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Temps de lecture estimé : 14 mn
07/10/04
Résumé:  Petit à petit, l'oiseau fait son nid
Critères:  fh laid(e)s amour
Auteur : Jad

Série : Monstrueuse

Chapitre 05 / 09
Monstrueuse - Rencontres du troisième type

9- Coup de fil sous surveillance




J’étais en train de tripatouiller dans l’ordinateur du paternel.



« Une charmante jeune fille ? » J’ai failli m’étrangler. J’ai regardé ma mère. Elle exultait, un sourire radieux comme je lui en avais rarement vu, comme s’il s’était s’agi de sa future belle fille.



Elle en rajoutait toujours des tonnes…

« Mais que s’étaient-elles donc raconté toutes les deux ? »



En entendant sa voix, mon cœur s’était mis à battre la chamade. Une accélération instantanée. Un coup à avoir une crise cardiaque et à rester cloué sur place. J’étais comme suspendu à ses paroles, dans la béatitude la plus totale. Chaque mot venant d’elle était un délice, une beauté rarement atteinte, j’étais aux anges, doucement bercé par la délicatesse du timbre de sa voix.

« Elle est géniale cette fille là, vraiment géniale. Il n’y en a pas deux comme elle, elle est unique. »


J’en oubliais presque d’écouter ce qu’elle était en train de me dire. De toute façon ça ne pouvait être que formidable : « Annick, je t’aime, je t’aime tellement… »


Lorsque mon regard croisa celui de ma mère, je retombai lourdement dans la douloureuse réalité du quotidien selon laquelle les rapports entre individus sont toujours difficiles et problématiques. « Casse-toi, tu m’emmerdes » (que je criais sans relâche dans ma tête). Mais bon Dieu, qu’elle se tire !

Elle était en train de m’espionner à deux pas du téléphone, avec un aplomb du tonnerre, me privant tout d’un coup du semblant de liberté qu’elle m’avait donné en me mettant au monde.

Prenant ma plus belle moue désapprobatrice, je la fusillai d’un regard noir et extrêmement critique. Mais, elle se contenta de contourner l’obstacle en changeant simplement de place. Je me suis mis à pester intérieurement en la maudissant de toute mon âme. J’aurais dû l’envoyer chier mais ce n’était guère dans mes habitudes. Et on ne change pas facilement ce genre d’habitude.



L’envie de crier très fort « MOI AUSSI, MOI AUSSI, si tu savais comme MOI AUSSI ».

J’ai claqué une talonnette sur le carrelage en signe d’agacement profond mais la pieuvre était tenace, m’engluant de toutes ses tentacules. Et elle faisait semblant de fureter dans la boîte à couture en sifflotant d’un petit air guilleret. Exaspération !




A peine avais-je raccroché…



« Mais qu’est-ce que ça peut te foutre, vieille sangsue »



« Et bien, tant mieux, comme cela, si demain tu la trouves très moche, et bien ça fera une moyenne. »



Comme quoi, tout le monde peut se tromper, heureusement que je suis pas pédé sinon j’aurais eu droit à un sérieux mélodrame. Je pense que les parents ont toujours du mal à imaginer leurs enfants en train de se faire empapaouter comme des rustres.



Ben voyons. C’est à la suite de petites phrases comme ça que vous avez envie de devenir zoophile, de niquer des chèvres ou de vous faire mettre par des ânes… pour faire chier, rien que pour faire chier.

L’univers bien pensant est tellement médiocrement atroce qu’il faut parfois le laminer à coups d’amplis sursaturés, de déviations névrotiques et parfois même de drogues très dures. J’ai toujours pensé que le petit n’importe quoi des ados n’était en somme qu’une toute petite réaction face au gros n’importe quoi du monde adulte, un dernier soubresaut, un dernier tour de piste, avant l’aliénation totale et la décadence sénile.




