n° 23158 | Fiche technique | 21789 caractères | 21789 3778 Temps de lecture estimé : 16 mn |
26/06/25 |
Résumé: Ils filment leurs jeux. Mais quelque chose d’autre regarde. | ||||
Critères: #exercice #tutu #psychologie #philosophie #horreur #sciencefiction #dystopie #fantastique #candaulisme #voyeur #vidéox | ||||
Auteur : L'artiste (L’artiste) Envoi mini-message |
Fichier vidéo trouvé sur un disque dur corrompu, dossier non identifié. Aucun des visages n’a pu être recoupé. Hypothèse : fiction. Aucun témoin.
Le monde extérieur ne passe plus : le ronron de la ville s’est arrêté aux vitres fumées.
Le lit est vaste, tendu de draps noirs. Face à lui, un trépied, une caméra. Lent clignotement rouge : <REC> en cours.
Sybille est là. Allongée sur la tranche, de travers, nue, jambe repliée, fesse haute, exposée, sa peau ébène contre le blanc du tissu. Elle tient un verre de vin, ses doigts délicatement posés sur la tige de cristal. Elle ne le boit pas. Pas encore. Au sol, sa robe en soie gît comme une mue. Rouge sombre. Fendue jusqu’à l’oubli.
Elle sourit. Ce sourire qu’elle ne donne qu’en début de jeu, quand elle sait qu’elle est exactement là où elle doit être : observée.
En face, un homme. Pas son mari. Jeune. Trop peut-être. Belle gueule nerveuse, le souffle court, les doigts qui hésitent sur les boutons de sa chemise. Il n’ose pas la regarder trop longtemps. Sybille, elle, ne le quitte pas des yeux.
Il transpire un peu. Pas de honte. Juste l’adrénaline.
Elle écarte les cuisses, dévoilant un sexe lisse. Les grandes lèvres brillent légèrement, d’un rouge presque violacé sous la lumière chaude, contrastant violemment avec le noir de sa peau.
Le garçon obéit. Son torse se révèle. Rien de remarquable, mais musclé d’hésitation.
Pantalon, puis caleçon, glissent l’un après l’autre. Il est nu, maintenant, et reste là, debout, torse nu, tendu. Comme un acteur qui attend la réplique suivante. Son sexe est dressé. Pas monstrueux, mais beau. Fier. Palpitant d’anticipation.
Elle le laisse approcher.
Il se penche. L’embrasse. Elle le prend dans sa paume. Le tient. Le caresse sans se presser, puis lève lentement les yeux.
La question claque doucement dans l’air. Luc, son mari, ne répond pas. Peut-être sourit-il. Peut-être pas.
Elle baisse la tête. Ses lèvres effleurent le gland, le marquent d’un baiser rapide. Sa main poursuit son lancinant va-et-vient, le garçon gémit à peine, déjà tendu à l’extrême.
La caméra continue de filmer.
Le vin ne bouge pas dans le verre. Pas une goutte. Comme si même le liquide s’interdisait de troubler l’image.
Un silence de galerie d’art. L’appartement est net. Trop. Tout est symétrique, épuré, soigneusement désaffecté. Pas une photo, pas une trace. Un canapé noir. Une table basse vide. Un écran suspendu au mur, immense, éteint comme une pupille fermée.
Une lampe de lecture, seule source de lumière, projette un halo ovale sur le cuir. Au centre : Sybille assise en tailleur, nue sous une chemise d’homme, les manches remontées jusqu’aux coudes. Les pans ouverts sur ses cuisses croisées, laissent deviner la naissance de son ventre. Sur ses genoux : un bol de cerises noires. Brillantes comme des globes oculaires. Elle en prend une, la roule longuement entre ses doigts et la porte à sa bouche. Elle croque. Le noyau craque entre ses dents. Elle ne le recrache pas. Elle le garde sur la langue.
Sur l’écran maintenant allumé, la scène de la veille.
