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Temps de lecture estimé : 27 mn
31/01/08
Résumé:  Où je suis entraîné dans un tourbillon d'émotions fulgurantes entre les bras de deux femmes intrigantes.
Critères:  f fh fhh inconnu bain fsoumise fdomine humilié(e) hmast intermast facial -initiatiq
Auteur : Olaf      Envoi mini-message

Série : Ultreia

Chapitre 06 / 07
Ombres et lumières

Ce texte est la suite (logique ?) d’une aventure érotique et amoureuse se déroulant sur les chemins de Compostelle. Dans les premiers épisodes (11491 : La rencontre ; 11536 : La découverte ; 11632 : Face à face ; 11646 : Angoisses et consolation ; 11680 : Confluences), Marine et Guilhem se sont rencontrés, découverts, aimés, puis perdus de vue, selon la volonté de Marine, qui attend de son amant qu’il s’investisse corps et âme dans leur relation. Elle lui impose un étrange pèlerinage initiatique. Elle semble vouloir le guider entre rêve et réalité en provoquant à distance des rencontres aussi séduisantes qu’enrichissantes.




À peine remis de mes découvertes érotiques de la nuit, je reprends la route. Ce qui me vaut de ressentir cruellement dans tous mes muscles les effets du manque de sommeil et des mouvements inhabituels de mon corps entre les bras d’Évelyne. Il me faut quelque temps pour retrouver un bon rythme de marche. Mais, bercé par les réminiscences de ce partage sensuel, je flotte légèrement au-dessus du chemin, et envisage l’avenir de manière agréablement positive.


Le premier bémol apparaît dans la partition au moment où je tente de comparer mon aventure amoureuse de cette nuit avec des rencontres du passé. À l’évidence, je n’ai toujours aucun souvenir de ce qui précède ce que j’ai vécu entre les cuisses de Marine, au moment où elle m’a jeté son sort. Il faut donc bien que j’arrive à remettre la main sur elle, si je veux pouvoir reprendre possession de mon passé intime.


Les choses se gâtent en fin d’après-midi, lorsque j’arrive aux abords de Florac. D’un naturel assez solitaire, l’idée de devoir passer la nuit dans un gîte d’étape en compagnie d’autres randonneurs, pire d’autres pèlerins, ne m’enchante pas du tout. Je me vois d’ailleurs mal avouer le but réel de ma démarche, à savoir retrouver une femme qui m’a envoûté aussi bien spirituellement que sexuellement, et qui se réclame ouvertement de Lilith. Le simple fait d’évoquer la première femme d’Adam, celle qui le voulait sous elle entre ses cuisses, risque d’être du plus mauvais effet à une tablée de pieux marcheurs.


Je traverse donc la bourgade sans m’arrêter, et me couche à la belle étoile à plusieurs kilomètres de là, au moment où la fatigue m’empêche de poursuivre ma marche. Mon sommeil est troublé par de nombreux rêves, dont je n’arrive pas à garder le souvenir au réveil. J’ai l’indéfinissable sentiment d’être le jouet de forces qui me dépassent, et me poussent à faire des choix qui ne me ressemblent pas. Je ne sais même pas pourquoi j’ai choisi ce tracé pour rejoindre Le Puy-en-Velay. Il est certes agréable, bien qu’exigeant physiquement, mais je ne comprends pas ce qui m’y a poussé. Je ne suis même pas sûr de trouver la chapelle où Évelyne aurait pu rencontrer Marine. Elle n’a d’ailleurs jamais daigné me laisser de traces de vie concrètes jusqu’à ce jour. Je risque donc de faire un détour épuisant, pour ne contempler que quelques vieilles pierres. À moins que par un mystérieux hasard, une âme charitable soit à nouveau placée sur mon chemin. Pour cela, il faudrait que je me rapproche des humains.


Je décide de faire cet effort à la prochaine étape, et me mêle en fin de journée à un groupe qui se dirige vers Génolhac. Je me montre sous mon meilleur jour, et arrive à me faire adopter. Mieux, ils sont prêts à partager une petite place dans leur dortoir. C’est inestimable, car sans réservation, j’aurais peu de chances de trouver quoi que ce soit de confortable dans le coin.


