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n° 23152Fiche technique23255 caractères23255
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Temps de lecture estimé : 17 mn
19/06/25
Résumé:  Norvège, IXe siècle. Le clan Viking des Hrafns vit à l’embouchure d’un fjord isolé, où la mer se mêle aux brumes des montagnes. Des rumeurs courent sur une ancienne créature, mi-déesse mi-sorcière, gardienne du passage entre les mondes...
Critères:  #fantastique #sorcellerie #fantasy #conte #mythologie #initiatique
Auteur : Laetitia            Envoi mini-message

Collection : Légendes Vikings

Numéro 01
LA GARDIENNE DU FJORD

La brume s’était levée difficilement ce matin-là, comme un linceul hésitant à recouvrir les morts qu’il savait venir. Les côtes de Northumbrie au nord-est de l’Angleterre dormaient encore, paisibles, inconscientes.


Et puis vinrent les voiles rouges. Une dizaine de Drakkars apparurent à l’horizon. C’était un raid viking.


Le choc fut immédiat : des cris, des cendres, des boucliers éclatés. Les quelques tours de défense furent prises en à peine une heure. Les villages et les castels furent attaqués, le fer dans la chair, le feu dans les toits, des corps tordus sous les lames, des enfants en fuite, des femmes tirées par les cheveux. Le sol n’était plus qu’une mare tiède et écarlate.


Et au centre de cette tempête, il y avait Ærik Armodsson, grand, barbu, les yeux fous, l’âme déjà damnée.


Il hurlait des noms oubliés en frappant, non pour survivre, mais pour rappeler aux dieux qu’il existait encore.


Les cris des assaillants retentissaient.


Mort aux Saxons !

Morts aux chrétiens !

Rendez-vous au Valhalla !

Tuez-les tous !

On se revoit pour le banquet d’Odin !


Ærik abattait sa hache sur les cous, dans les reins, dans les entrailles, sur les crânes.


Le Viking avait déjà tout pris. Femmes, vin, or, fer. Rien ne lui résistait. Et pourtant, ce jour-là, quelque chose le prit.


C’est lui qui trouva la maison de Thora.

Une simple bâtisse de bois, un peu à l’écart. Il enfonça la porte d’un coup d’épaule. À l’intérieur, le silence. Puis des yeux. Deux, luisants, qui le fixait.

Elle était là, assise, pieds nus, le visage couvert d’un voile sombre. Jeune, belle, silencieuse. Ærik la saisit par le bras, brutalement. Mais elle ne cria pas. Un léger sourire flottait sur son visage. Elle le fixa. Et dans ce regard, quelque chose changea en lui. Sur le moment, il ne comprit pas ce que c’était. Il ne le comprendra jamais vraiment. Mais ce fut à cet instant précis qu’il cessa d’être libre.


Ce que personne ne savait, c’est que Thora n’était pas simplement une paysanne. Elle attendait. Elle servait déjà.

La hutte était silencieuse. Juste le bois qui craquait sous les flammes du village. Thora était toujours là, assise au sol, le dos droit, les jambes repliées sous elle. Elle ne fuyait pas. Elle semblait même défier le guerrier du regard.

Ærik s’était débarrassé de son armure, haletant, excité par la conquête, le sang encore chaud sur sa peau.



Il la frappa. Pas fort. Pour la faire taire.


Elle sourit, puis passa sa langue sur le filet de sang qui coulait au coin de ses lèvres.


Ce fut là que tout bascula. Elle se leva, lentement, et défit elle-même sa tunique.

Pas une supplication. Une offrande. Elle était nue, blanche, marquée de cicatrices anciennes qu’Ærik ne comprit pas. Ses seins portaient des symboles, gravés à la lame, son ventre une rune et entre ses cuisses, un triangle inversé, tatoué en noir.


Ærik tendit la main vers sa gorge. Elle le laissa faire et ferma les yeux, comme une prêtresse au bord du sacrifice.

Et quelque chose en lui se fissura. Il la jeta au sol. La pénétra sans douceur. La prit comme une bête même. Mais elle ne cria pas. Il voulait la dominer.


Elle gémit. Et dans son râle, Ærik entendit autre chose. Des voix. Des mots qu’il ne connaissait pas.


Elle le repoussa des deux mains et des genoux qu’elle plaça contre son ventre. Il se retrouva allongé à côté d’elle. Elle le plaqua le dos au sol, enjamba son corps et le chevaucha.


Ærik voulut prendre un de ses seins. Elle le repoussa d’un geste ample et posa ses mains à plat sur son torse pour le maintenir plaqué au sol.

