n° 23084 | Fiche technique | 23337 caractères | 23337 3970 Temps de lecture estimé : 16 mn |
23/05/25 |
Présentation: Ce texte est né d’un trouble – léger, persistant, créatif. Il a pour muse une autrice qui commente avec justesse et écrit avec feu. Ici, elle devient personnage. Si cette fiction vous touche… c’est parce qu’elle a été écrite à genoux. | ||||
Résumé: Elle écrivait des nouvelles… Lui y lisait ses propres failles. | ||||
Critères: #réflexion #philosophie #érotisme #initiatique #romantisme #personnages #occasion #domination #fétichisme #travail | ||||
Auteur : L'artiste (L’artiste) Envoi mini-message |
Ce texte est né d’un trouble – léger, persistant, créatif. Il a pour muse une autrice qui commente avec justesse et écrit avec feu. Ici, elle devient personnage.
Si cette fiction vous touche… c’est parce qu’elle a été écrite à genoux.
Il lisait ses nouvelles comme on fume une cigarette interdite. À la fenêtre. Tard. Torse nu. Une bière tiède abandonnée sur le rebord. L’écran de son ordi brillait dans le noir, découpant son visage dur à la lumière bleutée. L’histoire était courte, une douzaine de pages. Toujours.
Carla Moore.
Nom d’autrice. Ou de créature. Adrien la mythifiait et ne savait pas s’il voulait qu’elle existe. Parce que, dans ses textes, il y avait quelque chose de trop… précis. Elle n’écrivait pas du porno. Ce n’était même pas vraiment de l’érotisme. C’était… autre chose. Quelque chose de lent, de sensuel. Pas de sexe brut. Pas de fantasmes jetés au visage, mais une montée, une attente. Des gestes simples qui devenaient obsessionnels : une manche remontée, une mèche de cheveux replacée, un silence prolongé.
La nouvelle du jour s’appelait « Ce qu’elle ne disait pas. »
Il ne savait pas que c’était une invitation. Sans un mot, elle avait posé la main sur la nappe, paume ouverte. Il l’avait observée, puis avait baissé les yeux. C’était elle qui tenait les rênes, sans forcer, sans imposer… Naturellement.
Il relut la phrase trois fois. Il s’était toujours cru imperméable à ça.
Il avait eu des femmes. Pas des histoires. Pas des jeux de regard. Pas des gestes à interpréter. Carla écrivait comme si elle avait vu en lui ce qu’il attendait vraiment.
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À six heures le lendemain matin, il était debout sous la douche, l’eau glacée compensant l’insomnie. À huit heures, il franchissait la porte du plateau de tournage.
Une nouvelle mission. Une cliente. « Capricieuse » disaient les rumeurs. Il s’en foutait. Il se contentait de faire ce qu’on lui demandait : protéger, et se faire discret.
Elle arriva. Blazer beige. Queue-de-cheval négligée. Lunettes rondes. Carnet noir dans une main. Pas de maquillage ni de sourire. Elle passa devant lui sans un mot, concentrée, presque absente. Juste avant d’entrer dans la loge, elle se retourna, le fixa deux secondes, puis disparut.
« Une assistante de production », avait dit le directeur. « Là pour quelques jours, peut-être plus ».
Adrien haussa les épaules. Il ne la reverrait sans doute pas. Et pourtant, cette nuit-là, dans son lit, alors qu’il relisait une autre nouvelle de Carla Moore, il s’arrêta brusquement.
Elle avait ce regard précis, distant, un peu perdu. Mais il savait qu’elle l’observait depuis le seuil.
Un frisson. Léger, inexplicable. Il referma le fichier. Sûrement une coïncidence.
Elle n’était pas belle au sens hollywoodien. Pas de jambes kilométriques. Pas de maquillage de guerre. Pas de brushing qui disait « je suis chère, regarde-moi flotter ». Non. Charlotte était l’autre genre de femme. Discret. Naturel. Celui qui laissait les hommes intelligents perplexes, et les bêtes indifférents.
