n° 23128 | Fiche technique | 21389 caractères | 21389 3851 Temps de lecture estimé : 16 mn |
06/06/25 |
Résumé: Huit fragments. Une carte. Une femme, un homme, et le fil qui se tend, se dénoue, se trace entre eux. Ce n’est pas une histoire. C’est un relief. Ce n’est pas un jeu. C’est une géologie du lien. | ||||
Critères: #recueil #exercice #réflexion #psychologie #philosophie #érotisme #initiatique #confession #couple #domination #voyeur | ||||
Auteur : majaas Envoi mini-message |
Ils sont deux.
Mais il n’y a pas de contact. Un fil de coton, tendu entre eux, noué autour de leurs poignets gauches respectifs. Un fil souple. Fragile. Suffisant pour sentir le moindre recul. Insuffisant pour retenir quoi que ce soit.
Ils sont face à face, à trois mètres l’un de l’autre, pieds nus sur le parquet mat. Pas de décor. Pas de musique. Juste la tension suspendue entre deux volontés qui refusent de tomber les premières. Elle, droite, robe fermée jusqu’à la gorge. Lui, torse nu, respiration lente, mais incertaine. Ils se regardent. Longtemps. Sans défi. Sans rôle. C’est un protocole, pas une séduction.
Le fil est là pour ça. Pour dire : tu avances, je ressens. Tu trembles, je sais. Tu tires, je retiens. Et c’est tout.
Il avance. Le fil se détend. Elle ne bouge pas, mais ferme les yeux. Juste une seconde. Comme si ce minuscule déplacement de masse suffisait à réveiller quelque chose. Il s’arrête. Le fil entre eux vibre. Une oscillation douce, imperceptible. Un battement de cœur extérieur.
Elle parle. Très bas.
Il ne répond pas. Il connaît les règles : pas de justification. Pas de confession. Pas de gestes brusques.
Elle se déplace, à son tour. Un pas. Puis un autre. Le fil s’assouplit, puis reprend sa tension dans l’autre sens, comme un souffle inversé. C’est lui qui encaisse, maintenant. Une traction infime sur son poignet, une gifle au ralenti. Il ferme les yeux.
Il fait un pas de côté. Elle ne le suit pas. Le fil glisse, décrit une diagonale. Une ligne de faille. C’est géologique, presque. Ils sont traversés. L’un par l’autre. Par cette ligne souple qui devient nerf, muscle, veine. Un instant, elle tend la main. Le fil suit, trace un angle dans l’air. Elle le regarde.
Il hoche la tête, puis se reprend. Il se rappelle : seulement la tenue. Alors, il reste. Le bras levé, le poignet tiré, le corps prêt à vaciller. Il bande, oui. Mais il ne le sent plus comme un appel. C’est une ancre. Un poids vertical.
Elle s’approche, à un mètre, et pose sa paume contre sa propre poitrine.
Il ne bouge pas.
Le fil, entre eux, se dénoue soudain. Lui tombe à genoux. Elle le regarde.
Et elle tourne les talons. Il reste là. Le poignet libre, mais la peau marquée. Le fil a disparu.
C’est elle qui tient le plus longtemps.
Le casque est lourd. Pas par son poids. Par sa mission.
Il est à genoux sur un tapis mince, rugueux. Suffisant pour piquer sans blesser. Son dos est droit. Par discipline. Il est nu, ou presque. Juste ce qu’il faut pour que l’air s’accroche à ses épaules, et que le froid épouse les creux.
Et dans ses oreilles : sa voix.
Elle parle dans une pièce quelque part. Peut-être proche. Peut-être très loin. Il ne sait pas. Il n’a pas à savoir. Ce n’est pas l’espace qui importe. C’est l’amplification.
Il ferme les yeux. Le monde, c’est elle. Sa voix. Et le silence entre ses mots. Un micro-crépitement, un souffle coupé, un petit claquement de langue avant un mot long.
Son sexe est dur, mais ça n’a pas d’importance. Elle ne lui a pas donné le droit de jouir. Ni même d’y penser. C’est une construction acoustique. Elle le sculpte avec ses voyelles.
Il gémit. Bas. Mais elle entend.
Il obéit. Il absorbe. Il laisse la voix tracer des lignes sur sa peau sans contact. Chaque mot devient une pression. Une tension.
