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n° 09930Fiche technique18051 caractères18051
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Temps de lecture estimé : 13 mn
28/11/05
Résumé:  On the road again.
Critères:  #nonérotique #roadmovie amour photofilm
Auteur : Claude Pessac            Envoi mini-message

Série : Road movie

Chapitre 02 / 05
Missouri moi aussi

Pas gai le Missouri !

Au petit matin, tôt, nous avons franchi le Mississipi.

Il était temps ! Car nous avions perdu une journée supplémentaire sur le programme prévu.


Faut dire que notre soirée chez John-John et Sarah s’était prolongée fort tard. Après nos premiers ébats et un petit moment de récupération, John-John avait proposé de tourner un porno maison. Et il était bien outillé le bougre : deux caméras avec steady-cam, plusieurs mandarines -des spots réglables sur pied- et un micro sur perche !

Comme je ne voulais pas, pour d’évidentes raisons de discrétion, apparaître dans ce film, c’est moi qui ai été chargé du tournage, avec Sarah à la seconde caméra, pour les plans de coupe. Un petit scénario a rapidement été mis sur pied. Rien de très original : "le coup du plombier".

John-john, ayant enfilé une salopette et tenant une boîte à outils à la main, sonne chez une pauvre célibataire catastrophée par une fuite d’eau sous son évier. Laquelle célibataire était interprétée par Lilly, vêtue d’un short en jean, très court, très serré, et d’un tee-shirt très ample et trop grand, vêtements prêtés par la maquilleuse - (dés)habilleuse : Sarah. Dans la cuisine, Le plombier se penche sous l’évier, constate les dégâts, évalue les travaux et… les formes de sa cliente, elle aussi penchée. Caméra à l’épaule, je me suis baissé pour filmer les longues jambes de Lilly et zoomer dans le décolleté relâché du tee-shirt qui dévoilait quasiment ses seins ronds. Comme le sol a été inondé (on avait balancé un seau d’eau sur le carrelage), le joyeux artisan refuse de mouiller son bleu de travail et l’enlève prestement pour se retrouver illico en slip des plus réduits, qui moule son anatomie de façon prodigieusement indécente ! Allongé sur le dos, sous l’évier, le plombier traficote avec ses outils, râle contre l’exiguïté des lieux et la difficulté d’atteindre le siphon défectueux.



S’accroupissant, la cliente extrait les bouteilles de produits ménagers, se penche, dévoile toujours plus sa poitrine qui fait loucher le bonhomme, frôle aussi souvent qu’elle le peut l’entrecuisse du travailleur. Alors qu’elle se baisse et se relève sans arrêt, elle pousse un petit cri :



Comme le plombier s’inquiète, elle explique :



Alors qu’elle se masse le ventre et fixe le sol mouillé, elle ajoute :



D’accord, un peu sommaire comme dialogues, un peu rapide comme "intrigue", mais il faut bien que la situation évolue ; le short est vite enlevé et la caméra zoome sur un ravissant petit slip en satin bleu ciel. À genoux, Lilly éclaire sous l’évier.



Toujours prête à rendre service, la cliente à genoux finit par enjamber l’artisan et s’allonge quasiment sur lui. Elle frotte régulière son pubis contre le sexe de l’homme qui se redresse vaillamment dans le slip.



La cliente se redresse, s’assied sur les cuisses de l’homme qui s’extirpe du sous-meuble.



Zoom sur le slip en satin qui présente une large tache sombre en son milieu, puis gros plan toujours sur la main qui s’active.



Très professionnel, le plombier annonce la marche à suivre :



Zoom sur son slip en forme de tente canadienne.

Dès lors, les dialogues vont se raréfier, laissant place à l’action ! La verge est extraite du slip, la culotte de satin déchirée, le tee-shirt finit sur le carrelage trempé. Lorsque la petite chatte vient s’empaler sur le chalumeau chauffé au rouge, filmer devient problématique pour moi. Sarah, qui a abandonné sa caméra, et s’est dévêtue, a en effet plongé entre mes cuisses, extirpé mon sexe du slip que j’ai bêtement enfilé avant le tournage et me suce vaillamment. Heureusement que le steady-cam amortit les soubresauts et tremblements, sinon l’image tremblerait comme dans un film de Buster Keaton ! Et du coup, l’histoire de la co-locataire qui devait se pointer juste au bon moment pour en remettre une couche passe à la trappe. Mais personne ne s’en plaint : le cinéma, les séquences doublées, les changements de positions, les interruptions pour tourner les plans de coupe, ça finit par agacer. Rien ne vaut le Live !