Elle portait des pulls trop grands, écrivait dans un carnet en papier recyclé, et semblait pouvoir disparaître d’une pièce pleine sans effort. Une sorte de ninja introverti à lunettes. Celle qu’on oublie de remarquer jusqu’au moment où elle fait quelque chose de parfaitement anodin, comme… mordre un bouchon de stylo en réfléchissant. Et là, bam. Piège activé.
Il s’était surpris, plusieurs fois, à chercher où elle était, comme un radar émotionnel mal configuré. Pas tant parce qu’elle l’attirait, mais parce que… elle l’agaçait. Oui, voilà. Il sentait que quelqu’un lisait en lui, mais sans avoir laissé de carte de visite.
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À midi, elle s’installa à deux chaises de la sienne. Sandwich au thon, chips nature, bouteille d’eau plate. Elle mangeait comme un comptable. Il la regarda du coin de l’œil. Elle parcourait un manuscrit imprimé. Double interligne, fonte Garamond. Elle souligna quelque chose, et hocha doucement la tête, comme si elle venait de donner une promotion à une phrase.
Puis elle rit. Un petit rire sec, presque inaudible. Adrien sentit son cerveau se resserrer comme un muscle mal échauffé.
Elle pivota vers lui. Le genre de mouvement lent qui laissait penser qu’elle avait envisagé au moins trois options diplomatiques avant de choisir celle-là.
Elle sourit franchement cette fois.
Il se força à garder le contact visuel. Juste pour la forme. Et pour ne pas observer ses mains, posées sur la table, calmes et fines. Ni son cou. Ni…
Bon. Voilà. Il prétendait qu’elle ne l’attirait pas, mais ses yeux, eux, n’avaient pas reçu l’ordre. Ce qui, selon son expérience personnelle, était généralement le début de quelque chose de dangereux.
Il passait pour un homme très occupé. Il cultivait ça. Le pas rapide, l’air tendu. Mais, cet après-midi-là, il fixait un écran vide depuis quarante minutes. Un rapport de sécurité à remplir. Trois lignes commencées, aucune terminée. Dans un coin de sa tête : Charlotte. Pas dans une robe de soirée. Pas nue, non. Dans un sweat informe, assise en tailleur sur une chaise, tapant furieusement sur son clavier. La version réaliste du fantasme : celle qui s’en foutait de plaire. Celle qui ne demandait rien et qui, du coup, donnait envie de lui offrir tout.
Adrien grogna. Se leva. Il avait besoin d’air. De distance. De neurones.
En passant près de la loge technique, il la vit. Concentrée, casque audio sur les oreilles. Elle tapait encore. Le carnet noir ouvert à côté d’elle, l’ordi devant elle. Sérieuse. Froide. Autonome.
Mais c’est son fond d’écran qui le frappa. En noir et blanc. Un couloir vide. Un fauteuil en cuir. Et au sol, des escarpins posés côte à côte.
Il resta figé une seconde de trop. Elle leva les yeux et retira son casque.
Elle fit mine de réfléchir.
Il attendait une explication. Elle n’en donna pas.
Elle esquissa un petit sourire énigmatique. Le genre qui dit : « Je pourrais t’en dire plus. Mais pourquoi je le ferais ? »
Adrien sentit une tension dans sa mâchoire. Et dans son ventre. Quelque chose chez elle mentait, mais pas avec des mots.
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En rentrant chez lui, il rouvrit son fichier de lecture, et s’arrêta à ce passage :
Il n’y avait personne dans la pièce. Juste un fauteuil en cuir ancien, et des talons posés devant…
Il se servit un verre. Non, Charlotte n’était pas Carla. Pas possible. Elle écrivait… des rapports. Des notes de production. Des mails sans fautes. Pas des scènes qui vous réveillaient à 3 h 27 du matin, haletant, avec le sentiment d’avoir oublié un rendez-vous important avec votre inconscient.
