n° 23092 | Fiche technique | 15048 caractères | 15048 2560 Temps de lecture estimé : 11 mn |
25/05/25 |
Résumé: Olivier, Josette et leurs deux petits chiens ont loué un gîte pour quelques jours dans un petit village. Idéal ce petit banc pour faire une halte sur la place centrale. | ||||
Critères: #drame #rupture #confession #personnages hagé fagée dispute | ||||
Auteur : Delectatio Envoi mini-message |
Projet de groupe : Confessions assises |
L'histoire qui suit, comme toutes celles de la collection « Confessions assises », est un écho au texte Cul posé, secrets lâchés qu'il est recommandé de lire en premier.
Olivier n’était pas un homme qu’on imaginait en vacances. Sa silhouette droite comme une horloge comtoise, ses chemises impeccablement amidonnées, ses remarques formulées comme des rapports de gendarmerie, tout en lui transpirait la rigidité administrative. Pourtant, il avait accepté, sans grande conviction, de partir une semaine avec Josette.
Josette, de son côté, ne tenait pas en place. À soixante-dix ans passés, elle avait gardé un goût certain pour les couleurs vives, les petits verres de liqueur et les chiens mal éduqués. Hulky et Sousou, ses deux compagnons à quatre pattes, partageaient son lit, ses repas et ses conversations.
Ils formaient un couple depuis trois ans. Enfin, « couple » était un bien grand mot. Ils se voyaient les mercredis et un week-end sur deux, avec une régularité de fonctionnaires en retraite. Ils faisaient des mots croisés ensemble, parlaient beaucoup de leurs ex-maris et ex-femmes, et se chamaillaient à propos de tout et n’importe quoi.
Josette avait d’abord cru qu’Olivier était un homme rassurant, solide, bien élevé. Certes, un peu raide, mais après sa séparation avec Frédéric, l’exubérant motard bipolaire, elle avait besoin de stabilité.
Malheureusement, cette stabilité avait très vite pris la forme d’une camisole mollasse. Olivier n’avait pas seulement des principes, il les rangeait dans des tiroirs mentaux étiquetés par ordre alphabétique. Il avait des heures pour tout, des façons de faire robotiques, des pliages de chaussettes. Il ne rigolait jamais, ou alors à demi, de petits ricanements secs, comme s’il avait peur d’en perdre une goutte.
Elle, qui était plutôt frivole, s’éteignait à son contact. Il ne comprenait rien à la légèreté, à la joie gratuite. Il croyait que tout devait être utile, justifié, contrôlé.
Elle aimait chanter dans la cuisine, il fermait la porte pour avoir la paix. Elle adorait les longs apéros avec les voisins, il regardait sa montre au bout de cinq minutes.
Et le sexe… n’en parlons pas. Même leurs câlins, quand il y en avait, ressemblaient à des séances de kiné. Rien que d’y penser, elle sentait monter une bouffée d’agacement. Cet homme, avant de la toucher, devait plier son pantalon comme un origami, poser ses lunettes exactement au bord de la table de chevet, et retirer ses chaussettes « en respectant l’ordre ».
Et ce slip blanc. Toujours ce slip kangourou, remonté haut. Il lui donnait l’impression de faire l’amour avec un surveillant général. Elle n’en pouvait plus.
Elle aurait parfois voulu le frapper avec une tranche de steak pour le réveiller. Ou faire claquer un ballon de baudruche dans ses oreilles. Juste pour voir s’il avait encore une étincelle de surprise en lui.
Mais elle préférait se taire. Elle n’était pas cruelle et avait même de la tendresse pour lui. Il faisait attention à elle, il n’était pas méchant. Mais il n’y avait rien de vivant chez cet homme, rien de souple, rien de chaud.
De son côté, Olivier la trouvait désespérément lente, elle vivait à son rythme et prenait son temps pour tout. Impossible de faire des projets avec elle, elle était toujours en retard pour tout et sautait du coq à l’âne, voletant de fleur en fleur, tel un papillon écervelé.
Et puis, il y avait les chiens.
Hulky, le plus grand, un croisement improbable entre un pinscher agressif et un balai à chiotte, passait ses journées à aboyer. Tout y passait : voitures, randonneurs, vélos, facteurs, sans oublier ses comparses pour lesquels il éprouvait une haine féroce.
Sousou, une sorte de peluche tremblante à poils fous, sautillait sans cesse. Elle entrait et sortait de la pièce vingt fois en une minute, s’arrêtait pour lécher les orteils d’Olivier (qui détestait ça), et couinait dès qu’on la regardait de travers.
C’est Josette qui avait trouvé la location : un gîte perdu dans une vallée tranquille, disait l’annonce. Un coin hors du temps, où il faisait bon vivre.
Olivier avait roulé tout le long du trajet en silence, les lèvres pincées, tolérant les aboiements d’Hulky avec la résignation d’un homme qui avait perdu la bataille de sa tranquillité depuis longtemps.
Ils arrivèrent le lundi en fin d’après-midi. Le ciel était clair, l’air piquait un peu. Marina, la propriétaire du gîte, les accueillit avec un sourire charmeur et une tisane du cru qu’Olivier trouva sur-le-champ suspecte, trop parfumée et trop verte.
