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n° 23192Fiche technique18014 caractères18014
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Temps de lecture estimé : 12 mn
13/07/25
Résumé:  Dans un monde futuriste (mais pas trop), Alhya rencontre un "Spécial".
Critères:  #sciencefiction
Auteur : Myhrisse            Envoi mini-message

Série : Spécial

Chapitre 05
Dégagement

Résumé des épisodes précédents :

Alhya découvre les sombres destins des précédents esclaves de 314. Ce dernier lui ordonne de partir, la déclarant « morte » pour la protéger. Elle quitte l’immeuble, emportant avec elle une bonne partie des réserves monétaires de 314.





Alhya sourit. Quiconque aurait frémi en entendant les trémolos de cette mélodie. Son cœur battit frénétiquement de joie. Enfin ils venaient ! Après des semaines à espérer que le bouche-à-oreille leur parviendrait. Elle se tourna vers son client, découvrant sans surprise le masque d’eau sombre dégoulinant devant son visage. Cet accessoire était censé permettre leur anonymat mais sa carrure ne laissait pas de doute sur son identité. L’Armoire à glace.



Son collègue entra. Le restaurant, devenu silencieux à l’entrée du premier, reprenait vie, comme si les clients, constatant que les spéciaux venaient simplement manger, respiraient de nouveau. Comment ne pas reconnaître Balai dans le cul ? Si les autres déambulaient comme des ninjas, avec souplesse et discrétion, lui semblait tout droit sorti d’une noblesse du Moyen Âge. Nul avec une arme à feu, surtout longue portée, il se révélait excellent au corps à corps, à mains nues ou avec armes blanches.



Le spécial suivit son geste du regard avant de revenir vers elle. Elle précisa :



Il se dirigea vers l’alcôve tandis que son collègue restait en surveillance au comptoir. Alhya laissa le spécial vérifier les lieux.



Il ne répondit rien. Comme à son habitude, l’Armoire à glace vérifia chaque recoin trois fois. Ayant terminé son inspection, il revint vers Alhya.



Alhya dut déployer un immense effort pour ne pas sourire. Monsieur « C’est parfait ». Il disait tout le temps ça, son tic de langage. Armoire à glace et Balai dans le cul entrèrent dans le salon privé.


Alhya se rendit en cuisine et attrapa les assiettes grand format qu’elle remplit entièrement. De quoi nourrir quatre clients habituels. Elle porta le tout en salle, appuya sur la sonnette, attendit que la lumière verte s’allume puis entra. Elle servit les deux hommes, remplissant leurs verres et déposant une grande carafe d’eau à côté de chacun d’eux. Enfin, elle quitta la pièce en indiquant qu’elle apporterait les desserts dans exactement quinze minutes.


Elle lança le chronomètre puis rejoignit les clients classiques. Le service se déroula à merveille. Lorsqu’elle vint apporter les desserts, les assiettes du plat étaient vides. Tout était entré dans l’estomac de ces gloutons.


Un peu plus tard, ils sortirent. L’Armoire à glace rejoignit le comptoir tandis que l’autre prenait une position de surveillance.



Alhya tapota sa machine puis proposa le lecteur de carte au spécial. Il allait poser sa carte de paiement mais s’interrompit au dernier moment, les yeux rivés sur le montant… exorbitant. Alhya s’était contentée de rajouter un zéro au montant habituel.



Il rangea son bien puis annonça :



Ils sortirent et Alhya soupira d’aise. Tout s’était bien déroulé. Elle avait réussi à les attirer chez elle. Elle sourit. En rangeant le boîtier de paiement, elle se dit que s’ils revenaient souvent et plus nombreux, elle n’aurait même plus besoin de puiser dans la boîte en fer cachée dans un placard de la cuisine.


Ils revinrent dès le lendemain. Quatre cette fois. Malgré le masque, Alhya reconnut Armoire à glace, Balai dans le cul, Chouineur et Yeux bleus, le chef d’escouade. Il ne manquait que le sien. Il devait être en mission. Ça serait pour une prochaine fois. À elle d’assurer pour leur donner envie de revenir.


Alhya rappela le mode d’emploi en s’adressant au chef qui hocha la tête. Quel dommage que les spéciaux ne retirent leurs masques qu’une fois seuls dans le salon privé. Dire que des yeux bleus se tenaient juste devant elle et qu’elle ne pouvait même pas les admirer. Le repas se passa à merveille. Les spéciaux repartirent, le chef payant, cette fois.


Alhya les reçut, se demandant quand ils viendraient enfin au complet. Il fallut une semaine pour que le groupe dans son intégralité se présente au restaurant. Comme elle s’y attendait, son spécial n’eut aucune réaction en la regardant. Elle les servit avec son habituelle discrétion.



