On m’a changé de cellule. Un jeune gars a fait soudain irruption dans ma tranquillité. Il n’arrête pas de chialer. Il veut écrire à sa maman. Il a mal partout tout le temps, tremble et dégueule le contenu d’un silo à grains. Pas besoin de se demander pourquoi il est là.

Je me suis habitué aux odeurs et aux bruits derrière le rideau des toilettes, mais je ne peux toujours pas mettre le caleçon d’un autre.

Vendredi c’est le jour du courrier et je reçois une lettre qui n’est pas une facture.


Cher monsieur,

Mon nom est Martine. J’ai assisté à votre procès et j’ai entendu des accents de sincérité dans votre voix. Je ne sais pas si vous avez commis l’irréparable, mais je sais qu’avec la grâce de Dieu, tout est réparable. Je suis à votre disposition si vous souhaitez alléger votre cœur.



Au début je me suis dit que j’aurais préféré une pin-up à une grenouille de bénitier, mais nos échanges me font du bien.

Et puis, elle est venue me voir. Elle avait mis du rouge à lèvres.



Elle me prend la main et je pleure pour la première fois depuis longtemps.



Alors Martine s’est transformée en limier. Elle a dégotté une autre vieille du quartier qui jure que la voisine avait la maladie d’Alzheimer. Je reprends mes bouquins de droit. J’exige une révision.


La réponse : NIET ! Je fais recours : Toujours niet.


Décembre, mars, décembre, mars, décembre, mars, décembre, mars ou avril…


Julio est sorti depuis longtemps et Axel a eu une crise cardiaque. Je ne l’ai jamais revu. Je suis devenu responsable de la bibliothèque et je conseille les autres sur la manière de tourner un recours bien torché.



Réponse : NIET ! Je fais recours : toujours niet.


Mars, avril, septembre, octobre, novembre, décembre.

Janvier arrive. Je suis convoqué à nouveau. Je les connais mes loustics, il y a le psy, le criminologue, le directeur de la taule et cet abruti de juge des libertés.



Le psy enlève ses lunettes, le criminologue s’avance sur sa chaise tandis que le directeur de la prison se recule.

Je réfléchis. Ils me demandent d’avouer que j’ai buté ma mère pour me faire sortir ? Qu’à cela ne tienne.



Ça, c’était vrai.



Je m’apprêtais à leur dire que j’étais innocent et puis, allez savoir, je suis devenu plus mûr, j’ai quand même quinze ans de plus et Martine m’attend à la sortie.



Je baisse les yeux et regarde mes chaussures. Le juge porte des baskets noires, c’est franchement irrespectueux.



Le directeur a arrêté de faire tressauter son foutu genou. Ils ont un peu tiqué, mais les prisons sont pleines.

Résultat : Je suis dehors et vous, qu’est-ce que vous en pensez ?