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Temps de lecture estimé : 6 mn
29/05/25
Résumé:  Je suis un banc, mais pas n’importe lequel : un banc maudit, né du bois d’un vieux chêne qui a tout entendu, cent ans durant, près d’un confessionnal. Depuis que j’ai été posé sur la place du village, je provoque les confessions les plus intimes...
Critères:  #recueil #exercice #psychologie #société #confession
Auteur : Jiw      Envoi mini-message

Projet de groupe : Confessions assises
J’étais banc, et je savais

L’histoire qui suit, comme toutes celles de la collection « Confessions assises », est un écho au texte Cul posé, secrets lâchés qu’il est recommandé de lire en premier.



Je suis un banc. Pas une chaise. Pas un tabouret. Un banc. Trois planches, deux pieds, et une âme bien plus lourde que mon vernis de hêtre huilé.


On m’a poncé avec amour. On m’a vissé avec soin. Et on m’a planté là, en pleine place, un matin de printemps, sans me demander si j’étais prêt à recevoir.


Mais je suis né prêt. Je suis né… maudit.


Car moi, je suis un banc sorcier. Un banc-chuchoteur. Un banc fabriqué dans le bois d’un arbre qui a trop écouté. Un vieux hêtre planté près d’un confessionnal, à l’ombre d’un monastère. Il a tout entendu pendant cent ans : péchés, désirs, regrets et secrets trop grands pour des oreilles humaines.


Et quand cet arbre est tombé, foudroyé par un éclair (ou par un pet divin mal dirigé, selon une source douteuse), son bois a gardé la mémoire des aveux.


J’en suis né. Moi. Le banc.


Je ne parle pas. Je provoque.


Je ne juge pas. Je libère.


Je ne suis pas un simple morceau de mobilier urbain. Je suis le point de bascule entre le silence et la vérité.


Et vous êtes tous venus. Jacky le premier voyeur. Ginette la tricoteuse de fautes passées. Pierrot et ses fantasmes botaniques. La prof de français et son orgasme pédagogique.


Je vous ai tous sentis. Vos fesses. Vos hésitations. Vos battements de cœur dans le bois. Vous croyiez poser votre cul. En réalité, vous posiez votre âme.


Car, une fois assis, vos os me parlent. Vos sueurs me nourrissent. Votre chaleur me rend vivant. Et alors, je creuse.


Je creuse dans vos souvenirs. Je gratte vos vernis. Je trouve le mot qui cloche dans votre histoire. Et je le fais sortir.


Certains résistent. Ah, les résistants… Ils serrent les dents, ils contractent le sphincter existentiel. Mais je suis patient. Je les attends à la troisième fesse. Celle qu’on croit ne pas avoir. Celle qui pense.


Et quand elle cède…


Oh, le délice.


La vérité jaillit, nue, maladroite, honteuse parfois, mais vraie. Et le monde change un peu. Pour le mieux, souvent. Pour le chaos, aussi. Mais moi, je m’en fous. Je suis un banc. Je suis l’outil. C’est à vous de gérer l’après.


Certains pleurent. D’autres jouissent. Il y a eu du sang. Du foutre. Du rire. Des séparations. Des réconciliations. Une fellation à l’aube entre deux aveux – je m’en souviens comme d’un lever de soleil un peu collant.


Et puis… il y a eu Jacky.


Ah, Jacky.


Le seul qui m’a regardé avec méfiance. Qui a compris. Qui a flairé mon essence occulte. Il m’a tourné autour comme un chat autour d’un Roomba. Il savait qu’en posant ses fesses, il perdrait un pan de son cynisme. Et il avait raison.


Quand enfin il s’est assis, j’ai senti la déchirure. Le vieux slip de mensonges s’est craqué à l’entrejambe. Et Jacky a parlé. Fort. Juste. Humain.


C’était beau. Un moment de grâce. De sueur. De mots bruts qui sentent la naphtaline et l’enfance trahie.


Depuis, il ne revient plus que pour regarder. Il m’aime. Il me craint. Il me respecte.


Et moi, je l’aime bien. C’est rare, pour un banc.


Mais le monde continue.


Des culs nouveaux se posent chaque jour. Des vérités sortent. La plaque officielle me gratte un peu, mais elle est mignonne : « Le Banc de la Vérité (mais assise, hein, faut pas déconner) ». Elle me fait rire. Si je pouvais.