Il passait son temps à se plaindre. Le pire était de l’entendre faire ça avec sa voix artificielle. Cela rendait la scène encore plus comique.



Deux levèrent la main. Elle reprit leur assiette pour retourner en cuisine, bien consciente du regard insistant que lui portait le chef du groupe. Les trois gourmands eurent droit à leur plat dépourvu d’endives. Au dessert, Alhya servit la tarte aux pommes – faite maison – assortie d’un énorme saladier de chantilly.



Son spécial se servit sans lui accorder le moindre regard. Le chef, lui, transperçait Alhya des yeux sous son masque. Elle allait devoir faire attention sans quoi le spécial, enquêteur ultra doué, la démasquerait.


Le chef ne dit rien. Il se contenta de payer en la remerciant pour sa discrétion. Les jours passèrent. Alhya se couchait heureuse, chaque soir, d’avoir pu éclairer leurs journées. Ils ne disposaient que des pauses déjeuner pour se détendre. Autant faire en sorte qu’elles leur soient agréables.



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Alhya leva les yeux sur l’homme qui venait de l’aborder au comptoir. En plein service, il ne correspondait pas à sa clientèle habituelle. Son restaurant attirait les travailleurs du centre commercial voisin, principalement les cadres. De ce fait, la moitié portait un uniforme. L’autre des costumes cravate. Lui proposait un manteau en cuir synthétique sombre. La silhouette anguleuse, une cicatrice traversait son visage de part en part.



Alhya plissa les paupières. La flatterie ne la touchait pas. Qu’est-ce que cet homme voulait d’elle ?



Voilà qu’il la menaçait maintenant ? Alhya eut envie de lui mettre son poing dans la gueule.



Alhya cligna des paupières puis n’en pouvant plus, elle explosa de rire. L’homme, qui n’avait apparemment pas l’habitude d’une telle réaction, fronça les sourcils.



Les yeux de l’homme lancèrent des éclairs.



Alhya lui tourna le dos pour se diriger vers le salon privé. Abasourdi, l’homme la suivit. Elle sonna.



L’homme, prudent, se recula d’un pas. La lumière devint verte. Alhya l’ouvrit avant de se décaler, permettant à son visiteur de constater la nature des personnes déjeunant dans son établissement. Le mec blêmit avant d’avaler difficilement sa salive.



L’homme se tourna vers elle, lança un « T’es morte » avant de sortir en courant.




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Sans surprise, Alhya vit revenir son visiteur au visage coupé en deux.



Dix jours qu’ils n’étaient pas venus. Aucune idée de la raison. Opération extérieure ? Plus envie ? Impossible à savoir. Alhya sentit son ventre se nouer.



Alhya avait envie de pleurer. Elle hocha la tête, consciente de ne pas avoir le choix.



Il sortit un terminal de paiement.



Il la transperça des yeux puis acquiesça. Alhya se rendit en cuisine, où il ne la suivit pas. Inutile. Il ne faisait aucun doute qu’il n’était pas seul. D’autres surveillaient la sortie de derrière. Alhya attrapa la somme qu’elle plaça dans un sachet en papier. Il observa son contenu puis hocha la tête.



Dès le lendemain, trois hommes portant d’innombrables bijoux et à l’allure de brigands déjeunèrent dans le salon privé. Ils payèrent en sortant, un prix normal. Elle ne tenta pas de décupler le coût, de peur de les mettre en colère. Après tout, ils avaient mangé une quantité normale. Le local avait été largement remboursé par les précédents utilisateurs.


Alhya ne comprenait pas la raison de la désertion des spéciaux. Elle espérait les revoir mais les jours passant, elle dut se faire violence. Ils ne reviendraient pas. Les mafieux, eux, ne se privaient pas. Souvent par trois, ils déjeunaient sans montrer de signe d’agressivité. Alhya paya, ce qui lui permit de ne pas être inquiétée. Cependant, elle avait ouvert ce restaurant pour servir les spéciaux, pas la pègre. Servir ces clients-là l’embêtait beaucoup.



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Douze ! Ils venaient sacrément nombreux cette fois.



Plusieurs hommes, armes en main ou sur le côté, entrèrent et demandèrent gentiment aux personnes attablées de bien vouloir sortir. Nul ne s’opposa. Les gardes se postèrent à des endroits stratégiques. Alhya déplaça les tables afin de permettre à ses clients de s’installer confortablement.