Son bassin accéléra le mouvement.

Il accompagnait le mouvement. Il voulait jouir, vite, mais son corps devenait lent, ses muscles engourdis, son plaisir trop fort, trop intense, incontrôlable.

Elle le serrait. L’appelait par son nom. Non… par un autre nom, qu’il ne connaissait pas. Un nom ancien. Vieux comme la glace.

Quand il jouit, il hurla. Pas de plaisir. De terreur, parce qu’il sentit qu’en se vidant de sa semence en elle, il perdait quelque chose, comme si elle lui volait son feu, son nom, sa liberté. Il perdit conscience.


Quand il se réveilla, Thora était debout. Ærik était nu, allongé au sol, marqué de runes sur le torse et l’intérieur des cuisses. Il ne se souvenait de rien après l’orgasme, juste de cette sensation de vide.

Et un goût de sel dans la bouche.


Thora se pencha vers lui. Lui caressa les lèvres.



Elle sourit.



Ærik, ce jour-là, ne conquit rien. Il fut conquis. Il ramena Thora en Norvège, non comme une prisonnière, un trophée, mais comme un présent.



oooOOooo



Cinq ans plus tard


Le rocher du fjord de Breiorgvegr, là où vit le clan Hrafn, ruisselait sous une pluie fine. Un brouillard épais dansait autour des pierres, comme une respiration invisible. Ce lieu n’était plus tout à fait Midgard, presque déjà la Terre de Glace. Il appartenait à une frontière. Celle des songes, des dieux, des corps.


Ærik avait quitté le village sans un mot, poussé par un rêve récurrent, une voix, douce et grave, qui l’appelait depuis les rochers.


C’était toujours la même scène. Une femme nue, debout sur un promontoire, des cheveux aussi blancs que la neige de Jotunheim, une peau pâle, comme nacrée. Son regard, lorsqu’elle se tournait vers lui, n’était ni humain ni divin. Ce visage l’obsédait. Il s’y noyait chaque nuit.

Ce soir-là, il suivit l’appel.


Il grimpa les pentes humides, ses bottes s’enfonçant dans la mousse. Le vent portait une odeur d’écorce brûlée et de sel. Il entendit une mélopée, grave, ancienne. Ce n’était pas une chanson, mais une incantation.


Lorsqu’il atteignit le sommet, elle était là. Nue, comme dans ses rêves. Mais elle était réelle. Et belle d’une manière qui faisait mal. Elle ne bougea pas, même quand il approcha. Une brume s’enroulait autour de ses hanches comme une tunique vivante.



Sa voix semblait sortir du fjord lui-même, comme si l’eau parlait par sa bouche. Elle s’approcha lentement, sans crainte.



Elle toucha son torse. Là où ses doigts passèrent, sa peau se mit à brûler. Elle s’attarda sur la rune gravée dans sa peau, la marque que lui avait laissée Thora.



Elle traça un signe sur sa poitrine. Un bindrune, qu’il reconnut sans savoir comment, puis Laguz et Mannaz, l’union de l’eau et de l’homme.


Elle posa sa main sur son ventre, puis descendit lentement, jusqu’à sentir sa virilité sous la tunique de lin. Elle ne sourit pas. Ce n’était pas un jeu. C’était un rite.



Elle le fit s’asseoir sur la pierre, et s’assit sur lui, lentement, comme une prêtresse sur son autel. Elle s’empala sur son sexe dressé. C’est elle qui donnait le rythme.

Lui sentait en elle le vent glacé des montagnes, le feu des volcans, les éclairs du ciel, et l’oubli.


Leurs corps se lièrent dans un silence sacré. Chaque mouvement d’elle vrillait dans tout le corps du guerrier et semblait déclencher des murmures dans les arbres, comme si la nature elle-même assistait et participait à l’union.

Quand il atteignit l’extase, il ne cria pas. Il vit les branches d’Yggdrasil. Il sentit son âme aspirée vers quelque chose d’immense.


Et quand il rouvrit les yeux, elle avait disparu. Ne restait que l’odeur du sel, une nouvelle marque de rune sur son torse identique à celui que lui avait laissé Thora, et la certitude que sa vie venait de changer.



Trois jours passèrent depuis la nuit sur le rocher.

Ærik ne parla à personne. Il évitait Thora, même lorsqu’elle vint frapper à sa porte, les cheveux tressés, le regard furieux. Il se cacha et elle repartit.


