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Temps de lecture estimé : 15 mn
02/01/07
Résumé:  Trois tableaux de la vie à Là.
Critères:  fh médical amour lavement nonéro historique humour
Auteur : Agerespectab  (Gentil papy)            Envoi mini-message

Série : Les chroniques de Là

Chapitre 04
Noël à Là

Résumé des épisodes précédent (n° 10534 - 10548 & 10580)


Nous sommes à Là, belle petite cité d’autrefois. L’épouse d’Aymard est morte il y a dix huit ans, en mettant au monde Dominique, une ravissante fille qui mène son papa par le bout du nez. Ils vivent tous deux dans la grande maison de Fernand et Josée, sœur de la disparue qui sert de maman à Dominique.

La communauté des femmes de Là est dominée par Jinay "La sorcière", laquelle est à la fois infirmière en chef, sage-femme en chef, médecin des femmes, et règne autant sur les consciences que sur les corps. À trente-neuf ans, toujours célibataire, elle est sans doute la plus jolie femme de Là.

Dominique a jeté son dévolu sur Engerrand, un jeune charron plein d’avenir, mais celui-ci préfère partir faire son tour de France plutôt que fonder tout de suite une famille.


Pour plus de détails vous pouvez lire les épisodes précédents.






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Noël à là – Ha ! Lala !






Premier tableau : le Salon du véhicule hippomobile




Parmi les belles voitures du pays de Là, il y a évidemment la berline du Bourgmestre, vert foncé aux portières armoriées (les armoiries de la ville, car l’homme n’est point "de qualité") et le landau que fait atteler sa femme à la belle saison. Citons encore la limousine de la comtesse de Mortemouille, tractée par un attelage en simple ou double paire selon la distance et l’allure souhaitée, et son coupé lorsqu’elle est seule ou à deux.

Jinay possède un cabriolet, maniable et léger, bien connu dans tout le pays à cause du bruit des grelots que porte sa jument, et, surtout, de la petite clochette d’argent qui s’entend de si loin ; plus d’une femme en gésine s’est trouvée réconfortée, en entendant approcher la sage-femme et ses joyeux tintinnabules. Fernand rêve de s’offrir mieux que son char à bancs tracté paisiblement par son Ponpon.

Entre la fin septembre et le début d’octobre se tient, à la capitale provinciale, le Salon du véhicule hippomobile. Cet événement a lieu tous les deux ans. Cette année Fernand a eu l’envie de s’y rendre, il a entraîné avec lui son beau–frère Aymard. Ils ont donc pris tous deux la diligence régulière à destination de la capitale.


Josée, l’épouse de Fernand, vient acheter son pain chez Odile :



Les deux beaux-frères sont revenus, toujours par le coche public. Ils étaient hilares. Fernand brandissait un papier enluminé d’un dessin représentant une voiture légère.



Josée est partie furieuse. Les deux compères vérifient qu’elle s’est bien éloignée, puis se tapent dans les mains en se félicitant de la bonne blague.



Et l’on entend Fernand qui s’éloigne en appelant :



Pendant ce temps, Aymard s’enferme dans sa chambre pour confectionner les paquets cadeaux qu’ils ont ramenés de la grande ville pour leurs femmes : de grands carrés de dentelle de Calais pour en faire des coiffes.






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Deuxième tableau : La foire d’automne




Les mois ont passé. Après l’été caniculaire, la douceur de septembre est ressentie comme une délivrance. Les vendanges rameutent tous les bras et les journées sont dures sous un soleil encore actif, mais les soirées sont plus douces sous les grands chênes et tilleuls de l’airial. Les jeunes rient, chantent et s’empiffrent, reprennent des forces pour le lendemain mais aussi en prévision de la nuit qui vient et qui pourrait amener son lot de bonnes fortunes… Les moins jeunes récupèrent plus sagement, les corps sont rompus, la nuit sera bienvenue. Dans le fenil on distingue mal les chuchotis, mais les rires de filles chatouillées sont bien reconnaissables.


Avec le temps des labours, où la campagne revêt des couleurs plus mélancoliques, les jeunes gens attendent avec impatience que s’ouvre la foire annuelle et son cortège de marchands ambulants : vêtements, chaussures, manèges, loteries et casse-pipes, guinguettes où l’on boit du clairet ou de la limonade. On y danse aussi, avec un violoneux et un accordéoniste qui marquent la cadence en tapant du pied, et le plancher de bois résonne lourdement.


Bien entendu, il y a également les nombreuses confiseries, dont certaines, les plus courues par les jeunes gens, vendent les fameuses "bêtises". On vous l’a exposé, ce sont des bonbons situés entre le berlingot et le nougat, avec une forme qui fait penser au bas du dos d’une jeune femme bien faite. Les jeunes filles qui déambulent sur le champ de foire ont toutes cette friandise en main, et la lèchent. Si elles souhaitent "allumer" un garçon, elles passe le doigt sur le bonbon et le proposent à goûter au garçon. Nous avons expliqué cela au cours du premier épisode et il nous est revenu que certains lecteurs l’avaient interprété différemment. Nous sommes dans l’obligation de souligner que nous ne sommes pas responsables des dérives fantasmatiques qui obsèdent quelques lecteurs, assez rares il est vrai.

