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n° 23134Fiche technique8719 caractères8719
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Temps de lecture estimé : 7 mn
08/06/25
Résumé:  J’ai besoin qu’on me mente joliment, parce que parfois, un beau mensonge fait plus de bien qu’une vérité mal peignée.
Critères:  #réflexion #psychologie #nonérotique #consolation #confession #personnages
Auteur : L'artiste  (L’artiste)      Envoi mini-message

Projet de groupe : Confessions assises
J'aurais aimé y croire

L'histoire qui suit, comme toutes celles de la collection « Confessions assises », est un écho au texte Cul posé, secrets lâchés qu'il est recommandé de lire en premier.


Le doux mensonge



Je me suis assis sur ce banc sans faire de bruit. Comme quelqu’un qui n’a pas envie qu’on le remarque, mais qui espère quand même qu’on lui posera une question. Du genre : « Ça va ? » ou mieux : « Tu veux que je te mente ? »


Parce que c’est ça, mon kink. Moi, ce que je veux, c’est qu’on me mente avec amour. Qu’on me regarde droit dans les yeux et qu’on me dise : « Tu es unique ». « T’es magnifique ». « Tu comptes ». Même si c’est faux. Surtout si c’est faux.


Je suis pas idiot. Je sais bien ce que je vaux : un mélange de lucidité fatiguée et d’espoir mal rangé. Je fais du bruit quand je pense trop fort, et j’ai le charisme d’un mot de passe oublié. Mais j’aimerais qu’on me dise que je suis irrésistible.


Pas parce que c’est vrai. Parce que ça me ferait du bien.


On m’a élevé dans l’honnêteté. Dans la brutalité de la franchise. Pas de compliments gratuits. Pas de câlins en plastique. Tu voulais un sourire ? Gagne-le. Tu voulais de la tendresse ? Prouve que tu la mérites. Sinon : silence poli. Fierté sèche. Et l’amour dans une boîte en fer, avec un code qu’on ne t’a jamais donné.


Alors j’ai appris à aimer la douceur fabriquée. Les fausses attentions. Les « t’es doué » pleins de trous. Les « je pense à toi » envoyés avec deux autres copiés-collés derrière. Et j’ai rêvé d’un monde où on m’arnaque gentiment. Où on me flatte comme on flatte un chat obèse, juste parce qu’il est là et qu’il ronronne.


Le banc, lui, n’a rien dit. Mais j’ai senti que je pouvais parler.


J’aimerais qu’on me trompe, oui. Mais avec style. Avec panache. Qu’on me vende du rêve bas de gamme en me regardant comme si c’était un bijou. Qu’on me dise que je suis beau quand j’ai les cheveux gras. Qu’on me lise un poème en me tenant la main… même si c’est un extrait de conditions générales d’utilisation.


Et plus je parlais, plus je sentais la honte reculer.


Je veux pas la vérité. Elle me gratte. Elle me juge. Elle me colle à la peau comme un vieux t-shirt d’éducation civique. Je veux du faux. Mais du faux sincère. Un mensonge de velours. Un compliment sur mesure. Une caresse : Je le dis bien quand même, parce que t’en as besoin.


Un jour, une fille m’a dit : « Tu me touches, mais pas là où t’imagines. »


J’ai souri bêtement. Parce que je savais que c’était peut-être faux, mais c’était bien dit. Et j’ai dormi sur cette phrase comme sur un oreiller trop cher pour moi.


Alors voilà, je confesse. Je suis accro aux illusions consenties. Je me masturbe mentalement sur des mensonges tendres. Et j’attends, toujours, qu’on me dise ce que je rêve d’entendre, même si c’est par pitié, parce qu’au fond, si elle est bien formulée… c’est déjà presque de l’amour.


Et si un jour, quelqu’un me regarde et me dit : « T’es tout pour moi, t’es la plus belle chose que j’ai jamais croisée » en sachant que c’est faux… je serai sauvé.


Pas aimé. Mais sauvé.


Je venais à peine de finir. La phrase traînait encore dans l’air comme une haleine un peu trop intime :


« Pas aimé. Mais sauvé. »


Et là, elle s’est approchée.


Pas une apparition divine. Juste une femme normale. Trench beige. Mains fines. Visage qui aurait pu appartenir à n’importe qui… sauf qu’il était tourné vers moi. Et ça, ça change tout.