Il ne dormait plus. La marque laissée par Skadi brûlait sur son torse, le consumait. Il sentait sous sa peau quelque chose d’ancien qui remuait, comme si elle avait réveillé en lui une part oubliée. Par moments, il voyait à travers les yeux d’un loup. D’autres fois, il sentait l’appel des eaux, une pulsion de se jeter dans le fjord glacé.

C’est lors d’un rite païen, sous le chêne sacré, qu’il la revit.


Skadi, couverte cette fois d’un manteau de fourrure de loups blancs, assistait en silence à l’offrande faite aux dieux. Personne d’autre, dans l’assistance, ne semblait la voir.



Elle leva la main. Autour d’eux, le monde sembla se figer. Même le vent s’arrêta.



Elle l’embrassa alors, sans douceur. Sa langue parlait en runes, et dans sa bouche, Ærik sentit le goût du fer, du feu, et du miel noir des enfers.


Mais à quelques pas de là, Thora les vit.


Thora ne pleura pas. Elle ne pleurait jamais. Au fond d’elle-même, elle savait. Cette force irrépressible qui l’avait poussée à s’approprier Ærik, il y a cinq années en Northumbrie. Elle savait que quelque chose devait se produire, mais elle ignorait quoi. Cette femme sur les hauteurs du fjord, était-ce le signe qu’elle attendait ?

Elle entra dans la halle du jarl, et jura devant tous les dieux que Skadi était une sorcière. Une völva perverse, venue pervertir leur sang.


Mais les anciens la retinrent. Car Thora portait elle aussi un don, tout le monde le savait. Elle était née avec la marque d’Eir, la déesse des guérisons et dans ses veines coulait un pouvoir dormant. Sa connaissance des plantes, sa capacité à soigner, à prédire le temps, les tempêtes était connus de tous dans le clan.


Elle jura de ramener Ærik à elle. Par la force, par l’amour… ou par le feu.



Le fjord dormait sous un ciel sans lune. Une brume épaisse rampait sur l’eau noire, montant jusqu’aux falaises. Ærik avait quitté le village sans un mot, poussé par un rêve récurrent, une voix, douce et grave, qui l’appelait depuis les rochers.


Après avoir erré longtemps dans les forêts gelées, Skadi lui apparut et le conduisit, par l’union de leurs corps, au pied d’Yggdrasil. L’arbre-monde s’élevait, immense, et ses racines tremblaient.



Elle le fit s’agenouiller, lui fit boire un breuvage de sang et de sperme de géant, l’élixir de mémoire. Et d’un coup, il se souvint.


De sa mère, une sorcière qui prédisait l’avenir au ventre rond, s’enfuyant dans les montagnes. De son père, un colosse aux yeux noirs, tombé au combat contre les dieux. Et il comprit. Il n’était pas né pour les raids. Ni pour la gloire. Il était né pour briser l’équilibre.


Il partit, marcha longtemps au hasard, traversant les forêts, longeant les fjords.



Cette nuit-là, Thora aussi monta jusqu’au rocher.


Elle portait une tunique fine, collée à sa peau par l’humidité. Ses cheveux blonds dénoués lui tombaient sur les épaules. Dans ses yeux, la colère avait fait place au trouble. L’appel qu’elle avait ressenti n’était pas celui d’Ærik. C’était… autre chose. Plus ancien. Plus profond.

Mais ce qu’elle y trouva n’était pas une femme. C’était une louve géante, aux yeux de glace. Skadi apparut derrière elle, sans bruit. Nue. Son corps semblait couvert de brume et de cendres, comme né d’un volcan. Elle n’avait pas d’âge.


Elle lui parla dans le langage des morts :



Ses yeux n’avaient aucune pitié.



Skadi s’approcha lentement. Elle effleura la joue de Thora du dos des doigts, laissant une trace humide, comme de la rosée froide. Thora frissonna, mais ne recula pas.



Et sans un mot de plus, Skadi posa sa bouche sur la sienne.

Le baiser fut d’abord dur, presque cruel. Puis il se fit plus lent, plus profond. La langue de Skadi portait le goût des herbes amères, des racines oubliées, des enfers glacés. Une mémoire coulait entre leurs lèvres. Thora vit un instant son propre reflet dans un autre monde, une prêtresse, dans une autre vie, agenouillée devant une déesse de glace.

Les mains de Skadi glissèrent sous la tunique mouillée. Elles trouvèrent la poitrine tendue de Thora, ses hanches fermes, sa chaleur sous la pluie. Thora gémit contre sa bouche, sans honte. Elle ne luttait plus.