En contrepartie, je m’efforce de divertir l’austère groupe de marcheurs avec quelques anecdotes de ma vie pendant le repas du soir. Au moment où je me lève pour prendre congé, je croise la responsable du groupe qui vient donner les directives pour le lendemain, et là, c’est le choc. La jeune femme qui prend la parole est l’exact portrait de celle que j’avais vue en rêve chez moi, en train de faire l’amour à même le sol de mon salon. En plus, elle porte un léger tee-shirt orné du symbole de mon périple initiatique, un escargot lové entre ses seins. Cette apparition me sidère. Je me rassieds, incapable de détacher mon regard de ce signe du destin.


Sitôt après la fin de son laïus, elle s’approche de moi, l’air narquois.



Sans savoir pourquoi, je suis intimement persuadé qu’elle détient une partie de l’énigme. Si je la laisse s’enfuir, tous mes efforts auront été vains. Il faut que je trouve le moyen de la retenir, n’importe quel moyen, mais c’est maintenant. À voir sa vivacité, ce n’est pas en suppliant que je vais y arriver. Je cours derrière elle, la dépasse par la droite et bloque son passage entre deux tables, juste avant qu’elle quitte le réfectoire.



Et je lui décris par le menu, les détails anatomiques de son homme, et ce que j’ai partagé avec elle dans mon rêve. Tout y passe, ses préférences érotiques, sa manière de s’offrir à lui, ses gémissements, sa déception en fin de partie, même le fin grain de la peau de ses mamelons, dont j’avais brièvement pu profiter lorsqu’elle avait serré ma tête entre ses seins dans ma cuisine.


Pendant une fraction de seconde, je m’attends à ce qu’elle me saute à la gorge toutes griffes dehors. Son regard devient noir, elle garde la bouche ouverte d’étonnement. Puis elle passe de la colère à la tristesse, comme si elle se sentait soudain trahie.




Je suis captivé par la franchise de cette fille. En un tour de main elle fait de moi un potentiel objet de plaisir, ouvertement, sans le moindre état d’âme. Si ma démarche lui plaît, et que ma peau est à l’avenant, elle ne se retiendra pas de me consommer, tout cru. Je n’ai pas d’autre choix que d’assurer, c’est elle qui tient les rênes.


Des sentiments très divers m’assaillent pendant la montée. Je sens son regard sur le bas de mon dos. Je suis même sûr qu’elle se délecte à l’idée de pétrir mes fesses, et d’autres choses de moi encore. Au début, ça me paralyse, puis je me prends au jeu.


Chippendales, mes frères, tant qu’à être objet de désir, mettons-y de l’élégance ! Elle doit sentir que je me détends et que j’entre sans retenue dans une relation de séduction par bas du dos interposé. Elle apprécie et commence même à m’encourager par quelques commentaires gratinés, sur ce que je fais vibrer en elle. Elle me compare à son ex, reprenant ce que je sais déjà en rêve, en y ajoutant sa perception de leurs jeux. Il se dégage une telle sensualité de cet échange purement verbal que nous sommes terriblement excités en arrivant devant la chapelle. Excités et essoufflés, tant nous n’avons pas ménagé nos forces sur le raide chemin de pierres.


Elle vient me rejoindre sur le parvis, et glisse ses bras autour de ma taille en me dévisageant attentivement.



La question semble purement rhétorique. Suivant sans plus attendre son envie du moment, elle s’empare de ma main et m’entraîne dans la chapelle. À peine la porte repoussée du bout du pied, elle m’offre ses lèvres avec fougue. Non, beaucoup plus que cela, elle s’offre entièrement en m’attirant entre ses lèvres, avec la même avidité qu’elle m’enfouirait entre ses cuisses si nous en avions le loisir.


La sensation de son abandon et de son désir est communicative. À la fraction de seconde où ma langue la pénètre, je me mets à bander de la moindre parcelle de mon corps. Je bouillonne, je me dresse, je m’échauffe d’envie pour elle. Plus rien ne me retient de lui donner ce qu’elle attend de moi, avec toute la vigueur possible, et aussi longtemps que j’en aurai la force. Elle veut le mâle niché en moi, à l’état brut, elle l’a réveillé, je lui appartiens déjà physiquement.


D’un geste vif, je lui enlève son petit haut, et après un bref instant de contemplation, je m’empare de ses seins à pleine bouche, tout en caressant avidement chaque courbe, chaque creux, chaque repli de son corps, qu’elle frotte goulûment contre le mien. D’emblée, elle écarte ses cuisses pour que mon membre tendu vienne coulisser contre le renflement de son bas-ventre, me transformant en gode vivant, pour l’immédiate satisfaction de ses impatiences.


