n° 23144 | Fiche technique | 7337 caractères | 7337 1330 Temps de lecture estimé : 6 mn |
16/06/25 |
Résumé: Elle lui a offert un monde. Il s’est couché dedans. | ||||
Critères: #poésie #réflexion #psychologie #érotisme #initiatique #confession #personnages #domination #lieudeloisir | ||||
Auteur : majaas Envoi mini-message |
Mes pieds d’abord, oui. Mais très vite mes jambes, mes cuisses, mon ventre. La mer ne me touche pas, elle prend note. Elle recouvre. Elle juge la température de mon calme.
Lui, il était déjà là, en train de m’attendre. Allongé, partiellement enterré, visage vers le ciel, yeux mi-clos. Il avait creusé, comme demandé. Pas trop profond. Juste assez pour qu’il ne bouge plus sans moi.
Je suis sortie de l’eau. Gouttes sur le nombril, cheveux collés au front. Et je l’ai observé, comme la mer regarde un rivage : avec certitude. Je me suis approchée. Sa poitrine se gonflait, se rétractait, créant des rides sèches dans le sable la recouvrant. Je suis montée dessus.
Il n’a pas bronché.
Mes pieds sur lui. Trempée. Je me suis mise à parler. Pas de lui. Pas de moi. De ce qu’il y a entre. Ce lieu où le corps devient terrain et l’obsession carte.
Je me suis retournée et j’ai posé mes fesses sur son entrecuisse, jambes fléchies, plante sur sa cage thoracique. Un trône improvisé. Je sentais son souffle changer de rythme sur mes orteils. Sous moi, il commençait à vivre.
Moi, j’ai simplement laissé le monde me sécher, et je me suis relevée. Il était là. Immobile. Les lèvres entrouvertes. Les joues pleines de lumière.
Je me suis accroupie. Mon maillot ruisselait, fine barrière inutile. Mes mains sur ses épaules. Mes cuisses sur ses tempes. Ses yeux étaient grand ouverts, mais pas sur mon visage. Sur le centre.
« Tu ne veux pas me posséder. Tu veux savoir. Tu veux connaître ce qu’il y a sous la peau. Ce que j’abrite entre les jambes. »
J’ai légèrement écarté, et ai avancé. Juste assez. Tissu tiré. Odeur salée, tiède, frottée de mer. Sa langue a frôlé ma lèvre inférieure.
Un seul contact. Un seul.
Et là, j’ai vu sa fonction basculer. Je n’étais plus une femme. J’étais l’endroit où il voulait dormir. Où il voulait s’effacer. Il ne léchait pas. Il soumettait sa bouche à un serment.
J’ai fermé les yeux et ai pensé : « Même là, même ici, je suis l’eau, et lui le sable. »
Je suis restée là, par lucidité, quelques secondes de trop. Il me léchait comme on rature un souvenir. Sa langue ne cherchait pas le plaisir, mais la forme. Ce que j’étais avant qu’il arrive. Ce que je suis pendant qu’il se perd. Ce que je deviendrai quand je repartirai.
Puis, enfin, je me suis redressée.
Pas d’un coup. Lentement. En silence.
Ses yeux restaient accrochés à moi. J’ai tiré le tissu, doucement, pour couvrir. Pour clore. Comme on referme un livre précieux avant que le soleil ne l’abîme.
J’ai levé un pied, l’ai reposé plus loin, sur le sable humide.
Il ne bougeait pas. Bien sûr qu’il ne bougeait pas.
J’ai passé un doigt mouillé sur son front. Là, juste là. Entre les sourcils.
Je l’ai dit sans forcer. Ce n’était pas une remarque. C’était un constat.
Et ça, c’est rare.
*
Je suis retournée jusqu’à la mer. Mes pieds ont effacé mes propres pas.
Je me suis rincée. L’eau a glissé entre mes cuisses comme une langue plus vaste que la sienne. Elle ne lave pas. Elle souligne. Elle confirme. Je l’ai regardé, de loin. Toujours à demi enterré. Visage vers le ciel. L’air battait doucement sur ses tempes. J’ai pensé à une pierre tombale retournée, pour célébrer ce qui a été livré.
Je me suis rhabillée, comme on revêt un rôle qu’on connaît par cœur. Puis j’ai quitté la plage. Un monde qui reprend son axe.
Je n’ai pas ouvert les yeux tout de suite.
