n° 23069 | Fiche technique | 12800 caractères | 12800 2271 Temps de lecture estimé : 10 mn |
17/05/25 |
Présentation: Bluette qui monte et qui descend. | ||||
Résumé: Un homme, une femme, dans un vieil ascenseur volontairement en panne. | ||||
Critères: #érotisme #travail fh ascenseur | ||||
Auteur : plume Envoi mini-message |
L’ascenseur a fait tchonk et il s’est arrêté entre deux étages, le 2e et le 1er.
Facile, j’ai juste appuyé à la fois sur le stop et le bouton du sous-sol.
À mon entrée dans la boîte comme coursier, un ancien m’avait donné la combine pour tirer au flanc sans risque d’engueulade. Après le tchonk, on appuyait sur le bouton sonnerie et on attendait, tranquille relax, que le concierge, le seul agent habilité à le faire, vienne réarmer le disjoncteur à l’armoire électrique au 5e étage.
Si on se débrouillait bien, il était parti porter le courrier à la poste et on était tranquille une petite demi-heure. Fallait juste s’organiser, prévoir une lampe de poche et une revue de mots croisés si on était seul ou ne rien prévoir si on était, bien, accompagné…
J’ai appuyé sur le bouton sonnette. Elle résonne dans la cage.
Je commence à compter à voix basse, et à cent, j’entends la voix de Lucette, la fille, pardon la dame de l’accueil qui est montée au premier.
Dans sa voix, je sens une pointe d’ironie. Elle est assez ancienne dans la boîte et, quand elle était plus jeunette, plus d’un petit malin lui a fait le coup du tchonk. En pure perte d’ailleurs (enfin c’est ce qu’elle m’a raconté..)
C’est plus une pointe, c’est un paquet d’ironie. Elle est gentille Lucette, elle n’a pas demandé avec qui j’étais. Il n’y a pas de caméra dans la cabine et, si les autres caméras nous ont vus, je ne suis pas sûr qu’elle puisse revenir en arrière sur les écrans de son accueil.
Et de toute façon, c’est pas bien grave. Si elle rembobine (façon de parler, car ce ne doit pas être une bande magnétique) elle verra que ma partenaire de « galère » c’est Séverine, l’adjointe du service général, qui, en plus d’être une charmante brune, est une des cheffes..
Une Séverine qui n’est pas trop à l’aise. Elle devait pourtant s’y attendre, car cela fait quinze jours que je lui parle de se retrouver tous les deux bloqués dans l’ascenseur.
Elle rigolait : « pas chiche ». Mais là on y est, et, dans nos délires, c’était pas pour y faire des mots croisés. Elle se reprend :
Elle rigole. Mes propos la font marrer. Dans la catégorie dragueur, j’ai une grande marge de progression.
***
À l’origine de cette situation, un café pris à deux à la terrasse de la cafétéria du boulot. Démarrée sur la promotion de Machine à la compta, notre conversation avait dévié sur les histoires de couples (euh plutôt de cul) de la boîte.
Séverine était super pointue sur le sujet et semblait savoir tout ce qui tramait entre nos collègues.
Elle m’épatait, car elle n’avait que deux ans d’ancienneté et ne travaillait pas à l’accueil, endroit stratégique qui permettait de savoir qui arrivait avec qui le matin, qui partait avec qui le soir, et qui disparaissait avec qui l’après-midi.
Je lui avais demandé comment elle savait tout cela et elle m’avait répondu, en riant :
Je la soupçonnais, comme elle bossait au service général, d’avoir accès aux enregistrements vidéo de la surveillance, mais là aussi, pas de réponse, sinon un sourire de plus.
Donc, après m’avoir émoustillé avec ses récits d’amourettes non conformes à la charte de l’entreprise, la conversation avait dévié sur les meilleurs endroits pour charcuter ladite charte.
Sur ce sujet, par contre, elle séchait. Histoire de reprendre la main, je jouais aux devinettes :
Tiens tiens, mes doutes sur son accès à la vidéo-surveillance se confirmeraient donc.
Même avec ces propos borderline, elle réussissait à garder cette classe intersidérale qui plombait les collègues quand elle traversait la cafétéria avec son plateau-repas.
Elle énumérait quelques autres possibilités en rajoutant à chaque fois une raison disqualificatrice.
J’abrégeai sa réflexion :
Je voyais bien que j’avais réussi à l’intriguer.
Et en rougissant, j’avais rajouté :
Elle avait rigolé :
***
On n’avait pas eu trop l’occasion d’en rediscuter les jours suivants, mais à chaque fois que je la croisais dans les couloirs, j’avais droit à son sourire et son « pas chiche ».
Et ce jeudi midi, à la cafétéria, on s’était retrouvé, rares spécimens survivants de l’entreprise, premier jour travaillé de cette semaine de mai écourtée par un pont.
Qu’est-ce que je peux être nul quand je veux ! Je rajoutai :
***
Pour être honnête, ses cheveux, je les sens déjà. Mais je me vois mal lui dire, d’emblée : « pour te sentir, ta peau, tes lèvres et tout le tintouin ».
Elle ne me facilite pas les choses. J’avais cru reprendre la main avec mon tchonk magique, l’arrivée de Lucette, l’absence de Paulo, mais Séverine, il lui en faut plus pour l’épater.
Face à moi, son sourire est plus caustique que sensuel… Et elle en rajoute :
C’est, certes, prononcé tout bas, mais prononcé quand même.