Et pourtant…
Il y a des moments dans une vie où tout s’effondre à cause d’un événement tragique. Une rencontre. Une trahison. Une guerre. Et puis il y en a d’autres où tout bascule parce qu’une femme a renversé son sac à main.
Adrien n’avait pas prévu de croiser Charlotte ce soir-là. Le tournage s’était prolongé, la pluie s’était mise de la partie, et le plateau ressemblait à un naufrage artistique organisé par des stagiaires fatigués. Elle était dans un couloir, seule, accroupie devant ses affaires gisant au sol. Stylos, carnets, écouteurs, barre de céréales à moitié écrasée…
Il s’arrêta et elle leva les yeux.
Il s’agenouilla à côté d’elle, sans réfléchir.
Elle sourit brièvement. Comme si son visage se souvenait comment on faisait. Il ramassa un carnet à spirale. Un petit. Noir. La couverture souple, usée sur les bords. Rien d’écrit dessus. Et là, sans y penser, il l’ouvrit. Une demi-seconde. Une ligne, à peine.
Il n’avait jamais remarqué les mains des femmes avant elle. Maintenant, il fixait leurs poignets comme un affamé devant la vitrine d’une boulangerie fermée.
Ses doigts se figèrent. Ce rythme, cette métaphore tordue, cette obsession en demi-teinte… c’était Carla Moore. C’était son style.
Elle le regarda. Pas de gêne. Pas de panique. Juste… ce même sourire énigmatique. Celui qui disait « oui », sans jamais le prononcer.
Elle le fixa, intensément.
Et, sans un mot de plus, elle se leva.
Le soir venu, il ne relut pas Carla Moore. Il s’en souvenait trop bien. Et ce serait admettre que peut-être Charlotte était Carla. C’était une idée dangereuse. Pas à cause du fantasme. Mais parce que si c’était vrai… il était déjà foutu.
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Le lendemain, Adrien se réveilla plus tôt que d’habitude. Il se rasa de près, mit une chemise sans taches, et fit semblant de ne pas avoir passé la nuit à réciter mentalement la ligne aperçue sur un carnet. Celle qui avait ouvert la petite trappe dans son cerveau marqué « Désir à ne pas nourrir sans supervision professionnelle ».
Il prit un café, deux aspirines, et s’entraîna à l’expression neutre devant le miroir.
Il était prêt.
Sur le plateau, elle était là. Elle avait ce talent énervant de surgir pile au moment où il s’imaginait qu’elle n’apparaîtrait jamais plus. Pull gris clair. Jean noir. Baskets. Le trio d’invisibilité parfaite. Et pourtant… impossible de ne pas la voir.
Elle le salua d’un simple hochement de tête, comme deux collègues qui ont partagé un ascenseur silencieux un jour de pluie. Il répondit de même. Sobre. Classique. Puis tourna les talons, marcha dix mètres, et faillit se heurter à une table. Le karma l’observait, hilare.
Plus tard, à la pause déjeuner, tablette en main, elle sortit un sandwich végétarien et une bouteille d’eau. Il jeta un regard furtif. Il ne vit pas ce qu’elle lisait, mais ce qu’elle écrivait. Le style. Le ton. Le rythme.
Une phrase.
Juste une.
Il détestait ce qu’il ressentait, parce qu’il avait grandi dans une maison où le silence était plus viril que les cris.
C’était une signature.
Il inspira lentement. Puis, dans un geste d’une maturité absolument discutable, il lança :
Elle releva les yeux. Un peu surprise. Un peu amusée.
Il se força à sourire.
Elle le fixa, puis répondit :
Et elle replongea dans sa tablette.
Adrien sentit quelque chose glisser dans sa poitrine. Pas une peur. Pas encore une certitude. Mais un vertige. Le genre qui vous prend quand vous réalisez que vous n’étiez pas seul dans la pièce.