Elle dit :
Il tremble. Sa nuque est moite. Son sexe palpite. Elle continue :
Un soupir. Un spasme. Sa respiration devient chaotique. Il ne sait pas si c’est de honte, de frustration ou de gratitude. Et elle chuchote enfin, tout bas, comme un sillon dans sa cage thoracique :
Puis le micro coupe.
Silence.
Et lui reste là, casque sur les oreilles, genoux au sol.
Dans la vallée.
À l’intérieur du vide amplifié.
Elle est nue. Entièrement. Mais rien n’est offert.
Le bain est tiède. Parfaitement dosé. Ni chaud ni relaxant. Juste ce qu’il faut pour que la peau commence à oublier qu’elle est une frontière. Elle y est entrée sans geste théâtral. Un pied, puis l’autre.
Le dos contre la faïence, les genoux fléchis. Les seins à demi submergés. Le pubis invisible, dissous sous la mousse éparse. Ou juste hors champ. Lui est à côté. À genoux, bien sûr. Vêtu. Pas par pudeur. Par contraste. Il tient une éponge lourde d’eau. Chargée de tension. Il ne regarde pas le sexe, il n’a pas le droit. Elle ne l’a pas interdit, mais tout en elle dit que ce serait une faute. Pas morale. Topographique.
Sa voix flotte. Elle est douce. Instructive. Comme celle d’une maîtresse d’école.
Il approche l’éponge, l’essore à moitié, puis la pose sur sa clavicule. La peau frissonne. Il le voit. Il le sent. Elle ferme les yeux.
Il descend. Bras. Avant-bras. Les paumes, il ne les touche pas. Elle les garde serrées contre le ventre, comme si le centre, le noyau, devait rester secret.
Il ralentit. Le geste devient une respiration. Il explore le dos. Chaque vertèbre. Chaque pli subtil du bassin. Mais jamais entre les jambes, jamais sur les fesses. Il suit les lignes, ne les traverse pas.
Le sexe, sous l’eau, palpite.
Le sien aussi. Enfermé dans un pantalon trop tendu, trop conscient. Il bande, bien sûr. Mais ce n’est pas le but. Ce n’est même pas un avantage. C’est une conséquence.
Elle n’attend pas une réponse, mais une vibration.
Il passe l’éponge sur sa jambe. Jusqu’au genou. Puis le mollet. Puis la cheville. Le pied. Il prend le temps. Chaque orteil est une lettre. Chaque articulation une ponctuation. Il lit son corps à voix basse, sans bruit.
Elle ouvre les yeux.
Il tremble.
Il acquiesce, à peine. Le menton lourd. Elle se redresse légèrement. L’eau coule de ses épaules. Elle est plus nue encore, mais il ne regarde pas. Il ne bouge pas. Il tient.
Puis elle se lève.
Goutte à goutte.
L’eau glisse.
Son sexe apparaît.
Il baisse les yeux.
Elle tend la serviette.
Il obéit. Et dans ses gestes, elle jouit.
Un frisson. Un souffle suspendu. Un dos cambré, imperceptiblement.
Elle jouit d’être gardée.
Et lui… il durcit plus encore. Le pouvoir a changé de main.
Le vent est sec. Presque absent. L’air tremble à peine autour des corps.
Elle est assise sur le muret. Un vieux parapet de pierre, érodé par les saisons. Suffisamment haut pour dominer. Pas assez pour protéger. Elle est perchée. Les jambes croisées. Une robe claire, fendue juste assez pour qu’on doute d’avoir vu. Une main posée sur son genou. L’autre, paume ouverte, effleure distraitement le rebord rugueux. Elle ne regarde pas l’homme. Pas encore.
Lui, il est en contrebas. Sur le chemin en terre. Tête levée, nuque tendue. Il ne parle pas. Il attend.
Un mot. Un écho. Un leurre.
Il monte une marche. Puis une autre. Chaque pierre est instable, rien n’est tracé. Il grimpe vers elle comme on grimpe vers une évidence inaccessible.
Il s’arrête. Se baisse. Pieds nus dans la poussière.
Il obéit. Elle l’observe, maintenant. Un sourire en coin, entre l’évaluation et la prédation.
Il déboutonne.
Il ne monte pas vite. Ce n’est pas l’ordre. C’est l’ascension elle-même qui est devenue soumission.
Le vent se lève enfin. Un souffle léger. Elle croise les bras, s’étire.
Il hésite. Puis, presque bas :
Elle se lève. Il est proche, maintenant. Deux pas. Trois, peut-être.