Si j’ai fait toute ma carrière dans la même boîte, c’est pas par hasard : j’ai grimpé petit à petit les échelons, de simple coursier à chef de bureau, grâce à mes compétences professionnelles, et à quelques décennies de présence. Mais, je dois le reconnaître, je ne suis pas un aventurier. J’aurais osé bouger de société, mon parcours professionnel aurait été plus brillant et mon salaire meilleur. Mais j’ai toujours été un casanier et oser m’a toujours fait un peu peur.
Alors là, devant Séverine, je vois dérouler en quelques instants, non pas toute ma vie, mais tous les moments de cette foutue vie où je me suis pris des gamelles sentimentales. Et toutes ces casseroles, au cas présent, me gênent un peu pour oser oser.
Elle s’appuie sur la paroi et continue à murmurer :
Elle abuse. Elle doit croire m’avoir cerné : un vieux canasson qui, devant l’obstacle, perd ses moyens, tout dans la gueule, et rien ailleurs. Du haut de sa différence d’âge, elle se moque, gentiment, mais quand même, de moi.
Elle me trouve sûrement drôle avec toutes les anecdotes que je lui ai racontées sur la vie de l’entreprise, l’évolution des rapports hommes-femmes ces trente dernières années (en gros depuis qu’elle est née). Elle a, c’est évident, du plaisir à échanger avec moi, mais plus façon « rétrospective des 30 glorieuses » ou les belles histoires de l’oncle Paul (est-ce qu’elle le connaît d’ailleurs cet oncle Paul ?) qu’autre chose.
Je suis au pied du mur. Soit je ne fais rien et il faudra que je me trouve une autre interlocutrice pour mon café du midi, soit je fais quelque chose (et si je foire, je devrais aussi chercher ailleurs).
A priori les probabilités sont pour l’action. Comme à défaut d’être téméraire, je suis pragmatique et après cette « mur » réflexion qui a duré le temps de deux « pas chiche » j’avance d’un pas, mets mes mains sur son visage et mes lèvres sur les siennes.
Ce qui fait d’une pierre deux coups : 1) c’est quand même super agréable. 2) elle ne peut plus parler, donc dire « pas chiche » …
Elle se laisse faire, un peu surprise de cet élan soudain. Mon baiser a été chaste et mes lèvres, comme mes mains, s’écartent déjà.
L’atmosphère dans cette cabine a changé. La température n’a pas bougé, mais on est tous les deux un peu rouges. Ou plutôt entre le rouge et le verdâtre, car il n’y a plus que la veilleuse de secours qui nous éclaire petitement.
Je ne connais pas l’autonomie de cette veilleuse, mais va falloir se presser un peu si on veut se donner une marge de sécurité pour, éventuellement, se rajuster après des ébats, tout aussi éventuellement, torrides…
Je recule d’un pas. Ce n’est pas une retraite, c’est juste stratégique : je la regarde, encore, mais différemment. J’évalue le chantier, le champ de bataille, les objectifs, les possibilités, les risques. Bref, j’hésite.
Elle est devant moi, toujours appuyée à la paroi, les bras ballants, les yeux qui brillent, la respiration rapide. Tout en elle est désirable : ses cheveux, son visage, son nez, sa bouche, ses sourcils, son cou, sa taille qu’emprisonne une jupe raisonnablement courte, et le reste qu’enserre un chemisier tout aussi raisonnablement boutonné.
Je suis tétanisé. Mon pas avant, mon chaste baiser, mon recul stratégique, pouf ! J’ai brûlé mes vaisseaux, je n’ai plus de réserve et je ne sais plus ce que je dois faire…
Elle ferme les yeux.
Je suis abasourdi : je n’aurais jamais pensé à une solution aussi simple. En se fermant, ses yeux m’ont parlé : oublie, ton âge, le mien, les causes, les conséquences, hier, demain. Tu es là, je suis là et le reste, on s’en fout.
Alors, je mets mes mains sur ses flancs. Je l’attire vers moi. Je l’embrasse pas du tout, vraiment pas du tout, comme la première fois. Un truc de fou, de quinze ans, de vingt ans, de première fois, de dernière fois, de pour toujours. Et je ferme, moi aussi, les yeux…
C’est un moment délicat du récit.
Soit j’opte pour une description sensuelle de ce qui se passe dans ce mètre carré qui, pour le moment, sent l’encaustique. Une description, à grand renfort de qualificatifs voluptueux, qui, avec un peu de chance, et moyennant un peu d’effort de visualisation, donnera, à défaut de grande joie, un petit plaisir passager au lecteur ou à la lectrice.
Soit je reste romantiquement allusif au risque de décevoir les lecteurs, et, encore plus hélas les lectrices, qui ont eu le courage d’arriver jusqu’ici, en se disant, c’est bien tout ce tralala, mais faudrait quand même que l’auteur passe la seconde.
Ou alors je botte en touche :
On entend le bougonnement du concierge qui, revenu du courrier, nous annonce que notre libération est proche, le temps pour lui de monter au 5e réarmer l’ascenseur. Trop rapide, le bougre..
Le délai n’est plus suffisant pour tenter d’amener le plaisir de Séverine plus haut que le disjoncteur, alors mes mains se font moins aventureuses et se chargent de tendresse.
Ses yeux se sont rouverts. Ils plongent dans les miens.
L’ascenseur s’ébroue. Le temps reprend.
Elle se rajuste sans un mot.
Rez-de-chaussée.
Elle sort de l’ascenseur.
Derrière l’accueil, Lucette, sympa, fait semblant d’arroser ses plantes pour ne pas croiser nos regards.
Séverine se tourne vers moi.
Sur ses lèvres :