Un futur proche peu souhaitable. Bonne lecture :)
Une étrange malédiction
Actuellement, la population est divisée en trois genres : les hommes, les femmes et aussi les fommes.
Très minoritaires (moins de 5 % de la population), la plupart des femmes sont dévolues à la reproduction, elles vivent à part, isolées et choyées dans des lieux sécurisés. Leur rôle est ultra simple : elles pondent des enfants. Point barre.
Celles qui sont stériles deviennent ipso facto les compagnes des hommes influents. Elles sont une évidente marque de richesse et de pouvoir. Quand leur compagnon décède ou est déchu, sa femme est automatiquement attribuée au plus méritant de la liste d’attente, le romantisme n’ayant pas trop sa place…
Les hommes sont catalogués en deux catégories : les reproducteurs et ceux qui travaillent pour le bien du foyer. Les meilleurs reproducteurs ont des avantages non négligeables, mais une durée de vie plutôt courte, on ne peut pas tout avoir dans la vie…
Enfin, les fommes sont les compagnes habituelles des hommes moins puissants. En général, elles s’occupent du foyer ou occupent divers emplois taillés pour elles.
C’est sur cette base tripartie que reposent actuellement la plupart des civilisations. Dans l’esprit des gens, ça existe depuis une éternité, depuis la nuit des temps, mais moi, je sais.
Une étrange malédiction
Il y a environ trois siècles, une étrange malédiction s’est abattue sur toutes les contrées proches et lointaines : il naît soudain beaucoup plus de garçons que de filles, dans un ratio qui oscille aux alentours de « quinze pour une », voire « vingt pour une ».
Au début, après avoir invoqué les Dieux et brûlé/décapité/exécuté quelques hérétiques et autres lanceurs d’alerte, les grands esprits ont dit qu’il fallait tout simplement se servir dans la région ou le pays voisins. Mais très vite, comme tout le monde avait le même problème, il a bien fallu trouver une vraie solution, car en à peine une génération, le manque d’éléments féminins devint très critique, les hommes (la grosse majorité) se battant pour la possession des femmes (la très faible minorité).
Ce furent les affrontements, les pillages, les guerres dans chaque coin de la planète pour la possession des rares femmes qui existaient encore. Et ce fut un beau massacre !
Là où j’habite et aussi dans les contrées voisines, la solution trouvée est que les femmes vivent à part des hommes et sont uniquement dévolues à la reproduction. En clair, ce sont des pondeuses, dont les enfants sont ensuite adoptés. J’ai déjà évoqué le sort des rares femmes. Dans les hautes sphères du Parti Unique (PU), certains cadres politiques ont droit d’avoir comme épouse une vraie femme (stérile de préférence), c’est un très grand privilège. Quant aux autres, l’immense majorité, ils ont droit aux fommes.
Une autre façon de le dire est que les femmes sont divisées en deux groupes : les (vraies) femmes ouvertes (stériles ou fertiles) et les femmes fermées (fommes).
On pourrait croire que le terme « fomme » est l’évident télescopage entre les mots femme et homme, mais ce n’est pas l’explication officielle. Dans le mot « femme », la voyelle « a » est très ouverte, tandis que dans le mot « fomme », le « o » est plus fermé par rapport au « a ».
Tout le monde n’a pas la « chance » d’être homosexuel. Il a bien fallu trouver une solution de remplacement au couple traditionnel homme-femme qui cimente la société depuis des millénaires. Même les diverses religions ont dû s’adapter. Pour recruter, elles promettent à présent plusieurs (vraies) femmes pour chaque croyant confirmé, mais dans un autre monde, puisque ce n’est pas possible actuellement sur cette basse terre.
Promettre ce genre de chose ne mange pas de pain, comme on dit…
Sauf pour certaines personnes très bien et très haut placées, mais c’est très mal vu. On ne compte plus les hommes assassinés pour ce prétexte, sachant que le meurtrier bénéficie systématiquement de la sympathie du peuple qui est frustré en éléments féminins.
Même quand l’occis ou le contrevenant est un cadre émérite du Parti Unique, trop content de jeter en pâture un déviant à la vindicte populaire et de continuer à passer pour vertueux.
- — Ils l’ont chopé, bien fait pour lui ! Tu te rends compte ? Ce salopard entretenait carrément un harem de vraies femmes ! Il en avait trois rien que pour lui, ce pourri !
- — Oui, c’est dommage que la peine de mort n’existe plus ! Mais j’espère qu’ils vont lui couper au moins le zob, ça lui fera les pieds, à ce profiteur !
La peine de mort n’existe plus, du moins officiellement. Mais le PU pratique l’évaporation, des personnes peuvent ainsi disparaître du jour au lendemain, elles semblent ne jamais avoir existé. L’évaporation peut être positive (changement de statut, mutation), ou négative (pensée déviante).
Contrairement à la majorité de mes concitoyens, en tant que chercheur très spécialisé, je connais l’historique de la situation et je garde en mémoire que tout ceci n’est pas très naturel. Cadre privilégié du PU, j’ai accès dans le cadre de mes recherches aux archives interdites, grâce à ma connaissance des langues anciennes, et je travaille aussi sur le conditionnement des fommes, un sujet très sensible.
Bien sûr, je suis impérativement tenu à un devoir de réserve. Tout manquement pourrait me coûter très cher.
Presque toutes les personnes autour de moi pensent qu’il en a toujours été ainsi : très peu de femmes ouvertes, des fommes (ou femmes fermées) et les hommes. Il est vrai que l’histoire a été ci et là partiellement réécrite, laissant croire qu’il en a toujours été ainsi depuis Adam, Ève et Lilith.
- — Dis papa ! Ils faisaient comment, les hommes des cavernes ?
- — Ben… comme nous, mais au lieu d’avoir des maisons comme nous, ils avaient des cavernes, et c’était moins confortable.
- — Donc, il y avait une caverne rien que pour les femmes à enfants ?
- — Hmm… oui, c’est ça… et tous les autres étaient dans d’autres cavernes.
Comme il faut transformer la moitié des hommes en pseudo-femmes, tout le processus démarre dans les premières années de l’enfance, voire les premiers jours. La médecine n’étant pas une science exacte, au début, il y a eu beaucoup de décès lors de l’ablation partielle de l’appareil masculin ou autres tentatives du même genre. Maintenant, le taux de mortalité est faible, puisque ça se passe surtout chimiquement. De plus, dès la naissance, des experts confirmés font le tri, un peu comme avec les poussins…
La science médicale est entièrement focalisée sur quatre pôles :
- — Faire naître un maximum d’enfants à chaque femme
- — Faire naître un maximum de filles
- — Convertir correctement certains éléments masculins en pseudo-filles (et futures fommes)
- — Offrir une bonne santé aux cadres du PU
Le deuxième point n’est toujours pas résolu, au grand désespoir de bien des gens et du Parti Unique.
Mon couple
Je ne déroge pas à la règle : je suis un homme marié avec Adeline, une fomme fort mignonne, je le reconnais. Elle ressemble parfaitement à une vraie femme, mis à part quand elle retire sa petite culotte : elle dévoile alors un petit robinet qui ne dépasse pas les deux pouces dans sa meilleure disposition. Pour faire la distinction entre sexes, il est coutumier d’appeler ce petit sexe extérieur un clitoris en souvenir d’un temps jadis. Comme 99 % de ses congénères, ma moitié pense sincèrement que c’est un clitoris.
Et, contrairement à moi, elle ne dispose pas d’un scrotum rempli par deux boules.
Ah oui, j’oubliais de me présenter : Horatio Schwarzenberg. Mes parents étaient fans de l’amiral Nelson, celui de Trafalgar et ils m’ont affublé de son prénom. À prime vue, d’après mon père, nous serions une branche très cadette de cette illustre famille germanique qui comporte plusieurs princes et ministres.
D’après mon père qui le tenait de son père, et ainsi de suite…
Comme je gagne fort bien ma vie, je peux entretenir sans souci ma fomme. Bien que ce soit gratuit, il existe un traitement afin que la nature ne reprenne pas trop vite ses droits. Tous les six mois, par rotation, la population (hommes et fommes) est conviée à un examen hospitalier de routine pour vérifier si tout va bien, et subir diverses vaccinations. Avoir de l’argent permet d’éviter certains traitements bon marché et leurs effets indésirables.
En plus des hormones femelles, je sais que s’ajoutent des médicaments de « docilité » pour maintenir les fommes (et aussi certains hommes) dans une béatitude légère, car le conditionnement ne résout pas forcément tous les soucis. Si, en général, il n’y a aucun problème, il existe parfois des dérapages qui se traduisent souvent par des meurtres.
- — T’as lu sur le journal ? La fomme du notaire ?
- — Oui, quoi, la fomme du notaire ?
- — Ben, elle a carrément pété un plomb alors qu’ils étaient au lit ! Une boucherie ! Elle lui a sauvagement arraché les yeux, puis les bijoux de famille ! Vivant qu’il était, le notaire, quand elle lui a fait ça !
- — Ah oui ! Quand même !
Un dégât collatéral, comme le disent les militaires et aussi certains chercheurs et membres du PU. Je sais de quoi je parle, car je travaille en tant que chercheur au Ministère du Couple, une façon déguisée de parler d’un gigantesque laboratoire pharmaceutique qui expérimente diverses façons de maintenir la distinction homme et fomme, puisque le retour à la normale des siècles d’antan semble définitivement compromis.