Le geste doit être interprété comme plus fort qu’une simple invite. Invite à quoi, d’ailleurs ? Nos jeunes filles ne sont ni plus ni moins délurées qu’ailleurs, où l’on dit qu’elles lancent des œillades quand leur maman ne regarde pas. Ici, une œillade serait perçue comme vulgaire, mais proposer le bout de l’index mouillé de salive sucrée a quelque chose à la fois de plus discret et de plus fort, et de très convivial, convenons-en. Le garçon ainsi distingué ne s’y trompe pas, le plus souvent, et ce signal est maintes fois le premier d’une série qui conduit au mariage. Une charmante coutume, vraiment.


En ce dimanche, Jinay a décidé d’accompagner la belle Dominique sur le champ de foire. Elles déambulent dans les allées, bras-dessus bras-dessous, en devisant.



Fait comme dit, elles se sont installées sur la grande table en guise de bureau, avec papier et crayon et Jinay suggère un brouillon de lettre :



Cher Enguerrand,


J’ai pensé que tu aurais plaisir à recevoir des nouvelles du pays. Je sais que tu en as par ta mère, mais peut-être ne pense-t-elle pas à tout te raconter.

Mon père et Fernand sont allés au Salon du véhicule, ils t’ont aperçu mais n’ont pas pu te dire bonjour. Il paraît que tu travailles pour un carrossier.

Ici, tout va bien. J’ai été à la foire avec Jinay, il y a autant de monde que l’an passé. J’ai vu Héloïse pendue au bras de Vincent, elle lui faisait des yeux de merlan frit, c’était drôle.

La chèvre de Marinette a fait un chevreau, il est adorable, je vais souvent le voir et jouer avec lui.

Si tu changes d’adresse, n’oublies pas de m’envoyer la nouvelle si tu veux que je te tienne au courant des potins du pays.


Je t’embrasse (rayé) je te donne le bonjour.




Et ce disant, elle se jette au cou de sa bienfaitrice et la gratifie d’un gros poutou sur la joue.



Début novembre arrive la première lettre d’Enguerrand. Il s’excuse de son retard à répondre, enfile des banalités comme on enfile des perles, mais se trahit un peu vers la fin :



Répon moi vite sil te plais



Elles ont bien ri en le lisant, Jinay pour les fautes d’orthographe, Dominique parce que n’importe quoi l’aurait fait rire, à ce moment-là, parce que c’était son chéri qui lui écrivait, tout simplement. Enfants, ils étaient tous deux dans la même école, sinon dans la même classe, puisque filles et garçons étaient séparés ; de ce fait, elle peut témoigner qu’il était plus souvent à visiter ses pièges à oiseaux et ses nasses à écrevisses qu’assidu aux leçons du Maître, et y gagnait d’ailleurs des roustes mémorables.


Puis, le vingt décembre, Dominique reçut un courrier disant en particulier :



Mon patron va livrer une voiture neuve à Là le vingt-quatre, il a proposé de m’y emmener et de me laisser le lendemain, et je peux revenir travailler le vingt-six avec la voiture de la manufacture de torchons qui vient en révision. Dis-moi si je te verrai



Bien entendu, comme vous l’imaginez, Dominique est folle de joie, à peine entend-elle Jinay lui dire qu’il n’y a plus le temps de répondre :



Et les choses se firent ainsi, car ce que femme veut !…


Dominique avait seulement écrit :



Viens vite, je t’attendrai chez Jinay.



Sans date ni signature, et le vingt-quatre au soir ils tombaient dans les bras l’un de l’autre, sous le regard faussement indifférent de la doctoresse. Celle-ci leur abandonna sa chambre « pour deux heures seulement et n’oublie pas ce que je t’ai appris, Dominique, et toi, Enguy, sois raisonnable et obéis-lui. »


Il est donc reparti le vingt-six de bon matin. Dominique s’est précipitée chez Jinay, laquelle était pourtant très occupée à préparer sa journée de travail, mais devant la joie de la jeune fille, elle a tout laissé en plan :



Devant l’air vertueux et offensé qu’arbore Dominique, son aînée n’insiste pas. Elles passeront ainsi un an en complicité totale, au rythme des lettres échangées entre les tourtereaux. Enguerrand est maintenant trop loin pour revenir brièvement à Là, il faut attendre qu’il termine cette exploration des pratiques de son métier et des usages régionaux de France. Il n’ira pas, cette fois, en Normandie, non plus qu’en Alsace, et ne connaîtra pas les Flamands. Mais il aura sillonné maints autres coins du pays, et constaté que, pour curieux et intéressants qu’ils soient quelquefois, aucune cuisine n’y est aussi bonne que celle de sa mère, aucune fille aussi belle que sa Domi qui l’attend.