Le lit. Le garçon nu. Sybille, elle-même, passive, sublime, à quatre pattes. Le dos cambré, les hanches offertes. Mais plus immobile que dans la vie. Plus actrice aussi.
Le pénis tendu glisse, luisant. Le plan est large, parfait. Le rythme est lent. Précis. Presque chorégraphié.
Luc est assis dans un fauteuil, en retrait. Il ne la regarde pas. Il regarde l’image d’elle. Ses yeux sont fixés sur l’écran, mais son visage ne reflète rien. Il ne semble pas excité.
Luc adapte sa position. Le fauteuil craque.
Elle croque une autre cerise. Cette fois, le jus coule légèrement sur sa lèvre inférieure. Elle ne l’essuie pas. Elle laisse la goutte tracer une fine ligne rouge sur son menton, jusqu’à sa gorge.
À l’écran, elle est prise en levrette, l’angle est parfait. Un gland gonflé, chaleureusement enveloppé de peau luisante.
Elle ne le dit pas avec provocation. Elle constate.
Pause : le jeune homme penché sur elle, la paume sur sa hanche, l’autre sur sa fesse. Mais Luc regarde ce qui est derrière. Dans le miroir. Une tache.
Télécommande en main, Luc rembobine image par image. Sybille observe, mais sans curiosité. Comme si elle savait déjà ce qu’il allait trouver.
Et là, dans l’angle, une silhouette. Floue. Immobile. Un corps, mais sans matière. Juste une densité. Une présence.
Luc murmure, presque pour lui :
Sybille répond du même ton :
Silence.
Elle décroise lentement les jambes. Une cerise roule hors du bol, tombe sur le tapis. Elle ne la ramasse pas.
Elle glisse une main sur la cuisse de Luc, qui ne réagit pas et continue de zoomer. De chercher. Sa mâchoire est serrée. Son souffle plus court. Les doigts de Sybille se referment sur son sexe. Elle le branle. Pas pour lui donner du plaisir. Pour l’occuper.
Il appuie de nouveau sur play.
L’homme la pénètre à nouveau. Elle regarde vers l’objectif, ou au-delà, par-dessus son épaule.
Luc fronce les sourcils. Son attention ne quitte pas l’écran.
Sybille glisse ses lèvres sur son cou tout en continuant son mouvement de poignet. Plus lent. Plus précis.
Il ne répond pas. Il baisse les yeux et rejoue la scène. La vidéo reprend. Sybille observe son propre corps et commente, d’un ton presque administratif :
Sa main, elle, ne faiblit pas. Le mouvement s’accélère à peine.
Elle accentue la pression. Une prise ferme. Un poignet souple. Luc gémit. Une fois. Brève. Étouffée. Son corps se tend. Il jouit. Le sperme jaillit, blanc sur les doigts bruns. Elle ne le lâche pas et laisse couler. Le liquide s’étale, tiédit entre ses phalanges.
Elle le regarde. Le vide qu’il lègue, l’espace d’un instant.
L’image est à nouveau figée. Le garçon est à l’arrêt. Sybille aussi. Le mouvement a disparu. Il ne reste que le miroir. La silhouette est plus nette. Plus proche.
Luc serre les paupières. Son sexe pulse encore. Un frisson. Pas seulement de plaisir.
Sybille le fixe.
Il éteint l’écran.
Noir.
Une autre chambre. Plus grande. Le style est désincarné : design international, beige, chrome et silence. On pourrait être à Paris, Berlin ou dans un cauchemar suédois. Lumière tamisée. L’ambiance est prête. Trop.
La caméra est déjà installée. Fixée. Alignée. Le trépied est réglé au millimètre. Luc vérifie une dernière fois l’angle. Il a tout cadré : le lit – draps froissés à dessein – et la table de nuit sur laquelle repose une carafe d’eau et deux verres vides. Tout est calme. Même la clim fait semblant.
Sybille porte une robe longue, rouge sombre, presque noire. Fendue jusqu’à la hanche. Très haut. Elle s’approche, pieds nus. Elle sent le bois de santal et quelque chose de plus froid. Le métal, peut-être. Ou le fer.