C’était un jeudi. Il s’en souvenait, parce que le jeudi, le traiteur servait du poisson en sauce tiède, et que tout le monde râlait en silence. Il était dans son bureau de fortune, une pièce froide avec des murs trop blancs, une chaise trop droite, et une heure à tuer. Alors, il alla sur Revebebe. Le site où il lisait Carla Moore.
Une nouvelle inédite était apparue. Publiée deux heures plus tôt : « L’homme du jeudi. » Il haussa un sourcil. Hasard. Probablement. Et ouvrit la page.
Il était toujours là avant elle, prétendument concentré. Elle faisait semblant de ne pas le remarquer, comme on ignore un incendie qui couve dans la cuisine.
Il avait des épaules larges. Trop pour son silence. Un regard qui déshabillait les murs. Et cette façon de détourner les yeux quand elle entrait, comme s’il avait été surpris à penser à quelque chose d’inavouable.
Elle ne disait rien. Elle attendait qu’il tombe. Seul.
Adrien cessa de respirer et avala la suite d’un trait. Elle décrivait un homme. Un garde du corps. Ex-militaire. Rigide. Fier. Qui lisait en secret des nouvelles érotiques sans oser admettre qu’il y trouvait plus que des phrases. Et puis… une femme. Discrète. Calme. Qui savait. Qui désirait. Elle ne le frapperait pas, elle n’avait pas besoin. Elle le tiendrait par l’intérieur. Par les veines, par les nerfs.
Il ferma le fichier. Puis le rouvrit. Une scène l’interpela. Deux chaises. Un fond d’écran en noir et blanc. Des escarpins posés au sol.
Putain.
C’était lui.
Pas flouté. Pas déguisé. Lui. L’âme déshabillée par quelqu’un qui avait attendu de le connaître pour commencer à le croquer. Et maintenant, il ne savait plus quoi faire. Il n’avait jamais été à la place du personnage. Jusque-là, Carla Moore avait écrit pour l’homme qu’il aurait aimé être. Cette fois, elle le faisait pour celui qu’il était déjà.
Il avait deux options : faire semblant de rien, ou aller la voir, la regarder droit dans les yeux, et dire : « Tu veux jouer ? Très bien. Mais je choisis la scène. » Et honnêtement… il ne savait pas encore laquelle le terrifiait le plus.
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Deux jours passèrent. Deux jours où Adrien s’inventa une contenance. Deux jours à ne pas parler. À ne pas poser de questions. À surtout ne pas relire « L’homme du jeudi ». Il avait déjà les phrases en tête, tatouées à l’envers sur la paroi de son crâne.
Charlotte, elle… Rien. Même sourire discret. Même carnet noir. Même façon de passer dans une pièce comme une odeur de feu de bois. Mais elle l’avait vu le vide dans ses yeux quand il l’avait croisée en silence. Et c’était pire que s’il avait crié.
Le midi, elle s’installa à côté de lui.
Pas à deux places. À côté.
Elle déballa son sandwich. Méthodiquement. Adrien mangeait déjà. Ou faisait semblant. Il mastiquait du riz froid comme s’il espérait qu’il se transforme en explication.
Elle ne parla pas. Et attendit. Parce qu’évidemment, c’est lui qui craqua :
Elle eut un petit rire.
Elle posa son sandwich.
Silence. Le genre où l’oxygène devient une rumeur.
Elle se pencha légèrement. Pas assez pour attirer l’attention sur eux, mais suffisamment pour qu’il sente son parfum. Lavande. Bois. Et quelque chose d’impossible à nommer.
Elle marqua une pause, puis poursuivit.
Et elle reprit son sandwich. Il ne dit rien. Parce qu’il venait de perdre une manche. Peut-être la partie. Et qu’il était en train de comprendre que c’était délicieux.
C’était un vendredi soir. Tournage annulé pour cause de météo dépressive et acteur principal qui refusait de mouiller ses chaussures hors du tapis rouge. Adrien était resté. Pour « assurer la sécurité du matériel », officiellement. Officieusement ? Il n’avait rien d’autre à faire. Et quelqu’un à espérer.