Elles s’allongèrent ensemble sur la pierre couverte de mousse. Les jambes emmêlées, les doigts en quête. Skadi traça sur le ventre de Thora des runes d’amour interdit, Gebo, Eiwaz, Berkano, symboles de don, d’initiation, de fertilité sacrée.


Chaque baiser, chaque caresse, ouvrait un peu plus l’esprit de Thora. Elle n’était plus une femme libre. Elle était une offrande vivante. La prêtresse d’un rituel oublié.


Et lorsque Skadi s’allongea entre ses cuisses, et posa sa bouche sur son sexe, le plaisir fut si lent, si large, qu’il devint un chant. Le chant du Niflheim, monde de glace et de brume. Et dans ce chant, Thora perdit son nom.


Elle n’était plus jalouse. Elle n’était plus en colère. Elle devint alliée, amante et initiée de Skadi. Elle lui appartenait.


À elle. À la magie. À l’inévitable.



Lorsque Thora rouvrit les yeux, la pluie s’était arrêtée. Le ciel ne portait plus d’étoiles. Seule une clarté pâle, irréelle, baignait le rocher. Autour d’elle, la brume formait un cercle parfait, comme une barrière entre les mondes.


Skadi l’observait en silence. Allongée sur la pierre, elle semblait une créature sculptée dans le givre. Sa poitrine se soulevait lentement, paisiblement. Un sourire rare effleurait ses lèvres.


Thora, nue, sentait encore la chaleur de la langue de Skadi entre ses jambes, la trace de ses doigts en elle. Mais plus encore, elle sentait… un mouvement en elle. Quelque chose de profond, de vivant. Les battements de son cœur n’étaient plus les siens. Elle entendait une mer intérieure battre contre des falaises oubliées.



Skadi posa la main sur le ventre de Thora. Là, sous sa peau, une lueur bleutée pulsa. Des veines de lumière se dessinèrent lentement sur sa chair, courant de son nombril à ses seins, jusqu’à sa gorge.


Thora haleta. Son souffle devint rauque. Elle se cambra, non de douleur, mais d’excès.


Et soudain, elle vit.


Elle vit le monde tel qu’il était vraiment. Les arbres parlaient. La terre vibrait. Elle comprenait la langue des pierres, le murmure des morts dans le vent. Elle vit l’ombre de Skadi, immense, déployée comme une louve cosmique.



Skadi se pencha, l’embrassa encore, doucement cette fois. Un baiser de reconnaissance. De pacte. Puis elle murmura :



Thora ne répondit pas. Elle pleurait, sans bruit. Des larmes claires, salées. Pas de tristesse, juste de reconnaissance, de renaissance.




Le ciel était noir, les vents lourds. Ærik avait passé des jours à errer dans les montagnes, entre visions et cauchemars. Il avait vu Skadi en rêve, nue, couverte de sang, tenant une lance faite de givre. Il avait vu Thora aussi. Mais elle ne l’appelait plus. Elle lui tournait le dos.


Il redescendit vers le fjord, maigre, fiévreux, les yeux hantés.


Quand il atteignit le rocher sacré, il la vit. Thora ! Debout, seule, au bord du vide. Son corps nu était couvert de symboles runiques, lumineux sous la lune. Sa peau semblait boire la brume. Son regard n’était plus celui d’une mortelle.



Elle s’approcha lentement. Ærik voulut l’embrasser, la toucher. Elle posa un doigt sur sa bouche. Et il comprit, ce corps-là n’était plus pour lui.



Skadi apparut derrière elle, nue comme une nuit sans fin, ses longs cheveux blancs flottant autour d’elle comme des serpents de brume. Elle posa sa main sur le ventre de Thora, possessive.



Devant ce rituel charnel et mystique, Ærik recula, haletant. Mais quelque chose en lui se mit à rugir. La rune sur son torse, marquée par Skadi lors de leur première union, brûla soudain. Son sang se mit à vibrer.



Il cria. Une rune éclata sur sa poitrine. Laguz, l’eau. Kenaz, le feu. Une explosion de lumière. Son corps se tendit, se transforma. Il tomba à genoux, pris de convulsions.


Skadi sourit.



Thora s’agenouilla près de lui, caressa ses cheveux trempés de sueur.



Skadi s’agenouilla à son tour. Ses doigts glissèrent sur la rune de sa poitrine.



Thora s’approcha, et posa ses lèvres sur celles d’Ærik. Il gémit, partagé entre la douleur et le désir. Puis Skadi le prit aussi, d’une main ferme, d’une caresse grave. Leurs mains, leurs bouches, leurs corps, tout se confondait.