Des coups secs frappés à la porte. Trois. Espacés. Aucun empressement.
Luc ouvre.
L’homme est là.
Grand. Plus âgé. Costume noir. Aucun mot. Son regard glisse dans la pièce, puis sur Sybille. Elle incline juste la tête, comme une prêtresse donnant sa bénédiction. Rien ne se lit en lui.
Le lit grince doucement. Le drap s’accroche aux chevilles de Sybille. Elle est allongée sur le dos, les cuisses écartées laissant admirer le sexe pénétré. L’homme est sur elle, lent, presque cérémoniel. Ils ne parlent pas. Il la baise avec la régularité d’un métronome sacré et semble ne jamais faiblir. Il ne transpire pas, ne gémit pas.
Sybille, elle, respire profondément, lèvres entrouvertes. Elle attend. Et parfois, lève les yeux. Vers Luc. Ou… au-delà. Et il comprend : ce n’est plus lui qu’elle regarde. C’est ce qui est derrière lui.
Luc n’est pas derrière la caméra, il est devant ce qu’elle ne capte pas. Quelque chose gronde en lui. Pas la jalousie. Pas le désir. Autre chose.
Un frisson dans son dos.
Il se retourne. Rien. Bien sûr qu’il n’y a rien.
L’homme pénètre à grands coups de bassin. Toujours plus profondément. Toujours en silence.
Sybille est absente. Elle avait dit que ce serait long.
Luc revisionne la dernière vidéo. Image par image. Il sait ce qu’il cherche.
Il avance. Recule. Zoome. Pause.
Et là, dans l’angle du miroir, plus d’ambiguïté : la silhouette est claire. Elle est debout, mais cette fois, elle a bougé. A tourné lentement la tête vers la caméra. Le visage est flou. Noir. Pas de peau. D’absence. Les yeux ne sont pas visibles, mais quelque chose regarde. La posture – droite, immobile, comme clouée au sol – est inhumaine.
Luc recule et observe à nouveau. Le reflet du miroir ne correspond plus à la chambre telle qu’elle était.
Il appuie sur pause. Encore et encore. Mais l’image semble vivre sans lui.
Luc frissonne.
Et au fond de l’écran… Sybille impudemment offerte. Allongée maintenant sur le dos, son baiseur a califourchon sur elle, sexe raide en main. Il jouit sur sa poitrine. Et alors que le sperme ruisselle sur sa peau noire, elle regarde directement Luc et lui sourit.
Entre ses lèvres, elle fait rouler un noyau de cerise.
Il n’y a plus de musique. Plus de vin. Plus de bol de cerises. Le salon est sombre, à peine éclairé par la lumière bleutée d’une vidéo. Sybille n’est pas là ce soir. Une session privée. Elle avait insisté pour y aller seule.
Luc n’a pas aimé ça. Mais il a dit oui. Et maintenant il regarde.
Sur l’écran : une pièce inconnue. Un lieu plus austère. Moins hôtel, plus sanctuaire. Rideaux fermés. Bougies. Pas de partenaire visible au début. Sybille est debout, en robe noire. Droite. Impassible. Elle parle à quelqu’un, mais aucun son n’a été enregistré. La vidéo est muette. Volontairement ? Il ne se souvient pas d’avoir coupé l’audio. Peut-être Sybille a-t-elle effacé la piste.
Sybille, maintenant nue, s’assied sur un tabouret et tourne enfin la tête vers la caméra. Pas vraiment vers l’objectif, son regard est… légèrement décalé, comme si elle fixait quelque chose juste au-dessus de lui. Quelque chose hors-champ.
Luc, intrigué, appuie sur pause.
Elle sourit, comme on verse du poison dans un verre vide. Et dans le fond, à moitié fondu dans l’ombre derrière elle : la silhouette. Mais cette fois, elle n’est pas floue. Elle a des contours. Un torse nu. Des yeux – pas un visage, des globes oculaires, immenses, noirs, deux creux dans la pellicule.