Le temps de retourner dans le bureau du pater. Il y avait effectivement un mail qui m’attendait avec une pièce jointe des plus gigantesque :




« Mon amour,


J’ai passé de longues nuits blanches à te lire, à te connaître, à te comprendre, à te répondre. Quand tu vas voir la taille de ma réponse, tu vas me trouver complètement azimutée. Et encore je n’en suis qu’à la moitié !

Je suis complètement azimutée, raide-dingue amoureuse de toi.


Avec tout mon amour et toute ma folie,


Annick. »




Plus de 30 pages format A4, cette fille là assurément était folle, délicieusement folle, adorablement folle.




10- L’antre de la belle



Nous n’avions guère avancé avec Philippe sur notre dossier ces derniers temps, par ma faute mais surtout par la sienne. Il prenait tout à la légère et je regrettais amèrement de m’être mis avec lui pour ce travail.


Il était venu une après-midi chez moi mais nous n’avions pas fait grand chose. Il était tombé sur un nouveau jeu qu’avait acheté ma frangine, style « Indiana Jones sur l’île des pirates », le jeu d’aventure qui prend bien la tête. Et il était resté une bonne partie du temps plongé devant l’ordinateur.



Mais désormais la deadline approchait à grands pas. Du coup il s’était affolé et m’avait relancé :



« Bien chef » Mais rédiger quoi, je me demande, nous n’avions absolument rien préparé, pas fait de recherche, rien, nada, le vide total.



La perspective de me retrouver chez Annick n’était pas pour me déplaire, même si je savais que je ne serais probablement jamais seul avec elle et qu’elle ne serait peut-être même pas là. Mais le simple espoir de la croiser ou de la voir ne serait-ce qu’une seconde ! A côté de tout cela, le dossier de Philippe n’était qu’une négligeable broutille.



A tout hasard, je suis passé à midi chez moi pour sender un petit mot :



« Annick chérie,


Je passe cet aprem chez toi (pour travailler avec Philippe !), mais j’espère que tu seras là. Ce serait génial ne serait-ce que de te voir.

Je n’en peux plus, je me languis vraiment de toi. J’ai hâte de te retrouver et de te serrer dans mes bras.


Je t’aime»



Dommage, mais il y avait peu de chance pour qu’elle lise ce mail avant le soir.

Le midi, elle rentrait manger chez elle mais elle était en général accaparée par sa mère qui lui trouvait toujours mille choses à faire. Ces gens là étaient toujours à la bourre, toujours en rupture et ils attendaient toujours la dernière minute pour surseoir aux demandes de leurs clients. Et, comme ils manquaient toujours de personnel, le père, la mère, la fille, les tantes, les cousines et même la grand-mère, tout le monde était emporté dans cette spirale infernale de la course au retard ! Un éternel remake de « Mission impossible ». Inutile de préciser que les flacons de médicaments pour les nerfs ou pour le cœur se vidaient eux-aussi à grande vitesse dans cette baraque.



15 heures pétantes, j’étais en bas de l’immeuble. 15 heures une, un ange m’ouvrait la porte. Mes yeux dans les siens, le temps suspendu à nos souffles et tout l’amour qui se mélangeait dans cette aura commune qui nous enrobait.



Elle s’effaça pour me laisser entrer, ce que je fis en prenant un malin plaisir à frôler son corps. Puis, faisant volte-face, mon souffle à deux pas du sien, avec une difficulté infinie pour ne pas me laisser aller, pour ne pas poser mes lèvres sur les siennes. Je frôlais sa main, le fluide d’amour devenait sans cesse plus électrique.



L’espace d’un instant et tandis que nous faisions route vers le bureau à travers les cartons, ma main prit délicatement la sienne, et la sienne serra la mienne très fort tandis qu’elle me fusillait d’un regard de braise.