C’était mal engagé.


Elle avait entendu. Elle voulait bien faire. Je l’ai su tout de suite, à sa voix : cette espèce de compassion chirurgicale, bien intentionnée, trop propre. Comme un pansement mis sur un tatouage : ça cache, mais ça n’apaise pas.



Je l’ai regardée. Sourire poli. Mes tripes, elles, tapaient à la porte. Parce que son mensonge était… mal foutu. Généreux. Mais creux. C’était du tofu émotionnel : ça avait la forme d’un compliment, mais sans aucune graisse sentimentale dedans.



Elle a rougi, et a reculé un peu.



Je me suis marré.



Elle a froncé les sourcils.



Elle a soufflé.



Elle s’est tue. Elle a compris. Pas vexée. Juste dépassée.



Elle a haussé les épaules.



Et elle est partie.


C’était raté. Mais c’était… touchant. Elle avait essayé. Et ça, bizarrement… ça m’a fait un peu de bien. Un petit pansement mal collé sur un cœur qui n’en demandait pas tant. Juste un peu mieux que rien.




Se mentir avec style



Je suis resté après son départ. Je n’espérais pas qu’elle revienne, elle avait déjà dit tout ce qu’elle pouvait, mais j’avais trop entendu pour ne plus avoir besoin d’autre chose.


Le banc était tiède. La lumière, le genre qui donne envie de croire que tout va s’arranger sans avoir à bouger le petit doigt, tombait doucement sur la place. Et j’ai fait un truc que je fais rarement. Je me suis parlé.


Pas dans ma tête. Pas dans le flou. Non. À voix haute.



Ma voix tremblait un peu. Comme une chaussure qu’on met pour la première fois sans chaussette.



J’ai inspiré profondément, et j’ai continué.



Je savais que c’était faux. Pas complètement, mais assez. Et pourtant, c’était bon. Ça coulait en moi comme une tisane mensongère : tiède, sucrée, inutile… mais réconfortante.



Je riais doucement. Tout seul. Mais pas triste. Comme un acteur en fin de scène qui s’applaudit. J’avais trouvé le bon dosage. Pas le mensonge qu’on me dit. Celui que je me fabrique. Ni trop gros, ni trop net. Juste ce qu’il faut pour tenir debout une journée de plus, sans s’effondrer entre deux lampadaires et un ticket de caisse.


Je suis resté là encore un moment. J’ai fermé les yeux.


Et j’ai murmuré, seulement pour moi :



Le banc a grincé, complice. Je l’ai remercié. Puis je me suis levé. Droit. Calme. Plein de rien, mais plein quand même.


Et dans ma tête, j’ai entendu une voix que j’avais inventée, mais qui sonnait juste :


« T’as été superbe, aujourd’hui. Même ton silence a fait de la lumière. »




Épilogue – Sans mensonge, cette fois



Je marchais. Pas vite. Pas avec but. Juste assez pour ne pas m’arrêter et réfléchir trop longtemps à ce que je venais de me dire.


J’étais bien, étrangement. Comme après avoir écouté une chanson triste. Je m’étais menti avec style, et je m’étais presque cru. C’était pas de l’amour, mais une accolade intérieure.


Et c’est là que je l’ai vue.


Elle.


Trench beige. Mains dans les poches. Regard bas. Elle sortait d’une boulangerie avec un croissant qui pendait d’un sachet, comme si le matin lui avait pardonné quelque chose.



Silence. Pas inconfortable. Pas tendu. Celui des gens qui ont déjà échoué à se mentir, et qui n’ont plus rien à perdre.


Puis elle a haussé les épaules :



Elle s’est approchée. Pas trop. Juste assez pour que je sente son odeur de lessive tiède et de fatigue assumée.



Et puis, elle m’a regardé, comme on regarde quelqu’un qu’on a pas besoin d’impressionner.



Un courant d’air est passé entre nous. Il sentait la fin d’hiver et le début de quelque chose.


J’ai souri. Pas pour séduire. Pas pour jouer.



On s’est mis à marcher côte à côte. On était pas collés, on ne se tenait pas la main, mais on était ensemble, et je n’avais plus envie de me raconter des histoires.