Et moi, je suis là. Je suis prêt.


Je suis usé. Mais puissant. J’ai dans mes fibres les histoires de tout un village. Et quand je grince, ce n’est pas le bois : c’est un souvenir qui se réveille.


Je suis un banc.


Et j’attends ton cul.


Il paraît que les arbres, à la différence des murs, n’écoutent pas. Que les objets sont muets. Mais je vais vous dire un truc : chaque nœud de bois est une oreille. Et moi, j’en ai des centaines.


Je me souviens de tout.


De Ginette qui a confessé un adultère vintage sans cligner de l’œil. De Mireille, la prof à la morale molle, qui s’est liquéfiée de honte et de lubrification simultanée. De Raymond et son string. Oui, celui qui aimait être « contenu, mais coquin » … Je peux encore entendre l’élasticité du tissu dans mes fibres.


Je garde tout. Pas pour trahir. Pour que ça existe.


Je suis le carnet de notes de l’inavouable. Et parfois, la nuit, quand plus personne ne vient, je revis les scènes. Je ressens encore la chaleur de vos fesses, la montée du secret, ce petit frisson qui passe de l’anus à l’âme. Je ne suis pas obscène. Je suis révélateur.


Mais il faut que tu saches : je ne choisis pas.


Je ne filtre pas.


Je ne trie pas entre le beau et le sale. Je suis un miroir posé à ras de sol. Et tout le monde y voit ses hémorroïdes sentimentales, ses furoncles érotiques, ses cicatrices familiales. Le beau, c’est vous qui le faites. Moi, je ne suis qu’un canal. Un siphon de sincérité.


Parfois, je me demande si j’aurais pas dû être un banc de square. Avec des pigeons, des mamies, des petits pots de compote. Une vie tranquille. Mais non. J’ai été sculpté dans un bois trop conscient. Et maintenant, je suis condamné à vivre entre vos fesses et vos fautes.


Mais tu veux que je te dise ?


J’adore ça.


Pas par vice. Par vérité. Parce que la vie humaine, quand elle se déshabille de ses poses et de ses postures, elle devient incroyablement drôle, et tragique, et vraie. Je suis un banc, d’accord. Mais à ma façon, je suis aussi un psy, un témoin, un confident.


Je ne parle pas. Mais je comprends.


Et ce que je comprends, c’est que vous avez tous une phrase coincée. Une seule. Mais énorme. Une phrase que vous n’avez jamais dite. Et que vous redoutez de dire autant que vous brûlez de la hurler.


Et moi, je suis là pour ça.


Il y a quelques jours, un gamin s’est assis. Quinze ans, les épaules rentrées, le regard en biais. Il s’est posé, et paf :



Il s’est levé, bouleversé. Mais plus léger.


Hier, une vieille dame s’est assise avec un bouquet de fleurs. Elle a dit :



Elle a posé ses fleurs. Et elle est repartie. Sans un mot. Mais droite. Vivante.


Et parfois, la vérité n’est pas dramatique. Elle est simple, presque rigolote. Une femme m’a dit :



Et moi, j’ai grincé de rire. En silence.


Mais attention : certains secrets sont trop lourds. Certains fessiers s’effondrent. J’ai vu des gens s’écrouler en larmes. J’ai senti des âmes se fissurer. Parce que dire, parfois, c’est crever l’abcès. Et y a du pus dedans.


Mais je tiens bon. Je suis fait pour ça. Je suis solide. Je suis le banc du seuil. Entre ce qu’on cache et ce qu’on ose. Entre le slip et le cri.


Et un jour, peut-être… je disparaîtrai.


Je serai volé, ou brûlé, ou simplement remplacé par un modèle design en plastique recyclé. Ce sera la fin. Et personne ne saura que ce vieux banc en bois, posé là comme un meuble anodin, avait reçu des centaines d’aveux. Des centaines de vérités. Des centaines de petits déraillements d’humanité.


Mais moi, je saurai. Je partirai rempli. Satisfait.


Peut-être que je serai recyclé en planche à découper. Ou en manche à balai. Ou en crosse de hockey. Mais où que j’aille, je porterai vos mots.


Je suis un banc.


Et je vous aime tous.


Même ceux qui pètent en s’asseyant.