Il me faudra cependant beaucoup de constance pour tenir jusqu’au bout de la séquence, et je filmerai avec soulagement l’explosion conjointe de mes acteurs, explosion libératrice pour moi qui pourrait dès lors apprécier sans retenue la fellation d’enfer prodiguée par la jolie Sarah et la faire profiter de mes talents …


La nuit s’étant poursuivie par le montage du film, c’est tôt, très tôt que John-John et moi avons rejoint nos petites femmes pour nous reposer un peu. Et quant au reste de la journée du lendemain, Lilly et moi l’avons passée au Motel, à lézarder, et à nous reposer. Fait exceptionnel, il ne nous est même pas venu à l’idée de nous envoyer en l’air ce jour-là. Je crois que nous étions gavés !


* * *



Plus on approche de chez Lilly, plus les routes sont mauvaises. Depuis qu’on a franchi le Mississipi, le paysage est devenu monotone, pauvre. La terre rouge est lourde ; la végétation n’a plus rien en commun avec celle que j’ai connue dans le Nord. J’ai l’impression d’avoir changé de planète, ou pour le moins, de tropique. Ce qui est le cas d’ailleurs. Il règne une atmosphère étrange dans ce paysage étonnant. La nature y est trop calme, comme assommée par la chaleur moite. Il y a bien longtemps que nous n’avons pas traversé une ville ou simplement un village digne de ce nom. De temps à autre, une boîte aux lettres rouillée nous signale la présence d’une maison, cachée quelque part dans ce bush peu accueillant.

Quoi le bush ?

Quoi ? Qu’est qui ne colle pas ? Allez-y, ça suffit maintenant, je vous entends bien râler depuis un moment !

Comment ? Un voyou ne parle pas comme çà ! Mon vocabulaire est trop riche, ce n’est pas crédible, il y a erreur, mystification, je ne suis qu’un petit bourgeois qui s’encanaille et joue les durs ?


Hey ! Stop !

Faut pas se fier aux apparences ! Je vous l’ai déjà dit !

Alors comme ça, sous prétexte que je bossais pour un mafioso, vous me prenez pour une petite frappe, un malfrat demeuré, sans éducation, inculte et basique ? Mais vous avez tout faux !

Je ne suis pas un voyou !


Je vous l’ai dit, mon putain de pied bot m’a valu une enfance solitaire. Je n’ai pas fait les quatre cents coups avec les mômes de mon quartier. Moi, je les ai fait avec Huckleberry Finn, sur les rives du Mississipi, dans les Caraïbes, sur le Bounty, et j’ai piégé le grizzly, et pisté les Comanches avec Davy Crockett ! J’ai même bien connu les tours de Notre-Dame avec mon grand frère Quasimodo ! Oui, un roman français, Victor Hugo, "Notre-Dame de Paris" : je l’ai lu, j’avais neuf ans. Et autant vous dire que le personnage du boiteux-bossu-difforme m’a beaucoup plu ! Presqu’autant que la pulpeuse bohémienne ! Paris ! J’ai arpenté les rues de Paris, derrière Phoebus et Esméralda, à neuf ans, un âge où la plupart de mes copains de classe ne savait même pas situer la France sur le globe, si tant est qu’ils le sachent maintenant !

Eh oui, j’ai passé ma jeunesse, le nez dans les bouquins. La bibliothèque de mon quartier, j’en ai exploré les moindres recoins, toutes les étagères. C’est là que je me suis formé, que j’ai acquis mes connaissances, ma culture, que j’ai étanché ma soif de savoir, là que j’ai appris à aimer les mots. Sûr que c’est pas auprès de ma mère, toujours entre deux bouteilles, que j’aurai pu m’instruire …


Sachez aussi que je n’ai jamais été porte-flingue pour Certini. J’étais son chauffeur. Je suis même devenu peu à peu son secrétaire et confident, il m’avait pris sous son aile. Au début, il m’appelait "Chueppé", ce qui dans son patois d’Italie du Nord signifie "boiteux". Rien de très original ou gratifiant. Et puis le vieux a découvert ma passion pour la lecture, pour les mots, pour les Sciences, le Droit, etc. Du coup, il m’a rebaptisé "Professore" ou même "Dottore" et m’a accordé son respect. Ça vous en bouche un coin, non !

Bingo !