Je sentais encore sa chaleur dans ma bouche, comme un souffle épais qu’on n’ose pas recracher. Il n’y avait pas de goût. Il n’y avait pas de sexe. Il y avait « elle ». En moi. Un endroit que je ne connaissais pas, mais qui m’appartenait déjà.
Quand j’ai enfin cligné des paupières, le ciel n’avait pas changé. Le sable autour vibrait à peine, mais moi, je tenais différemment. Je n’étais ni faible ni dominé, j’étais modelé. Sculpté pour porter. Recevoir.
Je me suis souvenu de ses jambes mouillées. Du tissu recollé contre ses lèvres. Du moment précis où elle s’est tournée, pour me laisser avec ce qu’elle avait donné.
Je n’ai pas pleuré. Je n’ai pas ri. J’ai simplement bougé un doigt, lentement. Le sable a résisté. C’était bien. Le poids, encore là. Son poids. Le mien.
« Ce n’était pas son sexe que j’ai embrassé. C’était sa loi. »
Je suis resté encore longtemps. Assez pour que les marques de ses pieds disparaissent. Pas leur goût dans ma bouche.
Le métro grince. Les gens parlent. Ma chemise est propre, mon portable chargé, mon badge accroché. Tout va bien.
Je ne me suis pas lavé le visage ce matin. Pas entièrement. J’ai laissé un peu de sel dans les sourcils, comme une preuve inutile. J’ai failli me raser. Puis non. Je ne suis pas censé me lisser après ça.
Depuis la plage, tout ce que je touche me semble trop léger. Les poignées de porte. Les fourchettes. Le cuir du siège au bureau. Rien ne pèse comme elle.
Même l’air me paraît en plastique.
J’ai revu mes collègues. Mon reflet dans une vitrine. Personne ne remarque. Bien sûr. Il faudrait s’agenouiller pour savoir ce que je suis devenu.
Hier, j’étais un torse sous ses pieds. Aujourd’hui, je suis un corps en trop dans une ville trop vide.
Ce n’est pas de la tristesse… C’est autre chose.
Je suis porteur d’un événement intime. D’un passage. D’une offrande qu’on ne nomme pas. Je suis l’homme qui a servi d’autel à une femme debout. Et ça… ça ne partira plus.
Elle n’a pas écrit.
Pas de message.
Pas de signe.
Mais ce matin, dans ma boîte aux lettres, entre une facture EDF et un flyer de sushis, une enveloppe. Anonyme. Ivoire. Fermée par un trombone. Pas un mot dessus.
À l’intérieur, un petit sachet en plastique. Transparent.
Du sable.
Pas blanc. Pas décoratif. Du vrai. Rugueux. Un peu humide encore. Et au milieu : une chose minuscule. Un poil brun. Bouclé. Son pubis, peut-être. Peut-être pas. Ça n’a pas d’importance.
J’ai refermé le sachet avec reconnaissance, pour la preuve que je suis toujours dedans, qu’elle se souvient et qu’elle sait que je tiens.
Je l’ai vu marcher dans la rue, ce matin. Par hasard. Ou peut-être pas. Il ne m’a pas remarquée, mais son dos parlait. Sa nuque. Son pas devenu plus bas. Plus lent.
Je me suis demandé : est-ce que je veux lui revenir ? M’excuser d’avoir laissé une empreinte aussi précise, aussi lourde ?
Non.
Mais je veux qu’il sache que je la porte aussi.
Depuis la plage, je ne marche plus pareil. Je pose mes pieds avec prudence, comme si chaque pas s’écrivait sur une peau. Je ne suis plus légère. Je suis habitée par ce qu’il a offert : une place. Un vide qui soutient. Et par ce que j’ai donné : un poids qu’on ne rend pas.
Un mardi. Il ouvre sa boîte aux lettres. Encore une enveloppe. Petite. Ivoire. Fermée par un trombone.
Dedans : une photo.
Son torse. Nu. Pris du haut. Un plan large. Sur la peau : deux empreintes de pied. Nettes. Dessinées aux orteils avec de l’encre sableuse. Parfaitement alignées. Comme si elle s’était imprimée sur lui une dernière fois, à distance.
Au dos, une phrase, écrite en bleue :
Tu m’as tenue. Tu continues. Marche, maintenant. Avec mes pieds en dessous.
Il ne pleure pas. Il ne bande pas. Il s’ancre.