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Temps de lecture estimé : 14 mn
03/12/07
Résumé:  Frédéric hésite à réaliser un petit fantasme.
Critères:  magasin cérébral revede voir lingerie nonéro -couple
Auteur : Eroslibré  (Jean Marie tenté par Eros, alors partagez mes émois charnels)            Envoi mini-message

Série : De tulle

Chapitre 01
Oser rencontrer la frivolité

C’est un petit magasin coincé entre un marchand de meubles rustiques au goût typiquement lorrain mâtiné d’une touche très germanique, et une boutique de location de vidéocassettes à l’enseigne on ne peut plus banale, « Vidéo futur », et à la devanture d’un bleu nuit un peu trop sombre. La vitrine a été totalement refaite il y a quelques mois, tranchant avec la rigueur de sa voisine d’ameublement et le clinquant high-tech, mais terriblement banal des vendeurs d’images.


Tout en elle se veut agréable à l’œil. Elle flatte, elle cajole et ensorcelle à la fois ; rien de plus normal puisqu’entre ses murs il s’agit de vendre de la lingerie. Elle est donc toute en rondeurs et en courbes, mariant avec bonheur une touche de rose pâle, un peu de jaune tendre tel celui des épis de blé, le blanc, avec quelques traces de rouge et de noir jetées à priori au hasard ; un savant amalgame de couleurs très prisées dans l’univers de la frivolité, de la séduction et donc de la beauté. Féminine à souhait, alanguie parfois suivant les saisons, mais capable d’un coup d’éclat, elle étincelle dans cet entourage plutôt triste.


N’est-elle donc qu’un royaume exclusivement réservé aux femmes ? Certainement pas, puisque les articles féminins et masculins, en petit nombre certes, phénomène très rare semble-t-il, se côtoient, se mélangent, s’enchevêtrent presque sans la moindre gêne et sans discrimination. En quelque sorte règne ici, en accord avec l’air du temps et une certaine conformité la plus parfaite parité, même si toutefois le côté féminin domine.


De toute façon au regard de la publicité, les corps de femmes l’emportent largement sur celui des mâles même si, ici aussi, le vent du changement bouscule les habitudes, dérange nombre de personnes des deux sexes tout en conservant beaucoup de sagesse. Seule la photo d’un homme, sans visage, pour sacrifier là aussi à une mode du moment, affronte celles de femmes lascives et dénudées.


Cela fait plusieurs fois que Frédéric passe et repasse le long de cette devanture, et immanquablement son regard est accroché, captivé, chaviré, presque envoûté par ce déluge de dentelles et de matières toutes plus suggestives les unes que les autres. Les formes très prononcées presque irréelles des mannequins ajoutent encore à son paroxysme intérieur, à cette tempête des sens qui le perturbe. Il y voit de quoi nourrir ou déclencher les fantasmes les plus extravagants, comme ceux que certaines séries roses et coquines de chaînes de télévision, toujours beaucoup trop sages à son goût, mettent en scène. Le plaisir non dissimulé de son regard se transforme toujours en un plaisir intense du corps qui stimule largement son désir. Pourquoi un tel ébahissement ?


Ici, en quelques mètres et l’espace de quelques instants, parfois peut-être à peine en trois ou quatre secondes, son esprit bascule dans un univers merveilleux, pas uniquement celui des mannequins à la mode, héroïnes de publications sophistiquées, bien trop mélancoliques, mécaniques, artificielles et systématiquement retouchées par l’outil informatique ; mais plutôt celui de la femme idéale à ses yeux, une femme qui sait charmer, inciter et attiser les convoitises d’un homme en permanence hanté par les secrets de corps pas toujours bien gardés.


C’est une passion qu’il cache et qu’il domine assez bien. Les autres n’ont pas besoin d’en connaître plus sur cette facette, somme toute parfaitement dans les normes de sa personnalité. Même son épouse, qui sait pourtant lire en lui presque sans se tromper, n’en possède pas toutes les clés. En outre, sa peur de paraître ridicule au reste de son entourage fait qu’il cache au mieux ce travers.


Cette « manie douce », il la vit seul. Il a toutefois essayé d’initier son épouse à sa passion de ces petits morceaux de tissu, mais pour le moment il n’a pas été très persuasif, s’attirant plutôt des reproches. Pour lui, il s’agit pourtant d’une mise en valeur du corps féminin. Elle, souvent agressive devant son insistance, justifie ses refus en invoquant avant tout des raisons de confort, ce qu’il accepte à contrecœur, ne la croyant pas trop.