Les bébés-éprouvettes ne donnent pas de meilleurs résultats que la solution naturelle. Statistiquement, c’est même pire, curieusement. De plus, le développement de l’embryon ne peut se faire que par des façons naturelles. Pour l’instant, il est quasiment impossible de programmer le sexe du futur enfant.
On m’envie souvent ma fomme. Exemple, un de mes plus proches amis :
- — Félicitation pour ton Adeline, elle est splendide !
- — Merci, Pierre. La tienne n’est pas mal non plus.
- — C’est vrai, Horatio, c’est vrai… mais la tienne a quelque chose en plus… mais je suis incapable de dire quoi…
De façon innée, Adeline avait de bonnes dispositions dès le départ. De plus, elle subit un traitement expérimental de mon cru qui semble bien fonctionner, du moins, jusqu’à présent.
Parfois, je me dis que j’aurais préféré une vraie femme (même stérile), mais Adeline est une bonne compagne, voire une très bonne épouse. Finalement, le résultat final est le même, sauf qu’elle ne pourra jamais être enceinte de notre enfant. Celui-ci devra être adopté auprès du Ministère du Couple. Mais je ne suis pas pressé, et Adeline non plus, malgré une féminité exacerbée de sa part.
Ce qui m’a permis de constater que féminité et maternité ne riment pas forcément.
Et aussi, que de rester dans l’ignorance permet de ne pas se poser de questions…
Bord de mer
Nous avons coutume d’aller en bord de mer lors de nos vacances. Au fil des années, la mode balnéaire dévêt de plus en plus les estivants. Il s’agit aussi pour certains hommes de montrer qu’ils ont la plus belle fomme, la plus enviable…
Rien de nouveau sous le soleil, si j’en crois les archives anciennes et secrètes.
Pour info, il est peu judicieux d’exhiber publiquement une vraie femme, certains hommes l’ont appris à leurs dépens et de leur vie. De ce fait, il existe des plages très privées.
Revenons à la mode vestimentaire : les hauts cachent à peine les tétons, révélant sans complexe les formes parfois abondantes ou esthétiques des corps féminisés. Plus bas, un étui pénien cache le clitoris, tandis que le reste se limite souvent à de fines lanières ou à des ficelles. Comme ladite ficelle cache mal l’entrée-sortie qui est très utilisée et donc souvent évasée, depuis quelques années, il est de bon ton de porter un rosebud ou un plug-bijou. Je reconnais que c’est un spectacle assez émoustillant que de voir tous ces popotins onduler avec au centre un bijou qui accroche la lumière. Ma propre compagne ne fait pas exception, mais contrairement à certains, je ne fais pas dans la surenchère.
Du moins, je crois…
Adeline est allongée sur le ventre, en train de se faire dorer au soleil, son appétissant fessier décoré d’un rosebud blanc à facettes que je convoite (le fessier, bien sûr, pas le rosebud) :
- — Tu sais que tu es à croquer, toi ?
- — Tu n’es qu’un gros pervers ! Ah ces hommes !
Quant aux hommes, par contraste avec les fommes, ils doivent montrer qu’ils sont réellement des mâles, ce qui a permis le développement d’un certain type de chirurgie esthétique, consistant souvent en des implants sous-cutanés pour donner l’illusion de muscles et de belles tablettes de chocolat, sans parler d’élargissement de diamètre.
- — À ton avis, Adeline, le type sur notre gauche : chirurgie ou pas ?
- — Hmmm… chirurgie, je crois…
Même sur les plages, la Police vérifie que tout se passe bien. Le PU veille sur nous pour notre plus grand bien. Comme je possède le tatouage réglementaire, peu de personnes osent venir nous importuner, surtout que mon Adeline est fort tentante.
- — Ah chéri, de plus en plus de gens me demandent quand nous adopterons. Est-ce normal que ça ne me tente pas plus que ça ?
- — Oui, c’est normal, ma chérie : tout le monde n’est pas identique. Moi-même, je ne suis pas trop fan. Profitons bien de la vie et de notre couple pour l’instant.
- — C’est ce que je pense, mais je me posais la question si… enfin… si j’étais normale !
- — Tu es tout à fait normale, je te rassure !
Puis je tapote son mignon petit cul, faisant vibrer les chairs et le rosebud qui danse sous mes yeux. Elle glousse de plaisir. Le soleil brille, la mer est chaude, mon couple est au top, tout va bien.
Tandis que je regarde la mer, je me mets à songer à quoi pourrait ressembler cette plage remplie de couples à l’ancienne, avec des filles, des garçons, un père et une mère. D’après ce que je sais, il y a deux générations, peu de gens partaient en vacances, ce n’est rentré dans les mœurs que depuis une grosse trentaine d’années. Et pas pour tout le monde, mais je parie que dans vingt ans, les plages seront nettement plus visitées, voire surpeuplées. Il faudra alors aller voir ailleurs, plus loin. Une nouvelle ségrégation par l’argent.
Oui, Adeline a décidément un trop beau popotin avec ce rosebud qui me nargue !!!
Quand nous rentrons de la plage, je saute carrément sur Adeline en la poussant sur le lit, ce qui la fait rire, elle ne déteste pas que je la bouscule de la sorte. Je lui enlève son string, dévoilant un splendide popotin que je connais très bien, depuis le temps que je le vénère et que je l’explore.
Vautré sur elle, je gronde à son oreille :
- — Désolé, ma petite, j’ai trop envie ! Mais je m’occuperai de toi après !
- — T’inquiète, gros cochon ! Je vais me masturber, on jouira ensemble…
- — Dans ce cas, fais vite, car tu m’as trop excité depuis tout à l’heure !
Puis je me redresse, enlevant le rosebud qui m’empêche d’accéder à ses profondeurs que je convoite. Comme il s’agit d’un modèle de taille moyenne, celui-ci ne résiste pas beaucoup. Un peu de lubrifiant et je me fais un plaisir d’aller plonger dans un obscur plaisir que j’adore !
Sous moi, Adeline se masturbe copieusement, tandis que je la pistonne. J’essaye de me retenir, afin d’être synchrone avec elle.
- — Oooh oui ! Aaah !!
- — Je ne vais plus tenir longtemps, petite allumeuse !
- — Oh oui, laisse-toi aller, mon gros cochon lubrique, remplis-moâââh !
- — Argh ! Aaah ouiii, c’est trop booon de se vider en toi !!
Ces derniers temps, je fais souvent l’amour à ma fomme comme si c’était la dernière fois ou l’une des dernières fois. Je ne sais pas d’où me vient cette curieuse manie, ce sentiment d’urgence, alors que tout va pourtant très bien entre nous et aussi dans mon boulot.
Mais étant donné mon métier, je suis assez bien placé pour savoir que l’être humain n’est pas forcément très logique, y compris chez les logiciens eux-mêmes.
Compte rendu
Aujourd’hui, dans les locaux du PU de mon district, je fais face à une petite assemblée composée de diverses personnes haut placées, des personnes qui connaissent la vraie réalité des choses. Henri, mon meilleur collaborateur, est à mes côtés. Mon supérieur hiérarchique ouvre le bal :
- — Horatio, vous travaillez pour nous depuis quinze ans, il me semble.
- — Seize pour être plus précis.
- — Vos recherches sur la situation d’avant, votre façon de synthétiser les faits nous ont toujours été très utiles. Sans parler de vos divers traitements expérimentaux, dont la dernière mouture est très prometteuse. Sachant que le précédent est déjà appliqué dans les faits.
Je souris :
- — Vous faites allusion à celui que j’expérimente sur ma compagne ? Oui, c’est très prometteur. À ce propos, son clitoris a encore un peu diminué.
- — Et sa docilité ?
- — Elle a augmenté, comme son comportement féminin. Adeline pense assurément qu’elle est normale, c’est-à-dire qu’elle n’est pas un homme, qu’elle n’est pas un être masculin. Elle baigne dans une pensée positive, et elle ne conteste aucunement l’ordre en place.
Mon employeur me félicite :
- — Belle réussite.
- — Merci, mais je ne suis pas le seul à féliciter : Henri m’a sérieusement épaulé !
Mon collaborateur rougit un peu, mais ne dit rien. Notre supérieur hiérarchique continue :
- — Vous ne tirez pas la couverture qu’à vous, c’est méritoire.
- — Je fais la part des choses.
Mon chef bifurque, annonçant quelque chose dont je me doutais :
- — Nos propres essais avec votre nouveau traitement confirment vos dires, bien que vous ayez quelques mois d’avance. De votre côté, pas d’effet indésirable ?
- — Pas pour l’instant, mais…
- — Mais ?
J’explique ce que j’ai pu constater :
- — Adeline exige une certaine attention. Elle adhère complètement au cliché ancien de la femme à protéger. Et quand elle se sent délaissée, ça peut virer au vinaigre. De plus, elle est assez jalouse et possessive.
- — Ah, c’est embêtant…
- — Je suis en train de remédier à cet effet secondaire. Je pense être sur la bonne voie.
- — Très bien !
Fixant mon auditoire, je continue :
- — D’après mes recherches sur le sujet, une bonne partie des vraies femmes du temps jadis se comportait ainsi. Même l’ancienne littérature à présent interdite en parle. Et souvent, ça se termine très mal.
- — C’est un jeu de mots ?
- — Non, pas du tout. Mais si vous en voulez un, ça se termine souvent très mal pour le mâle.