Je glisse mes doigts contre sa nuque, autant pour caresser cet endroit que je crois sensible à l’extrême chez elle, que pour retenir sa tête qu’elle rejette violemment en arrière à chaque vague de plaisir qu’elle se donne en me serrant contre son entrejambe. Je ne sais pas ce qu’elle a vécu, ou n’a justement plus vécu ces dernières semaines, mais ses sens semblent avoir été dangereusement délaissés.


Bien décidée à utiliser mon corps pour se rattraper, elle prend maintenant ma main et la place entre ses cuisses, avec un couinement de reproche, comme si j’avais été trop lent à trouver la juste caresse. Bon élève, je m’applique à empaumer toute sa vulve et à lui offrir l’exacte pression qui va libérer son ventre de toutes ses tensions. À la sentir lancer ses hanches d’avant en arrière, je n’imagine même pas lui proposer de se dévêtir un peu plus. Elle n’est déjà plus complètement avec moi, seul compte le plaisir qui monte en elle.


Je la serre fortement contre moi de mon bras libre, tout en embrassant son cou et la naissance de ses seins. Placé comme je suis, je n’arrive juste pas à téter ses mamelons raidis. C’est elle qui se donne le frisson manquant en écrasant ses seins contre mon torse, profitant de chaque secousse qui nous traverse pour frotter ses pointes contre le tissu de ma chemise.


Déjà son ventre frémit, sa gorge et son visage rougissent, son souffle devient rauque, elle pèse de tout son poids sur ma main. D’un geste tendre, elle prend encore le temps de poser ses doigts sur ma joue, et, ouvrant brièvement les yeux, de me regarder en murmurant une sorte de remerciement. Puis sans me laisser le temps de réagir, elle avance une dernière fois son bassin contre moi, comme pour mieux aller au-devant de la jouissance.


Ce n’est pas un orgasme, mais une véritable crise épileptique qui déferle en elle. Elle perd pied sous la violence du plaisir, des sons gutturaux s’échappent de sa gorge, des larmes coulent aux coins de ses yeux, ses doigts sont crispés sur mes épaules, sa tête est ballottée dans tous les sens. Elle est comme possédée par la décharge érotique qui la traverse.


Heureux d’être un peu la cause de son bien-être, je fais de mon mieux pour accompagner son plaisir, caressant délicatement sa peau, frôlant les pointes de ses seins, effleurant son ventre, massant doucement ses fesses, puis glissant ma main un peu plus profondément entre elles. N’ouvrant les yeux qu’à moitié, comme pour profiter encore un peu de ce qui lui arrive avant de devoir se réveiller tout à fait, elle m’encourage à ne pas cesser. Que je ne laisse surtout pas un seul recoin de son anatomie inexploré, oh oui, je t’en prie, là aussi, et puis juste à côté…


J’aurais aimé lui donner plus de temps pour revenir à la réalité. Malheureusement, avant que son ventre ait fini de se contracter, bien avant les dernières et apaisantes vagues de plaisir, la porte de la chapelle s’ouvre brutalement et deux jeunes gars, hilares, entrent en éructant des commentaires salaces. Il me semble avoir vu les deux types à la table du gîte d’étape. Apparemment, ils font même partie du groupe qu’elle accompagne. Ils ont dû nous suivre depuis le village et se sont délectés de nos ébats par une fenêtre latérale, avant de se faire un malin plaisir à nous surprendre.


C’était sans compter avec la vivacité de la jeune femme. Sans faire aucun cas de sa nudité, elle les chasse en les insultant copieusement et en leur lançant tout ce qui passe à portée de sa main, cierges, bougeoirs, ex-voto, livres saints. Dépités par la violence de l’assaut, et peut-être aussi par la nature des qualificatifs employés à leur encontre, ils battent en retraite et détalent sans demander leur reste.



À cet instant, je remarque un petit graffiti, placé discrètement au coin supérieur droit de la porte de la chapelle. Il est tellement peu à sa place à cet endroit que je ne peux m’empêcher de délaisser la jeune femme pour l’examiner en détail. C’est de l’arabe, et si mes souvenirs de cette langue sont bons, cela signifie Tiffelent, ou quelque chose du genre. Étonné par cette découverte, je me retourne. La guide a repris son rangement de la chapelle, comme si de rien n’était.



À nouveau, l’éclat de son visage change du tout au tout. Mais cette fois, elle contient sa colère, et prend le temps de me mettre en garde.