Il s’arrête.
Elle regarde vers le ciel. Puis vers lui. Puis vers ses pieds. Puis derrière elle. Le vide. Pas dangereux, juste assez creux pour faire peur.
Il ne saisit pas. Il pense encore que le but est de la rejoindre. Elle tend la main. Il croit un instant qu’elle va l’aider à grimper. Il approche. Elle attrape son poignet.
Il hoche la tête. Une erreur. Elle le lâche. Il chute. Pas violemment. Juste assez pour salir ses genoux. Il tombe, encore. Plus bas qu’au début.
Elle saute à terre, souple. Elle le surplombe à nouveau, mais cette fois… à l’horizontale.
Elle s’agenouille face à lui. Ses mains sur ses épaules.
Il respire fort. Elle lui murmure à l’oreille :
Elle l’embrasse.
Sur le front.
Un baiser de guide. Un baiser d’adieu temporaire. Puis elle recule et s’assoit, de nouveau. Plus loin. Sur une autre pierre.
Mais cette fois, il ne bouge pas.
Ce n’est pas la montée qui compte. C’est d’apprendre à habiter le flanc.
La porte d’entrée s’ouvre sans bruit. Pas un accueil. Pas une surprise. Un seuil.
Elle est déjà loin, pieds nus sur les carreaux froids, robe nouée dans le bas du dos comme un souvenir qu’on ne sait pas plier. Elle ne se retourne pas. Elle parle.
Il hoche la tête. Trop vite. Elle ne regarde pas, mais elle sait. Ça ne compte pas encore.
Elle disparaît dans le couloir.
Il entre.
Ferme la porte.
Le code est simple. Il est écrit à la craie sur le mur. « Regarder. »
Elle est assise sur un coussin bas. En tailleur. Un verre d’eau dans la main. Pas maquillée. Pas apprêtée. Juste là.
Il s’installe en face, sur un tabouret. Trop bas pour être à hauteur. Trop haut pour être à genoux.
Il la regarde. Longtemps. D’abord avec les yeux, puis avec les nerfs. Il voit tout : la gorge qui bat doucement, les cils un peu collés, la cicatrice fine sous son genou. Ce n’est pas de la beauté. C’est de la géographie. Il cartographie le silence.
Elle ne bouge pas. Quand il tente de tendre une main, elle dit :
Il recule. Il apprend.
Code sur le miroir, au rouge à lèvres. « Caresser. »
Elle est allongée sur le lit. Sur le ventre. Robe relevée. Culotte toujours là. Les pieds pendants dans le vide.
Il entre, pose ses mains sur ses épaules, et caresse. Pas fort. Pas pour provoquer. Pour lire. Ses doigts longent l’omoplate, le creux de la colonne, les fesses, le pli du genou. Il ne touche pas le sexe. Il ne contourne pas. Il décrit. Lentement. Comme un crayon hésitant sur une carte neuve.
Elle murmure :
Code sur le lavabo, gravé dans la buée. « Respirer. »
Elle est debout, dos à lui. Nue. Encore humide. Une serviette autour des hanches. Ses cheveux sentent la lavande et le sommeil.
Il s’approche. Pas trop. Il respire. Par le nez. Lentement. Chaque inspiration est une prière discrète. Chaque expiration, une tension évacuée.
Elle ferme les yeux.
Il ne la touche pas. Il ne parle pas. Il hume la trace d’un corps réel.
Code sur le clavier de son ordinateur, en majuscules. « Suppléer. »
Elle est assise. Concentrée. Une pile de papiers devant elle. Elle écrit. S’arrête. Soupire. Penche la tête. Elle n’a pas dormi beaucoup.
Il s’approche. Prend une feuille. L’agrafe. Range un livre. Replace une chaise. Il agit, mais sans initiative. Il n’impose pas. Il soutient. Il rend possible.
Elle lève à peine les yeux.
Un demi-sourire.
Une approbation sans bruit.
Parfois, désirer, c’est porter un peu du poids.
Pas de code écrit. Mais elle parle, enfin.
Il hésite. Elle s’appuie contre l’évier. Une cuisse nue. Un regard doux. Un pied replié. Rien d’interdit. Rien d’offert. Il s’approche lentement et prend un verre. Le remplit d’eau. Le lui tend. Elle le boit. Il ne touche rien d’autre. Il reste là. Présent.