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Troisième tableau : chez l’apothicaire




Nous ne nous sommes pas trop étendus sur la fête de Noël, à proprement parler. En ce temps-là, à Là ou ailleurs dans toute la chrétienté, Noël n’était pas la fête majeure en termes d’agapes. C’est à Pâques que l’on rompait le jeûne et que l’on s’en foutait plein la lampe.

Toutefois, même si Noël était un moment de profond recueillement, on n’oubliait pas de se réjouir aussi autour de la table. Enfin la venue de l’année nouvelle était également occasion de se gonfler la panse.

Dans les premiers jours de Janvier, dames et demoiselles restaient souvent incrédules devant leur miroir : comment ai-je fait pour choper cette mine de déterrée ? se disaient-elles. Au secours, il faut faire quelque chose, oui, mais quoi ?


Et c’est ainsi qu’un grand scandale a secoué Là lors de la deuxième moitié de l’hiver. Il éclata fin février.

On ignore où la rumeur a pris naissance ; le fait est que les femmes établies se sont progressivement mises à se dévisager, au fil des semaines, d’une façon qui devenait gênante. Nous ne voulons pas parler des jeunes filles, qui ont rapidement reconquis leurs belles joues et sont bien trop occupées à chasser le garçon, mais des femmes en ménage, essentiellement.

D’habitude, elles s’observent les unes les autres, avec plus ou moins de discrétion. Voici que cette bonne manière sembla s’oublier, ou tout comme. C’en était embarrassant.

Certaines en vinrent même à s’apostropher « Tu veux ma photo ? » - du moins disaient-elles « Tu veux mon portrait ? », puisqu’on ne connaissait pas encore le miracle de la lumière quand elle joue avec le nitrate d’argent.


Chez la "sorcière", notre jolie Jinay, les conférences de rédaction du soir manquaient de plus en plus de naturel et de simplicité, et notre thérapeute, fine mouche, détecta comme un problème.

Elle eut vite fait de tirer les vers du nez de quelques-unes - Odile la boulangère, Suzon la couturière - et de découvrir le pot aux roses.


Savoir qu’Albert, l’apothicaire, s’adonnait à des pratiques que la morale commerciale réprouve. Vendre du vent, monnayer des balivernes, était à cette époque vivement méprisé, quelquefois même réprimé par la loi.

Il avait discrètement fait courir le bruit que l’on pouvait obtenir, chez lui, un soin de beauté dénommé "Coup d’Éclat". Il ne conserva pas longtemps cette appellation, lorsque l’on lui fit remarquer que son commerce pourrait lui valoir, à lui-même, un sacré "coup d’éclat" avec plainte constituée auprès du Conseil de l’ordre.


Jinay s’en ouvrit à son amant, Aymard, le papa de Dominique :



Comme vous pouvez le constater, Jinay avait l’art de couper court lorsqu’elle estimait qu’elle en avait assez dit.


Quelques jours plus tard, le sujet revint entre eux deux :



Elle lui tourne le dos, plus de bisous sur l’oreille, la fâcherie, quoi ! Il se lève et l’entoure de ses bras mais elle demeure insensible, elle a décidé de faire la tête. Dépité, il s’en va.


Il revient le surlendemain, pour apprendre que le problème de la prise d’échantillon est réglé.



Il se lève, reprend sa veste…



Il obtempère.



Odile devait demander le soin de beauté, Thérèse et moi entrons sur ses talons, Albert s’excuse et nous demande d’attendre un peu, puis Marie et Agnès entrent à leur tour. Tu sais comme Agnès peut être insupportable quand elle veut, avec sa voix perçante qui te vrille les oreilles. Elle se met à crier qu’elle n’a pas le temps, Albert réapparaît, je propose d’administrer le clystère, il ne peut refuser. Odile est en possession d’une grosse poire en cuir qu’elle dissimule entre ses cuisses, de telle sorte que si l’on lui écarte les fesses pour découvrir son petit trou, le col de la poire apparaît alors. Tu comprends la suite ? Aussi vite qu’il peut, Albert revient, pour me trouver en train de serrer les fesses d’Odile à deux mains, je lui demande combien de temps il faut qu’elle garde la médecine, il me répond « Malheureuse ! tu peux la laisser aller ! » Elle bondit aussitôt en direction des commodités et le tour est joué ; nous attendons que les complices soient servies elles aussi, et ressortons toutes ensembles, dignement, en emportant notre larcin.



Ils ont échangé un très long baiser et de nombreuses et savoureuses caresses, ont dévoré l’omelette aux girolles et au lard, ont tiré les rideaux du grand lit, ce qui fait que je ne peux pas vous raconter très précisément quelles acrobaties étaient à leur programme sinon que ce fut très chaud, comme chaque fois.


Le lendemain, au réveil :



Le grand scandale d’un procès à la capitale provinciale fut ainsi évité. Le scribouillard local de la gazette régionale, qui fouinait pour tenter de publier la liste des clientes d’Albert, fut forcé d’apprendre tardivement à nager et ne sut jamais qui l’avait poussé dans le canal, mais son flair de journaliste lui souffla de laisser tomber cette enquête.


Et la vie s’écoulait tranquille, à Là.