Le léger signe du bras qu’elle me fait en s’éloignant sur le sentier du village ne suffit pas à me consoler. Le volcan s’est éteint aussi brutalement qu’il était entré en éruption, Marine fait le tapin dans des chapelles minables avec une copine arabe, et moi, comme un nase, je cours après elle, que je continue à croire sanctifiée et admirable parmi toutes les femmes. Pour couronner le tout, je réalise que cette chapelle est précisément celle mentionnée sur la carte par Évelyne, sans que j’y découvre quoi que ce soit de cohérent. Rien ne m’est épargné.


J’ai soudain envie de tout envoyer paître, et de prendre le prochain train pour rentrer chez moi. Ce qui m’arrive ne ressemble à rien. À quoi puis-je encore me raccrocher ?


Une toute petite voix se glisse heureusement sous mon crâne endolori. Qui dit que ce qu’on a découvert au fond du ventre d’une femme qui s’est offerte amoureusement recèle toujours une part de vérité. Sa vérité, en tout cas. Bon, et je fais quoi avec ça ? Si sa vérité est aussi éloignée de la mienne, je vais où pour comprendre ? Je demande mon chemin à qui ? Surtout que les femmes que je croise et à qui je m’ouvre un peu ont furieusement tendance à disparaître après m’avoir laissé dans un doute encore plus profond.


Je me donne encore deux jours de marche, avant de jeter l’éponge. Le rythme de mon corps m’aidera peut-être dans cette introspection. Mais si je n’y comprends toujours rien à ce moment, je laisse tout tomber. Et Dieu y reconnaîtra les siens, si tel est son dessein. En attendant, je vais me coucher dans le dortoir du gîte, sans échanger un mot avec la porteuse d’escargot, qui revient de la douche la mine un peu triste.


Je dors déjà à moitié quand je sens un léger baiser sur ma joue, et une caresse le long de mon dos.



Le lendemain matin, le groupe est déjà reparti au moment où j’émerge. Seule une odeur de sueur et de chaussures mal aérées flotte dans le dortoir. Certains parfums humains m’indisposent plus que d’autres, et représentent une excellente motivation à reprendre la route.




oooOOOooo




Je décide de m’engager sur le Chemin de Régordane, selon le tracé historique reconstitué récemment. Ce n’est pas la voie la plus rapide pour me rapprocher de Marine, que j’imagine en avance d’un ou deux jours en direction du Puy, mais elle est bordée d’un grand nombre de chapelles romanes. Avec un peu de chance, je devrais arriver à dénicher Tiffelent dans l’une d’elles. Non que je souhaite jouir de ses dons, mais j’ai l’intime conviction que je dois la rencontrer. Ne serait-ce que pour comprendre jusqu’où Marine a pu s’abaisser dans sa quête d’absolu et de dénuement dans l’amour du prochain. Je veux croire que c’est dans cet esprit qu’elle s’est acoquinée avec une fille de joie maghrébine.


Tiffelent, Tiffelent, étrangement ce nom me dit quelque chose. Je fouille dans mes souvenirs, puis soudain, c’est l’illumination. Lalla Tiffelent, c’est ça le nom complet. C’est une des saintes de l’islam maghrébin, une maraboute, une femme « entre-deux », comme certains les appellent (4). À la fois profondément religieuses et entièrement dévouées à tout ce qui touche l’humanité, certaines d’entre elles, qui avaient tout quitté pour se consacrer entièrement à leur sacerdoce, s’offraient aux pèlerins dans la zawivya, espace distinct du sanctuaire, où était tolérée la réunion du sacré et du profane dans tous les sens du terme (5).


Cela ne m’étonnerait pas que Marine ait cru trouver dans cet abandon la possibilité d’une nouvelle expérience mystique. Je n’ose pas imaginer jusqu’où elle a bien pu aller dans cette recherche. Heureusement pour moi, je n’ai pas à attendre très longtemps. En fin de journée, alors que je marche le long d’une rivière dans une forêt, je découvre un âne attaché à un arbre. Il me laisse approcher sans braire à pleins poumons, comme ils en ont souvent la mauvaise habitude. Pendant que je lui gratte les oreilles et le toupet, je découvre une jeune femme en contrebas, qui porte l’habit des pèlerins du hadj (6), ce qui donne à la scène une apparence irréelle dans cette contrée.