- — OK, OK…
Je rassure la petite assemblée qui me fait face :
- — Mais comme je m’occupe très bien d’elle, et que je lui suis fidèle, Adeline ne me pose aucun problème. Je dirais même que je suis globalement gagnant.
- — Sur tous les plans ?
J’affiche un petit sourire :
- — Oui, sur tous les plans. Y compris sur ceux que vous pensez. Pour résumer sa pensée : il existe trois sexes pour elle : les hommes, les fommes et les pondeuses. Et elle, elle est une fomme de genre féminin qui vit en couple avec un homme. C’est aussi simple que ça.
- — Je vois… mais elle ne dit rien concernant le fait que notre langue ait un masculin et un féminin, alors que notre société est divisée en trois genres ?
Je ne comprends pas bien cette insistance, je reste patient :
- — Je lui ai plusieurs fois expliqué que la langue qu’on parle ne reflète pas réellement la société où on vit. Le latin avait trois genres : un masculin, un féminin et un neutre. Dans les langues filles, le neutre s’est fondu la plupart du temps avec le masculin, pour des raisons de simplification. De plus, il existe bien des langues qui ne distinguent le masculin du féminin. Le chinois en est une, et c’est l’une des langues les plus parlées au monde et dont la littérature n’est pas mince.
Un homme à barbichette que je ne connais pas s’adresse à moi :
- — Donc, pour vous, monsieur Schwarzenberg, pas besoin de créer un troisième genre ?
- — Si les locuteurs ont besoin de créer un troisième genre dans notre langue, ils le créeront. Pour l’instant, ce n’est pas encore le cas.
- — Et si c’était le cas ?
- — Il suffira de valider ce que la rue propose. Il existe un genre féminin pour désigner à la fois les femmes qui enfantent et celles qui n’enfantent pas, c’est tout. Femmes et fommes sont dans le même sac. Dans le temps, les femmes étaient réparties en deux catégories : Madame et Mademoiselle. Mais la distinction pour les hommes, avec damoiseau, était déjà perdue depuis belle lurette.
L’homme à la barbichette répond avec une petite pointe d’ironie dans la voix :
- — Vous avez réponse à tout.
- — Divers ministères ont créé des tas de commissions pour inventer un vocabulaire plus « adapté ». Résultat des courses : la plupart des propositions sont tombées à l’eau. Une dépense inutile. Piochons ce qu’il y a à piocher dans la rue, ça coûtera moins cher, et ça sera adopté par une grosse majorité de personnes puisque le terme sera déjà utilisé.
- — La victoire du Peuple sur les Élites ?
- — La petite victoire du Peuple, car pour le reste, c’est le PU qui décide.
L’homme à la barbichette hoche la tête :
- — Vous êtes très pragmatique…
- — Je le pense aussi. Mais je me répète, pour quasiment tout le monde : une femme et une fomme, c’est la même chose, exception faite de la procréation. Je pense que certaines personnes s’inventent des problèmes là où il n’y en a pas.
Je sens que cet homme n’est pas n’importe qui, et qu’il y a quelque chose d’étrange dans l’air. Tandis que les regards convergent sur lui, l’homme à la barbichette se cale dans son siège, puis il me regarde droit dans les yeux :
- — Horatio, vous permettez que je vous appelle Horatio… Si nous vous proposons une femme, une vraie femme non stérile à la place de votre actuelle compagne ?
- — Pardon !?
- — Vous avez bien entendu. Nous vous proposons une vraie femme comme sujet d’étude, une vraie femme rien que pour vous. Pour info, elle se prénomme Mélanie.
Je suis assez ébranlé :
- — Ce… c’est une offre très intéressante… Mais que deviendra mon Adeline ?
- — Elle sera reconditionnée…
- — Vous savez comme moi que le reconditionnement n’est pas toujours efficace, il peut même se traduire par la mort du sujet. Il n’y a pas moyen que je garde Adeline ?
- — Vous avez dit vous-même qu’elle était jalouse.
Je grimace, je n’aurais pas dû dire ça. Je reprends la main comme je peux :
- — Je vous ai dit que je travaillais à cet effet secondaire.
- — Le Haut Bureau du PU a décidé de vous octroyer une femme non stérile, pour votre recherche. Et que vous soyez aux yeux de tous un vrai couple.
Aïe, ça vient malheureusement de très haut, je n’ai pas vraiment le choix. Mais je m’offre quand même un petit luxe :
- — Afin d’éviter de lâcher la proie pour l’ombre, auriez-vous une photo de cette vraie femme, de cette Mélanie ?
- — Nous avons même un dossier complet que vous pourrez consulter avant de prendre votre décision.
Je m’approche de l’homme à la barbichette :
- — Hmm… excusez-moi d’avance pour ma franchise, mais… cette femme, cette vraie femme, quel est son vice caché ?
- — Son vice caché ?
- — Vous me proposez une femme non stérile, or celles-ci sont très rares. Elles sont réservées aux Élites, et pas à n’importe quelle Élite. Moi, je flotte entre le Peuple et les Élites, je sais quelle est ma place, je ne suis qu’un simple cadre chercheur. On ne confie pas une femme qui peut avoir des enfants à n’importe qui.
Toujours assis, l’homme explique :
- — Vous en connaissez beaucoup sur l’ancien temps et la psychologie des femmes d’avant, à tel point que votre fomme en est l’incarnation mentale. Nous vous proposons d’aller plus loin dans vos recherches avec un véritable sujet, mon cher Horatio.
- — Les femmes sont comme les hommes, il y en a diverses moutures. Rien ne garantit que cette femme fera l’affaire.
- — Consultez le dossier, ici sur place, faites-vous votre idée. Il va de soi que ce dossier ne doit pas sortir d’ici. Éventuellement, pour éviter les problèmes, nous ferons croire à tout le monde que cette femme est une fomme. Mais le plus judicieux serait que vous soyez mutés ailleurs, tous les deux.
Restant impassible, j’ose demander :
- — Je souhaiterais une rencontre en tête-à-tête avec la femme du dossier, afin de voir si le jeu en vaut la chandelle, si elle est conforme à ce que je puis attendre pour mes recherches.
- — Vous êtes gourmand, Horatio. Mais je comprends votre point de vue. C’est sans doute ce qui fait que votre taux de réussite est si élevé.
Je m’incline légèrement :
- — Merci de me comprendre. Monsieur ?
- — Mon nom ne vous dira rien. Mais si vous y tenez, appelez-moi Carlos de Vita.
- — Un prénom espagnol et un nom italien… Un peu comme moi, un mélange de nationalités… Bon, je vais consulter sur place votre dossier, et je vais vous demander un délai de réflexion après avoir eu en tête-à-tête mon éventuelle future femme. Je ne voudrais pas m’engager sur une voie sans issue.
Carlos de Vita sourit :
- — D’habitude, les gens ne posent pas de condition…
- — Peut-être, peut-être… Mais si je dois abandonner ma compagne, autant que ce soit pour quelque chose qui réussisse, il en va de notre intérêt à tous. Mais je ne désespère pas trouver une solution à ce triangle.
- — Un ménage à trois ?
- — Je crois savoir que le PU n’aime pas beaucoup cette solution… Au fait, comment être sûr que cette femme voudra bien de moi ?
La réponse tombe, affirmative :
- — N’ayez crainte, tout est prévu.
- — C’est justement quand j’entends ce genre de propos que je me méfie encore plus !
- — Figurez-vous que vous avez un collègue qui vous ressemble par bien des points. Vous ne l’avez jamais croisé, il habite loin d’ici et son travail est très confidentiel. Lui aussi affiche un très bon taux de réussite, mais dans le conditionnement, et sans perte. Hélas, la technologie utilisée est coûteuse. Mélanie sera amoureuse de vous, et cerise sur le gâteau, elle ressemble à votre Adeline. Vous découvrirez tout ceci dans son dossier.
Puis il se lève, se dirige vers moi pour me serrer la main :
- — Vous êtes l’homme de la situation, vous ne me décevrez pas, Horatio. Et vos scrupules concernant votre compagne vous honorent, ce qui est loin d’être le cas de bien de vos collègues d’ici et d’ailleurs… Ceci vous rend encore plus sympathique à mes yeux.
- — Merci…
Après avoir broyé ma main, il quitte la pièce avec la majorité des personnes présentes. Mon supérieur hiérarchique me désigne un bureau au fond de la pièce. Je comprends tout de suite que le fameux dossier m’y attend.
Consultation du dossier
En effet, cette Mélanie ressemble assez fortement à mon Adeline, mais ce n’est pas une raison pour que je fasse un échange standard comme s’il s’agissait un simple paquet de lessive ! De plus, je sais ce que j’ai avec mon actuelle compagne, j’ignore royalement ce que va m’apporter cette vraie femme, même s’il est fort tentant d’être en couple avec une telle rareté qui serait en prime un sujet d’étude incomparable.
- — On dirait presque une sœur ou une cousine d’Adeline et, en plus, elle a le même âge qu’elle, à un mois près. C’est dingue quand même !
Mais si j’étudiais les baleines, ce n’est pas pour autant que je me mettrais en couple avec l’une d’elles. Ma comparaison est « un tantinet » excessive, mais je me comprends.
Je lis, je relis les quelques feuilles dans tous les sens. Quelque chose me chiffonne, mais je n’arrive pas à mettre le doigt dessus. Cette Mélanie est sans doute très bien sous tous rapports, mais je pressens comme un gros grain de sable dans les rouages.