Luc agrandit l’image. Sa main tremble.
L’écran pixelise. La forme est là. Stable. Et Sybille ? Elle regarde directement cette chose, pas lui.
Luc s’est levé. Il tourne en rond. Transpire. Cherche son téléphone. Il veut appeler Sybille. Mais au moment où il le trouve, une notification s’affiche. Un fichier. Envoyé depuis le compte cloud partagé.
Il hésite, mais ouvre. L’écran s’allume sur une nouvelle vidéo.
Sybille. Nue. Debout. Cette fois dans leur chambre à eux. Elle est seule. Elle parle, mais toujours pas de son. Et dans son dos, la silhouette émerge. Elle sort littéralement du mur.
Luc tombe dans le fauteuil. Un frisson humide remonte sa colonne.
Sybille se retourne vers l’ombre, s’agenouille devant elle. Le micro capte juste une phrase :
« Tu n’étais qu’un écran. Je veux qu’il me voie en vrai. »
INT. APPARTEMENT – MATIN SALE
La lumière est grise, malade. Luc est affalé dans le canapé, toujours vêtu du même tee-shirt, froissé, taché. Ses yeux sont cernés, injectés. Il n’a pas dormi. Autour de lui, des feuilles de papier, des croquis, des captures d’écran imprimées, des ronds rouges encerclant la silhouette. Sur certains, Sybille est floutée. Sur d’autres, elle n’apparaît pas du tout.
L’ordinateur est allumé. Il a ouvert un dossier qu’il jure ne pas avoir créé : « séquences_sybille_04b ». Il y a 17 vidéos. Aucune ne porte un nom qu’il reconnaît.
Vidéo 1 :
Une chambre. Vide. Sybille entre. Elle a 20 ans. Luc ne l’a jamais connue si jeune. Elle se tourne vers la caméra et murmure :
- — Tu ne peux pas éteindre ce qui te regarde.
Luc avance. L’étranger a son visage. Mais légèrement différent. Les traits sont trop lisses. Comme une version « idéale », numériquement corrigée.
Il coupe la vidéo. Panique.
VIDÉO 2 :
À l’image, un salon. Ce n’est pas leur appartement, mais tout y ressemble. Sybille est assise sur une chaise. Entourée d’objets familiers : le vase coréen, le coussin jaune, la lampe achetée à Milan, mais dans ce décor : Luc n’existe pas. Un autre homme vit là. Il embrasse Sybille. Elle rit, lui chuchote quelque chose à l’oreille. Ils font l’amour, tendrement.
Luc reste figé. Le mug lui échappe lentement. Il ne le lâche pas, c’est sa main qui ne serre plus. Le café se répand en silence, tiède, noir, comme un saignement.
Luc s’observe dans le miroir. Il ne se reconnaît pas. Il a l’impression que son reflet bouge avec une seconde de retard.
Il lève la main. Le reflet la lève… mais sourit cette fois avant lui.
Il s’éloigne brutalement. De retour dans le salon, l’écran affiche déjà une autre vidéo, lancée seule.
Sybille. Toujours. Elle est dans une pièce vide. Blanche. Lisse. Elle fixe l’objectif et dit :
— Tu n’étais pas censé tout voir.
— Je l’ai laissé entrer. Parce que lui… regarde vraiment.
Luc arrache la prise de la télévision. L’écran s’éteint. Mais sur son téléphone, une nouvelle vidéo s’affiche. Aucune explication. Juste un titre : « bientôt ».
Luc est dans une salle obscure. Ce n’est peut-être pas un lieu réel. Un rêve ? Un souvenir ? Un espace mental, construit à force de regarder. Devant lui : une galerie de moniteurs CRT. Vingt, trente, cent. Tous diffusent des vidéos de Sybille. Des vies qu’ils n’ont pas eues. Des visages qu’elle a eus sans lui.