Après quelques instants de méditation, je l’entends distinctement prononcer Bismillah, l’invocation du nom d’Allah. Après quoi elle se lave trois fois les mains en commençant par la droite, puis l’entrejambe et les fesses de la main gauche. Elle continue son rituel en pratiquant la petite ablution. Après quoi elle verse trois fois de l’eau sur sa tête, et lave tout son corps au travers des vêtements, en terminant par les pieds.


Sa manière recueillie de procéder au ghusl (7) m’impressionne. Croyant l’aborder le plus respectueusement possible, je récite en même temps qu’elle la chahada qui clôt toute grande ablution. Même sans être musulman je connais cette phrase, et je voudrais ainsi lui prouver mon respect pour sa foi.


C’est mal connaître la jeune femme, qui se retourne comme si un scorpion l’avait piquée. Les insultes pleuvent dru, les unes plus colorées que les autres. J’essaie de la rassurer sur mes intentions, sur le fait que je ne veux pas profiter d’elle, que je ne suis pas comme les autres, cela ne fait qu’empirer la situation. Finalement, voyant que je ne recule pas d’un pouce, elle se met à me lancer des galets qu’elle ramasse au bord de l’eau.


Avant que je réalise le danger, l’un d’eux m’atteint en pleine tête, et m’explose l’arcade sourcilière. Le sang pisse immédiatement, et une violente douleur me vrille le crâne. Je suis tellement en colère que plus rien ne me fera renoncer. Sans tenir compte de ses menaces, j’avance et passe tout près d’elle pour aller rincer ma blessure dans l’eau froide. Elle semble terrifiée, aussi bien par ma blessure que par ma soudaine réaction. Craignant que je veuille la battre, elle tente de s’échapper, mais son élan est brisé par un tronc d’arbre qui lui coupe le chemin. Le regard apeuré, comme cassée, elle cesse de crier en tombant à genoux.



Pour une rencontre cruciale dans mon existence, c’est mal parti. Mais que faire d’autre que respecter son désir ?


Je décide de m’accorder une pause, notamment pour prendre le temps de soigner mon crâne qui se déforme de plus en plus sous l’enflure. Après une dernière caresse à l’âne, je retourne en direction du dernier village traversé et me laisse soigner par un pharmacien charitable.



Ça, c’est un mode d’emploi aussi précis qu’une notice de médicament. Avec en prime l’indication d’un lieu qui devrait me convenir, une chapelle à la luminosité particulière, non loin de là, en dehors des voies de passage. J’y arrive en début de soirée. Effectivement, ce lieu est très particulier. De petite taille, le sanctuaire a la forme en croix d’une église miniature. Malgré l’heure avancée du jour, je découvre à quel point les jeux de lumière des vitraux sont envoûtants. Un narthex a même été aménagé pour séparer l’entrée de la nef, surplombé d’une galerie, où je trouve la place de m’installer pour la nuit. J’arrive rapidement à oublier les lancées dans ma bosse frontale, et, après un frugal repas, je m’endors, bercé par la sérénité du lieu.


Le lendemain matin, je commence par faire un tour dans les environs pour me dégourdir les jambes, et profite d’une cascade pour prendre une douche improvisée. Quel bonheur de laisser longuement l’eau gicler sur ma peau, et emporter souillures et pensées inadéquates. Je me sens régénéré au sortir de l’eau, prêt à affronter le temps de méditation qui s’impose.


Malheureusement pour moi, deux hommes semblent vouloir également se rendre à la chapelle. J’ai juste le temps de remonter sur la galerie, avant qu’ils entrent et s’installent pour boire et manger, sans respect pour le sanctuaire. Après une heure, ils commencent à s’impatienter, entrant et sortant sans cesse, ponctuant leur conversation de rires épais et de remarques grivoises. Je n’ai plus de doute sur la raison de leur présence, lorsque je distingue le pas régulier d’un petit cheval s’approchant de la chapelle. Un petit cheval, ou un âne ? Si toute cette histoire est bien vraie, le pire est à venir.


Je n’entends pas la jeune femme entrer. Mais au moment où les deux types la rejoignent dans la chapelle, elle est déjà au milieu du transept, immobile, couverte d’un voile blanc de la tête aux pieds (8). Cette attitude hiératique semble les intimider au point qu’ils s’asseyent juste sous la galerie, à la place prévue pour les pénitents. Sans le savoir, ils respectent la règle. Probablement pour mieux la transgresser dans quelques instants.