Les photos que j’ai sous les yeux me montrent par A+B que c’est effectivement une vraie femme, à moins que les clichés soient truqués, mais il serait très facile pour moi de me rendre compte de la supercherie, et ça irait d’ailleurs à l’encontre du but recherché par mes généreux donateurs.
Est-ce un piège ?
Pourquoi voudrait-on me faire tomber dans un traquenard ? Je n’ai pas d’ennemis, sauf peut-être quelques imbéciles qui louchent sur Adeline. Mais comme je l’ai plusieurs fois expliqué, ma relation avec ma compagne exige un minimum d’efforts de ma part, on n’a pas rien sans rien. De plus, ma compagne reçoit un traitement spécifique, mais seuls mes collègues sont au courant, ce qui n’empêche pas quelques envieux, là aussi.
Et puis, si quelqu’un de haut placé souhaite me nuire, il lui serait facile de me pourrir la vie. Pas besoin de mettre en place un piège sophistiqué de ce genre.
Ma tête entre mes mains, je soupire abondamment. Je regrette d’être trop bon dans mon domaine. À moins que ce soient mes confrères qui soient trop mauvais.
Discussion avec Pierre
Vous souvenez-vous de Pierre ? Je vous remémore un bout de conversation :
- — Félicitation pour ton Adeline, elle est splendide !
- — Merci, Pierre. La tienne n’est pas mal non plus.
- — C’est vrai, Horatio, c’est vrai… mais la tienne a quelque chose en plus… mais je suis incapable de dire quoi…
Pierre n’est pas mal loti avec sa Françoise, du moins je le croyais. Mais il m’a plusieurs fois fait comprendre en catimini que sa compagne n’était pas toujours facile à vivre, étant fort capricieuse de nature. C’est le cas aujourd’hui, alors que nous discutons dans un coin reculé de notre restaurant préféré.
Sans toutefois perdre l’appétit, Pierre soupire :
- — Pour l’instant, je m’en sors, mais un beau jour, je vais finir par faire une connerie…
- — Laquelle, Pierre ?
- — Détourner des fonds, par exemple…
- — Elle est si dépensière ?
Il lève les yeux au plafond :
- — Oooh oui, Horatio ! Et plus je lui en donne, plus elle en veut !
- — Eh bien, ne lui donne plus rien.
- — Ah ça, je voudrais bien, mais je vais le regretter !
Ayant fini mon assiette, je pose ma fourchette :
- — Tu le regrettes déjà, Pierre. Ce n’est pas la première fois que tu te plains d’elle. Qu’est-ce qui risque de t’arriver ? Qu’elle te quitte ? Tu en serais débarrassé, non ?
- — C’est facile à dire pour toi, tu as Adeline. Moi, je n’ai pas d’Adeline de rechange.
- — Tu fais une fixette sur ma femme, toi.
Pierre explique son point de vue :
- — Toi, tu as une fomme de tout premier choix ! Et puis, un divorce, ce n’est pas facile à vivre. C’est même assez cher.
Je me mets à rire :
- — Tu commences à me faire peur, Pierre ! Je vais finir par ne plus t’inviter à la maison !
- — Ah non ! Fais pas ça ! Adeline est mon seul rayon de soleil dans ma triste vie !
- — Tu sais que tu t’adresses actuellement à son mari ?
- — Je sais, je sais, mais je sais aussi que tu as l’esprit ouvert et que tu n’es pas du genre jaloux. C’est pour ça que je peux me permettre de t’en parler.
- — C’est vrai que, toi et moi, on se connaît depuis longtemps…
Pierre devient plus égrillard :
- — Oh oui ! Depuis l’école primaire ! Et quelques années plus tard, on a joyeusement baisé les mêmes petites fommes à tour de rôle !
- — Tu manques de délicatesse, mon cher ami !
- — Et même que par deux fois, on a baisé la même fomme en même temps, en trio !
- — Tu manques beaucoup de délicatesse, mon cher ami !
Les yeux perdus dans le vague, mon voisin soupire :
- — C’était le bon temps… on était étudiant…
- — C’est à moitié vrai, tu râlais souvent de ne pas avoir les moyens.
- — Ça n’a pas beaucoup changé ! Françoise me pompe tout !
Moi aussi, je deviens plus égrillard :
- — Y compris ce que tu as entre les jambes ?
- — Encore heureux ! Si je n’étais pas si accro à son cul… et à sa bouche ! Faut dire que cette salope sait y faire !
Mon Adeline sait aussi y faire, mais je ne m’amuserai jamais à la traiter de salope devant mes connaissances, même si je me suis disputé avec elle avant (chose qui arrive rarement). Saisissant mon verre afin d’y boire, je soupire à mon tour :
- — Décidément, la délicatesse et toi, ça fait deux !
- — Oui, mais toi, tu as Adeline, et moi, j’ai Françoise. C’est là toute la différence !
Puis nous avons parlé de boulot…
D’Adeline vers Mélanie
J’ai retourné la situation dans tous les sens : la meilleure solution serait que je confie Adeline à Pierre. Quant à Françoise, elle serait reconditionnée. J’ai exposé mon idée à Carlos de Vita, il m’a répondu que c’était une bonne façon de résoudre les problèmes, même si de son point de vue, il existait une autre solution plus directe et expéditive. Pour éviter les commérages, Pierre sera muté un peu plus loin, avec mon épouse qui deviendra la sienne. Quant à Adeline, un faux accident avec une légère amnésie fera l’affaire. Du moins, je l’espère…
Il ne me reste plus qu’annoncer la chose à Pierre :
- — Attends, attends ! Tu me proposes ta fomme à la place de la mienne ?
- — Avec une mutation dans le Sud, et sur un poste plus valorisant.
- — Houlà ! Je suppose que ça vient des Hautes Instances du PU…
Je ne cache pas la vérité :
- — En partie… à l’origine, Adeline devait être « reconditionnée », j’ai proposé que ce soit toi qui t’occupes d’elle. Je tiens trop à elle pour qu’il lui arrive des soucis.
- — Et donc, tu as pensé à moi… merci ! Je… je ne sais pas quoi dire !!!
- — Alors dis oui, tout simplement.
Pierre s’inquiète un peu :
- — Au fait, et Françoise ?
- — Reconditionnée… J’ai appris avec étonnement qu’elle était déjà dans le collimateur pour propos subversifs. Et comportement peu adéquat.
- — Ah OK… C’est vrai qu’elle n’a pas sa langue dans sa poche, mais j’ignorai que c’était à ce point ! Euh, rien de négatif sur moi ?
- — Pas du tout. En revanche, tu passes un peu pour le pauvre type mené par le bout du nez.
Mon ami fait fugacement la grimace, puis se penchant sur moi, il me fait remarquer :
- — On dirait que tout ça ne te ravit pas.
- — Ce n’est pas dirigé contre toi, Pierre. Mais j’aurais préféré que le PU m’oublie.
- — Oui, je comprends… Je suppose que moins j’en saurai, mieux je me porterai, c’est ça ?
- — Exactement.
Néanmoins, Pierre insiste :
- — C’est dans le cadre de tes recherches, je parie…
- — Je croyais que tu voulais en savoir le moins possible ?
- — Je suppose que si tu es obligé de te séparer d’Adeline, c’est qu’il y a une bonne raison qui vient d’en haut, contre laquelle toi et moi, nous ne pouvons rien.
- — Exactement.
Pierre me regarde intensément, puis il lâche :
- — Je suis désolé pour toi, Horatio, mais on dirait bien que sur ce coup-ci, le malheur des uns fait le bonheur des autres.
Puis sans attendre ma réponse, il pose sa main sur mon épaule :
- — Je te jure sur ce que j’ai de plus sacré que je rendrai Adeline heureuse. Tu nous offres une nouvelle vie, et je ne compte pas la gaspiller stupidement. Ta fomme sera assurément entre de bonnes mains, les miennes.
- — Je te crois, Pierre… mais j’aurais préféré que ça n’arrive pas…
- — Je te comprends et je compatis, mais ta consolation sera qu’Adeline sera pleinement heureuse, je t’en fais le serment.
- — Je sais… c’est bien pour cette raison que je te la confie.
Nous restons silencieux tous les deux, ne sachant plus quoi dire.
Mélanie
Ça va faire presque cinq mois que je vis avec Mélanie, et contrairement à mon ancienne fomme, je côtoie cette femme quasiment 24 h sur 24. Pour faciliter mes recherches et avoir le moins de soucis, nous avons dû déménager, notre nouvel appartement est situé sur la fameuse île des Élites, sur la côte sud-est, ce qui me donne aussi accès à d’autres femmes. Au passage, je suis monté en grade, il fallait un minimum pour que je ne fasse pas tache sur cette île hautement sécurisée. Je suis devenu un haut cadre du Parti Unique, muni d’un privilège non négligeable et assez visible : une vraie femme comme épouse.
Je ne sais pas si je pourrai revenir à l’endroit où j’ai vécu avec Adeline, je crains que non. C’est sans doute mieux ainsi : presque tout me rappellerait ma fomme, mon ancienne vie heureuse et tranquille, je ne m’en rends vraiment compte que maintenant. On ne sait que trop bien ce qu’on perd quand c’est trop tard.