Il acquiesce.
Elle sourit. L’emmène dans l’entrée. Lui montre la porte.
Il sort. Il n’a rien conquis, mais il a marché, a vu les contours. Le corps est un archipel. Le désir, un archéologue. La seule question valable est : quelle île peut-on effleurer… sans y planter de drapeau ?
Elle
Lui
Ce soir, je n’ai pas envie.
Ce soir, j’espérais.
Pas de douleur. Pas de mise en scène.
Pas de corde. Pas de scénario.
Juste… ne pas être touchée.
Juste… qu’elle me touche.
Il me regarde comme une réponse.
Elle me regarde comme une énigme.
J’aimerais qu’il arrête d’attendre.
J’aimerais qu’elle m’autorise.
Je dis « pas maintenant ».
J’entends « pas toi ».
Il se fige. Trop longtemps.
Elle soupire. Trop bas.
Ça me traverse. Comme un frisson de fin d’automne.
Ça me percute. Comme une porte qu’on claque sur mes doigts.
J’aimerais qu’il vienne s’asseoir près de moi.
J’aimerais m’agenouiller, là, maintenant.
Mais il ne bouge pas. Il attend un signal.
Mais elle ne parle plus. Elle attend un aveu.
Alors je me lève. Et je passe devant lui.
Alors je baisse les yeux. Et je laisse passer.
Il croit que je le fuis.
Je crois qu’elle s’éloigne.
Ce n’est pas une fuite. C’est un glissement.
Ce n’est pas une trahison. C’est une secousse.
Un décalage lent. Un frottement profond.
Une faille minuscule. Mais elle ouvre tout.
J’aimerais lui dire : ce n’est pas toi que je rejette.
J’aimerais lui dire : je suis encore là.
Mais je n’ai pas les bons mots.
Mais je n’ai plus le bon ton.
Alors je reviens. Lentement. Pas comme une amante.
Alors je reste. Immobile. Pas comme un soumis.
Je m’assois. Juste à côté. Mon genou frôle le sien.
Je penche la tête. Son odeur me revient.
Je tends la main.
Je ferme les yeux.
Je touche son poignet. Pas pour reprendre. Pour dire : je te sens.
Je frôle sa main. Pas pour posséder. Pour répondre : je suis là.
Il ne dit rien.
Elle ne recule pas.
Le silence s’installe.
Le silence se tend.
Et puis…
Et puis…
Sa tête tombe contre mon épaule.
Mon souffle devient le sien.
Nous sommes deux plaques qui ont frotté trop fort.
Nous sommes deux plaques qui ont glissé trop longtemps.
Mais l’effondrement a ouvert une vallée.
Et dans cette vallée, je l’écoute respirer.
Ce n’est plus du sexe.
Ce n’est plus du jeu.
C’est de la géologie affective.
C’est de la tendresse sismique.
Dans le glissement, il y a un tremblement. Dans le tremblement, un contact.
Et dans ce contact… une nouvelle carte.
Il la regarde. Enfin, il croit la regarder. Elle est là, oui. Silhouette dans le salon. Mouvements mesurés. Cheveux attachés. Mais il comprend, trop tard : elle n’est pas là pour être vue. Elle est là pour être crue.
Le miroir sur le mur semble banal. Décoratif. Un peu trop propre pour l’époque. Il ne l’a jamais regardé de près. Il aurait dû. Car ce qu’il voit d’elle – ses gestes, ses silences, même ses absences –, tout cela passe par lui. Mais il ne reflète pas. Il déforme.
Il la désire quand elle tourne le dos. Quand elle se penche sans prévenir. Quand elle effleure un objet sans jamais le prendre.
Il pense : elle ne donne rien. Elle retient. Elle contrôle.
Mais ce qu’il ignore – ce qu’il ne peut pas savoir –, c’est qu’elle n’est pas de l’autre côté du miroir. Elle est derrière. Derrière le miroir. Derrière lui.
Il est dans la pièce. Elle est dans la pièce d’à côté. Un miroir sans tain. Une simple cloison. Une mise en scène sans acteur. Et depuis ce poste d’observation, elle regarde l’homme devenir image. Elle regarde son corps se tendre à l’absence. Elle regarde ses mains frôler la table, hésiter à toucher le tissu qu’elle a porté. Elle regarde la manière dont il bande pour une idée, pas pour une femme. Et elle écrit des notes. Des hypothèses. Des versions de lui qu’il n’a pas encore incarnées. Parce qu’elle n’a pas besoin d’agir. Elle façonne sans contact. Un soupir, une marche dans le couloir, une porte entrouverte – c’est assez. Il construit tout le reste. Il projette. Il souhaite. Il soumet.