Mais là encore, pas de méprise, du respect, je n’en ai pas pour lui. Du moins, je n’en ai plus, depuis qu’il a cédé aux sirènes de l’argent trop sale. Tant qu’il se contentait de contrôler les boutiques de Little Italy et de Soho -le racket, les paris clandestins, le trafic de cigarettes et d’alcool- ses allures de Commandatore me convenaient assez, malgré les cadavres de quelques braves types et de pas mal de salopards qu’il avait dans ses placards. Mais du jour où il a commencé à tremper dans le trafic de poudre, là, pour moi, il ne méritait plus le respect. Non seulement parce que ce trafic est ignoble, mais surtout, parce qu’en trempant là-dedans, il faisait fausse route. D’ailleurs, les ennuis n’ont pas tardé : italien du Nord, Certini avait au départ autant de chances d’être admis par les grands Mafiosi (tous originaires du Sud : Sicile et Calabre), autant de chances que moi de faire partie de la sélection olympique du 4 x 400 mètres ! Dans les années soixante, son intelligence, sa froide détermination, son sens de l’organisation avaient fini par lui valoir la considération des Familles, qui lui avaient laissé le contrôle de quelques miettes de leur empire. Mais en trempant les mains dans la blanche, Certini s’était vite retrouvé isolé, en porte-à-faux. Il était allé trop loin, il marchait sur leurs plates-bandes.


Et c’est bien pour cela, du reste, que je suis assez tranquille. Je lui ai taxé un petit million, mais il n’a pas l’envergure suffisante pour lancer une chasse à l’homme, pour me débusquer là où je vais, et ne trouvera personne pour l’aider. S’il doit ce fric à quelqu’un, il devra cracher, point-barre !

Faudrait d’ailleurs qu’il soit vachement futé pour me retrouver. En fait, sans le vouloir, j’ai brouillé les pistes, depuis le temps que je bassine tout le monde avec la Californie. Tu peux courir, c’est sûrement pas là-bas que j’irai. De toutes façons, à l’instant précis, je ne sais pas encore exactement où je vais aller planter ma tente. Tout ce que je sais désormais, c’est que Lilly m’accompagnera, où que j’aille. Et une fois installé, personne ne me débusquera.


Parce qu’en fait, je suis un caméléon. Un caméléon, tu sais, comme Jarod, à la télé. Tu es malfrat ? Je parle comme toi. Tu es un petit bourgeois ? Tu me prendras pour ton frère. Tu navigues dans les hautes sphères ? Tu me reconnaîtras comme un de tes pairs. Expert en ronds de jambes ? Je serai plus obséquieux que toi ! Grossier comme un camionneur ? Je t’apprendrai de nouveaux jurons.

Je suis un maître de l’empathie, qui que tu sois, je suis comme toi, je suis toi, si je le veux !

Et - je - parle - comme - je - veux !


Cela dit, pour l’heure, je suis un peu inquiet. Mais où donc Lilly m’emmène-t-elle ? Chez elle, dans sa famille, ça, je sais, merci !

Mais c’est où ? Visiblement plus loin que le trou du cul du monde !



A droite ! Je n’avais même pas vu qu’il y avait un chemin ! Enfin, si on peut appeler ça un chemin !



De fait, une sale odeur envahit l’habitacle. En fait, je me suis planté, ce n’est pas plus loin que le trou du cul du monde, c’est pile-poil dedans !



Ma Lilly, excitée comme une puce à l’idée de me présenter à son père. Ce matin, elle a fait des efforts pour s’habiller décemment : jupe sage en coton beige, petite veste saharienne sur un chemisier immaculé qui cache un soutien-gorge des plus sages. Elle a même mis une culotte en coton. Je le sais, j’ai vérifié !



Une infâme masure apparaît entre les hautes herbes desséchées. Une baraque de planches grises disjointes, avec un toit en tôles ondulées rouillées. Devant la bicoque : un puits, une éolienne rongée par le temps, un camion délabré, une carcasse de voiture, des bidons, un invraisemblable bric-à-brac de vestiges divers, cassés, rouillés, délabrés.



La voix de Lilly est brisée, les larmes lui montent aux yeux. Pauvrette, je la sens complètement anéantie par ce spectacle désolant. Lorsque j’arrête la voiture devant le palace, un chien pouilleux attaché à une longue chaîne se rue vers nous en aboyant tout ce qu’il peut, c’est-à-dire peu, car il a la voix cassée par l’âge.