Une fois le calme revenu, la femme se déplace lentement, suivant une figure géométrique dont les pointes sont les sources de lumière. Son passage en contre-jour dévoile sa nudité au travers du tissu. À chaque mouvement souple de ses hanches, une partie de son corps transparaît, mais jamais elle ne laisse apparaître son visage. Elle ne semble accorder aucune importance à l’excitation évidente des deux gars, qui s’agitent sur leur banc. Revenue à son point de départ, elle reste à nouveau immobile, une multitude de rais de lumière colorant son voile.


Je m’attends à ce que les hommes l’abordent maintenant, en priant le ciel pour qu’ils renoncent à toute violence. Étrangement, ils ne bougent pas. La voix de la femme s’élève en revanche, sublime de maîtrise, de puissance et de légèreté. Tout l’espace est immédiatement rempli par les sonorités de son chant. Dès les premières notes, les vibrations me traversent, bouleversent mon esprit. Le timbre de cette femme est parfait, je n’ai jamais de ma vie entendu pareille interprétation d’un des chants les plus douloureux qui soit, le Miserere.


Il y a bien sûr quelque chose d’irréel à ce que cette femme musulmane interprète de la sorte une lamentation chrétienne, mais cette lente mélopée est en même temps si universelle, que seule la musique compte, avec tout ce qu’elle véhicule par la seule force du souffle. Je ne regrette plus mes efforts des derniers jours, s’ils étaient destinés à me faire vivre un pareil instant.



Miserere mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam.

Et secundum multitudinem miserationum tuarum, dele iniquiatatem meam.



Non seulement elle est capable d’interpréter parfaitement ce chant en atteignant avec une étonnante facilité le contre-ut de la voix des anges, mais elle y introduit des ornementations que seuls quelques artistes d’exception ont été capables d’imaginer. La ligne mélodique exprime d’une manière incroyablement poignante la souffrance de la pécheresse, telle qu’elle veut se montrer par ce biais. Je suis de plus en plus ravagé par ce que j’entends. Qu’est-il donc arrivé à cette femme pour atteindre un tel stade de souffrance et de contrition ?



Asperges me, Domine, hyssopo, et mundabor : lavabis me, et super nivem dealbabor.



Arrivée à la fin de la première strophe, elle fait une courte pause, puis abandonne le Miserere pour enchaîner immédiatement par un Kyrie, moins poignant, mais tout aussi solennel, dont elle se borne toutefois à répéter sans cesse les trois premiers vers,



Kyrie eleison, Christe eleison, Kyrie eleison.



Imperceptiblement, marquant la mesure de son pied nu, elle commence à tourner sur elle-même au fur et à mesure du développement de la ligne mélodique. Peu à peu, elle donne plus de rythme à cette mélopée, et autorise son corps à se plier, tourner ou se recentrer au gré de ce qu’elle semble percevoir au plus profond de son âme. À n’en pas douter, elle commence un dhikr (9). Peu à peu, les pièces du puzzle se mettent en place dans mon esprit, et je souffre déjà pour elle de ce qu’elle va s’infliger.


Plus le temps passe, plus elle semble s’absenter de notre monde, s’enfonçant irrémédiablement dans la transe. La combinaison de l’essoufflement que les longues phrases mélodiques provoquent, de l’étourdissement issu de ses rotations sans fin, et de son état d’épuisement psychique, l’amène inéluctablement dans un état second, où tout devient possible, de l’illumination mystique à l’offrande ultime de son corps.


Cette femme n’a jamais été prostituée, comme les hommes se sont plu à croire. Elle tente seulement dans son désespoir de s’anéantir un peu plus à chacun de ses rituels démentiels. Elle s’étourdit physiquement, jusqu’à s’effondrer dans un demi-coma, pour mieux supporter ce qui lui arrive, et dont elle n’a plus la force de sortir.


Plus elle s’affaiblit en chantant et en tournant de manière maintenant saccadée et désordonnée, plus je partage son mal-être. Je ressens physiquement ce qui se passe en elle, comme si ce qui l’étreint depuis bien trop longtemps commençait à s’emparer de moi. La scène est insupportable. Soudain, au moment où je vais hurler pour qu’elle se réveille et que cesse ce manège infernal, elle s’effondre sur le sol, dévastée, hors d’haleine, son dos, ses jambes et ses bras nus dépassant du voile, qui ressemble tout d’un coup à un linceul.


Dans un dernier sursaut de volonté, elle trouve juste encore la force de prononcer le blasphème qui parachève sa déchéance, le signal qu’attendaient impatiemment les deux visiteurs.



