Septembre 1986 :
Après m’avoir rebattu les oreilles des mérites de son nouveau serveur minitel, ma banque a fini par me convaincre que j’allais devenir riche grâce à la possibilité de gérer mes achats en bourse en temps réel. Leur service révolutionnaire Boursotel, moyennant un abonnement dérisoire, ouvrait les portes de la fortune à qui se sentait une âme de boursicoteur. Mon minitel à peine sorti de sa boîte, je me branche sur « Boursotel », m’habitue aux touches, cherche à comprendre l’ergonomie de l’engin, et effectue ma première transaction.
Je vais raccrocher, lorsque je me dis que cette machine magique doit bien savoir faire autre chose que d’afficher des comptes d’actions. Je me souviens alors d’une publicité pour un service nouveau « Ose », l’une des premières messageries qui n’étaient même pas encore roses. Je tape donc « Ose » et appuie sur la touche « envoi ». Si l’écran est toujours austère dans sa présentation, les mots qui s’affichent me laissent pantois.
Une liste de pseudo, dont certains dignes des titres de films pornos les plus racoleurs, défilent sur mon écran. Je ne suis guère intéressé par cette exhibition d’une sexualité d’adolescents boutonneux. Je suis sur le point d’éteindre la machine lorsque je m’aperçois qu’au milieu de ces pseudonymes sans intérêt, quelques pseudos plus anodins semblent perdus à la recherche de dialogues plus élaborés. Cette différence m’intrigue, ces pseudos simples et sans fioritures de mauvais goûts cachent-ils des gens sans imagination ? Ou révèlent-ils des habitués qui font fi de la succession de fantasmes en folie des uns pour utiliser cette machine pour créer de nouveaux liens entre les humains. Et je suis immédiatement capté par le désir de chercher ce que cachent les pseudos.
Une étoile indique ceux qui ont mis en ligne quelques mots expliquant ce qu’ils font ici.
Sans hésiter, je choisis le premier pseudo « normal » : Mireille. Je ne savais pas que ma vie allait changer en appuyant sur la touche envoi. Derrière ce joli prénom provençal, se cachait l’annonce suivante : « Raconte-moi comment tu veux me faire l’amour ». Je reçois la demande en pleine figure. Je ne sais pas ce que j’attendais, mais je suis immédiatement séduit par cette courte phrase. Je me pose mille questions. Pourquoi ne pas avoir choisi un pseudo immédiatement suggestif ? Pourquoi avoir caché son désir derrière un pseudo aussi banal ? Qui se dissimule ainsi derrière ce nom, cette demande ? La vulgarité des pseudos explicites m’avait immédiatement rebuté. La délicatesse du prénom, la phrase, courte sans grossièretés et écrite dans un français convenable me laissait entendre que derrière le clavier il y avait une personne intéressante. Tout d’un coup, je décide que je veux rentrer dans le jeu et tout connaître sur cette Mireille. C’est là mon objectif, mais je me doute que pour y arriver, il va falloir apprivoiser cette personne en répondant, dans un premier temps, à son attente.
- — Bonjour, j’aimerais bien te faire l’amour, mais j’ai besoin d’en savoir davantage, veux-tu bien m’aider à être celui que tu attends ?
- — Bonjour, tu es seul maître à bord, je t’attends, procède comme tu le désires.
- — Ah ? Alors, excuse-moi, je ne suis pas celui que tu attends, je ne sais que répondre au désir de l’autre.
- — J ’ai 32 ans, je suis brune, moyenne en tout, ni grosse, ni maigre, ni Lolo Ferrari, ni Jane Birkin, ni belle, ni moche, ni bête, ni prix Nobel, ni fadasse, ni hyper sexy.
- — Bon, c’est déjà un petit début. Encore une question, ta demande veut-elle dire que tu es en manque de sexe imaginatif ou en manque de sexe tout court ? Bref, as-tu un partenaire qui ne te comble pas ou pas de partenaire du tout ?
- — Et si j’avais simplement des besoins d’alimenter mes fantasmes ?
- — D’accord, mais réponds juste à cette dernière question, es-tu mariée ?