Mélanie est effectivement amoureuse de moi et croit que nous sommes ensemble depuis presque une décennie. J’essaye de le lui rendre, mais je n’y arrive qu’en projetant Adeline sur elle, ce qui n’est pas fair-play. Mais que puis-je faire contre le PU ?
Heureusement, je ne suis pas dépaysé avec Mélanie. Elle ressemble beaucoup à Adeline, aussi bien sur le plan physique que comportemental. J’ai eu un petit choc, la première fois que nous avons été à la plage, j’ai cru revivre divers épisodes de ma vie passée, y compris les nuits qui suivent.
- — Ah ces hommes ! Tu n’es qu’un gros pervers !
- — C’est de ta faute, ma chérie, tu m’allumes trop !
Souvent, durant nos ébats, j’oublie qui est qui, et je bénis le fait que j’ai très rarement appelé ma fomme par son prénom, préférant les mots doux ou les surnoms. Mais parfois, j’ai peur de me tromper dans les prénoms.
C’est avec une certaine surprise que j’ai découvert les joies du coït. Ça ressemble à la sodomie, mais en différent. Je n’arrive pas à expliquer cette dissemblance, un peu comme si je devais décrire le goût d’une orange à partir des pommes et des poires. Mais je reconnais que c’est agréable. Néanmoins, la force de l’habitude fait que je pratique plus le côté pile que le côté face. Mais ça ne semble pas gêner ma nouvelle compagne.
Allongée toute nue sur le ventre, fesses à l’air, elle se repose de notre séance :
- — Eh bé ! T’es sûr que t’es bien un homme et non un animal ?
- — Je suis un homo sapiens pur jus !
- — Ah ça, pour le jus, t’es fortiche ! Remarque, je ne vais pas me plaindre, surtout quand j’entends les confidences des compagnes de tes collègues et subordonnés !
- — C’est-à-dire ?
- — Il semblerait que les légitimes vont voir ailleurs, alors elles aussi, elles vont voir ailleurs.
- — Ça ne n’étonne pas…
Rampant vers moi qui suis allongé sur le dos, elle présente à présent sa poitrine avenante et frémissante sous mon nez :
- — Et toi, pourquoi tu ne vas pas voir ailleurs ?
- — Tu es ma femme, à ce que je sache !
- — Je vois ce que tu veux dire, mais tout le monde ne pense pas comme toi ! Henri, le premier ! Un vrai gros bourdon butineur !
- — C’est un très bon collaborateur, mais un cavaleur dans l’âme.
- — C’est pour ça que tu fermes les yeux sur ses agissements ?
Je caresse les seins qu’elle m’offre :
- — Sa vie privée ne regarde que lui. Mais s’il commence à trop tourner autour de toi, je sortirai ma tapette à insectes !
- — Hihihi ! T’as rien à craindre, mon doudou ! Ce genre de type me débecte !
- — Content de le savoir.
Elle commence à me câliner :
- — T’es pas toujours très démonstratif, sauf quand on fait l’amour, mais tu n’aimes pas trop qu’on s’intéresse à moi, n’est-ce pas ?
- — Tout dépend de la façon… Si un jour Henri t’importune vraiment, fais-le-moi savoir. Je le remettrai à sa place.
- — Merci, mon doudou !
Elle m’embrasse, je réponds à son baiser. J’ai l’illusion que tout va bien, qu’Adeline n’est plus qu’un lointain souvenir, une personne qui n’a peut-être jamais existé…
Collaborateur
En parlant d’Henri, ce matin, lui et moi faisons le point concernant nos recherches. Comme il n’a pas accès aux archives interdites, il vient de me demander :
- — Hum, on est certain que, dans le temps, les deux sexes biologiques n’étaient pas sur le même pied d’égalité ?
- — Si j’en crois la littérature qui a survécu, il semble que ce soit le cas. Un impératif souvent formulé envers une femme était : sois belle et tais-toi.
- — Ça n’a pas changé ! Vous savez pourquoi c’est ainsi ?
Je décide d’expliquer la chose d’une certaine manière peu scientifique :
- — Je vais vous raconter une blague du temps d’avant. C’est Adam qui s’adresse à Dieu : pourquoi as-tu fait la femme si belle ? C’est pour que tu puisses l’aimer, répond Dieu. OK, mais pourquoi tu l’as faite si conne ? C’est pour qu’elle puisse t’aimer, Adam.
- — Héhéhé ! Je crois que j’ai compris…
- — L’homme est actif, son rôle biologique est d’avoir une belle descendance avec un maximum de partenaires. La femme est plus passive, elle sélectionne le reproducteur le plus adéquat pour ses enfants.
Henri devient songeur. Il pense sans doute à son inclination qui est de courir après toutes les fommes et les femmes qui passent à sa portée. Je change de conversation :
- — Ça va faire quelques mois que nous sommes installés ici. Pas de regret, Henri ?
- — Bah, je ne vais certainement pas me plaindre d’avoir été obligé de vous suivre ici ! Déjà, il fait nettement plus beau sur cette île, la vie est plus cool. Et quand ma fomme a vu tout ce qui porte des jupons, ou plutôt des bikinis, elle a recommencé à soigner son esthétique, elle qui commençait à se laisser aller. Bref, je suis globalement gagnant, même si j’ai dû quitter des personnes que j’aimais bien.
- — C’est un peu la même chose, mais moi, j’ai carrément perdu ma fomme.
- — Mais vous avez gagné une femme ! Vous êtes un gros chanceux !
Henri est l’un des rares qui soit au courant. Je soupire :
- — C’est vrai, Henri… mais entre nous, je regrette beaucoup Adeline. Ma seule consolation est qu’elle est actuellement dans les bras d’un de mes bons amis qui est amoureux d’elle.
- — Dites-vous qu’elle a été bien reconditionnée…
- — Oui, et ils ont été mutés plus loin. Quant à l’ancienne fomme de Pierre, elle a été aussi reconditionnée, mais moins bien…
Mon collaborateur devient philosophe :
- — La Science demande des sacrifices… Raison de plus que ce ne soit pas vain. Poursuivons nos recherches, Horatio. Nous sommes tous les deux embarqués sur le même bateau, ou plutôt sur la même île…
- — C’est moins difficile pour vous, Henri, d’autant que vous adorez jouer les séducteurs auprès de ces dames, au grand dam de votre Dame. Cependant, ne franchissez pas une certaine limite, c’est tout ce que je vous demande dans votre propre intérêt. Certains maris sont chatouilleux et très puissants.
- — Je sais, je sais… On blablate, mais on ne touche pas, sauf avec les yeux. Je ne tiens pas à finir ma vie au grand large avec des chaussures en béton.
Je souris cyniquement :
- — Gardez bien à l’esprit ce genre de chaussure, Henri… Je ne voudrais pas perdre un précieux collaborateur…
- — Je suis flatté d’être votre précieux collaborateur !
- — Hmm… je me demande si c’est sincère ou ironique…
- — Non, non, c’est sincère. D’ailleurs, c’est à votre demande que je suis avec vous sur cette île.
- — Vous auriez pu refuser…
- — Refuser une vie de rêve ici ? Avec une promotion ? Vous avez le sens de l’humour, Horatio !
J’aimerais bien avoir un sens de l’humour plus développé, ça me permettrait de supporter certains points de détail qui hantent mes nuits…
Rapport
Carlos de Vita préside notre réunion. Je prends la parole :
- — J’ai pu consulter bien des documents très anciens, écrits dans des langues anciennes, en latin et en grec, la plupart du temps, et on ne peut pas dire que la condition féminine soit très favorable, du moins dans une société patriarcale.
- — Nous le savons tous.
- — Mais parfois, il y a des exceptions, car techniquement, si je puis m’exprimer ainsi, les hommes et les femmes sont finalement pareils, même s’il existe ci et là quelques différences biologiques. Mais grosso modo, les femmes peuvent sans problème tenir le haut du pavé et soumettre les hommes. Ce qui est déjà arrivé dans certaines sociétés.
- — Donc une femme des anciens temps peut se comporter comme un homme ?
Je rectifie :
- — Je dis plutôt qu’une femme peut se comporter en dominante, comme un homme, et commettre bien des atrocités. Néanmoins, la liste des femmes est beaucoup plus courte que celle des hommes dans le même cas.
- — Donc les femmes sont moins dominantes ?
- — Disons qu’elles n’en ont pas eu la possibilité. La plupart du temps, les femmes sont conditionnées pour ne pas agir de la sorte. Je me permets de rappeler que l’embryon est féminin avant de devenir éventuellement de sexe masculin. Le souci est que maintenant, ce basculement est devenu presque systématique, et nos savants ne savent toujours pas pourquoi.
Je me lance dans une longue explication circonstanciée, à travers les époques et les endroits, afin que tout le monde comprenne divers faits de base intangibles, mais finalement très relatifs. Quand je reprends mon souffle, Carlos me demande :
- — Donc si je vous comprends bien, la nature docile n’est pas un apanage des femmes et donc des fommes ?
Je confirme :
- — Non, c’est un conditionnement culturel mis en place pour que les rouages d’une société fonctionnent avec le moins de grippages.
- — Donc une société se doit d’avoir deux couches, une qui domine et une qui est dominée ?
- — Il peut y avoir plusieurs couches. Diverses expériences ont démontré la chose chez les rats. Je sais bien qu’un rat n’est pas un être humain, mais curieusement, il y a des similitudes pour la vie en société.
- — Les rats ? Expliquez-vous…
Un homme chauve à petites lunettes, jusqu’à présent muet, intervient :
- — Vous faites allusion aux rats plongeurs ?