Pourtant, leurs deux ou trois expériences en la matière avaient décuplé leur désir et amélioré de façon notable la qualité de leurs préliminaires. Mais, elle ne semblait l’avoir suivi que par simple soumission alors qu’il la croyait tout à fait précéder et deviner ses propres intentions. Elle préférait calmer les ardeurs pesantes de Frédéric en mettant de côté sa pudeur naturelle, dont elle cherchait cependant à se dégager.


Peut-être n’est-ce pas encore le moment, ou il lui faudrait certainement mieux présenter les envies très coquines qui l’assaillent en permanence, se montrer moins pressé, moins gourmand. Mais, lorsqu’il réfléchit à leur situation, à cette incompréhension légère qui parfois les éloigne l’un de l’autre, il conclut qu’il manque de tact et qu’en réalité il ne comprend rien à la vie intime de sa partenaire. Puis en fait, pour Frédéric dès que l’un de ses fantasmes commence à prendre corps, il perd aussitôt de sa saveur, en un mot de son charme et de cet incroyable pouvoir de magnifier les actes charnels. Combien de fois n’a-t-il pas fait marche arrière pour retrouver le côté magique, qui s’effondre soudainement au moindre soupçon de concrétisation ? Pourtant ! ! !


Seul pour quelques jours au moment des vacances scolaires, ce qu’il a échafaudé maintes et maintes fois est venu à nouveau s’emparer de ses pensées de célibataire provisoire, jusqu’à en constituer l’unique but, enfin presque, lorsqu’il quitte son travail et qu’il se retrouve en quelques minutes à peine dans son appartement, sans le plus insignifiant signe de vie, et qu’il se précipite alors sur tout objet capable de raviver encore plus fortement son attrait pour la lingerie. Libéré de la présence culpabilisante de son épouse, il va enfin avoir le temps et surtout le courage de franchir la porte de cette boutique si intéressante à ses yeux.


Le motif en est tout trouvé. L’autre soir, juste avant le départ de son épouse, ils ont quelque peu traîné devant le petit écran, corps contre corps, lui luttant contre l’envie d’aller se coucher et de lui proposer un câlin. En sautant d’une chaîne à l’autre, une émission de charme, selon la terminologie consacrée, plus que coquine, les a enflammés. Nathalie, son épouse a alors, contrairement à toute attente, volontiers convenu que le string porté par une des actrices, était tout à fait à son goût. Frédéric a aussitôt considéré cet aveu consenti sur le canapé du salon comme un accord.


Ainsi, surpris mais aussi soulagé de ne pas avoir été une nouvelle fois rejeté pour son appétit immodéré des petites culottes, il pense qu’il doit, afin de pimenter leurs ébats trop souvent convenus, d’offrir à sa tendre aimée, un peu frileuse, un modèle similaire et peut-être, pourquoi pas d’ailleurs, quelque chose de très sexy pour lui-même. Mais, par-dessus tout, et il n’arrive pas à se l’expliquer, il veut être seul pour effectuer cette emplette qu’il juge délicate, incongrue et presque déplacée, du moins, c’est ainsi qu’il l’imagine.


Les circonstances, liées à un mélange heureux de hasard et de volonté, vont lui faciliter sa démarche. Il se voit contraint, un samedi matin, contre toute attente, de passer au travail, l’espace de quelques minutes, simplement pour préparer la lecture du courrier à son chef qui devait rentrer dans la journée. Après avoir expédié cette tâche peu euphorisante, il décide de faire un tour en ville, histoire de faire un crochet par la maison de la presse locale et de se trouver un peu de lecture (sensuelle si possible) pour la fin du week-end.


Il découvre avec plaisir qu’en période de vacances cette petite ville de l’est de la France est peu animée, hormis quelques poignées de touristes, étrangers ou non, qui effectuent au pas de course la visite obligatoire des vestiges de la première guerre mondiale, tant ceux-ci sont nombreux, omniprésents et reflètent en ces temps troublés l’extraordinaire complexité humaine.


Il y a certainement là une chance à saisir à bras le corps pour Frédéric. À la rigueur, il ne passera même pas par la librairie qui n’est en réalité qu’un prétexte bien pâle. Cependant, il lui faut quelque chose au bout des doigts afin de se donner une contenance et ne pas trahir le trouble qui va immanquablement l’envahir. En outre, comme il est désormais impossible de fumer dans les locaux commerciaux et presque sur les trottoirs, quelle déveine pour lui véritable angoissé d’un achat un peu hors normes, il se doit pourtant de présenter le meilleur visage possible.