- — Oui.
- — Bien, je vais donc me contenter de ça. Mais je vais transformer ta demande, je ne vais pas te faire l’amour tout de suite, mais je vais te suggérer une situation érotique où tu t’abandonnes à moi. Et si tu aimes ce jeu, alors nous nous retrouverons pour faire l’amour comme tu le demandes. OK ?
- — OK.
- — Tu es au cinéma, dans les rangs du fond, ton mari est à ta gauche, tu ne me connais pas, et je suis à ta droite.
- — Oui.
- — Le film n’a pas captivé ton mari qui s’est endormi. Tu n’es pas franchement plongée dans l’action non plus, et tu tournes ton visage vers moi à plusieurs reprises. Je finis par le remarquer, et t’observe longuement à mon tour. Je vois que l’homme qui t’accompagne dort paisiblement, et, alors que tu te tournes vers moi à nouveau, je te fais un sourire en te montrant du menton le dormeur. Tu réponds, amusée, par un sourire moqueur qui semble dire que tu as l’habitude. Mais j’ai senti plus qu’un sourire, une quasi-invite sur ton visage. Je bouge mon bras sur mon accoudoir de gauche, celui où ton bras se repose. Je sens un premier frôlement furtif, puis d’un même élan, nous accentuons la pression l’un et l’autre.
Ça va ? Je peux continuer ?
- — Oui, c’est très bien.
- — Un sourire, un frôlement, il ne m’en faut pas plus pour me donner des ailes. J’ose alors poser ma main sur ton genou qui dépasse de ta robe. J’en profite également pour te regarder plus attentivement pendant que tu fixes l’écran (dans l’attente de la suite ?). Dans la semi-obscurité de la salle, j’utilise les moments d’intense luminosité du film, que je ne suis plus maintenant, pour mieux te détailler. Tu es une jeune femme soignée, un visage sans particularité et somme toute pas inoubliable, mais une jolie coupe de cheveux en carré, des traits fins, un maquillage discret avec un rouge à lèvres qui accentue celles-ci. Un joli collier entoure ton cou, une robe chemisier à fleurs, une veste soigneusement pliée sur tes genoux que tu as laissés, (intentionnellement ?) découverts et offerts à ma vue. Tes mains posées sur ta veste sont délicatement manucurées et un joli bracelet orne ton poignet droit. Tu dois mesurer 1m 65, tu ne sembles pas sylphide, mais tes proportions vitales, sans être celles d’un mannequin, semblent être harmonieuses. Elégance naturelle est mon verdict. Je regarde à ta gauche, l’homme affalé sur son siège. C’est tout le contraire, habillé sans recherche, il est maigre et sec, très dégarni et ne doit pas être plus grand que toi.
- — Tu n’es pas très loin de la vérité. Si ce n’est que je n’ai pas une coupe au carré, mais, en ce moment, une queue de cheval. Comment as-tu fait ?
- — Intuition… Je m’enhardis, ma main gauche commence à remonter le long de ta cuisse caressant ta jambe à travers ton collant (je n’ose espérer que tu es en bas et jarretelles). Tu continues à fixer l’écran. La pression de ma main se fait plus forte, elle enveloppe ta cuisse, mon petit doigt est arrivé à l’entrejambe de ton collant (je ne me suis pas trompé !). Je n’ai rencontré aucune résistance, mais jusqu’à présent aucun encouragement, quand soudain, je sens tes jambes s’écarter ta main saisir mon avant-bras et le serrer fort, comme pour lui dire oui. Dans le même temps, tu déplies discrètement ta veste qui vient maintenant davantage te recouvrir afin que mon bras ne soit plus visible. Mais la position est inconfortable. Je ne peux progresser davantage sans sortir mon bras de dessous ta veste et te mettre en danger si ton mari se réveille.