Elle commença le service sans s’attarder sur les échanges qui ne l’intéressaient pas. Les hommes, visiblement en désaccord, discutaient avec force et fermeté, mais sans vulgarité ni explosion de colère. Chacun exposait son avis, avançait ses arguments, précisait ses préférences. Les négociations s’animèrent avant de se calmer, preuve que des terrains d’entente étaient trouvés.


Alhya débarrassa les assiettes pour servir le dessert. Elle plaça devant chacun les assiettes à dessert puis se rendit en cuisine où un homme en armes l’accompagnait à chaque fois. Non pas que sa présence dérangea Alhya, l’homme se poussait toujours pour la laisser passer, ne l’empêchant pas de travailler. Elle trouvait juste ridicule qu’il la suive comme un petit chien. Comme si elle risquait d’aller chercher une bombe à la cuisine.


Elle se pencha dans le réfrigérateur et en sortit les sorbets à la poire préparés le matin même. Du bruit de verre brisé suivi d’exclamations et de cris la fit se dresser. L’homme armé réagit sans attendre. Il attrapa Alhya, la plaqua contre lui et la mit en joue, pistolet dans le creux du cou. Il la poussa vers la sortie de derrière qui explosa. La fumée envahit la cuisine.


L’homme changea d’avis. Il entraîna Alhya vers la salle principale. La scène faisait froid dans le dos. Des cadavres, partout. Sur eux, des spectres noirs.



« Ne jamais risquer la vie d’un otage », se souvint Alhya. Le code des spéciaux était clair. Elle l’avait constaté elle-même durant les sessions virtuelles. Si la vie d’un otage était en jeu, les spéciaux reculaient. Ce jour-là ne fit pas exception.


L’homme armé, ravi, avança parmi les décombres, enjambant les chaises renversées, se dirigeant d’un pas sûr vers la sortie. Un spécial remua presque imperceptiblement à gauche. Doigts, biceps, hanche. Ces gestes, dans le monde virtuel, désarmeraient l’assaillant.


Alhya frémit et fit « non » de la tête. Il répéta la série de mouvements, la fixant avec insistance. Alhya n’avait jamais réussi cet enchaînement dans la vraie vie. Bon, d’accord, sur le tapis, elle luttait contre un spécial. Là, il s’agissait d’un brigand, pas le même niveau. Et puis, elle aurait quelque chose pour elle : l’effet de surprise. Le salopard qui la tenait en joue ne s’attendait pas à ce qu’elle maîtrise ce genre de mouvement.


La porte se trouvait à moins d’un mètre. Alhya inspira puis lança la chorégraphie répétée. Son corps suivit avec l’aisance de l’habitude, retrouvant les anciens réflexes. L’arme de l’assaillant se retrouva dans les mains d’Alhya tandis que le brigand chutait, les fesses les premières, sur le sol, se blessant sur les morceaux de verre. Alhya poursuivit le mouvement. Dans le jeu vidéo, il n’y avait pas de pitié. C’était tuer ou être tué. Elle mit l’homme en joue et, le viseur vers la tête, appuya sur la détente.


Une main sur son poignet dévia son tir et la balle atterrit à quelques centimètres de la tête du salopard sidéré qui se figea sous la menace de l’arme d’un spécial.


Alhya n’en revenait pas.



Il était intervenu. Il l’avait empêchée de commettre un crime ignoble.



Son spécial s’éloigna pour avancer en formation avec ses deux collègues. Un spécial fit sortir Alhya avant de l’amener vers un véhicule. Il lui proposa de s’asseoir sur le siège avant, les jambes en dehors de la voiture. Il la recouvrit d’une couverture. Alhya estima qu’il s’agissait de Chouineur, sans en être certaine. Son cerveau peinait à assembler les morceaux.



Alhya leva les yeux sur le spécial. Que venait-il de dire ? Son esprit raccrocha deux pièces d’un puzzle qui ne lui plaisait pas du tout.



Le spécial se figea, les doigts crispés. Il ne niait pas.



310 se crispa carrément tandis que le chef restait de marbre.



310 se tortilla puis contourna le véhicule pour ouvrir le coffre dans lequel il fouilla.



L’adrénaline dans ses veines la surexcitait. 310 revint et tendit une gélule à son chef.



310 secoua négativement la tête. Il ne semblait pas de l’avis de son supérieur.



Elle jeta un œil à son restaurant. Les spéciaux – dont le sien – sinuaient parmi les décombres et les cadavres.


Alhya fit tourner la gélule dans ses doigts puis la mit dans sa bouche. Elle se désagrégea sur sa langue, y laissant un petit goût à la fois sucré et amer. Le chef se pencha sur elle afin de l’attraper tandis qu’elle sombrait dans un profond sommeil.