Il s’offre donc une compilation des aventures de Nestor Burma de Léo Mallet, accompagnée du dernier Manara. Ainsi, si d’aventure il échoue dans son entreprise, il pourra toujours profiter de l’ambiance particulière des enquêtes de son détective préféré ou rêver sur la plastique idéale des femmes du dessinateur italien. Ainsi équipé et gonflé à bloc, il se dirige vers sa petite rue favorite.


Passant par les quais, il découvre avec une certaine inquiétude, à l’horloge du seul restaurant étoilé de la région, qu’il est déjà presque midi. Aïe ! Faut-il renoncer ou continuer ? Risque-t-il de trouver porte close ? Passons toujours devant, se convainc-t-il enfin. Il sera toujours temps de se décider à passer à l’acte au dernier moment. Mais Frédéric, brusquement contrarié par ce faux contretemps, ne croit déjà presque plus à sa chance. D’ailleurs, a-t-il vraiment encore le désir de faire aujourd’hui ce pas décisif ? C’est l’esprit tourmenté et presque sans véritable ressort qu’il poursuit son chemin.


Après avoir quitté les bords du fleuve, lent et d’un vert - marron opaque qui traverse mollement la ville et, qu’aujourd’hui, seuls des bateaux de plaisance hollandais, belges et d’autres pays du nord de l’Europe empruntent à cette époque de l’année, avant de rejoindre par divers canaux le sud de la France, il s’engage dans cette petite rue qui monte hardiment vers les arrières de la citadelle. En fait, ici tout est imprégné de ce passé militaire plus triste que glorieux et parfois obsédant. Drôle d’idée, d’ailleurs, d’avoir élu boutique ici, un peu à l’écart du flot habituel des acheteurs traditionnels de la fin de semaine.


Cependant, avec la proximité du club de location de vidéocassettes, il y a certainement des opportunités à saisir. De là à imaginer que les uns après avoir « reluqué » avidement les pochettes plus qu’évocatrices des cassettes érotiques et pornographiques, qui constituent encore l’attrait essentiel de ce type de magasin, certainement plus que pour les héros musclés et surarmés en tout genre, se dirigent sans plus tarder au rayon lingerie voisin, il ne faut pas manquer sincèrement de poésie.


Frédéric laisse ce débat aux esprits chagrins, un tantinet moralisateurs et faiseurs de normes, de retour aujourd’hui sur le devant de la scène. Ces puritains tristes à la mine compassée l’irritent. Il craint qu’une gigantesque chape de plomb ne s’abatte sur la société et qu’une période obscure propice à des perversions encore plus sordides ne s’installe. D’ailleurs n’ont-ils pas déjà obtenus, il y a peu, une victoire éclatante en faisant disparaître de la devanture toute pochette montrant ou suggérant en dépit d’un « cache discret » des parties d’anatomie ou des actes à ne commettre que dans le noir, uniquement chez soi, s’ils ne sont pas réprouvés par la morale.


Plus encore, le client, cet être bizarre, peut-être tout simplement en quête d’un divertissement émotionnel et physique afin de soulager d’une certaine façon sa solitude, est-il obligé de s’isoler dans un réduit où une certaine promiscuité avec ses congénères l’empêche parfois de concrétiser un instant de pâle bonheur ? Transformé en victime, il lui faut subir deux fois des regards réprobateurs pour les uns et jaloux pour les autres. Là aussi, le flicage est de rigueur et ne cesse de se développer au rythme de l’accumulation des interdits et du poids redoutable du principe de précaution. Dans quelque temps n’iront-ils pas jusqu’à installer des caméras dans cette rue et filmer ainsi le badaud, si jamais regarder devient aussi un délit ? Mais tous ces faiseurs de morale et ces producteurs de bonne conscience peuvent, eux aussi, être saisis par le démon et ses œuvres.


Voilà, il approche de la vitrine pourtant toujours alléchante du centre vidéo local. Il a déjà de la chance, personne n’a eu l’idée de venir louer une cassette au distributeur extérieur, personne donc pour l’observer à la dérobée. Il est un moment tenté d’accélérer le pas et de quitter sans plus tarder ce lieu, mais il lui paraît important de marquer une pause à hauteur de cet autre palais des sens, propre à réchauffer les yeux et le corps. Tiens ! Voilà une annonce de la part du propriétaire. Il envisage de créer dans son établissement un espace Internet pour les amateurs de rencontres particulières et autres jeux, bien sûr pas tous innocents. Quelles intentions se cachent derrière cette proposition ? Veut-il attirer des clients aux goûts particuliers ou s’agit-il tout simplement de transgresser, plus ou moins discrètement ou effrontément une loi contraignante ?