Et quand enfin il découvre que le miroir est sans tain – quand il s’approche, vraiment – il croit la voir encore. Mais ce n’est plus elle. C’est lui, en reflet, déformé. Et ce reflet… baisse les yeux.
Il comprend. Elle ne lui a rien refusé. Elle l’a regardé ne pas recevoir. Et c’est pire. Parce que ce n’est pas une punition. C’est un cadre. Un dispositif. Une architecture du manque.
Elle n’était pas inatteignable. Elle était architecte de son attente.
Dans l’angle, la lumière change. Il regarde son propre corps, et se demande : « Était-ce elle, ou moi… que je poursuivais ? »
Et dans la pièce d’à côté, elle sourit. Non pas parce qu’elle a gagné. Mais parce qu’il a enfin vu le dispositif.
Le corps est encore là. Mais le feu est parti. Il ne bande plus. Il ne supplie plus. Il ne tremble plus. Et pourtant, c’est ici que ça commence.
Elle est assise au bord du lit. Lui, à genoux, torse nu, le front contre sa cuisse.
Pas pour adorer. Pour rendre.
Rendre le souffle. Rendre les tensions. Rendre la scène, doucement, comme on remballe un costume après la dernière représentation.
Elle lui passe une serviette dans le dos. Tiède. Rincée. Frottée sans urgence. Ses gestes ne veulent rien. Ils réparent. Et c’est là que l’intime s’installe : quand il n’y a plus rien à prouver. Quand l’érection est partie. Quand le jeu est terminé. Quand les mots ont été tus.
Lui, il lave le sol. Lentement. Pour effacer la fiction, sans annuler ce qu’elle a fait naître. Elle, elle replie un vêtement. Celui qu’elle portait. Elle ne le porte plus, mais il a encore son odeur, et c’est cette trace-là qu’elle plie, précautionneusement. Pas pour l’offrir. Pour l’archiver.
Ils se frôlent. Ils s’observent. Mais avec moins d’avidité.
Un regard plus bas. Plus calme. Il ne veut plus la prendre. Il veut l’accompagner dans la redescente. Le désir a changé d’état. Il ne réclame plus. Il accueille. Et lui, enfin, peut la toucher – non pas pour demander, mais pour tenir.
Ses mains ne cherchent plus l’ouverture. Elles glissent sur sa nuque, sur ses épaules, sur ses pieds. Elles nettoient. Elles essuient. Elles dénouent.
Et elle le laisse faire.
Par reconnaissance. Le plaisir est passé. Mais la trace, elle, reste.
La caresse d’après.
L’eau changée sans qu’on demande. Le thé infusé sans contact. C’est ça, maintenant. Le plateau. L’érosion. Pas la disparition. Le relief lent laissé par la vague.
Et c’est beau, justement, parce que ça ne brûle plus.
Une lettre. Pas trouvée. Pas envoyée. Juste… posée. Comme un vêtement qu’on n’a jamais vu enlever.
Elle est signée. Non pas d’un nom. Mais d’un lieu. Un lit. Une chaise. Un sol, lavé à genoux. Une peau. Un pied, trop longtemps pressé contre une clavicule.
Et la lettre dit :
Je ne suis pas ce que vous avez traversé. Je ne suis pas le corps qui vous a offert un espace ni la bouche qui vous a arrêté avant l’excès. Je suis ce que vous avez laissé derrière.
Je suis ce qui tremble encore sous votre langue quand vous dites « je ne sais pas ce que c’était ». Je suis ce geste que vous répétez sans savoir pourquoi. Cette manière nouvelle d’écouter quelqu’un dire « non ». Cette tendresse soudaine pour le silence. Je suis la trace. Pas la scène. Je suis l’empreinte. Pas la peau. Je suis ce qu’il reste entre vos côtes, quand le désir est parti, mais que quelque chose s’est déposé.
Un poids. Ou une légèreté. Une géographie nouvelle, que vous ne montrerez à personne.
Et pourtant, elle est là.
C’est moi.
Puis plus rien. Pas de suite. Juste un endroit en vous qui ne se rendra plus jamais tout à fait.