n° 09683 | Fiche technique | 11264 caractères | 11264Temps de lecture estimé : 7 mn | 18/09/05 |
Résumé: Sur Minitel, un homme raconte à une femme des histoires érotiques dont elle est l'héroïne. | ||||
Critères: telnet cérébral revede | ||||
Auteur : Auteur anonyme (Auteur amateur) |
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Après un premier dialogue avec Mireille, je me prépare à lui raconter une nouvelle histoire.
La journée du lendemain me parut interminable. Impossible de me concentrer sur mon travail. Déjà, la nuit avait été agitée, et c’est dans un demi-sommeil que j’essayai d’élaborer un nouveau scénario qui ne déçoive pas ma correspondante. La satisfaction qu’elle semblait avoir manifestée après mon premier récit était un véritable piège. Il me fallait maintenant relever le défi, et être à la hauteur de l’attente que j’avais suscitée par ma première tentative. Toute la journée, j’avais réfléchi à la nouvelle histoire que j’allais lui présenter.
Mais, insidieusement, presque à mon insu, je ne n’arrivai plus très bien à séparer réalité, récit et fantasme. Avais-je envie de vivre l’histoire que je lui préparais ? Avait-elle envie de la vivre ? Etais-je en train d’écrire, sans le savoir, l’histoire que nous allions vivre ? Devant la confusion dans laquelle m’avait plongé ce dialogue spontané, je décidais de ne lui raconter que des histoires auxquelles je serais volontiers associé, et éviter tous fantasmes que je ne saurais partager.
L’heure tant attendue arriva enfin. J’en avais même oublié de consulter mon portefeuille boursier et, en allumant mon minitel, je me connectai immédiatement sur « Ose ». La liste des présents sur le serveur se déroulait sous mes yeux avec son lot, désormais familier, de pseudos en tout genre. Manquant encore d’imagination, je m’étais inscrit simplement sous mon vrai prénom : Serge. Trois, quatre balayages de la liste des connectés m’obligèrent à conclure que Mireille n’était pas là.
Combien de temps devais-je rester connecté, en 3615, à un franc la minute, avant de renoncer ? Et puis, même pas envie de commencer un autre dialogue, ou de répondre aux invitations de « lèvres en feux » et « jeveux1hom1vrai ». Seule Mireille m’intéressait. Je voulais absolument savoir qui se cachait derrière ce prénom et ces désirs.
Tout d’un coup, une ligne apparaît en haut de l’écran : « vous avez un message de Mireille ».
Là il est peut-être bon de préciser qu’en ce temps-là, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, l’affichage des minitels était en noir et blanc, sans fioriture graphique. Du texte, rien que du texte, pas d’émotion comme sur les « Chat » d’aujourd’hui. Mais je ne crois pas que l’émotion qui m’étreignit à ce moment eût été plus forte si « Mireille » avait été entourée de cœurs clignotants et était apparue au son des trompettes !
Mais revenons à nos moutons. Ange O’Liver est accompagné d’une petite phrase : « Corse par ma mère, Irlandais par mon père, je rêve de vous ». Le jeu de mots du pseudo, l’humour et le « vous » désuet de la carte de visite t’amusent et t’intriguent. C’est avec lui, penses-tu immédiatement.
Pour capter l’attention de celui sur qui tu as jeté ton dévolu, tu décides de changer ton pseudo anodin contre un pseudo bien personnalisé. Tu deviens ainsi « Le rêve d’Ange », et tu engages le dialogue :
De « Le rêve d’Ange » à « Ange O’Liver »
De « Ange O’Liver » à « Le rêve d’Ange »
Et puis, cette envie, elle t’est ancrée au ventre. Cela fait des mois que tu y penses nuits et jours. Etudiante, tu avais succombé, lors d’une soirée arrosée, à un beau brun. Une danse avait suffi pour que tu le laisses explorer ton corps par-dessus ta robe. À la deuxième danse, il t’entraînait dans une chambre inoccupée et, sans un mot, tu te donnais à lui immédiatement. Le souvenir de cette étreinte avec un parfait inconnu, dont tu ne connaissais même pas le nom, t’avait laissé un goût d’interdit jamais plus égalé. Au fil des ans, tu avais affiné ton désir en portant le souvenir à son paroxysme. Il fallait que tu recommences, mais, cette fois, sans même avoir la possibilité de voir au préalable l’homme qui te ferait revivre ce fantasme. La première fois, tu avais laissé faire un inconnu, mais cet inconnu, tu avais accepté de danser avec lui parce qu’il t’attirait physiquement. Tu avais eu le loisir de l’observer pendant la soirée. Tu avais aimé son allure, sa façon de danser. Aujourd’hui, tu ne veux laisser aucun sens choisir, décider. Tu veux t’abandonner à un inconnu total. Tu veux te laisser transporter par la peur, la déraison. Tu veux te prouver que tu peux assouvir tous tes fantasmes. Ce soir, tu as fait le premier pas, il suffit maintenant de se laisser porter par la suite.
…« Mireille s’est déconnecté(e) »…
Ce dernier message me laisse dubitatif. Entraîné par mon récit, je n’ai pas maîtrisé l’heure. Je n’ai eu aucun écho à ma nouvelle histoire. L’a t’elle aimée ? À t’elle compris que je ne savais plus très bien moi-même si j’inventais une histoire ou si je lui racontais l’histoire que je voulais vivre avec elle ?
L’attente jusqu’à la prochaine connexion allait être insupportable.