Quelquefois, elle est heureuse. D’autres, elle pleure. Les cheveux courts, ou longs. Une voix différente. Des langues étrangères.
Il s’approche. Touche un écran. L’image se brouille, puis…
Il se voit.
Pas lui maintenant. Un autre lui. var Luc_001 = { « age » : 39, « statut » : « observé » }. Plus jeune. Ou plus vieux. Impossible à dire. Et il… lui parle.
— Tu te répètes. Tu crois filmer, mais tu rejoues.
Luc trébuche. Halète.
Tous les écrans s’éteignent en même temps.
Luc est dans le noir. Tout a sauté. Le courant. Le réseau. Son téléphone ne s’allume plus. Une sorte de battement remplit la pièce. Comme une pulsation. Il avance, à tâtons, vers la chambre.
La lumière revient d’un coup. Éclat violent. La chambre est vide, mais impeccable. Draps tirés. Aucun objet personnel. Rien ne prouve que quelqu’un ait jamais vécu ici.
Luc entre et s’approche du miroir. Il s’attend à ce que quelque chose l’y attende. Mais non. Et ce qu’il y voit… c’est lui, en train de dormir.
Pourtant, il est bien là, éveillé, debout. Alors qui est-ce ?
Luc approche encore, fasciné, glacé.
Et… le « lui » endormi ouvre les yeux.
Pas les siens.
Noirs.
Lisses.
Comme ceux de l’ombre.
INT. APPARTEMENT – QUELQUES SECONDES APRÈS LA DERNIÈRE SCÈNE
L’image de Luc – endormi avec des yeux d’encre – reste figée. Mais une voix, lointaine, comme une bande magnétique déroulée trop vite, commence à chuchoter. Celle de Sybille, déformée, granuleuse.
— Tu n’as jamais été ici.
Luc recule.
La lumière vacille. L’appartement se plie – littéralement. Les murs s’allongent, les objets se rétractent. Rien n’obéit plus à la géométrie. Le sol devient une pente, le plafond ondule.
Luc ferme les yeux. Quand il les rouvre : il est dans une autre pièce.
Partout, des miroirs sans tain. Luc peut se voir sous tous les angles, mais les reflets sont désynchronisés. Chaque « lui » bouge différemment. L’un a le regard fou. Un deuxième pleure. Un troisième n’a pas de visage du tout.
Il s’avance. Le sol est lisse, comme une surface d’eau figée.
Au centre : un fauteuil. Et dans ce fauteuil, une télécommande.
Luc la prend. Une télé s’allume devant lui. Murale, flottante, sans bord.
Sybille, dans un couloir. Elle marche, nue, sereine.
Luc appuie sur une autre touche. Nouvelle image : lui-même. Il est filmé en temps réel.
Il regarde autour de lui. Une caméra est suspendue au plafond. Elle l’observe.
La voix de Sybille, douce, distante, émane de nulle part.
— Tu es devenu ce que tu voulais voir.
Luc avance maintenant dans un couloir formé d’écrans, à l’infini. Chacun montre une scène qu’il n’a jamais vécue.
Dans l’un, il est enfant et regarde Sybille comme une mère.
Dans un autre, il la tue. Et elle rit.
Dans un troisième, ils ne se connaissent pas. Elle passe à côté de lui dans un métro, il ne lève même pas les yeux.
Il s’arrête devant un écran plus grand que les autres.
Il s’y voit. Maintenant.
Dans ce couloir.
Il tourne la tête – sur l’image aussi.
Il avance – sur l’image aussi.
Puis il s’arrête.
Dans l’écran qu’il regarde, il regarde un écran.
Et sur cet écran, il regarde un écran.
Et ainsi de suite.
Jusqu’à l’infini.
Un vertige le saisit.
Il est le spectateur de lui-même regardant l’image d’un homme qui regarde l’image d’un homme…
Il veut détourner les yeux, mais ne peut pas.
Le sol semble onduler sous ses pieds. Le verre autour de lui se met à vibrer.