Josette s’enthousiasma de suite pour cette femme au franc-parler et à la bonhomie fort sympathique, Josette adorait faire de nouvelles rencontres.
Ce matin-là, ils partirent se promener de bonne heure. Marina leur avait suggéré un point de vue remarquable, de l’autre côté de la vallée.
Josette, courageuse, serrait les dents malgré la douleur lancinante dans ses jambes. Olivier, comme toujours, marchait trois mètres devant, les mains croisées dans le dos, le pas mécanique. Les chiens faisaient n’importe quoi. Hulky aboyait contre une souche. Sousou avait trouvé une flaque de boue dans laquelle elle se roulait avec allégresse.
Josette avait le souffle court, les mollets durs comme du bois, mais elle tenait bon :
Elle releva les yeux vers les cimes et haussa les épaules avec lassitude, en maugréant un peu.
Une fois assise, Josette, sans le vouloir, sans même le penser consciemment, lâcha :
Olivier, qui bataillait avec la laisse de Sousou qui s’était enroulée autour de ses jambes, se réveilla d’un coup.
Il devint livide, mais elle continua.
Il finit par se poser, malgré les deux roquets qui se mirent aussitôt à grogner leur mécontentement. Puis il se retourna lentement vers elle. Il avait le visage qu’il faisait quand il vérifiait une addition au centime près.
Il avait presque crié. Les feuilles des arbres parurent se figer, des personnes qui passaient sur la place se retournèrent.
Josette cligna des yeux.
Il y avait peut-être une partie de vérité dans ce qu’il disait, ce petit côté naturel et négligé ne l’effrayait nullement. Josette se souvint que le biker était obsédé par ses odeurs corporelles, qu’il adorait ça, et qu’il passait son temps à lui renifler l’entrecuisse. L’énergumène n’avait pas que des défauts…
Elle serra les mâchoires. Il n’avait pas fini.
Un silence immense s’installa.
Josette regarda autour d’elle, puis revint vers lui, il était raide comme la justice, le visage fermé, les yeux remplis de rage. Elle l’imagina, un manche à balai profondément planté dans le fondement, tel un épouvantail au beau milieu d’un champ de maïs, et ça la fit sourire. Cela l’encouragea à reprendre à son compte la conversation :
C’est précisément ce qui rendait fou Olivier, ce mélange d’enthousiasme, de courbatures et de lenteur. Elle marchait complètement à côté de ses pompes, cette vieille rombière, avec ses délires de petite jeunette.
Ils prirent racine, à se regarder en chiens de faïence, avec le vent qui remuait à peine les arbres.
Olivier fut le premier à jeter l’éponge. Sans un mot, il se redressa, fit demi-tour et redescendit la route à grands pas en direction de leur location. Les chiens, livrés à eux-mêmes, parce qu’il les avait détachés, étaient à ses trousses. Sousou sauta joyeusement sur ses chaussures, Hulky aboya avec férocité contre un villageois qui passait par là.
Josette resta assise un bon moment, à se reposer, ses jambes étaient douloureuses, mais son esprit très libre.
Olivier ne fit aucun commentaire lorsqu’elle revint au gîte. Il avait rassemblé ses affaires dans un silence militaire, rangé ses chemises dans sa valise comme on replie un drapeau après une cérémonie. Il avait même pris soin de laisser la clé sur la table, accompagnée d’un mot laconique : « Je reprends la route. »
C’est en entendant démarrer la voiture que Josette comprit qu’il partait pour de vrai.
Elle sortit sur le pas de la porte. Il ne leva même pas les yeux vers elle. Il fit demi-tour sur le gravier dans un crissement sec et s’éloigna au volant de sa berline grise. Les chiens, étonnamment indifférents, ne bougèrent pas. Sousou s’était roulée en boule au soleil. Hulky reniflait une herbe étrange avec une intensité presque mystique.
Josette, les bras croisés, resta debout quelques minutes. Elle aurait pu se sentir humiliée. Ou en colère. Mais non. Ce qu’elle ressentait, c’était un immense soulagement. Comme si, d’un coup, un poids invisible avait déserté ses épaules.
Elle rentra, mit de l’eau à chauffer pour une tisane, puis s’assit sur la terrasse.
Marina, la propriétaire du gîte, passa un peu plus tard avec un panier d’herbes.
Josette sourit.
Au regard malicieux de son interlocutrice, Josette crut deviner qu’elle avait une idée en tête. Elle l’avait rarement fait avec une femme, mais après tout, pourquoi pas, elle était ouverte à tout.
Elle prit alors un grand bol d’air et s’étira comme une chatte, heureuse de vivre, faisant fi de la présence de sa logeuse qui l’observait avec amour.
« Il faudra quand même que je me lave un peu mieux la foufounette », pensa-t-elle un peu plus tard, en regardant les fesses bien remplies de la campagnarde s’éloigner avec nonchalance.
Elle caressa doucement Hulky, qui ferma les yeux, apaisé pour une fois, et regarda Sousou courir après une mouche, comme si de rien n’était.
Elle se dit qu’une nouvelle vie pouvait commencer là.