Nous étions dans un bureau ou était-ce un atelier ou était-ce une cuisine. En tout cas un gros foutoir comme partout dans la maison. Sa mère me parlait, je parlais à sa mère, sa mère parlait d’autre chose, je n’avais d’yeux que pour ELLE, elle si proche et pourtant en partie inaccessible. L’envie en était pour l’instant décuplée. J’avais envie d’elle, là, tout de suite, sans attendre, la folie, la passion, l’irrépressible envie de son corps, de sa chaleur, de partager des instants intenses et plus encore. Un trop plein d’amour débordait de moi-même, qui s’écoulait dans le no man’s land qui me séparait de ma belle.


Je n’avais plus rien à dire à sa mère mais, qu’importe, je n’avais pas plus envie de bouger. Je les regardais toutes les deux s’affairer, faire et défaire leurs petits cartons… Mon Dieu qu’elle était belle, une beauté exotique, totalement inhabituelle mais une beauté parfaite. Je la trouvais radieuse, irrésistible, débordante d’amour et de vie, la femme idéale en somme. On dit « L’amour rend aveugle », mais quelle piteuse maxime ! La façon dont je voyais Annick à ce moment précis était plus l’aboutissement d’un long voyage initiatique, difficile à appréhender pour le profane. Il ne s’agissait pas de refuser l’existence de son bec de lièvre ou de son nez tordu, il s’agissait simplement de les transcender, d’aller au delà, et de gratter la fine couche de cette infime carapace. Au delà, Annick était grandiose, je n’aurais guère hésité entre elle et trois milliards de nanas !

Rien que cette façon de relever lentement la tête, un clignement d’œil ou de paupière, imperceptible, elle avait réellement la grâce dans chacun de ses gestes. J’en restais ébahi. Ô temps, suspend ton vol !


Lorsque sa mère releva la tête, je compris que mon attitude devenait un tant soit peu suspecte, ou tout du moins inhabituelle, et je dus me faire violence pour m’arracher. Mais c’est le cœur guilleret que je montai les escaliers quatre à quatre en pensant à MON amour, à celle qui deviendrait ma femme et qui le resterait pour toujours. La vie sans elle était vraiment inconcevable. Et je savais bien au fond de mon cœur que ce n’était pas une passade et encore moins une illusion.



Philippe était en retard. Le contraire aurait été étonnant.

Je me suis installé sur la table mais je n’avais vraiment pas le cœur à l’ouvrage. De plus, il y avait SA chambre juste à côté. Et dans sa chambre une multitude d’odeurs, de couleurs, de sensations. Je voulais m’en imprégner, m’en repaître. Tout ce qui avait trait à elle avait un sens profond. Lorsque je rentrai dans son antre, tous mes neurones étaient en éveil, mes sens étaient comme décuplés par sa présence. Je reniflai son oreiller, je reniflai sa robe, sur ces étagères, il y avait là toute son enfance et plus encore, l’essence même de ce qu’elle était devenue et les trésors qu’elle recelait. C’était un plaisir sans limite.

Là, nulle trace de petite culotte mais qu’importe ! Tout était tellement magique, tellement passionnant, tellement nouveau aussi pour moi. Il me faudrait peut-être des heures, des jours entiers et même des années pour tout découvrir.


Vous allez vous dire « Pauvre mec, mais qu’est-ce qu’il est gaga ! ». Et bien non, perdu, raté, j’étais à ce moment là particulièrement lucide. Jamais de ma vie je n’avais été aussi lucide. C’est tellement rare de rencontrer l’Autre que l’on ne peut ensuite que s’extasier. Et puis, on comprend mieux le dévouement des saintes et les souffrances des martyres !