Un des écrans explose au ralenti – une pluie de verre numérique.
Luc tombe.
Luc est allongé dans un lit. Sybille est là. Nue. Les cheveux mouillés. Elle le regarde avec un calme parfait, et lui caresse la joue. Il ne peut pas bouger. Son corps ne lui répond plus.
Elle le fixe droit dans les yeux.
Elle l’embrasse. Ses lèvres à peine posées sur les siennes : écran noir.
Une boutique. Une télévision en vitrine qui diffuse une scène étrange : un homme regarde la caméra, assis sur un fauteuil. Il ne cligne jamais des yeux.
Une vendeuse passe et ajuste légèrement l’angle de l’écran.
Elle change de chaîne.
Luc disparaît.
NOIR.
Puis, lentement, un visage émerge.
Sybille.
Nue. Pas exposée – épurée. Pas érotique – symbolique.
Ses yeux ne brillent pas. Ils absorbent.
Elle ne sourit pas. Elle voit.
Elle te voit.
Toi.
Pas Luc.
Pas le garçon.
Toi.
Elle murmure. Sa voix est calme, grave, sans émotion apparente.
Tu pensais regarder une histoire.
Tu t’es dit : « Voilà un jeu. Une fiction. Une expérience. »
(pause)
Tu as lu. Tu as cliqué. Tu as voulu.
Tu as regardé.
(pause plus longue)
Mais tu ne m’as jamais regardée.
Tu n’as vu que toi.
Que ce que tu voulais voir.
Ce que tu pouvais désirer sans t’effrayer.
Elle s’approche.
Son visage remplit l’écran. Inexorablement.
Comme une caméra inversée.
<script> let watcher = you ; let seen = true ; </script> Tu croyais être Luc.
Tu pensais être un spectateur.
Tu n’étais qu’un œil.
Et maintenant… tu es ouvert.
(pause – très longue)
C’est tout ce qu’il fallait.
Elle lève la main. Sa paume glisse doucement vers l’écran.
Pas pour caresser.
Pour activer.
Tu es prêt à laisser entrer.
Tu es prêt à devenir.
Un bruit.
Pas un cri.
Une bande magnétique inversée.
Un son d’enregistrement qui se mange lui-même.
Le monde se déchire en silence.
Ses yeux brillent d’un noir mouillé.
Et elle te traverse.
Elle répète. Calme. Hypnotique. Inévitable :
Regarde-moi.
Regarde-moi.
Regarde-moi.
Encore. Et encore. Et encore.
Regarde-moi.
Regarde-moi.
Regarde-moi.
(pause)
NOIR.
Puis…
En lettres blanches, très fines, au centre de l’écran :
Et l’œil fut ouvert. Et l’image eut faim.
Tu es toujours là.
Je pensais que tu partirais.
Les autres partent. Ils ferment.
Ils cliquent ailleurs.
Ils se disent :
« C’était juste une histoire. »
(pause)
Mais toi.
Tu restes.
Tu regardes encore.
Tu t’accroches à moi
comme à un dernier secret.
Comme si elle allait te dire
ce qu’elle voulait vraiment.
Comme si tu espérais
une vérité.
Tu veux savoir
qui je suis.
Tu veux savoir
si j’étais complice.
Tu veux savoir
si Luc méritait ça.
Tu veux
une réponse.
Mais l’explication,
c’est toi.
Tu es la preuve.
Tu es l’œil
qui ne se ferme pas.
Tu es
la présence
qui consomme.
Tu es
la faille.
Tu crois que c’est une fiction ?
Que c’est un jeu érotique ?
C’est une porte.
C’est une offrande.
Et tu viens de dire
oui.
Tu n’as rien arrêté.
Tu as suivi.
Tu as voulu voir.
Tu as attendu l’épilogue.
(pause)
Tu n’es pas un lecteur.
Tu es
le dernier personnage.
(pause plus longue)
Tu peux fermer les yeux maintenant.
Si tu crois
que tu en as encore.
NOIR.