La réponse ne tarde pas à venir. En effet, bien protégées par les affiches consacrées à cette prochaine ouverture, voilà que Frédéric découvre qu’en se haussant quelque peu sur la pointe des pieds, son regard atteint les images de ces films si évocateurs. En voilà un qui pourrait bien se faire taper sur les doigts si jamais un « bien pensant » venait à découvrir un tel subterfuge.


Difficile de pouvoir détacher ses yeux de ces scènes qui exposent sans la moindre pudeur, lui-même le pense, tous ces types d’accouplement, de fellations, de sodomies, de relations bizarres et tous ces enchevêtrements de corps d’où émergent des bras, des jambes, des paires de fesses, de seins et des objets pas toujours coquins, et ces regards qui vous fixent et vous interpellent, etc. Que l’imagination des auteurs est prolixe en ce domaine, surtout en ce qui concerne les titres et le nom des artistes ! Nous sommes peut-être loin de la poésie et certainement de l’art, mais tout y est si évocateur et les acteurs paraissent plus généreux les uns que les autres qu’à tout prendre, il vaut parfois mieux s’offrir une indigestion de chair que de cadavres sanguinolents et de visages défigurés par la haine, la tristesse et le désespoir.


Il fait semblant, l’espace de quelques secondes, de s’intéresser aux propositions Internet, pas pour lui, mais pour les autres, puisque pour sa part, estimant qu’il est déjà assez pisté et marqué comme cela dans la société, il n’a pas besoin de se lancer sur le réseau. Il constate très rapidement qu’il est toujours seul dans la rue. Il en profite donc pour se remplir les yeux d’un festin de chair féminine très épanouie et masculine à la virilité superbe, mais plus que frustrante tant il se considère inférieur en tout par rapport à la queue magistrale de ces champions. Comment peuvent-ils faire tout cela, ces professionnels et ce même si, au cinéma, tout est remarquablement construit, enjolivé et trafiqué ?


Son épouse et lui progressent de manière cahotante avec le temps, mais ils sont encore loin d’accomplir de telles prouesses d’athlètes et – il le reconnaît – d’avoir autant d’imagination, peut-être uniquement par peur d’oser autre chose. De toute façon, pour sa part, il ne veut en aucun cas se transformer en un tel produit de muscle et de sang.


Frédéric prolonge son regard, cette solitude involontaire et surtout inespérée lui permet de satisfaire à moindres frais un penchant qui flatte amplement sa personne physique. Toutefois, il n’a guère jusqu’à présent loué ce type d’œuvre cinématographique, craignant d’être remarqué, détaillé, disséqué par le vendeur ou pire la vendeuse sans oublier les autres clients. Alors aujourd’hui, comme bien des fois précédentes, il se contente d’un regard projeté derrière le verre blindé de la vitrine, à la fois proche et lointain.


Oui, mais tout ceci n’est qu’un intermède, une diversion en quelque sorte, un poste d’observation idéal, une pause pour mettre au point l’étape suivante, puisque maintenant il n’est plus trop question de revenir en arrière. Bien sûr, Frédéric peut encore se contenter de revenir sur ses pas en se disant qu’il fera mieux la prochaine fois. Il lui faut donc se décider une bonne fois pour toutes, déjà afin de ne pas éveiller l’attention des responsables du vidéo club. Tout semble lui être favorable, une rue déserte, il n’a pas vu une seule âme entrer ou sortir pendant ces quelques minutes des magasins et, dernier point non négligeable, la fermeture de la mi-journée approche, même si cette évocation l’avait conduit à douter quelques minutes auparavant.


Il abandonne à regret sa position et lentement presque indécis, il reprend sa progression en direction de « Miss et Hom », le nom donné par son propriétaire à cette boutique, objet aujourd’hui de la convoitise de notre homme. Il trouve d’ailleurs que cette appellation n’est pas très heureuse, trop « anglo-saxonne » pour commencer. En outre, elle lui paraît évoquer certaines revues de charme de mauvaise facture des années soixante-dix, voire un simple « peep-show », mélange de vulgarité et de provocation. Il est un peu trop facile, ce titre, trop commun et peu flatteur pour les clients. Plus de recherche aurait certainement satisfait son esprit toujours prompt à s’évader à la moindre suggestion.