- — Oui, entre autres…
Un grand homme barbu me demande :
- — C’est quoi, cette histoire de rat plongeur ?
J’explique tout en faisant un dessin :
- — Imaginez un aquarium rempli de liquide, divisé en deux parties avec une île dans l’une d’elles. Au milieu, une vitre oblige un rat à plonger sous l’eau pour aller de l’autre côté. On place les rats sur l’île et la nourriture dans l’autre partie, mais on fait en sorte que les bestioles ne puissent pas la manger sur place. Le rat qui vient de plonger doit revenir à son île de départ pour déguster sa nourriture.
- — Ah d’accord, je vois le truc…
- — Pour les rats plongeurs, nous tendons globalement vers un ratio de trois ravitailleurs, deux profiteurs et un solo. Les ravitailleurs se font piquer la nourriture par les profiteurs qui vivent à leurs crochets. Le solo n’est pas importuné. Il a été démontré que, sans mise en place de cette hiérarchie implicite, au bout d’un certain temps, l’anarchie s’installait et la micro-société s’effondrait.
Le grand barbu s’étonne franchement :
- — Je croyais que vous faisiez des recherches sur les temps anciens ?
- — Eh bien, à ma grande surprise, il y a des similitudes entre nous et les rats, mis à part que nos sociétés sont beaucoup plus complexes, et donc que les garde-fous installés permettent de limiter la casse.
Clignant des yeux, Carlos de Vita dit :
- — En clair, l’assujettissement des fommes est justifié, voire souhaitable.
- — Il peut l’être… C’est pour cette raison que j’ai poussé mes recherches dans le dernier traitement que j’ai mis en place. J’ai pu le tester sur divers sujets, et le résultat est très prometteur. Mis à part peut-être un souci : un tel état de béatitude que les sujets sont quasiment incapables de sauver leur propre vie, ou de sauver la vie de ceux qui leur sont confiés, même leurs enfants.
L’homme à la barbichette grimace :
- — Ce qui est… embêtant…
- — L’agressivité est liée à l’instinct de survie… En clair, il faut trouver le bon dosage, et malheureusement, cet équilibre change en fonction des personnes.
- — Existerait-il une dose moyenne qui pourrait couvrir la plupart des cas ?
- — La règle des 80-20 ? Je n’ai pas assez de recul pour affirmer ou infirmer. Mais dans tous les cas, aux extrêmes de la courbe de Gauss, sans doute, il y aura des exceptions qui risquent de mal tourner.
- — À vous de m’indiquer ce pourcentage, ou plutôt les différentes tranches. Le Parti décidera.
Je m’attendais à ce genre de conclusion. D’un seul élan, mon public se lève, comme si le mot « Parti » était le signal convenu. Seul, Carlos de Vita s’approche de moi :
- — Je compte sur vous pour faire un beau graphique pour que nous puissions prendre la bonne décision.
- — Nous ? Je croyais que c’était le Parti qui allait trancher ?
- — Le Parti, c’est nous tous, vous, moi, les autres… À bientôt, Horatio Schwarzenberg.
Je me précipite sur mon visiteur :
- — Attendez, j’ai encore quelque chose à vous dire.
- — Et quoi donc ?
- — Il faut en effet trouver un traitement efficace pour les fommes, mais il en faut un aussi pour les hommes, afin de lisser les angles.
Carlos sourit d’une façon étrange :
- — Et vous avez une idée pour ce traitement ?
- — Ce n’est pas trop ma spécialité, mais je me demande si une version allégée de mon traitement ne conviendrait pas.
Mon interlocuteur s’approche de moi :
- — Vous êtes un bon élément, Horatio. Mais le PU avait déjà songé à cette éventualité.
- — Laissez-moi deviner : c’est en cours de test ?
- — Exactement !
La réunion terminée, Carlos de Vita s’en va, me laissant assez perplexe.
Pourcentages
Quand le Parti veut quelque chose, il n’hésite pas à y mettre le prix. Du jour au lendemain, j’ai récupéré un nombre non négligeable de sujets présentant toutes les variations pour que les tests puissent se faire sur une large échelle.
Comment diable, le PU a-t-il réussi ce tour de force ?
Je crois qu’il ne vaut mieux pas que je le sache, le Parti est puissant, sans doute encore plus que je ne le crois. Alors je me mets à la tâche, conscient de l’énorme opportunité qui m’est offerte. Peut-être même qu’un jour, mes travaux m’offriront l’accès au Premier Cercle… Je peux toujours rêver…
Quelques semaines plus tard, je présente mon graphique composé de diverses courbes à Carlos de Vita qui s’exclame :
- — 98-2 à la place des 80-20 classiques ? C’est étonnant !
- — À condition que le protocole d’application soit respecté, et il est pointilleux.
- — Ça doit pouvoir se faire.
Désignant l’une des deux extrémités de mon graphique, je précise :
- — Néanmoins, deux pour cent, ça reste trop. Surtout quand on sait le nombre de millions de couples homme-fomme qui existent et qui existeront…
- — Deux pour cent, c’est mieux que vingt pour cent. Et si j’en crois votre graphique, la moitié seront en surdosage, donc il sera facile de diminuer. Il reste donc un pour cent.
Mains dans les poches, je rectifie :
- — Moins que ça : ce sont des sacrées bombes à retardement pour dix pour cent d’entre elles.
- — Bonne nouvelle ! On en arrive à un pour mille, pour les cas vraiment dangereux. Il y a beaucoup plus de morts sur les routes. Et même à cause de la drogue, même si le PU fait tout ce qu’il peut pour éradiquer cette déviance.
Pourtant, nous droguons à fond la moitié de la population et à forte dose l’autre moitié, c’est ironique. Et je suis assez dubitatif sur le rôle réel de certaines campagnes de vaccination. D’autant que les Élites en sont souvent dispensées.
Soudain, je m’exclame :
- — La drogue ! C’est ça !
- — Expliquez-vous…
M’approchant de mon commanditaire, je développe :
- — Et si certaines drogues, certains médicaments jouaient le rôle de catalyseurs ?
- — Raison de plus pour que le PU éradique cette déviance.
- — Dans ce domaine, trop d’intérêts sont en jeu. Vous le savez aussi bien que moi, Carlos. Il n’est pas rare qu’un membre de l’Élite tombe pour cette raison.
Fronçant légèrement des sourcils, Carlos de Vita demande :
- — Précisez votre pensée…
- — Soit parce qu’il est consommateur, ou soit parce qu’il est distributeur. Quand ce n’est pas les deux en même temps. Il n’y a pas longtemps encore, des gens très haut placés ont été dégradés en public pour ce motif, avant d’aller rejoindre illico les Îles Grises. Je me propose de vérifier ma théorie avec la plupart des médicaments en circulation, s’il n’y aurait pas un effet catalyseur. Je vais me limiter aux molécules les plus courantes.
Mon interlocuteur impose :
- — Attendez que je vous fasse parvenir une liste de ces molécules. Ça vous permettra d’aller plus vite pour vos recherches.
Je suis en train de me demander si ça n’a pas un rapport avec certains vaccins, mais en pareil cas, il n’est pas conseillé de poser diverses questions. J’abonde dans son sens :
- — Bonne idée. Afin que je puisse planifier tout ça, vous pensez me faire parvenir cette liste dans quel délai ?
- — Comptez une semaine, au pire deux.
- — Très bien. Dans ce cas, je vais préparer mes équipes, tout en continuant nos recherches actuelles.
- — J’aime votre efficacité, Horatio. J’ai pu le constater avec votre nouvelle femme.
Intrigué, je hausse les sourcils :
- — C’est-à-dire ?
- — Je suis parfaitement conscient que la Mélanie que nous vous avons confiée n’était pas le sujet le plus facile, et ce, malgré son conditionnement. Vous en avez fait une belle réussite.
- — Quand une femme ou une fomme est en confiance, on peut faire de belles choses. De plus, j’avoue que j’avais l’expérience d’Adeline pour moi. Je reconnais que Mélanie est une Adeline bis, mais un peu différente.
Plissant des yeux, Carlos de Vita demande :
- — Vous pensez souvent à votre ex ?
- — Ça m’arrive… On ne raye pas comme ça d’un coup de baguette magique plusieurs années de vie commune…
- — Vous regrettez ?
- — Je ne vais pas vous mentir : oui, parfois, ça m’arrive quand je deviens nostalgique. Un peu comme avec une ancienne petite amie du temps des études, avant la vie active, quand on n’avait presque pas de soucis…
Mon interlocuteur devient lui aussi nostalgique :
- — Oui… je connais ce sentiment… J’ai moi-même connu quelqu’une durant l’Université. Mais la vie a fait que nos chemins ont divergé. Je suis heureux en ménage, mais parfois, je me dis : et si… Mais bon, tout ça est si ancien…
- — Franchement, j’aurais préféré être bigame, ça m’aurait simplifié les choses !
Il se met à rire :
- — Avec deux compagnes jalouses ?
- — C’est vrai que… c’est un tantinet suicidaire !
Carlos se met à rire de bon cœur. Je l’accompagne.
Une petite fête
Ce soir, j’organise une petite fête chez moi. Officiellement, je fête mes « un an » ici sur l’île. Ma femme est ravie, elle adore ce genre de soirée durant lesquelles elle peut briller, aussi bien par sa beauté de femme que par son sens inné de la conversation.