Charlotte arriva vers 18 h. Silencieuse, bien sûr. Elle portait un manteau large, un tote bag trop rempli, et cet air de ne pas exister vraiment, sauf quand on la regardait trop longtemps.
Elle sourit, posa son sac et s’assit dans le canapé du fond, près de la table où on avait oublié deux gobelets de café froid. Il hésita. Puis s’approcha, comme on approche d’un animal qui pourrait mordre.
Elle ouvrit son ordi, tapa quelques lignes, puis s’arrêta et enleva ses baskets.
Comme ça.
Sans explication.
Juste un petit soupir, comme si ses pieds venaient de signer un traité de paix avec le monde.
Elle n’avait rien de provocant. Pas de vernis. Pas de pose… Ceux d’une femme fatiguée, qui ne pensait pas être regardée.
Et c’est là que tout bascula.
Adrien sentit une chaleur absurde, mal placée, inavouable. Pas vraiment sexuelle. Pas encore. Mais primitive. Il était attiré. Non par la chair, mais par ce que ce geste disait inconsciemment.
Elle s’installait. Elle prenait place. Et il… reculait, dans sa tête. Comme si elle avait poussé une limite qu’il ne savait pas avoir. Elle croisa les jambes. Ses pieds frôlèrent le tissu du canapé. Et il se rendit compte qu’il les fixait. Pas intensément. Pas longtemps. Mais suffisamment.
Elle le vit. Bien sûr qu’elle le vit. Mais ne bougea pas. Et proposa simplement :
Il hocha la tête, fit le tour de la pièce et s’assit au sol. Devant elle. Sans réfléchir. Elle ne dit rien et le toisa. Dans ce regard, il lut tout ce qu’elle n’avait jamais écrit dans ses nouvelles. Le chapitre caché. Le dernier paragraphe. Celui qu’il avait attendu sans savoir qu’il existait.
Il n’y avait pas de musique. Pas de parfum trop fort. Juste le bourdonnement du frigo dans la pièce voisine et l’odeur douce de quelque chose de propre. De lin, peut-être. Adrien était toujours assis par terre. Pas pour jouer. Pas pour impressionner. Parce que c’était logique. Le fauteuil était pour elle, et le sol était pour lui.
Charlotte tapotait sur son clavier. Elle écrivait lentement, sans urgence. Elle faisait des pauses. Des respirations longues.
Il ferma les yeux une seconde. Et Soupira.
Elle esquissa un sourire précis, léger, comme une cicatrice bien guérie.
Il ne répondit pas. Elle croisa les jambes, un pied reposant contre le genou opposé. Le mouvement fut lent. Offert. Mais pas théâtral.
Elle marqua un silence, puis reprit :
Une chaleur monta dans sa gorge. Comme un cri retenu. Mais il se tut. Elle se pencha vers lui, très légèrement.
Un instant de confusion, puis il comprit. Ce n’était pas une proposition. Elle souhaitait juste savoir si, maintenant, il en avait encore envie. De retrouver de la hauteur. De revenir à ce qu’il était avant.
Il ne bougea pas.
Elle hocha lentement la tête. Pas une victoire. Pas une conquête. Une simple évidence confirmée.
Elle se leva, en silence. Rechaussa ses baskets. Il l’observa faire sans oser parler, et elle s’en alla, comme si de rien n’était.
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Le jour suivant, elle n’était pas là. Le surlendemain non plus.
Adrien devint nerveux sans s’en rendre compte. Il tourna en rond, grogna sur des techniciens, relut des mails qu’il n’aurait jamais ouverts en temps normal.
Elle revint le lundi, indifférente. Juste un « salut » léger, sans charge, comme une bulle de savon. Il ne dit rien non plus, mais l’épia sans cesse. Plus tard, alors que tout le monde s’en allait, elle le rejoint.
Elle tenait un petit carnet – un autre. Pas le noir. Celui-ci était rouge, souple, visiblement neuf.
Elle approcha son visage à quelques centimètres du sien. Sa voix basse. Dégagée. Maîtrisée.