- — Continue…
- — Je sors mon bras délicatement de dessous ta robe, et repositionne, moi- aussi, mon imperméable posé sur les genoux. Ainsi camouflé, je reprends mon exploration avec ma main droite cette fois-ci. Sans hésiter, tu ouvres tes jambes pour me faciliter la tâche, et très vite mon index est à la place atteinte précédemment par ma main gauche. Je force un peu, mon doigt sent enfin ton intimité à travers tes sous-vêtements. Malgré l’épaisseur que représentent collant plus slip, ton excitation ne fait pas de doute. Mais il est difficile d’aller plus loin avec une telle barrière. Je jette un regard vers ton mari qui dort toujours profondément. En passant je te regarde, mais ne peux accrocher ton regard, tu as fermé les yeux et visiblement tu n’écoutes plus que les sensations de ton corps. Tu te glisses lentement dans ton fauteuil, les fesses au ras de celui-ci, tu rajustes ta veste afin de mieux nous camoufler et écartes encore les jambes. Je décide alors de m’enhardir. Ce collant nous gêne. Un coup d’ongle bien placé, et j’accroche une maille, puis déchire toute la couture. Tu es surprise, mais très vite, tu viens à la rencontre de mes doigts. Engouffrant ma main dans l’ouverture ainsi pratiquée, je peux appliquer la paume sur ton sexe, et, à travers la fine étoffe de coton de ton slip qui est trempé, je sens les contours de ta fente.
- — Continue…
- — Mais qu’est-ce que tu fais là ? Tu te masturbes ?
- — Non, j’attends la suite avec impatience.
- — Mes doigts écartent ton slip et découvrent une toison fine et humide, mon index glisse dans ton sexe chaud et palpitant avant même que j’ai eu le temps de contrôler sa progression. Tu te cambres aussi discrètement que possible, tu retiens visiblement un râle de jouissance, et tu lances ton sexe à l’assaut de mon doigt qui s’y engouffre totalement. Mon pouce écarte davantage ton slip et remonte le long de ta fente, maintenant dégoulinante de plaisir, jusqu’à ton bouton d’amour. Le majeur vient rejoindre mon index au creux de toi, puis un autre doigt. Ils sont comme avalés, si la position et le lieu s’y prêtaient, j’ai l’impression que ma main entière y passerait tant tu es trempée et ouverte. Mon pouce aidé de ta lubrification naturelle caresse délicatement ton clitoris. Devant l’ampleur de ton excitation et les mouvements que tu n’arrives plus à réfréner, j’ai peur que tu ne puisses plus rester discrète, et brusquement j’arrête tout mouvement.
- — Ne t’arrête pas, s’il te plaît.
- — Tu me saisis violemment le bras et fais bouger toi-même ma main dans une caresse-pénétration que ton corps appelle comme une délivrance. Je regarde du côté de ton mari, il ne bouge pas, tu as toujours les yeux fermés, ton visage est crispé, tu attends d’être envahie par une onde de jouissance qui s’annonce violente. Décidant que tu dois savoir ce que tu fais, j’oublie ton mari et j’accentue les mouvements circulaires autour de ton clitoris. Je le provoque en passant de temps en temps un pouce trempé sur la pointe sensible, comme la caresse d’une plume. Soudain, je te sens te soulever sur ton siège, ton corps tout entier se contracte, tu enfonces tes ongles dans mon bras et tu te remets en place en t’empalant sur mes doigts et en forçant ma main à ne plus bouger. Mes doigts comprennent l’ordre que tu viens de leur donner et ils restent immobiles en accentuant leur pression à l’endroit même où tu les as arrêtés. Tu arrives, dans une ultime maîtrise de la situation, à limiter au maximum les spasmes de jouissance qui t’animent, seule ma main en ressent la violence. Mon bras en porte les stigmates par les profondes griffures que tu y as laissées. Tu te tournes vers moi, les yeux enfin ouverts, tes lèvres me sourient et dans un baiser, elles m’envoient un merci, et à ma surprise, elles ajoutent : encore !
- — Oui, encore, mais ça sera pour une autre fois, mon mari vient d’arriver, j’éteins le minitel, je reviendrai demain, même heure. Merci.
Le piège venait de se refermer sur moi, le pseudo disparu de l’affichage, je n’avais plus qu’une idée en tête, préparer la suite de l’histoire pour demain.