À part ses flancs haletants, plus rien ne bouge en elle. Elle est offerte au bon vouloir de ceux qui vont passer, elle ne résistera plus, comme l’exige la pénitence qu’elle s’est choisie. Tétanisé par la scène qui se déroule sous mes yeux, je suis incapable de réagir ou même de détourner le regard.


Sans se presser, enchantés par le festin érotique qui les attend, les deux hommes s’approchent et commencent par soulever le voile transparent, de manière à dénuder les fesses et l’entrejambe. L’un d’eux tient déjà sa queue violacée entre ses doigts, il est sûrement en train de l’astiquer depuis un bon moment. L’autre sort à son tour son engin de son pantalon et prend position de l’autre côté de la femme.


Sans hâte, ils s’encouragent mutuellement, détaillant de manière salace les charmes de la gisante, décrivant l’envie qu’ils ont de plonger entre ses larges hanches, anticipant les délices que laisse supposer le fin dessin de sa vulve, sur laquelle ils se persuadent de voir quelque signe de désir. Progressivement, leur main s’agite plus fortement sur leur tige, leur visage se crispe. Ils se sont tant réjouis de la bonne aubaine, qu’ils sentent déjà monter le plaisir du fond de leur ventre.


Le plus jeune s’enhardit, s’agenouille et tente d’écarter les jambes de la femme, pour mieux s’emparer d’elle. L’autre, probablement plus expérimenté, bloque vivement son élan lubrique, et le repousse d’une main ferme.



Le gars est trop excité pour demander des explications. Mais le ton impérieux de son comparse l’emporte sur sa frustration. D’ailleurs, placé comme il est, il peut se procurer autant de plaisir qu’en s’allongeant sur la femme à moitié évanouie et sans répondant.


Une folle sensation de puissance lui monte à la tête. Jamais il ne lui a été donné d’avoir pareille beauté à sa merci. Il pose sa queue démesurément gonflée sur une cuisse de la femme, et commence un rapide va-et-vient du bout des doigts sur son gland suintant de désir. Avant de se lâcher, il jette encore un coup d’œil à son partenaire, histoire peut-être de se rassurer. Mais celui-ci est déjà trop occupé par la soudaine montée de son propre plaisir pour réagir.


Les deux se branlent maintenant à l’unisson, la verge pointée bien raide vers les fesses de la femme. Malgré son état, elle semble percevoir ce qui se prépare, et arrive encore à mobiliser assez de rage pour les stimuler.



C’en est trop, sans percevoir la violence de l’insulte, le plus jeune craque en premier et déverse d’épaisses giclées entre les fesses de la femme en grognant de bien-être et de mâle satisfaction. L’autre tente de retarder l’explosion, mais finit par se vider à son tour, crachant un jus abondant sur le dos dénudé, jusqu’à arroser les cheveux qui cachent le visage de la femme. Rien ne semble pouvoir endiguer leur jouissance, leur sperme ne cesse de s’écouler en répugnantes saccades.


Ils se calment finalement, après avoir laissé échapper quelques dernières larmes de leurs queues rapidement débandées. Se relevant d’un même mouvement, ils rengainent leur engin dégorgé, et après une dernière remarque obscène sur leur jouet de plaisir, sortent de l’église, apparemment satisfaits de cette démonstration de virilité.


Longtemps, le corps nu reste presque sans vie à même le sol de la chapelle. Soudain naît un frisson sur la peau de la jeune femme, et enfin, premier signe de rébellion, un douloureux sanglot jaillit de sa poitrine. Je n’en peux plus. Je descends d’un bond de la galerie et viens m’agenouiller près d’elle. Cette fois elle ne se défend pas, et me laisse recouvrir de son voile son dos trempé de sperme.


Elle tente faiblement de se redresser, mais les forces lui manquent et elle retombe sur le sol, le torse maintenant offert à mes regards. Je ne peux m’empêcher de constater à quel point elle est belle. Tout est harmonieux en elle. Et malgré ce qu’elle s’impose, aucun signe de déchéance ne la marque. Fugitivement, je la revois debout sous son voile, au début de sa danse, dans la lumière joyeusement colorée des vitraux, pareille à la Lailla de Kees Van Dongen (10), dont la burka entrouverte met le ventre nu et l’arrondi de la hanche si subtilement en valeur. Comment a-t-elle pu en arriver là ?