Quand la porte grinça, j’étais au fin fond de la pièce. Merde, Philippe. Tout à mon exploration, je n’avais vraiment pris aucune précaution pour parer à ce genre de tracas. Tout en me dirigeant vers la porte, je me mis à cogiter à vitesse grand V pour trouver une plate excuse quand je tombai nez à nez avec… Annick qui, posant ses doigts sur mes lèvres… :



Mais déjà sa bouche cherchait la mienne et déjà ma bouche cherchait la sienne. Le choc n’en fut que plus violent, étourdissant. Nos langues emmêlées, nos corps enlacés, avec rage et violence, bestialité brutale d’un échange sporadique mais tellement désiré et tant attendu. J’aurais voulu la déshabiller, j’aurais voulu la prendre, j’aurais voulu la brutaliser, mon envie était tellement forte. Elle écrasait son corps contre le lien, se lovait plus avant sur ma peau tandis que ce baiser en apnée s’éternisait.


Cela durait depuis toujours, mais c’était en même temps si bref. Déjà les « ANNICK, ANNICK » raisonnaient dans l’escalier. Mais les baisers faisaient place aux baisers, sans cesse plus fougueux, toujours plus passionnés, comme si nous n’arriverions jamais à nous séparer…



Mais à peine s’était-elle écartée qu’elle faisait déjà demi-tour et revenait à la charge pour une nouvelle étreinte. Un maximum de plaisir concentré dans un petit laps de temps.



Un dernier baiser, plus calme, mais tout aussi profond…



Et elle s’en fut comme une gazelle en descendant les escaliers quatre à quatre, se retournant une toute petite seconde pour que je lui envoie un dernier baiser.



Quelle aventure ! J’en étais encore tout retourné, la tête dans les étoiles, quand je vis Philippe gravir lentement les escaliers et émerger tel un pacha. Mince, je l’avais presque oublié celui-là…



Et le beau Philippe de s’installer profondément dans son siège en se mettant un vieux Pink Floyd de derrière les fagots.




Nous étions en train de pomper comme des malades le digne travail de nos ancêtres de la façon la plus studieuse qui soit, c’est à dire en fumant un pétard.

Mais avec Philippe, les bonnes résolutions ne duraient jamais bien longtemps. Et il y avait toujours moyen de se… distraire.



« Connard, ai-je pensé, t’es vraiment un sale con. Je me demande comment j’ai pu te supporter toutes ces années. Annick, tu ne lui arrives pas à la cheville. Je serais elle, je t’écraserais comme une merde. Et si elle ne le fait pas c’est qu’elle a peur de se salir les godasses. »



J’avais la nausée. Je ne sais pas ce qui me retenait de gerber sur ce connard.



Maintenant que j’étais debout, j’étais vraiment malade. Je titubais presque. Je ne sais pas comment j’ai fait pour ne pas me casser la gueule dans l’escalier.

Arrivé en bas, je devais être pâle, livide. La mère d’Annick m’a demandé ce qui n’allait pas. Immédiatement après, Annick s’est rappliquée et m’a pris par l’épaule pour me soutenir, visiblement très inquiète.



Elle était entourante, enrobante, aux petits soins pour moi. Ça m’a tout de suite calmé.



Sa mère nous regardait.



Une paire de bises très très appuyées au coin de la bouche de ma chère et tendre chérie. Une paire de bises pour sa petite maman chérie [Ma future belle-mère], pour ne pas faire de jalouse. Et je m’en fus dans la nuit noire.

Me retournant un instant, je vis deux yeux brillants qui me suivaient dans l’obscurité suivis d’une petite main qui s’agitait pour me dire « Au revoir ».



« Annick, mon amour, tu prends des risques. Tout le monde va bientôt savoir que t’es amoureuse… de moi ». Mais ça, de toute façon c’était comme qui dirait « incontournable » et la date fatidique s’approchait de toutes façons à grands pas. On aurait peut-être pu la retarder, prendre un peu plus de précautions, mais en avions-nous réellement envie ?


Un dernier geste vers ma belle puis j’en revins à mes pensées.


Comment était-il possible que dans cette famille, ce gros con de Philippe soit toujours le seul à échapper systématiquement à toutes les corvées ? Alors qu’Annick, ma douce, était, elle, corvéable à merci.




A suivre…