Son cœur cognait, mais il resta immobile. Avant de partir, elle ajouta, sans se retourner :
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Une fois entré chez lui, il ouvrit le carnet. Et sur la première page, une phrase, notée à la main.
Demain, tu ne parleras pas. Tu viendras t’asseoir au sol et me regarderas écrire. Tu resteras là. Tranquille. Entier. Présent.
Il ne dormit pas bien. Se réveilla plusieurs fois, tendu comme s’il avait oublié quelque chose. Un mot à dire. Un geste à faire. Une consigne.
Tu viendras t’asseoir au sol et me regarderas écrire. Tu resteras là. Tranquille. Entier. Présent.
Ce n’était pas un ordre. Mais il savait sans doute possible qu’il devait la satisfaire.
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Elle était déjà là.
Pièce vide. Lumière tamisée.
Installée sur un fauteuil bas, les jambes croisées. Ses pieds nus, son ordinateur sur les genoux, elle écrivait. Concentrée. Silencieuse.
Il entra.
Elle leva les yeux. Puis les rebaissa.
Il avança. S’assit au sol, à un mètre d’elle. Et il attendit.
Elle ne dit rien.
Elle tapait lentement. Parfois elle s’arrêtait, réfléchissait, recommençait. Et lui… goûtait à la paix. C’était ça, le piège. Cette calme soumission, cette certitude douce : « Je suis là, et c’est exactement ma place ».
Au bout d’un moment, elle décroisa les jambes. Un pied s’approcha. Anodin. Il frôla son genou. Puis les orteils glissèrent le long du jean, et remontèrent vers des régions plus intimes. Elle ne le regardait pas. Ses yeux étaient tournés vers la fenêtre. Comme si elle écoutait le vent. Mais elle le caressait à travers le tissu. Pressait par moment. Et lui… Lui, il cessa de respirer.
Elle joua ainsi, sans un mot. Juste son pied. Au rythme d’un souffle partagé dans un silence sacré.
Puis elle s’arrêta, et se remit à sa prose.
Il resta là. Immobile. Ébranlé longtemps. Assez pour que ses jambes s’endorment. Que le désir se taise. Puis il parla.
Elle leva à peine les yeux. Pas surprise.
Elle attendit.
Il se figea. Elle expliqua :
Il sentit sa gorge se nouer d’une vérité violente. Elle avait raison.
Elle tendit la main vers le carnet rouge.
Elle se leva et sortit. Lui resta là, avec le silence.
Il n’était pas pressé.
Il était revenu un mercredi soir. Juste… parce qu’il savait qu’elle serait là.
Un fauteuil. Une table. Un silence. Et Charlotte. Ordi sur les genoux. Pas de chaussures. Toujours pieds nus, comme si c’était naturel. Elle n’ignorait pas qu’il viendrait les chercher du regard avant même d’oser la saluer.
Il entra et s’assit. Au sol. Bien entendu.
Cette fois, pas un mot. Mais dans sa main, le carnet rouge. Qu’il posa à ses pieds, ouvert à la première page.
Elle lut.
Je ne veux rien.
Je suis à toi.
Même si tu ne veux pas.
Elle referma le carnet, puis s’affala sur le fauteuil et bascula sa tête en arrière, contre le dossier.
Il se pencha. Non pour se soumettre, mais pour exister. Un souffle, pas un baiser volé. Une offrande. La peau était tiède, fine, douce. Elle sentait le lin, le savon, la fatigue d’une journée passée sans rien attendre. Il embrassa d’abord la cheville, puis la courbe du cou-de-pied, puis l’espace creux entre les orteils, comme on effleure des mots sacrés.
Elle ferma les yeux. Soupira. Elle aussi, avait enfin trouvé. Pas un homme à dominer, mais un capable de comprendre que sa place, ici, n’était ni une soumission, ni un abandon, mais un vœu silencieux. Une fidélité nue. Une promesse posée contre sa peau.
FIN