Et puis, la lingerie féminine ne peut-elle se targuer d’avoir, et il le pense sincèrement, ses propres lettres de noblesse. N’a-t-elle pas fait rêver nombre d’artistes et de créateurs qui ont su, en d’autres temps plus proches des aspirations humaines, bien qu’elle effectue aujourd’hui un incroyable retour sur le devant de la scène, la parer de toutes les beautés. Elle ne doit être que coton, tulle, mousseline, dentelle, soie et jamais ou alors uniquement par petites touches latex, cuir et autres matières synthétiques racoleuses.


Ralentissant le pas à hauteur des premières dentelles, il tourne rapidement la tête sur la gauche et fouille de ses yeux le magasin. À priori personne, la voie est donc libre. Entrons.


Certainement encouragé, à la limite téméraire, enhardi peut-être par ces premiers instants de voyeurisme devant les délices appétissants de la vidéo, Frédéric pénètre d’un pas qu’il croit décidé dans ce qu’il n’a pas osé jusque-là affronter seul. Effectivement, la boutique paraît déserte. Le signal sonore, un peu vieillot, qu’il a déclenché en entrant n’a pas perturbé la vendeuse, car il ne peut s’agir que d’une vendeuse. D’ailleurs, Frédéric ne l’aperçoit pas. Elle n’est pas derrière son comptoir, meuble aux tons violine et d’un style suranné qu’il ne sait pas reconnaître. Il lui semble bien trop grand et accaparant tout l’espace de la pièce, il est impossible de ne pas le voir. Volumineux et presque laid il n’en accroche pas moins le regard, tant il est couvert de dépliants vantant les mérites des articles de la gamme « Wonderbra » et de plusieurs autres modèles du même genre, plutôt sages, déposés là avec une négligence savante.


Quelle supercherie ! pense Frédéric. Il est certain qu’ils flattent amplement l’œil en permettant en particulier à des jeunes, voire des moins jeunes femmes d’afficher des poitrines fermes, lourdes, rondes et haut placées, généralement largement décolletées ou moulées à l’extrême sous des pulls étroits et des polos au tissu tendu quand elles ne portent pas uniquement un simple soutien-gorge en guise de chemisier. Tout est offert, sous couvert d’un savant camouflage, à la convoitise d’hommes qui ne savent plus trop où est le vrai du faux. Mais, cette mode enfin cette tendance aura certainement, en dehors de toute provocation momentanée, incité les femmes à faire de nouveau honneur aux rondeurs charnelles des temps passés, pas si lointains d’ailleurs.


Toujours pas de réaction, un calme presque dérangeant, il se sent comme un intrus, il bouleverse quelque chose et va se voir rabroué pour avoir osé mettre fin à une espèce d’intimité. Mais, il entend enfin du bruit qui provient de l’arrière-boutique, dont il découvre l’entrée juste à côté des cabines d’essayage. Il a donc tout loisir pour se préparer à négocier l’épreuve à venir puisqu’il s’agit bel et bien pour lui d’un combat pour être en accord au moins une fois avec ses vagabondages intimes. Peut-être que même après avoir déjà franchi cette porte, il n’ira pas jusqu’au bout et qu’il repartira, dépité, confus, la tête basse avec un morceau de chiffon acheté en catastrophe, qui ne lui plaira absolument pas.


En attendant, il s’arrête devant un des présentoirs réservés à la gent masculine et commence à faire défiler, les uns après les autres, les différents modèles. Malheureusement, ils sont un peu trop sages à son goût, trop classiques, des caleçons certes colorés et couverts de motifs parfois coquins, des shorty’s moulants, mais pas un seul string. C’est étrange, il lui semble que la mode masculine en matière de sous-vêtement fait ici, dans ce magasin, un bond en arrière, alors qu’ailleurs elle lui paraît résolument hardie tant dans les formes que dans les couleurs.


Rien pour le moment ne correspond à ce qu’il est venu chercher pour lui aujourd’hui, sans oublier son épouse bien sûr. La surprise vestimentaire qu’il compte lui réserver pour leurs retrouvailles, la semaine prochaine au bord de la mer, risque de tomber à l’eau. Dommage ! Même la vitrine, à première vue, ne contient pas ce qui lui aurait facilement permis d’entrer en matière. Il devra donc commencer par quelque chose de tout à fait normal avant de se lancer pour la grande aventure.