Il n’y avait plus de haine. Plus de jalousie. Il y avait le feu, l’eau, et le sel du monde.


Et dans leur union, ce rituel charnel et mystique à trois, cette étreinte sacrée entre la chair et les dieux, quelque chose de plus grand naquit, une prophétie.


Le souffle d’Ærik s’éteignait, doucement, entre les cuisses de Thora, puis de Skadi. Il venait de connaître une extase presque divine. Son corps tremblait, vidé, sanctifié. Et pourtant, en ouvrant les yeux, il ne vit aucun amour dans leurs regards. Ni dans celui de Skadi. Ni dans celui de Thora. Seulement… un calme glacial.



Ærik essaya de parler, mais sa gorge ne produisit aucun son.

Thora, nue, rayonnante, le regarda sans haine.



Elle se tourna alors vers Skadi, et s’agenouilla à ses pieds. Lentement, humblement. Comme une prêtresse devant sa déesse.



Skadi posa sa main sur sa tête, et traça avec ses ongles un cercle sur son front. Puis elle se déshabilla, ses vêtements de brume glissèrent à terre comme de la vapeur.



Skadi la releva et l’embrassa.


Ce ne fut pas un baiser tendre. C’était une absorption. Une fusion. Leurs langues se lièrent comme des serpents. Leurs corps se touchèrent de nouveau. L’union fut lente, profonde, presque cérémonielle.


Skadi s’agenouilla, et offrit à Thora sa bouche, sa gorge, son ventre, comme si c’était elle, la déesse, et qu’elle se mettait en offrande.


Et Thora comprit : Skadi ne voulait pas seulement la posséder. Elle voulait être en elle. S’unir jusqu’à devenir indistinctes. Amante. Démone. Double.


Au sommet de l’étreinte, Thora hurla un nom qu’elle n’avait jamais entendu, un nom ancien, oublié par les hommes : « Ynganaskadi. » (Celle-qui-se-divise-en-déesse-et-prêtresse.)


Et dans ce cri, une lumière éclata.


Ærik, affalé contre la pierre, vit le monde se replier. Le fjord s’effondra en lui-même, la brume se dissipa. Il était seul. Nus, glacé, abandonné.


Thora avait disparu.


Mais quelque part, entre les mondes, Skadi et elle ne faisaient plus qu’une seule entité. Une puissance nouvelle. Une déesse incarnée dans une chair offerte.


Les villageois l’ont retrouvé nu, au pied du rocher.

Ærik, le guerrier. Ærik, le marqué. Il n’était plus qu’un homme. Ses visions l’avaient quitté. Sa force s’était vidée entre les cuisses de deux déesses.


Il errait comme un loup sans meute, affamé, enragé de solitude. Les gens du village le fuyaient. On disait que ses yeux ne voyaient plus le monde, mais des flammes et des ombres.


Une nuit, Thora et Skadi sont revenues. Pas par pitié. Pas pour l’aimer à nouveau, mais pour terminer le rituel.

Elles vinrent à lui comme des amantes.

Skadi portait une robe tissée de ténèbres, qui laissait entrevoir sa peau de neige et de runes. Thora, nue, ne portait que des chaînes d’or autour de ses poignets. Elles sentaient la rose, le sang, et les odeurs de la forêt humide.


Ærik tomba à genoux.



Thora s’approcha. Elle le prit dans ses bras. Doucement. Comme avant. Il sentit ses seins contre son torse, sa bouche près de son oreille.



Puis elle lui mordit l’oreille jusqu’au sang.

Skadi, derrière lui, glissa ses doigts entre ses jambes, caressant lentement. Il gémit, les yeux mi-clos, perdu entre honte et excitation. Son sexe se dressa, docile.

Elles le firent s’allonger sur l’autel de pierre, sous la lune rouge. Le même où jadis, elles s’étaient unies.

Thora le chevaucha. Lentement. Langoureusement. Skadi tenait ses bras au-dessus de sa tête. Elle murmurait des mots anciens, des runes de rupture.



Leur va-et-vient devint plus rapide. Ærik cria, jouit, hurla. Mais elles continuaient. Encore. Encore. Jusqu’à ce que son corps ne soit plus qu’un tambour sur lequel elles invoquaient la fin de l’homme.


Quand il n’eut plus de sperme, elles prirent son sang.



Skadi enfonça ses ongles dans son torse. Thora ouvrit ses veines de sa bouche, lentement, doucement.


Il pleura. Mais de plaisir. Quand il mourut, il souriait.

Ainsi partit Ærik Armodsson le guerrier viking.


À suivre (peut-être)