Alors que la fête bat son plein, un verre de punch en main, légèrement titubante, Mélanie s’approche de moi :
- — Ça, c’est de la fête, mon doudou chéri !
- — Je suis ravi pour toi.
- — Je parle à tout le monde, la bouffe est bonne, la boisson aussi, je m’éclate !
Elle fronce un peu les sourcils avant d’enchaîner :
- — Bon, Henri joue toujours les cavaleurs, mais c’est dans sa nature profonde. Ce con commençait trop à me tourner autour, je l’ai envoyé balader ! N’empêche qu’il a failli se récupérer un gnon de la part d’un chef de labo, Maurisson.
- — Maurisson ? L’époux de la rousse flamboyante ? Ça ne m’étonne pas !
- — Rousse flamboyante ? C’est ton genre de femme ?
- — Mets-toi devant un miroir et tu auras une idée de mon genre de femme.
Elle attrape ma cravate, puis elle me fait un rapide bisou sur les lèvres :
- — T’es un amour, mon doudou adoré !
- — Comme toujours, ma chérie !
- — Eh bien, j’espère que tu seras en pleine forme pour me le prouver cette nuit, petit canaillou !
Puis elle s’éloigne, en zigzaguant légèrement.
Henri
Deux jours plus tard, plus aucune trace d’Henri. Mon collaborateur s’est carrément évanoui dans la nature. Après avoir attendu deux jours supplémentaires, j’ai contacté Carlos de Vita :
- — Par le plus grand des hasards, sauriez-vous ce qui est advenu de mon collaborateur ?
- — Justement, le PU n’apprécie pas sa disparition ! Je peux vous affirmer que ça ne vient pas de là-haut.
- — Comment pouvez-vous en être si certain ? Vous avez vos entrées dans le Haut Bureau ?
- — Vous ne croyez pas si bien dire, Horatio.
Je suis étonné par cet aveu plus ou moins implicite. Je savais que mon interlocuteur était en haut de l’échelle, mais pas à ce point :
- — Je commence à mieux comprendre certaines choses. Donc, l’évaporation d’Henri n’est pas de votre fait… je veux dire de là-haut tout en haut.
- — Non, et nous aimerions bien savoir qui a osé faire ce genre de chose, car votre collaborateur a disparu en laissant sur place toutes ses affaires, sans rien emporter. Il avait un dîner prévu en famille le soir même, un dîner auquel il tenait. On a même retrouvé les cadeaux qu’il comptait faire.
- — Donc quelqu’un lui a mis le grappin dessus. Mais qui et pourquoi ?
- — Ça aussi, nous aimerions le savoir. Je vais être franc avec vous, Horatio : certaines personnes ont cru que c’était vous le responsable.
En entendant ce soupçon, je m’exclame :
- — Moi !? Pour quel motif ?
- — Justement, pour quel motif… Vous aviez beaucoup à perdre de sa disparition. Bon, votre collaborateur était un peu trop séducteur, mais il savait quand s’arrêter.
- — Je suis au courant de son penchant depuis quelques années : lui et moi en avions parlé.
- — Pour info, il faisait même les yeux doux à votre femme…
- — Je suis aussi au courant. J’ai déjà vécu ce genre de situation auparavant. S’il avait outrepassé une certaine limite, je l’aurais recadré illico.
Disant ça, je resonge au passé. J’ai toujours du mal à admettre d’avoir dû laisser Adeline dans les bras de Pierre, j’étais si heureux en couple avec elle, même si, avec Mélanie, je me rapproche ce qui qui était ma vie avant que le PU y mette fin. Carlos de Vita demande :
- — Votre collaborateur aurait-il découvert quelque chose de particulier concernant vos recherches ?
- — Je suppose qu’il m’en aurait parlé.
- — Et si c’était quelque chose de… de très gros ?
- — Je pense qu’il m’en aurait aussi parlé. Son rôle est surtout de mettre le doigt sur les problèmes. Il est très doué pour dénicher la paille dans l’œil de l’autre, et l’aiguille dans la meule de foin. En revanche, appliquer une découverte n’est pas son fort.
Carlos embraye curieusement :
- — Je constate avec plaisir que vous en parlez au présent, Horatio.
- — Oui… ça a une incidence ?
- — Si vous étiez l’assassin, vous en parleriez au passé.
Ce n’est pas faux. Je soupire avant d’enchaîner :
- — Merci de me rayer à nouveau de la liste des suspects. Le plus gros problème avec Henri est qu’il ne pouvait pas s’empêcher de draguer les femmes et les fommes des autres. S’il a disparu, je crains que ce soit dans cette direction qu’il faut creuser…
- — Je le pense aussi… Surtout que nous sommes entourés de personnes qui ont les moyens d’agir…
Je suis très perplexe : qui a fait disparaître Henri ? Un concurrent ? Un jaloux ? Ou bien, est-ce un accident ? J’espère que nous serons vite fixés.
Mélanie mène la danse
Un peu fourbu, je rentre chez moi. Visiblement, ma femme ne semble pas être présente. Après avoir rempli un verre, je m’assieds dans un fauteuil, ou plutôt je m’affale dedans. Je bois une première gorgée. Au labo, tout se passe bien. Seule ombre au tableau, Henri manque toujours à l’appel. Même si je désapprouve son comportement privé, cet homme est néanmoins très utile pour mettre le doigt sur les failles.
Ce qui m’enquiquine le plus est de ne pas savoir ce qu’il est devenu. A-t-il fait une fugue avec une conquête ? A-t-il fui un mari jaloux ? A-t-il été tué ? Un accident ?
Tandis que je me pose ce genre de question, Mélanie entre en scène, un petit pistolet en main pointé sur ma personne. Sans trop savoir sur quel pied danser, je demande placidement à ma femme :
- — C’est quoi, ce petit jeu ?
- — Ce n’est pas un jeu, ni petit ni grand, Horatio…
- — C’est rare que tu emploies mon prénom.
- — Ça devrait te convaincre que je suis sérieuse.
Raide comme un piquet, elle me regarde fixement, laissant une certaine distance entre nous. Impossible de me lever d’un bond pour m’emparer de son arme, elle aurait largement le temps de tirer et de ne pas me rater. Elle ouvre la bouche :
- — Il faut que je te parle de nous, Horatio.
- — Et tu as besoin d’un pistolet pour ça ?
- — Disons que j’ai découvert diverses choses qui ne font pas plaisir.
Aïe, ce n’est pas bon signe. Mais lesquelles ? Il faut que je sache :
- — Puis-je savoir à quoi tu fais allusion, Mélanie ?
- — Sache que, depuis le début, le conditionnement n’a pas bien fonctionné sur moi, je me suis réveillée assez vite, mais j’ai joué le jeu pour égarer les soupçons.
- — Ah… Donc, tu simules depuis le début ?
- — Exactement. J’ai vite découvert que tu n’étais pas mieux loti que moi. J’ai compris que tu avais dû abandonner ta fomme pour moi, mais fort heureusement, tu ne t’es pas vengé sur moi.
- — Tu n’y étais pour rien, Mélanie.
Ma femme me sourit :
- — Tout le monde ne raisonne pas comme toi, Horatio. Tu aurais pu me mener la vie dure, te venger. Au début, tu as fait une projection de ton ex sur moi, puis j’ai deviné que, petit à petit, c’est bien moi qui t’intéressais.
- — Comment tu peux affirmer tout ça ?
- — Le conditionnement ne fonctionne pas sur moi, j’ai les yeux en face des trous. De plus, tu ne me shootes pas à mort avec tes produits expérimentaux, tu cherches surtout à savoir qui je suis, comment je suis. Dis-moi que c’est faux ?
En réalité, je la drogue un peu, mais pas à fond. Plutôt sincère, je réponds :
- — Non, c’est vrai.
- — Et maintenant, ose me dire que tu n’as pas développé des sentiments pour moi…
Mon verre toujours en main, je la regarde fixement :
- — Je pense que j’aurais dû me méfier un peu plus…
- — Au début, tu étais déboussolé par tout ce qui te tombait dessus. Et moi, j’ai bien joué le jeu. J’ai eu le temps de t’observer.
- — Je te le confirme : tu as bien joué le jeu ! Je me suis fait avoir en beauté !
- — Pas par moi, Horatio, mais par le Parti Unique. Alors, ma réponse à ma question ?
Je souris malgré moi :
- — Ce n’était pas une question, ma douce, mais plutôt une affirmation.
- — Tu recules pour mieux sauter, mon chéri.
- — Est-ce que ce qualificatif est sincère ?
- — Hmm… Je peux au moins te dire que je t’aime bien, c’est certain. Tu n’es certainement pas le pire des maris. Tu as su t’occuper de moi comme un époux attentionné.
Je songe fugacement que je pourrais utiliser contre ma femme mon verre à moitié rempli comme arme, mais avant d’en arriver là, je tiens à savoir le fin mot de l’histoire. Je soupire :
- — C’est déjà ça de pris. Pour répondre à ta question, si je t’avais rencontrée, il y a quelques années, je pense que je me serais fortement intéressé à ta personne… Tout dépend si notre rencontre se serait déroulée avant ou après Adeline…
- — C’est comme ça qu’elle s’appelle ou s’appelait ? Adeline ?
Je la regarde droit dans les yeux :
- — Oui, c’est comme ça qu’elle s’appelait. Peut-être a-t-elle changé de prénom, je ne sais pas. Je ne sais même pas où elle vit. Tu lui ressembles assez, de diverses façons. Mais je te rassure, tu n’es pas son clone, tu es toi-même.