Doucement, du bout des doigts, je commence à essuyer les souillures sur sa peau. Puis je sèche ses larmes, en écartant les lourdes mèches de ses cheveux. Je suis complètement désarmé face à elle, submergé par trop de sentiments contradictoires. C’est alors que je me souviens que le ghusl doit aussi être pratiqué après un contact sexuel, et qu’il ne nécessite pas forcément l’usage d’eau, denrée rare dans le désert.


Incapable de trouver mieux pour l’apaiser, je mouille le bout de mes doigts d’eau bénite, et je commence une grande ablution de son corps inanimé, exactement comme elle l’a pratiquée dans la forêt. Je me sens si proche de cette femme, qu’il ne m’est pas difficile de formuler pour elle « une intention dans mon cœur », comme le prescrivent les écritures. Au moment où je rouvre les yeux, elle murmure presque indistinctement bismillah, ce que je reçois en plein cœur comme une preuve de confiance.


Il y a quelque chose de poignant dans ce qui se passe entre nous, car nous savons tous deux que le ghusl, surtout pratiqué de la sorte par un tiers, correspond aussi à la toilette des morts. J’essaie d’effacer cette pensée de mon esprit. Mais après l’avoir nettoyée de toutes les giclures de sperme, à l’instant de conclure le rituel, j’hésite à dire la chahada à sa place. Tant qu’il en a la force, c’est au croyant de la prononcer. Elle pose alors sa main sur la mienne et la serre aussi fort que possible.



Est-ce l’évocation de l’enfant qui a provoqué ce sursaut ? Aurais-je trouvé les mots justes ? Je ne peux rien faire de plus que la serrer entre mes bras. Il nous faudra des heures pour nous remettre de l’intensité de cet échange. Suis-je la bonne personne pour lui redonner confiance ? Après ce que je viens de découvrir, je ne vois pas très bien comment y arriver. Mais j’ai furieusement envie d’essayer.






(1) Emmène-moi, Graeme Allwright (1966)


(2) Chanter sur la colline, Joe Dassin (1968)


(3) C. Trumelet (L’Algérie légendaire. En pèlerinage ça et là aux tombeaux des principaux thaumaturges de l’Islam (Tell et Sahara), Alger, 1892) rapporte la légende de Lalla Tifellent qui, après une période de vie ascétique, aurait brutalement basculé dans la prostitution. De nombreux passants attirés par sa grande beauté auraient laissé leur vie entre les bras de cette redoutable amante.


(4) Selon S. Andezian (http ://clio.revues.org/document493.html), les saintes maghrébines sont généralement mariées, mais la plupart abandonnent leur famille dès qu’elles se sentent touchées par la grâce divine. N’étant pas frappées par les mêmes tabous que les femmes ordinaires dans leurs rapports avec les hommes, elles sont souvent assimilées à des prostituées dans les traditions locales. Craintes ou aimées, ces femmes sont sollicitées aussi bien par des hommes que par des femmes en difficulté, pour leur capacité à entrer en contact avec le monde invisible peuplé d’esprits, de saints, de prophètes, êtres surnaturels qui sont perçus comme des intermédiaires entre les hommes et Dieu.


(5) Selon E. Dermenghen, Le culte des saints maghrébins, la Zawivya est un lieu où l’effort à la complicité divine côtoie la licence, où l’extase s’exprime par le dhikr aussi bien que par la transe. Dans cette zone de non-droit éclatent toutes les contradictions de l’homme.


(6) Hadj = pèlerinage à La Mecque.


(7) Ghusl = grande ablution, qui se pratique au départ du hadj, après un rapport sexuel, pendant les règles ou encore à l’occasion de la toilette du défunt.


(8) J’ai découvert après la première écriture de ce texte les photos de Joseph Auquier dans la chapelle des Cévennes, visibles sous http ://mjang.free.fr/glarche/photonu/voyage/cevenchapelle.html, qui rendent bien la vision que j’avais de la danse de la femme et des jeux de lumière.


(9) La pratique du dhikr (= évocation ; mention, rappel, répétition (du nom de Dieu)) est commune à tout l’islam, et se trouve justifiée par certains versets du Coran. Technique mentale de prière, de méditation et de concentration, le dhikr se double d’une technique d’expérimentation physique de la présence divine, souvent accompagnée de manifestations corporelles importantes (râles, pleurs, cris, transes, évanouissements), notamment dans les assemblées féminines.


(10) www.christies.com/promos/jun06/5450/images/14.jpg


(11) Je témoigne qu’il n’y a d’autre dieu que Dieu, et je témoigne que Mouhammad est le messager de Dieu.