Alors que nous nous frayons un chemin à travers le dépotoir, la porte de la masure s’ouvre et une femme sans âge s’avance précautionneusement sous le soleil. Vêtue d’un tablier informe, les cheveux ébouriffés, une main en visière sur le front, elle est peu avenante et visiblement inquiète. Manquerait plus qu’elle brandisse une Winchester, et le cliché serait parfait.



Lilly s’approche de la matronne qui, la reconnaissant, joint les mains sur sa poitrine et pousse des cris de joie.



Les deux femmes tombent dans les bras l’une de l’autre, pleurent, s’embrassent. Alertée par les cris, une autre forme se glisse au dehors : vêtue d’un tablier aussi usé que celui de la tante, la tignasse tout aussi ébouriffée, cette femme là est plus jeune, beaucoup plus jeune. Sans doute même plus jeune que Lilly.



Puis se tournant vers moi, elle précise :



J’ai même droit à une sorte de révérence maladroite. Faut dire que je suis aussi chic que le Prince de Galles, même si je ne suis en fait vêtu que d’un short bleu et d’un tee-shirt bêtement blanc. Mais quelle importance, ces deux-là n’ont jamais vu le Prince de Galles ! Mes vêtements sont neufs et propres, c’est bien suffisant pour les impressionner.



Çà, c’est vite dit ! Tout est relatif, comme je le constate en entrant dans le bouge, mais on s’y fera ! L’intérieur de la cabane est à l’image de l’extérieur. L’aménagement des plus sommaires se résume pour la pièce principale à une table en bois avec bancs assortis, deux grandes armoires bancales, un canapé fatigué, deux fauteuils, un téléviseur. Une partie de la pièce abrite la cuisine avec une grosse cuisinière sale, un évier en pierre, des placards vétustes, et, faisant tâche dans ce décor, un énorme réfrigérateur ultra moderne et étincelant de tous ses chromes.

Tante Wilma passe un chiffon douteux sur les bancs et la table pour que nous puissions nous asseoir sans trop nous salir. Mais Lilly reste debout, fixe un des fauteuils dans lequel gît un homme, vieux, sale, endormi.



* * *


La présentation au père tourna court !


Comme me le raconta ensuite Lilly, Stanton Bereford n’a jamais rien compris au film. Son père à lui, dans les années vingt, s’était fait quelque argent en distillant un mauvais whisky. Il en avait profité pour agrandir son domaine. Mais, à la fin de la Prohibition, le vieux avait bêtement poursuivi sur sa lancée. Pendant quarante ans, il s’était entêté, buvant lui-même ses stocks d’invendus. À la mort du vieux, le fils avait tout aussi bêtement continué lui aussi, à travailler sa mauvaise terre, à tanner de vilaines peaux, à distiller son infâme tord-boyaux. Comme quoi, Bereford n’avait pas attendu d’être vieux pour être con !

À ce régime, l’homme avait perdu peu à peu ses terres, ses biens, sa santé mais l’alcool conservant, il avait réussi à se maintenir en vie. Mais quelle vie, buvant du matin au milieu du jour, cuvant ensuite jusqu’au matin suivant.

Effondré dans son fauteuil, l’homme n’a jamais réagit à la présence de sa fille, se contentant de ronfler sans broncher pendant les deux heures que nous avons passé dans sa maison. Sa pauvre belle-sœur, Wilma, nous raconta sa déchéance irrémédiable, ce naufrage dans lequel la mort de son propre mari, brave et travailleur celui-là, l’avait elle-même jetée.



Sans nous laisser le temps de nous apitoyer, Wilma avait enchaîné :



Comment refuser ?

Ben moi, j’aurai bien été tenté de le faire ! Avec son tablier informe, sa tignasse fadasse, son visage souillé, elle n’est pas très appétissante la grande brelle. Quoique, à y regarder de plus près…

Mais pour Lilly, pas d’hésitation, et son regard implorant a eu vite fait de me convaincre qu’il était inutile de discuter.

Ah, les femmes !


C’est ainsi nous sommes désormais trois dans la Honda.


Le boiteux, la putain et la souillon !

Tu parles d’un trio !


D’accord, j’exagère ! Lilly n’est pas une putain (j’insiste !), Louise n’est pas une souillon, c’est juste un pauv’fille, et si je suis bel bien boiteux, je vous rassure, ça ne durera plus très longtemps …


Mais bon, "Le boiteux, la putain et la souillon", ça sonnait comme le titre d’un western-spaghetti !


J’ai quand même bien le droit de m’amuser un peu !

Je – fais – ce – que – je – veux !