- — Merci de me le signaler. Tu as une photo d’elle ?
- — Non, plus aucune trace. Le PU y a veillé…
- — Ah, c’est bête, j’aurais aimé savoir qui était ma rivale ! Mais ça ne m’étonne pas.
De mon poing libre, je me tape le front :
- — Tout ce qui me reste d’elle est là…
- — Combien de temps es-tu resté avec elle ?
- — Qu’est-ce que ça peut faire, Mélanie ? Toi et moi, nous sommes censés être mariés depuis environ dix ans.
- — Mais en réalité, depuis un peu plus d’un an. Je reconnais que j’ai la belle vie ici. C’est pour ça que je me demande quoi faire, là maintenant…
Je suis très intrigué par cet aveu :
- — C’est-à-dire ?
- — Au début, je voulais me venger de tout le monde. J’avais prévu de t’éliminer dans un pseudo-accident ou quelque chose dans le même genre. Et puis, j’ai vite compris que tu étais finalement une victime. De plus, tu étais gentil avec moi. Mais voilà, tu mets au point un traitement pour assagir, asservir la population, la soumettre. Ce qui te fait rebasculer dans le camp des méchants.
- — Je ne suis pas le seul, je te signale.
- — Oui, mais tu es le meilleur !
Ma femme reconnaît mes mérites, c’est une bonne chose :
- — Merci du compliment. J’ai intérêt à être le meilleur pour que ma solution soit prise, car les autres options ne sont pas fameuses. Par exemple, il existe un traitement efficace, très efficace, mais la plupart des sujets décèdent au bout de six-sept ans maxi. Parfois l’affaire est réglée en moins de deux ans. Les Provinces de l’Ouest en ont fait les frais.
- — Tu rigoles ?
- — J’aurais bien aimé, vois-tu. Je ne te parlerai même pas des solutions à base d’électrochocs, d’opérations chirurgicales ou plutôt de boucheries.
Le silence s’installe. Mélanie me regarde d’une étrange façon. Elle finit par demander :
- — Tu sais comment on en est arrivé là ? Je veux dire : les hommes, les fommes et les femmes ? C’est vraiment d’origine ?
- — Il y a trois siècles, le nombre de femmes à la naissance a dramatiquement chuté. On ne sait pas exactement pourquoi. Perso, je ne serais pas étonné que ce soit lié à un virus provenant d’un pays quelconque, lointain ou voisin, une saloperie inventée par des chercheurs en labo, et que ça s’est répendu de la même façon que les Conquistadors ont contaminé les Amérindiens qui sont morts par millions.
- — Un retour du balancier ?
Toujours assis dans le fauteuil, je soupire :
- — En quelque sorte, si tu crois au Destin avec un D majuscule. Bref, comme il n’y avait presque plus de bébés filles, il a bien fallu trouver une solution.
- — Mais pourquoi ça a contaminé tout le monde ? Ce virus, il était bien déjà quelque part, non ? Il devait bien y avoir des gens immunisés !
- — Peut-être qu’il était enfoui au fin fond d’une jungle ou d’un désert. Peut-être qu’il y a eu en prime une mutation, je ne sais pas. Pour l’instant, personne ne sait quoi exactement, mais la théorie du virus est la plus acceptée dans les milieux autorisés.
Ma femme s’emporte :
- — Pas dans le grand public !
- — Va-t’en expliquer au grand public la situation : un monde composé à la louche de vingt vrais hommes pour une seule femme. D’où l’invention des fommes : des hommes transformés à leur naissance en pseudo-femmes, la moitié de la population.
Elle semble déboussolée :
- — Parce que les fommes, c’est… c’est du fabriqué ? C’est pas naturel ?
- — C’est du fabriqué.
- — Et moi, je suis réellement quoi ?
- — Toi, tu es une vraie femme. Une des rares vraies femmes qui vit au-dehors.
Mélanie semble anéantie, mais elle pointe toujours son arme vers moi :
- — C’est pire que je ne l’aurais imaginé… Il faut arrêter cette folie !
- — Et comment ? Il n’existe pas pour l’instant de remède à ce déséquilibre de natalité. Si la plupart des hommes et des fommes apprenaient la vérité, je ne te dis pas le massacre ! Ça risque d’être la révolution à tous les niveaux.
- — T’exagères !!!
Toujours assis dans mon fauteuil, je reste calme :
- — Non, je n’exagère pas ! Quand nos ancêtres ont découvert que le ratio homme/femme était totalement déséquilibré, en fonction des pays, ça a dégénéré en guerre civile ou en guerre avec les pays voisins, pour la possession des femmes.
- — À ce point ?
- — Oui, à ce point. Un homme qui n’a pas de compagne devient plus ou moins fou. Ça s’est toujours vérifié, peu importent le lieu et l’époque. C’est pour cela que le PU a posé une chape de plomb sur le sujet et fait en sorte que la tri-répartition soit la norme normale, afin que la paix revienne. Mais il a fallu en passer un… une sorte de lavage de cerveau pour faire admettre la nouvelle situation, un état d’euphorie. Dans pareil cas, une vaccination est un bon prétexte… sans parler de l’élimination des personnes trop âgées qui se souvenaient du monde d’avant.
Mélanie plaque sa main sur sa bouche :
- — Oh mon Dieu !
- — Il a oublié d’être présent à l’époque, ton Dieu.
À bout de bras, Mélanie pointe son arme vers moi :
- — Et si je te tue pour empêcher que ton traitement asservisse plus encore tous ces gens ?
- — Comme tu l’as fait pour Henri ?
- — Comment tu sais ça ?
Je me contente de sourire :
- — Je sais additionner un et un pour faire deux. Je te rappelle qu’il existe d’autres traitements déjà en cours. Mais la plupart ne sont pas vraiment géniaux. D’après les premiers tests, le mien est celui qui fait le moins de victimes collatérales.
- — Mais à quel prix ? Des moutons béats ?
- — Ça garantit la paix sociale, Mélanie, c’est déjà suffisant en soi. Mais la vraie résolution du problème serait que les femmes puissent à nouveau accoucher de filles dans un pourcentage acceptable. Mais ça, on en est loin. Pourtant, je cherche aussi dans cette direction, je fouine…
Baissant un peu son arme, Mélanie me coupe dans mon élan :
- — Henri était un sale fouineur, et je n’ai pas apprécié qu’il fouille dans mes affaires !
Ma femme cachait quelque chose ? C’est une chose que j’ignorais, et qui aurait pu m’être utile si j’avais su. Je suis parfaitement sincère quand je lâche mon exclamation :
- — Ah bon ?
- — Eh oui, deux fois, j’ai fait la connerie de faire le point, de notifier sur un petit carnet mes pensées en langue étrangère. Comme j’étais un peu pompette lors de la soirée, j’ai eu le malheur de lui avouer que je connaissais un peu le grec et que c’était pratique pour écrire des choses indiscrètes. Je ne pouvais pas prévoir qu’Henri aurait su lire son contenu. Alors, ce salopard a voulu me faire chanter, « Môssieu » me voulait dans son lit. Donc j’ai fait mine de céder.
Donc Henri avait un côté espion dans l’âme. Encore heureux que je ne consignais rien de personnel dans mes papiers. Je comprends mieux la rapidité avec laquelle Henri a disparu, il a voulu forcer le destin en mettant son nez où il ne fallait pas, et ma femme ne lui a pas pardonné sa tentative de chantage. Ce n’était pas ainsi que je voyais les choses, mais le résultat reste le même. Je pense avoir compris la suite :
- — Et quand il a baissé sa garde, tu l’as envoyé vers un monde meilleur ?
- — C’est exactement ça : il est mort doublement heureux.
- — Épargne-moi certains détails, s’il te plaît. Tu as fait comment pour le corps ?
- — Je t’épargnerai certains détails…
- — Hmm… découpé en petits morceaux ? C’est vrai que tu es une bonne cuisinière…
Elle ne répond rien, mais son petit sourire parle pour elle.
J’ai manœuvré pour éliminer Henri de façon indirecte, mais je ne pensais pas que ma femme serait ma complice involontaire. Mon collaborateur commençait à soupçonner mon petit secret. De plus, je savais qu’il convoitait ma femme et ma place dans les deux sens du terme. Ce qu’il a pu découvrir dans les notes de Mélanie lui a fait changer de stratégie. Considérant ma femme comme un maillon faible, il a préféré agir auprès d’elle à l’aide de ce levier pour mieux lui mettre la main dessus, pour m’éliminer plus facilement ensuite, en ayant le beurre, l’argent du beurre et la crémière en prime.
- — Je vois… il a cru que tu étais une faible femme, la leçon lui a coûté cher…
- — Toi aussi, tu as cru que j’étais une faible femme, mais pas de la même façon…
Lors de ma dernière petite soirée, j’ai volontairement augmenté l’agressivité des convives avec une drogue sans goût et sans odeur mise dans le punch. Idem pour le sentiment d’impunité. Tôt ou tard, je savais qu’il allait se passer quelque chose, qu’Henri allait trop en faire, et qu’en face, les gens seraient moins cool…
En effet, Henri était sur le point de découvrir ma vengeance à retardement : mettre en place un virus stérilisateur qui aurait agi dans deux ou trois générations. Et je suis très proche de la réussite…